Testut, Oscar - Le livre blue de l'Internationale (1871)

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Socni^.io."\


M. fd-y^tf.


HARVARD UNIVERSITY.


GIFT OF CHARLES F. DUNBAR,

PrOFESSOR OF POLITICAL EcOKOMY (Clou of iBjO.

ReceiïediJvCu^, ligg.


OSCAR TESTUT


LE LIVRE BLEU


OFP [CIELS L


PAI\IS


E. LACHAUD, ÉDITEUR

i, PLACE


1871

Tous droits réïe'


LE LIVRE BLEU


DX


L'INTERNATIONALE


dichy. — imp. Paal Dupont et Gi% rue du Bao-d'Ainidres. «s.


OSCAR TESTUT


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PRÉFACE.


Sous le titre de Livre bleu de f Internationale nous avons réuni tous les rapports et autres documents offi- ciels lus dans les différents congrès ^de Tlnternationale.

Cette publication nous a paru utile pour donner une idée exacte de la puissance de son organisation. Elle permettra de juger de Timportanoe réelle que présentent ces congrès, qui ont été comme autant d'étapes de la révolution sociale.

Il n'est pas sans intérêt aujourd'hui de connaître les états de gestion présentés chaque année dans ces assises du travail par le conseil général qui représente le pou- voir exécutif de l'internationale.

Le lecteur trouvera encore dans les rapports des sections de précieux renseignements sur leur origine,


2 PRÉFACE*

leur organisation, leurs moyens d'action, leurs res- sources, le nombre de leurs membres, leur activité, rhistorique des grèves qu'elles ont provoquées ou subventionnées , les luttes diverses qu'elles ont eu à soutenir contre T exploitation du capital et le para^ sitisme bourgeois^ etc., etc.

De l'ensemble de ces documents résultera lajpreuvc manifeste que. Tlnternationale constitue un véritable État ayant son gouvernement central, son budget, ses em- prunts, ses ministres, ses ambassadeurs, ses représen- tants, ses états généraux, ses assemblées cantonales, provinciales ou régionales, ses élections, ses fonction- naires avec leurs attributions spéciales.

Nous verrons qu'à Londres réside le gouvernement * central, assisté de ses ministres, les membres du Con- seil général^ auxqueU est dévolu le pouvoir exécutif : qu'à côté d'eux, les correspondants sont comme autant d'ambassadeurs chargés de représenter les différentes nations où l'Internationale a pu recruter des adhérents et établir des relations ; que son budget est alimenté par les cotisations et le produit de la vente des cartes ; que dans ses congrès assistent un ou plusieurs délégués nommés au scrutin de liste par les différentes sections ; que les secrétaires correspondants de section ou fédé-


PRÉFACE. 5

ration peuvent être assimilés, suivant l'importance deft localités,, à no» préfets et sous-préfets ayant à leur côté pour contrôler leurs actes un conseil général : la commission executive de la section ou la commission fédérale. Nous constaterons que les emprunts s'effec- tuait de fédération à fédération ; que les sections com- prises dans une même région tiennent, une ou plusieurs fois par an,des assemblées générales ou même des con- grès provinciaux; en un mot, que tous les rouages administratifs se rencontrent au sein de l'Internationale, sous des dénominations différentes.

Au moment oii les menées de l'Internationale préoc^ oupent si vivement l'opinion publique, nous avons pensé qu'il importait de recueillir tous les documents qui pou- vaient éclairer d'un jour nouveau les progrès effrayants réalisiés par cette redoutable association.

C'est une collection inédile des rapports officiels lus aux congrès de Lausanne, Bruxelles et Bâle que nous nous faisons aujourd'hui un devoir de livrer à la publi- cité.

Paris, SI Mptembre 1871.


Première Partie.


CONGRÈS DE LAUSANNE


(Septembre 1867.)


I


RAPPORT


DU CONSEIL GÉNÉRAL


Lu dans la séance du mardi 3 septembre par Tun des secrétaires du Congrès, le citoyen Guil- laume, du Locle.


lo. — DEVOIRS IMPOSES PAR LE CONGRES DE GENEVE. - (Septembre 1866.)

Les devoirs qui furent imposés au Conseil général pat le Congrès de Genève sont les suivants l

io Le Congrès adopta une résolution autorisant les dé- légués anglais à faire les démarches nécessaires auprès des directeurs des postes en Suisse, en France et en Angle- terre, pour obtenir une réduction poUr le transport des lettres et imprimés.

Le ministre suisse fut d'accord avec la délégation sur tous les points proposés par elle, mais il fit remarquer que le gouvernement français entravait toute réforme en ce sens.


4 * LE LIVRE BLEU

En France, les délégués ne purent obtenir audience du directeur des postes.

En Angleterre, le gouvernement ne consentit qu'à rece- voir un mémoire exposant les faits. Ce travail fut rédigé par le Conseil général, qui attend une réponse.

2® La publication des travaux du Congrès, avec les lettres et mémoires en plusieurs langues ;

3» La publication d'un bulletin périodique dans les dif- férentes langues, renfermant tout ce qui pouvait intéresser FÂssociation internationale; de fournir toute information concernant le travail dans les différents pays, et des rap- ports sur les sociétés coopératives et sur la position so- ciale des travailleurs ;

4» Le Conseil général fut aussi requis de faire une enquête statistique sur le travail, contenant des rapports détaillés et spéciaux sur chaque branche de Tindustrie et de Tagriculture, et embrassant tous les pays civilisés.

Pour mettre le Conseil à môme de remplir ces devoirs, une cotisation annuelle de 30 centimes par membre fut votée par le Congrès, ainsi qu'une rémunération de 2 livres par semaine pour le secrétaire général ; le choix de ce dernier fut laissé au Conseil général.

Lorsque, après le retour des délégués, le Conseil com- mença ses travaux, il reçut la nouvelle que plusieurs documents importants avaient été saisis à la frontière française, sur la personne de Jules Gottraax, par les agents de police.

Le secrétaire général fut requis d'écrire au ministre de l'intérieur en France pour obtenir, la restitution desdits documents. Cette lettre étant restée sans réponse, une demande fut adressée au ministre des affaires étrangères


DE L'INTERNATIONALE. 5

anglais ; lord Stanley [envoya les instructions nécessaires à lord Cowley, ambassadeur anglais à Paris, pour obtenir h restitution des documents.

Au bout de quelques jours, ces documents nous furent rendus avec un paquet de journaux : La Tribune du Peuple, lequel paquet avait évidemment dû être saisi sur une autre personne.

Cet incident occasionna au Conseil un retard de plu- sieurs mois pour la publication des travaux du Gongrès.

Les documents furent remis au sous-comité, afin qu'il préparât le rapport officiel.

Le Conseil général n'ayant pas d'argent pour payer le se- crétaire général, le travail incomba aux membres assez dé- voués pour l'accomplir en dehors de leurs travaux ordinai- res, ce qui nécessita plus de temps.

Lorsque ce travail fut fait, le plus bas prix qui fut demandé pour l'imprimer fut de ftr. 1,000 pour 1,000 exem- plaires en une seule langue.

Pour que le Conseil général exécutât fa résolution du Congrès, ufie dépense immédiate de 3,000 fr. était néces- saire ; l'argent en caisse à ce moment se montait à 22 fr. 90 c.

Le Conseil général fit un appel aux sociétés anglaises adhérentes pour le payement des cotisations.

Les Cigariers de Londres et les Rubaniers de Coventry et du Warwicksbire seuls répondirent.

Le conseil exécutif de ces derniers, avec un zèle â rem- plir ses obligations que nous devons signaler, sans argent en caisse et ayant la plupart de ses membres sans travaux, fit une levée de fonds extraordinaire parmi ceux qui tra- vaillaient.


9 {uE; uvre BLpu

Le Conseil général ayant épuiaé tous les moyens pou;r publier le rapport du Congrès, tant en France qu'à Tétran* ger, accepta du citoyen Collet^ le rédacteur du Courrier international et àxxWorkiugmany l'offre de le publier dans oes deux journaux hebdomadaires, en français et en anglais; il s'engagea en outre à faire f^téréotyper les cliohés pour pouvoir publier ce rapport en brochures et à partager aveo le Conseil général tous les bénéfices, quoiqu'il acceptât d'avance pour lui toutes les pertes,

À l'annonce faite par ces journaux de la publication du Congrès de Genève, le gouvernement anglais, qui depuis plusieurs années les laissait paraître sans obstacles, trouva le prétexte pour en interrompre la publication» en deman^ dant au citoyen Collet de fournir deux cautionnements de plusieurs milliers de francs. Cette formalité retarda jus^ qu'au 9 mars la publioation. Depuis, le citoyen Collet a su, de source oertaine» que œt inoident siv^ii eu lieu ii ïiusti^ galion du gouvernement françaist^

Ceci, joint à I^ saiêiQ du mémoire den déiàguéu parisiens, fait voir oiairament le parti auquel 8*e$t arrêté le gouver^ nement français à F égard de rAssooiation internationale.

Les numéros du Courrier international contenant ce rap-i port furent envoyés gratis k tous les correspondants de l'Asso- ciation. La traduction en allemand fut forcément laissée de côté, le Conseil général n^ayant aucune facilité pour la faire.

Quoique le tout soit stéréotypé, le manque de fonds a em- pêché, jusqu'à ce jour, la publioation en brochures, ce qui est cependant demandé avec instance par tous nos corres** pondants.

Pour tourner oes difficultés, un des membres du Conseil avança 100 francs pour l'impression de 1,000 exemplaires


DE ^'INTERNATIONALE 7

des carnets, contenant le Pacte constitutif et les R^fle- ments : 800 de ces carnets furent envoyés, mais ils furent saisis par la police française * ; cette perte vint encore aggraver la situation du Conseil génér&l| situation d'autant plus précaire .quUl était harcelé 4ç toutes parts pour la dette de plus de mille francs, çontrsictéQ eu 189$ et 1866; oarbiea

q\ie le Congrès de Genève eût reconnu cette dette solidaire,

il n'avait indiqué aucun moyen effîqacQ pour l'éteindre,

Dans ces circonstances, il était de toute impossibilité pour le Conseil de publier aucun rapport ou bulletin périodiquOi ainsi que l'avait voté le Congrès ; la QonséqueuQe fut l'abaU"* don forcé de l'enquête statistique pour l'^née 1867, cftr, pour être efficace, cette enquête ne peut être restreinte aux sociétés adhérexttes, elle doit embrasser toutes les branches de la production dans toutes les localités. Ce travail| dQ- mandant des pertes de temps considérables et de£f dépenses très-élevées, ne pouvait être fait par le Cousçil généi*al dans la situation pécuniaire qù il se trouvait.


2« - ROLE DE - L'ASSOCIATION INTERNATIONALE DES TRAVAILLEURS DANS LA LUTTE ENTRE LE CAPITAL ET LE TRAVAIL.

Les nombreux services rendus par TAssociation dana les différentes luttes entre le capital et le travail, dans les divers pays où elles ont eu lieu, démontrent suffisamment

  • Il résulte de toutes ces déclarations que le gouvernement impé-

rial ne professait déjà pas à cette époque une très -grande sympa- thie pour l'Internationale . On s'expliquerait difficilement qu'animé de pareilles dispositions il en eût plus tard favorisé le développement.


8 LE LIVRE BLEU

la nécessité d'une telle association. Lorsque les ouvriers re- fusaient d'accepter les conditions arbitraires des capitalistes anglais, ceux-ci les menaçaient de les remplacer par des bras appelés du continent. La possibilité d'une pareille importation a sufû plusieurs fois pour faire céder les ou- vriers. L'action du Conseil a empêché que ces menaces ne fussent faites publiquement comme autrefois. Lorsque* de pareils faits se présentent, il suffit de la plus légère indica- tion pour déjouer les plans des capitalistes. Survient-il une grève ou un lock-out S parmi les sociétés adhérentes à F As- sociation, les ouvriers de tous les pays sont immédiatement informés de F état de choses, et conséquemment mis en garde contre les offres des agents des capitalistes. Néanmoins, cette action n'est pas seulement circonscrite aux sociétés adhérentes, car le concours de l'Association est acquis à toutes celles qui le réclament.

Parfois les capitalistes réussissent à attirer quelques igno- rants qui les abandonnent aussitôt qu'ils sont instruits de leurs droits et de leurs devoirs.

Le capital ne considère l'ouvrier que comme une machine à production, rien de plus; le dernier lock'Out dé vanniers de Londres en offre un exemple frappant. Voici les faits. Les patrons vanniers de Londres déclarèrent à leurs ou- vriers qu'ils eussent à dissoudre leur société et à accepter une diminution dans un délai de trois jours, leur annonçant que, faute de ce faire par eux, à l'expiration de ce délai, les ateliers leur seraient fermés. Devant un fait aussi brutal, les ouvriers se révoltèrent et déclarèrent ne pas accepter ces conditions; les patrons avaient prévu le cas, car des

  • On entend par là la fermeture des ateliers par les patrons.


DE L'INTERNATIONALE. 9

agents étaient partis pour la Belgique et ramenaient des ouvriers... Ces ouvriers furent parq[ués sous les arches du chemin de fer, dans un des quartiers de Londres (Bermond- sey). Là ils devaient travailler, manger et dormir, sans sor- tir, afin d'éviter tout contact avec les autres ouvriers. Mais le Conseil général parvint à franchir le cordon sanitaire in^ stitué par les patrons, et, par un stratagème, s'introduisit auprès des ouvriers belges; le lendemain, ces ouvriers ayant compris leur devoir, retournaient en Belgique j indemnisés de leur temps perdu par la société des vanniers de Londres. Gomme ils partaient, arrivait justement un autre bateau chargé d'autres ouvriers ; mais cette fois ils furent reçus par nous et ils repartaient par le bateau suivant. Il fut im- possible après cela aux patrons de se procurer d'autres ou- vriers : le résultat fut que les patrons se virent forcés de laisser les choses telles qu'elles étaient précédemment.

En conséquence de l'appel fait par le Conseil aux sociétés anglaises, les bronziers de Paris reçurent un appui moral et matériel dans leur grève; d'un autre côté, les tailleurs de Londres reçurent un pareil appui des ouvriers du conti- nent.

Le Conseil intervint avec autant de succès dans la grève des terrassiers, treillageurs^ coiffeurs, zingueurs et graveurs sur boiST

30 — SECTION ANGLAISE.

A. Propagande.

En Angleterre, si la propagande n'a pas été aussi active

que l'année dernière, les raisons en sont faciles à déduire

de ce qui suit ; ce n'est jamais par l'initiative du gouverne-

1.


10 hB HVRB BLEU

meut qu'un pas est fait dans la voie libérale, oe n'est qiio lorsque de longues agitations ont passionné les masses qu'il cède enfin à la pression populaire» témoin la question de réforme électorale et du droit de réunion dans les parcs.

Les travailleurs anglais attachent une grande impoiv tance, avec raison, à la question électorale ; ils sacrifient leur temps et leur énergie à organiser d'imposantes ma- nifestations, dont la force morale en impose au gouverne* ment et le force à donner satisfaction au vœu populaire.

Pendant qu'ils réclamaient énergiquement leurs droits de citoyens, il était impossible au Conseil général d'appeler l'attention des ouvriers sur les ' questions sociales, dont ils n'entrevoyaient l'issue que dans un avenir lointain.

Les membres anglais du Conseil général, qui devaient le plus nous aider dans notre œuvre de propagande, ne pouvaient se tenir à l'écart de ce mouvement que nous avions créé et qu'ils devaient conduire. Le succès a répondu à leurs efforts, et Tannée 1867 sera à jamais célèbre dans les annales de la classe ouvrière anglaise.

Cependant, si la propagande n'a pas été aussi active qu'elle aurait dû l'être, par les raisons que nous avons données ci-dessus, elle ne fut pas arrêtée un seul , instant. Les formalités à remplir pour obtenir l'adhésion des sociétés ouvrières demandent beaucoup de temps ; la constitution démocratique des Traders Unions ne permet pas au comité exécutif de prendre une décision sur une question importante sans que toutes les branches l'aient préalablement discutée.

Voici le mode à suivre pour obtenir F adhésion d'une société. On écrit au comité le but de la demande. Le comité fixe un jour pour recevoir une députation. Si la


DE L'INTERNATIONALE. H

question est prise en considération, le conuté lu soumet à ses branches ; alors il faut attendre un, deu^ et souvent trois mois avant de connaître le résultat. Il ne faut pas conclure de ce que nous venons de dire que le comité d'une société puisse seul proposer ou rejeter une propo- sition, car très-souvent des branches ont adhéré à l'Asso- ciation internationale sans la participation du comité.

Depuis le Congrès de Genève, plus de vin^t des grandes sociétés ouvrières ont accueilli favorablement les députa- tions du Conseil général ; il en attend le résultat de jour en jour. D'autres sociétés ont remis leur adhésion à un temps plus opportun; une seule a refusé sqa adhésion, se basant sur ce que l'Association internationale ^'occupait de questions politiques.

. CMlsations.

Cette question a occupé pendant longtemps le Conseil général. Pendant que cette question était en litige, le comité exécutif des maçons se joignait à l'Association et votait une cotisation annuelle de i livre.

En mars 1865, une députation fut envoyée par le Conseil général à la conférence des cordonniers anglais, où la résolution suivante, proposée par les délégués de Bir- mingham et de Hull, fut votée à l'unanimité : « La con- férence accepte les principes de l'Association internationale, déclare s'y joindre et engage tous les membres présents à faire tous leurs efforts pour les propager. » La question de la cotisation fut soulevée, mais non résolue. Quelque temps après, le Conseil général décidait qu'un diplôme d'adhésion serait remisa toute société qui se joindrait à


12 ' LE LIVRE BLEU

rAssociation ; la société devait payer un droit d'entrée de 5 shillings et le Conseil général laissait à la libéralité des sociétés de décider dans quelles proportions elles pourraient nous aider.

L'argent donné par les sociétés était un don de leur part pour défrayer le Conseil général des frais de délégation au Congrès de Genève. Le comité des cordonniers donna 5 livres à cet effet. Afin de régulariser cette situation, le Conseil général proposa une cotisation uniforme pour chaque membre.

Le Congrès de Genève décida que la cotisation annuelle serait ûxée à 30 centimes.

Après le Congrès, les délégations envoyées par le Con- seil près des sociétés anglaises rencontrèrent un obstacle insurmontable dans le prix élevé de cette cotisation.

Dans cette situation, le Conseil décida, dans sa séance du 9 octobre, d'abaisser à 5 centimes la cotisation an- nuelle. La Société des cordonniers (Amalgamated Cord- wainers Association) nous annonça que la résolution qui avait été prise dans la conférence de 1865 avait été re- tirée par la conférence de 186*7; cette résolution était de souscrire pour une somme annuelle de 5 livres.

Le comité exécutif des maçons nous donna 1 livre pour Tannée 1867, comme il l'avait fait déjà pour Tannée 1866; mais il ne nous a pas encore annoncé si toute la Société était adhérente ou non.]

La Société des cordonniers comptait Tannée dernière 5,000 membres, celle des maçons de 3,000 à 4,000. j * Deux appels ont été faits par le Conseil, pour le paye- ment des cotisations pendant Tannée 1867, à toutes les so- ciétés adhérentes. Quelques-unes ont payé, d'autres ne


DE L'INTERNATIONALE IS

t'ont pas encore fait) mais aucune, excepté celle des cor- - donniers, n'a décliné ses obligations.

La Société des charpentiers et menuisiers réunis a, tout récemment, pris la résolution de contribuer pour 2 livres par an aux fonds du Conseil général. La question se discute eu ce moment dans les branches pour savoir si toute la So- ciété fera partie de l'Association in lematiouale. Cette Société, qui compte plus de 9,000 membres, a des branches dans toute l'Angleterre, le pays do Galles, l'Ecosse et l'Irlande.

Voici la liste des Sociétés odhérentes anglaises et les sommes versées par elles dans le courant de l'année écoulée depuis le dernier congrès.

ttsit latà par li Secti» lirïluii^u.


Arbêîtfr Bildimgi V*Tein. Braocbe française da Loodres.

Section ceatrale des eiilés polonais.

Executive des ouvriers maçons.

Première Loge des ouvriers maçons.

Les ébénistes (Alliance).

Les ébiuialea (West-End).

Les relieurs.

Les tooueliers.

ComiLé eiécutit des cordonniers.

Section des cordonniers (ùailington).

Section des cordonniers (Mottiugbam).

Les cjgariers.

Les rnbaniers de Coventry.

Les coffretiers.

Les cordonniers de Kcndal.

Les cordonniers pour dames (West-End).

Les ouvriers tailleurs de Londres.

Les taillears de Darlingtoa.


14


LE LIVRE BLEU


Sociétés affiliées depuis le Congres. Inlréet. Cotisations.


Les vanniers de Londres. Les imprimeurs sur étoffes du Lancashire. Les carrossiers de Londres . Les tapissiers pour carrosserie (Globe). Id. Id. (Grown).

Les tisserands (tissns élastiques), Les terrassiers unis. Les yernisseurs pour ameublement. Facteurs d'orgues. Dessinateurs et graveurs sur bois. Comité exécutif des charpentiers. Gorroyeurs udIb. Ferblantiers.



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fonds Totés pour h délq;atioB.


Cordonniers pour dames (West-End).

Cigariers de Londres.

Les tisserands (tissas élastiques).






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La différence qui existe entre les deux années pour les fonds peut s'expliquer par cette raison ; en 1866, les som- mes furent votées pour envoyer des délégués à Genève, tandis que cette année les fonds ne sont affectés qu'aux frais d'administration.

L'année dernière, comme nous l'avons déjà dit; nous avait créé des dettes; ces dettes, le Conseil général les a amorties le plus qu'il lui a été possible.

La raison pour laquelle les sociétés adhérentes n'ont pas encore payé leurs cotisations et pourquoi d'autres n'ont pas encore voté des fonds pour le Congrès s'explique par la


DE L'INTERNATIONALE. 15

stagnation du travail, les nombreuses grèves, les Jock^out et surtout par le mouvement électoral, puis en dernier lieu par la grève des tailleurs de Londres, laquelle absorbe en ce moment les ressources des Traders Unions,

Le Conseil général a reçu de nombreuses lettres de 80*< ciétés qui constatent cet état de choses et regrettent de ne pouvoir nous aider pécuniairement.


40 — SECTIONS CONTINENTALES ET AMÉRI- CAINES,

France.

La mission du Conseil général est de correspondre avec les branches individuelles dans les pays où des lois restric- tives empêchent de former un centre d'action avec sécurité : telle est, par exemple, la situation de la France.

On a déjà vu plus haut que toutes les tentatives faites par le Conseil général, pour faire entrer en France les carnets contenant les Statuls et Règlements de TAssociation inter- nationale, avaient échoué par le fait de r autorité française, qui s'est emparée de notre propriété quand aucun motif ne justifie cette violation du droit. Mais les entraves apportées par r administration française ne s'arrêtèrent pas là. Ce fut en vain que nos correspondants demandèrent F autorisation de faire imprimer nos Statuts et Règlements : le refus le plus obstiné fut toujours la seule réponse qu'ils obtinrent *.^

1 Nouvelle preuve de la sympathie de l'empire pour Vlnterna- tienalt.


16 LE LIVRE BLEU

Le comité lyonnais, qui, en 1866, avait pu avoir des réu- nions de plus de 500 membreSj ne put, après Je Congrès de Genève f obtenir de réunion générale,

La courageuse persévérance des membres lyonnais au- près des agents administratifs a eu pour résultat de démon- trer aux plus aveugles jusqu'à quel point le gouvernement français voulait F affranchissement du travailleur.

Chose remarquable à constater, ces entraves, ces tracas- series mesquines, n'ont pas arrêté un instant le progrès de notre Association.

Vienne (Isère), qui atteignait à peine le chiffre de 80 mem- bres, en compte aujourd'hui plus de 500.

A Neuville-sur-Saône, une de nos branches a fondé une société coopérative de consommation et a, par ce fait^ ap- pelé les ouvriers des campagnes à la pratique de la vie so- ciale, chose à laquelle on les considérait jusqu'alors comme antipathiques.

Notre correspondant de Caen nous annonce que dans cette ville l'union des travailleurs s'affirme chaque jour davan- tage. Grâce à cette entente, les bourreliers, les mécani- cienSy les tanneurs ^ les selliers les forgerons, etc., ont pu obtenir la diminution d'une heure de travail par jour, sans réduction de salaire.

A Fuveau (Bouches-du-Rhône), l'Association interna- tionale compte de nombreux adhérents parmi les mineurs, dont la récente grève a fait tant de bruit.

A la date du 5 août dernier, le Conseil général recevait la nouvelle de la formation d'un comité à fuveau môme. Ce résultat est dû à la courageuse propagande du citoyen Vasseur^ membre du comité de Marseille, qui nous écrivait le 21 juillet dernier : « Une lutte est engagée entre le capi-


DE L'INTERNATIONALE. 17

tal et le travail, lutte à la fois triste et comique : d'un côté une bande d'administrateurs et d'employés faisant la pro- pagande en voiture pour détourner les ouvriers de TAsso- eiation internationale; et de l'autre une poignée d'hommes énergiques et de dévouement, luttant sans cesse contre les attaques de nos adversaires et faisant circuler des idées d'indépendance et de justice dans les rangs des travail- leurs. > Puis il ajoute en terminant : < Nul pouvoir humain ne pourrait arracher les idées d'émancipation que nous avons jetées dans le pays, car nos adversaires ont à com- battre deux choses bien difficiles à vaincre : le droit et la volonté, »

En résumé, le travailleur comprend que vouloir dest pouvoir^ et qu'il ne doit compter que sur lui-même pour son complet affrauchissement politique et social.

Voici la liste des branches existantes au dernier Congrès, et le montant des sommes versées par elles en 1866 et 1867.

Sommes versées.


Paris •

Gaen

LyoD

Bordeaux

Rouen

La Guadeloupe

Vienne

Nen ville-sur-Saône

Pantin

Saint-Denis


Livres.


Shillings.


Sons.


4




1




11


12



3


9




4


5


5


7


6


1


5


3


13


LE WYRE Jàli^V

gommes yersées.


Pateaax

Neufchàtean

Lisieux

Gondé-sur-Noireau ,...,

Harcoart-Thierry, , >

Granville . , ,,.,....,

Argentan

RodTelles branches formées depuis le Congrès.

Gasteinaudary

Aoch

Orléans

Nantes

Yillefranche..

Marseille

Favean . . , ,

Le Havre

Alger i ,,,....,...,..


Livres.


Shillings.


Sons.



14


é


i Gomme on le voit, le montant des cotisations versées par les sections françaises était des pins minimes. Le bureau de Paris était surtout celui qui mettait le moins d'empressement pour l'envoi des fonds au Gonseil général : aussi Eugène Dupont se trouvait-il dans la nécessité de rappeler sans cesse à ses membres l'exécution de cette partie importante du règlement. Nous en trouvons la preuve dans ces deux lettres adressées à Ghémalé sousia date des 20 août et 17 avril 18^7.

Londres, -17 avril -1867.


oc Nous sommes toujours sans argent. Envoyez-nous au plus tôt « les cotisations de 66 et celles que vous avez reçues pour 67. Les « Anglais sont surpris qu'on ne reçoive jamais d'argent de Paris. « Lyon a déjà payé plus dQ SOOfrancs, et Paris seulement 100 francs


DE L'INTERNATIONALE.


U


Saisse.

En Suisse, nous avons reçu seulement les correspon- dances du comité central. Là, comme en Angleterre, le travail de l'Association internationale est de faire adhérer les sociétés ouvrières et d'obtenir le plus possible d'adhé- sions particulières; seulement nous ferons remarquer qu'en Suisse les sociétés ouvrières comprennent moins de membres dans chacune d'elles qu'en Angleterre. Voici le nom des villes où des branches ont été formées Genève, Garouge, Lausanne, Vevey, Montreux, Neu- châtel, la Chaux- de-Fonds, le Locle, Sainte-Groix, Saint- Imier, Sonvillier, Blenne, Moutier, Beaucourt, Zurich, Wetzikon, Bâle, Berne, Tramelan, les Breuleux et les Bois.


Argent reçu de ces branches en 1866 et 1867.

Sommet vertôes.


Genève (sectipn romande).... Genève ( » allemande)... Ghaux-de-Fonds


Livres.


4 1

3


Shillings:


7

4

17


Sous.

I


9 10


« depuis la fondation de rAssooiation Internationale. Voyez donc à, a activer cela. »

Signé: Eugène Dupont.

Londres, 20 août ^867.


« Le Congrèl 4'&ywhil pas décidé, sur la proposition des délégués


20 LE LIVRE BLEU

Belgiqiae*

Rapport du secrétaire correspondant pour la Belgique au Conseil général de 1* Association internationale des tra^^ vailleurs.

Citoyens,

Ma correspondance avec la Belgique date de la grève des vanniers. J'écrivis à ce sujet ime lettre au citoyen Van" denhouten, qui a paru huit jours après dans la Tribune du Peuple; je lui donnais avis, au nom du Conseil général, du départ de Londres d'un agent des patrons vanniers pour embaucher des vanniers belges; je lui disais que la puis- sance de notre organisation devait déjouer les plans de cet agent) et que la solidarité obligeait les ouvriers belges de refuser tout embauchage, afin d'assurer la victoire à leurs frères anglais.

J'informai ensuite le citoyen Vandenhouten du rembar- quement des quelques vanniers belges venus à Londres sur la foi de promesses faites, mais non tenues par les patrons, et des sentiments fraternels des vanniers anglais; je faisais ressortir dans cette lettre combien l'action du Conseil gé- néral avait contribué au triomphe des ouvriers sur les patrons.

J'eus avec le citoyen Brismée une correspondance au sujet de l'impression du compte rendu du Congrès de Genève.

« de Paris que les dettei du Conseil général seraient payées par tous

oc les sociétaires solidairement ? Et cependant le bureau de Paris, qui a

« reçu des milhen de cartes, n'a pas depuis le Congrès de Genève

« envoyé un seul centime, soit pour amortir cette dette, soit pour les

« cotisations. Pour ma part, je trouve cela ridicule, pour ne pas dire

« plus.

EuotNE Dupont.


DE L'INTERNATIONALE. 21

Cette correspondance ne put aboutir à rien, dans ce sens que, sur l'avis du Conseil général, je lui demandai un crédit qu'il ne pouvait faire. Ma dernière lettre à ce sujet resta sans réponse; sans doute il en coûtait trop au citoyen Brismée, dont le dévouement est bien connu, d'être obligé de nous refuser formellement ; c'est ainsi que j'interprète son silence.

J'ai envoyé au citoyen Vandenhouten une lettre du Con- seil général au sujet des cigariers belges, en le priant de donner à cette lettre toute la publicité possible; je fis de même pour les résolutions du Conseil général au sujet de la visite du czar à Paris* J'ai informé le bureau de Bruxelles de la décision du Conseil général au sujet de la grève des tailleurs de Londres, recommandant aux tailleurs belges de ne point venir à Londres pour travailler dans les ateliers en grève, et à tous les ouvriers belges de faire acte de so- lidarité en aidant matériellement les tailleurs de Londres.

J'ai envoyé à Liège au citoyen DewittOy faubourg Saint- Gilles, n» 6, et à Bruxelles au citoyen Vandenhouten la circulaire du Conseil général au sujet du Congrès de Lau- sanne, avec prière de lui donner la plus grande attention et la plus grande publicité.

Enfin j'ai fait tout ce que le Conseil m'a dit de faire, et

j'ose dire que je n'ai jamais reçu aucun reproche de la

Belgique. Je joins à ce bref rapport les quelques lettres

que j'ai reçues. Quant aux frais de correspondance, j'ai cru

que je pouvais parfaitement faire ce petit sacrifice pour

l'Association.

Salut et fraternité !

BESSON «.

  • Le citoyen Besson appartient aujourd'hui à la branche française


LE LIVRE BLEU


L'Allômagne est encore dans un état anormal, peu favo- rable au développement de notre Association. Cependant le citoyen tT.-PA. Becker, président de la section allemande à Genève, a réussi à y fonder plusieurs branches, sur les- quelles nous n'avons quant à présent aucun détail particu- lier.

En Italie, des sociétés ouvrières sont régulièrement con- stituées à Naples, Milan et Gènes; nous sommes en corres- pondance avec elles, maiâ aucunô cotisation ne nous est encore parvenue.

4iiiérlqatt« 

En Amérique, deux nouvelles branches ont adhéré à r Association internationale ; nous sommes en correspon- dance avec le Labour National Uuion^s Committee (Société nationale du travail), ainsi qu*aveo le président de Vtnter^ national, tronmouldet^s Union (Union internationale des fondeurs en fer).

Rapport annuel du secrétaire pouï" P Amérique, ûîtaùhê âU Conseil général de P Association înternafionale des tra* vailleurs. (Septembre i866 au 21 août làôl.)

Le premier événement qui appartienne à mon ressort après mon entrée dans la position de secrétaire pour TAmérique, a été l'arrivée, en Angleterre, du numéro pour le mois de septembre 1866 du Ironmoulder*s International Journal

de Londres,'dans les meetings de laquelle on a si longtemps prêché Tassâssinat politique à l'instigation de Félût Pyat.


DE L'INTERNATIONALE. 23

(Journal international des mouleurs en fer), publié à Phila- delphie par W.-H. Sylvis, en même temps président de VUnion internationaie des mouleurs en fer.

Ce numéro contenait un rapport étendu du premier con- grès national des travailleurs des États-Unis, qui venait* d'être tenu à Baltimore dans le courant du lùois précédent. Un résumé des procès-verbaux de ce congrès et les réso- lutions prises ont été reproduits dans le Commonwealih (République) de Londres, dans le cours d'octobre 1866. Il ressortait de là que le Congrès de Baltimore avait appris la réunion prochaine d'un congrès analogue des travail- leurs de l'ancien monde à Genève, et qu'il avait voté à l'una- nimité que la commission executive de VUnion nationale des travailleurs, organisée par ledit congrès, était auto- risée à envoyer un délégué au Congrès européen des tra- vailleurs pour 1866, c'est-à-dire à Lausanne.

Par le même journal, j'appris que le secrétaire pour l'étranger de VUnion nationale des travailleurs était un citoyen nommé William Gibson, dont Tadresse aurait été New-Haven, dans le Gonnecticut. Ce n*est que depuis le commencement d'août de cette année que j'ai découvert que l'on s* était trompé sur l'adresse du citoyen Gibson, laquelle est Norwicb (Gonnecticut) et non pas New-Haven. Cette erreur de la part des compilateurs du rapport du Congrès a été presque fatale aux opérations de mon départe^ ment.

Au reste, je n'essayai pas à l'instant d'entrer en corres- pondance avec le secrétaire Gibson, parce que je pensais que le début de cette correspondance devait être l'envoi du compte rendu officiel des transactions du Congrès de Ge- nève. Les causes du retard de la publication de ce rapport


24 LE LIVRE BLEU

ont été déjà racontées dans le compte rendu général du Conseil général.

Vers décembre 1866, le citoyen Orsini s'approcha du Conseil général et nous communiqua les noms de cinq se- ^ cialistes européens demeurant à New- York, avec lesquels il nous pria d* ouvrir une correspondance. Il nous pria en- core de leur envoyer des pleins pouvoirs pour agir dans Tintérèt de TÂssociation dans les États-Unis.

Cinq lettres, accompagnées de pleins pouvoirs dans le sens indiqué, ont été expédiées aux cinq citoyens nommés {^ar Orsini, mais ni moi ni le Conseil général nous n'avons jamais reçu de'réponse à aucune de ces lettres.

Ainsi, ma première ouverture échoua. Orsini, du reste, a fait savoir au Conseil général que Ton commençait à pren- dre beaucoup d'intérêt à notre Association à New- York, et que Wendell PhilipS; le grand orateur abolitioniste du Mas- sachusetts, avait fait l'offre de donner des conférences au profit de la caisse de notre Association, dès que l'on lui eut montré que les objets et les chefs de l'Association étaient dignes de ce dévouement.

Orsini ajouta que James Stephens, le démocrate et pa- triote d'Irlande, s^était fait inscrire k New-York au nom^ bre des membres de notre Association,

En mars 1867, le compte rendu des transactions du Con- grès de Genève, en anglais, commença de paraître dans V International Courrier, de Londres. Dès que quatre numé- ros de cette série eurent paru, c'est-à-dire en avril, j'expé- diai ces quatre numéros de l'International Courrier à qua- tre personnes, savoir : une série au secrétaire Gibson, à son adresse supposée ; une autre série à W.-H. Sylvis ; une troisième au rédacteur de la Voice, journal quotidien publié


DE L'INTERNATIONALE. 25

à Boston (Massachusetts) et dévoué aux intérêts des ou- vriers, et une' quatrième au rédacteur du Workingman's Advocatey de Chicago (Illinois), l'organe principal des ou- vriers des États occidentaux de TUnion américaine. J'ai accompagné les journaux expédiés au secrétaire Gibson d'une lettre qui exprimait la haute importance attachée par le Ck)nseil général à une intimité de rapports et à une fré- quence de communications entre lui et la commission exe- cutive de Y Union nationale des travailleurs.

Cette lettre est restée sans réponse, et je n'ai reçu nul accusé de la réception des journaux. L'explication très- simple de cet insuccès est que la lettre et les journaux avaient été adressés à New-Haven au lieu de Norwich.

L'expédition de ces documents n'a produit qu'un seul bon résultat. Le rédacteur de V International Courrier, à Londres, a commencé vers le mois de mai de recevoir des exemplai- res du Workingman's Advocate, de Chicago, et un échange des deux journaux a eu lieu. A partir de cette époque, lo rédacteur de V International Courrier, Joseph Collet, a donné à ses lecteurs toutes les semaines des extraits des co- lonnes du Workingman's Advocate, de Chicago.

La publication du compte rendu des transactions du Con- grès de Genève a été terminée le !•' mai ; j'expédiai la suite de ce compte rendu aux quatre adresses sus-mentlonnées.

Des extraits de ce compte rendu ont été reproduits dans le Workingman*s Advocate, de Chicago. Je n'ai aucun moyen de savoir si l'un ou l'autre des deux autres journaux en ont inséré des extraits ou ont fait des observations à son égard.

Pendant le cours du printemps, le Conseil général, sur la demande du bureau de correspondance de Lyon, s'est


86 LE livuë bleu

occupé dé 1a question dé rémigration auiK États- Uni» d'un grand nombre destissèurft en soie de cette ville* Le bureau de Lyon noua avait appris que beaucoup de tisseurs en soie, mécontents de leur sort che^ euit) avaient envie d*émigrer aux États- Unie pour y implanter leur industrie; seulement, ils désiraient savoir si quelques capitalistes américains voudraient avancer les frais de voyage et de premier éta* blissement. Sur ces entrefaites, le Conseil général m'a chargé d'écrire à ce sujet à plusieurs journaux d'Amérique et à plusieurs hommes d'État. J'obéis à ces ordres ; les let- tres furent portées en Amérique par un Polonais, nommé Koszek, qui partait pour New- York. Point de réponse en* core une fois t Je n*ai jamais reçu de nouvelles de Kossek depuis son départ.

En juin, j'ai été chargé par le Conseil général d'écrire à "W. H. Sylvis pour demander de l'aide pour les tailleurs de Londres qui s'étaient mis en grève. J'ai écrit le 11 juin. Je saisis cette occasion pour exprimer à Sylvis mon chagrin de ce que je n'avais pas reçu un mot de réponse du secré- taire Gibson. Je le priai de me donner le nom et l'adresse d'un autre membre du comité de l'Union nêtlionule des tt^ vailleurs.

S& réponse» datée du 25 juin, me fit part des raisons pour lesquelles les métiers en fer américains n'étaient pas en état de secourir les tailleurs grévistes de Londres. Il me communiqua également le nom et l'adresse de William- J. Jessup , de New- York, un zélé promoteur de V Union na* tionale des travailleurs.

Dès que j'eus communiqué cette lettre au Conseil générale le Conseil me chargea d'écrire sans retard à William Jussup pour lui apprendre la date du Congrès de Lausanne et pour


DE L'INTERNATIONALE. 87

lui dira le plaisir que le Conseil général éprouverait de voir à Lausanne un délégué américain. En conséquencoi j*écri* vis le 19 juillet. Dans ma lettre je racontai les circonstances ayant trait à mes efforts impuissants à propos du secrétaire Gibson, et en même temps j^expédiai à Jessup le compta rendu officiel du Congrès de Genève.

A cette lettre j'ai reçu une réponse datée du 9 août. Cette réponse constate la satisfaction que Jessup a ressentie du projet de communiquer avec les travailleurs du continent et de la Grande-Bretague, Il regrette les délais qui ont eu lieu en conséquence de la méprise, quant à l'adresse du se* erétaire Gibson. Il regrette aussi que la date de la réunion du Congrès de Chicago (le 19 août) soit si rapprochée de celle du Congrès de Lausanne, qu'il sera trop tard pour qu'il soit possible d'envoyer un délégué en Europe. Toute- fois, j*ai lu récemment un article du Workingm^tn^a Adro- eate de Chicago qui déclare que la question d'envoyer un délégué à Lausanne sera une des premières qui fixeront Vattention du Congrès de Chicago.

Il me promet de communiquer ma lettre du 19 juillet au Congrès de Chicago, « à cause de son importance, > et d'expédier au Conseil général les journaux qui contiendront le meilleur compte, rendu des procès- verbaux du Congrès de Chicago. 11 dit qu'il veut continuer sa correspondance avec le Conseil général, quand même il ne serait pas réélu au poste de vice-président de V Union nationale ^ parce qu'il est encore secrétaire pour la correspondance de V Union des travailleurs de New^York, Il accueille ma proposition d'é- changer avec lui les journaux qui sont les organes des classes ouvrières. Tel est un abrégé imparfait de sa lettre intéressante et chaleureuse.


28 LE LIVRE BLEU

Au commencement de ce mois^ le citoyen Marx m'a remis une lettre de F.-A. Serge, qui annonçait la formation d'une branche de notre Association à Hoboken, New-Jersey.

Vers le môme temps, le rédacteur de ï International Courrier de Londres m'a montré l'adresse (en brochure) de la commission executive de V Union nationale des travail- leurs aux ouvriers des États-Unis, à l'effet d'en convoquer les représentants au Congrès deiChicago. Sur la couver- ture de cette brochure je trouvai le nom et Fadresse en ma- nuscrit du secrétaire William Gibson, et alors seulement je compris que j'avais été induit en erreur à l'endroit de son adresse. Je déplore la perte de temps précieux produite par cette erreur. Pour me consoler, je répète le proverbe : « Mieux vaut tard que jamais ! »

Voilà le récit de mes tentatives, qui n'ont guère, jusqu'à présent, été couronnées de succès. Toutefois^ je laisse les choses dans]une position pleine de promesses pour l'avenir.

Je dois toucher maintenant à deux autres sujets.

Les efforts des ouvriers américains pour se conquérir plus de temps libre, efforts qui sont connus sous le nom du c mouvement de huit heures, » fixèrent l'attention du Con- grès de Genève. Ainsi je ne crois pas déplacé de récapitu- ler très-succinctement ce que je sais sur le progrès qu'on a fait à cet égard pendant les derniers douze mois. L'agita- tion a mûri avec une grande vitesse et a trouvé un écho immédiat dans le Corps législatif à Washington et dans les assemblées législatives des États particuliers. Dans la Chambre fédérale des députés, un projet de loi pour les huit heures concernant les travaux entrepris par le gouver- nement fédéral n'a été ajourné que par égalité de voix.

Plusieurs des législatures d'États ont statué que, en l'ab-


DE L'INTERNATIONALE. 29

sence d'un contrat spécial, le jour de travail ne consiste qu'en huit heures. Dans l'Etat de New- York, cette loi a été votée, mais les ouvriers de New- York n'ont pas encore osé demander qu'elle soit exécutée. Les ouvriers de cet État se sont tout récemment réunis dans un congrès spécial, à l'effet de délibérer sur la conduite qu'ils doivent tenir dans ces circonstances. Enfin on a résolu qu'une demande uni- verselle et simultanée pour l'exécution de la loi sera faite le 1"^ novembre prochain, sans réduction de salaire si possible, mais en acceptant une réduction s'il est néces- saire. La majorité des délégués, à en juger par les discus- sions, manifestent leur assentiment à une réduction de

»

salaire.

Dans l'Etat de Californie, ou n'a pas encore voté une loi pour les huit heuii^s ; néanmoins, pendant les 19 mois qui ont précédé juillet dernier, le système des huit heures y a prévalu en effet. Les derniers renseignements de cet État disent que les patrons se sont mis en grève contre le nou- vel ordre de choses, et qu'une grande cessation de travail a été la conséquence de ces tentatives réactionnaires.

Je suis bien aise d'annoncer au Conseil qu'à partir du !•' janvier prochain, l'affranchissement d'une lettre ordi- naire sera réduit de la moitié, c'est-à-dire de un shilling à six pence. Je parle exclusivement des lettres échangées


entre le Royaume-Uni et les Etats-Unis. Un traité à cet effet vient d'être conclu entre les deux gouvernements.

PETER FOX.

Secrétaire pour l'Amérique, auprès du Conseil général de l'Associa- tion internationale des travailleurs.

a.


80 LE LIVRE BLEU


50. ^ REMARQUES GÉNÉRALES.


L'année écoulée depuis le dernier congrès a été signalée par un incessant combat entre le capital et le travail : en Amérique, en Angleterre, en France, en Belgique, les grè- ves, les look'Out et la persécution contre les travailleurs ont été à Tordre du jour.

Le capital persécute le travailleur avec ténacité et vio- lence, car il sent instinctivement que le jour est proche où le travail prendra la place qui lui est légitimement due.

Une société, dans les États-Unis, a dépensé 70,000 dol- lars pour défendre le droit à la vie contre les envahisse- ments du capital.

En Angleterre, il a été décidé dans les Courts of Law (cours de justice), que le vol des fonds des Trade'sJJnions (unions ouvrières) n'était pas punissable. Une commission d'enquête ofûcielle sur les Traders Unions a été instituée en vue de les détruire ou tout au moins de les entraver.

Le dernier procès fait par les patrons tailleurs de Londres aux ouvriers, la condamnation des ouvriers tailleurs de Paris, le massacre des ouvriers mineurs à Marchiennes (Belgique), sont des faits qui démontrent clairement que a société n'est composée que de deux classes hostiles Puue à l'autre, les oppresseurs et les opprimés, et que la solidarité entre tous les travailleurs du monde peut seule nous don- ner l'affranchissement intégral, qui est le but que poursuit l'Association internationale des travailleurs.


DE L'INTERNATIONALE. 31

Nous terminons par ces mots : t Travailleurs de tous les pays, unissoDS-Dous !

Au nom du Conseil général :

ODGERS, président. EGGARIUS, secrétaire général. W. DELL, trésorier. SHAW, secrétaire trésorier.

Secrétaires correspondants : E. DUPONT, pour la France.


K. MARX, —

ZABIGKl, —

A. JUNG, —

P. FOX, ^

BESSON, —

CARTER, —

P. LAFÂRGUE, —

HANSEN, —


FAllemagne. la Pologne, la Suisse. 1 Amérique, la Belgique, ritalie. FEspagne. le Danemark,


II


RAPPORTS DES SECTIONS


Section belge i.

Le rapport du Conseil général, en ce qui concerne la section belge, peut être complété en peu de mots. Cette section, peu nombreuse au commencement de Tannée 1867, est aujourd'hui dans une situation déjà brillante et qui

promet plus encore pour l'avenir. A la suite de grèves, bon nombre d'associations ouvrières se sont affiliées à la section bruxelloise ; à Gand, une fédération de 23 sociétés ouvrières est en pourparlers avec la section bruxelloise, et tout fait espérer que l'affiliation à l'Internationale de ce groupe des ouvriers gantois ne tardera pas à se faire ; le même mouve- ment se fait à Anvers, principalement avec l'Association des menuisiers; à Liège, nous n'avons jusqu'ici que des adhésions individuelles, mais là aussi par l'intermédiaire de l'Association des marbriers de Bruxelles (qui est en re- lations avec l'Association des marbriers de Liège), nous ne tarderons pas à former une sous-section. De plus, à

i Ce rapport a été lu dans la quatrième séance da congrès (mardi 3 septembre) par le citoyen De PaepBf de Bruxelles.


DE L'INTERNATIONALE. 3S

Bruxelles, outre les associations de résistance déjà fédérées, des membres de rinternationale constituent en ce moment, dans leurs professions respectives, par exemple parmi les

mécaniciens, les serruriers, les fondeurs, etc., et parmi les ébénistes, des associations qui ne man(]^ueront pas de s'af- filier. Enfin une société de consommation, établie à Saint- Gilles, est également représentée dans notre section.

Croyant que les deux questions du Conseil général de Londres composaient seules l'ordre du jour du Congrès, la section belge a mis ces questions à Tétude et a chargé son délégué, De PaepOt de donner lecture des mémoires ré- digés sur ces questions. Le délégué termine en demandant au Congrès de pouvoir lui donner connaissance de diverses parties de ces mémoires, lorsque les différentes questions qu'il traite seront mises en discussion.

Le délégué^ CÉSAR DE PAEPE.


Seelion de Paris >.

Cette section compte 600 membres, depuis le !«' décem- bre 1866. La cotisation étant fixée à 10 centimes par se- maine, il était dû pour chaque membre, du 1*' décembre 1866 au 31 août 1867, une somme de 4 francs ; total: 2,400 francs. Sur cette somme totale, 1,261 fr. 05 c. ont été versés. Nous espérons (pie les sociétaires qui n'ont pas encore payé leurs cotisations le feront prochainement, ce qui nous met-


1 Rapport la dans la qaatrième séance du congrès par le délégué Hurat.


84 LE LIVRE BLEU

ira à même de liquider nos eomptes. En attendant, voici le

bilan de notre Section :

Recettes fr. 4,261 05

Dépenses courantes. . . . fr, 1,217 10

Dépenses pour imprimés i li'ÏST 10

et emprunt. • 510 »


Différence constituant un déficit de . , . fr. 466 05 Ce déficit sera couvert par la somme de fr. 1,130 95 qui reste à percevoir.

Lun des délégués,

MURAT.


Reuburs de Paris.


Citoyens,


Comme Tannée dernière, nous aurions voulu nous faire représenter au Congrès pour discuter avec nos collègues de tous les pays les intérêts généraux des travailleurs, c*est- à-dire nos intérêts généraux ; mais les circonstances dans lesquelles nous nous trouvons ne le permettent pas. Nous le regrettons.

A défaut de délégué, nous vous envoyons, par cette let- tre, quelques observations que nous avons à présenter sur la marche de l'Association.

Et d'abord, pourquoi le Conseil général n'a-t-il pas pu- blié le compte rendu officiel du Congrès de Genève ?

Pourquoi n'a-t-il pas davantage publié le bulletin promis par les Statuts (art. 5, § 2) et le règlement (art. 2) ?

Cependant Tarticlel*' du Règlement dit : « Le Conseil gô-


DE L'INTERNATIONALE. 85

néral est obligé d'exécuter les résolutions du CSongrèB. » Si donc il est obligé d'exèouter les résolutioas du Congrès, il doit être bien plus obligé encore d'exécuter les Statuts et le Règlement, q[ui sont l'œuvre du Congrès et sont obliga- toires pour tous.

Il nous semble entrevoir la réponse du Conseil général. « Le manque d'argent. » Mais alors les 30 centimes que chaque membre do l'Association internationale devait ver* ser, ne l'ont^^ils pad été? D'après les calculs du dernier Con«  grès, ces 30 centimes devaient largement sufûro à couvrir tous les frais et permettre môme l'amortissement de la dette du Conseil général.

Quoi qu'il en soit, et quelle qu'ait été la situation finau<» cière faite au Conseil général^ nous regrettons qu'il n'ait pas au moins publié ud numéro du bulletin; les Statuts n'in- diquent pas que le bulletin doive avoir 20 ou 30 pages» on pouvait donc ne publier qu'une seule feuille, e'eût été une faible dépense et d'un bon effet; peut-être bien que ce com- mencement de résultat aurait am^né au Conseil général beaucoup de cotisations*

Cette publication était d'autant plus nécessaire que la correspondance écrite a été très-insuffisantei si nous en jugeons diaprés nous ; nous n'avons même pas reçu le pro- gramme du Congrès» que le Conseil général doit dresser et envoyer à tous les bureaux correspondants.

Nous ne voulons pas exagérer nos critiques, nous com- prenons que la tâche devait être rude pour le secrétaire cor- respondant avec la France; le système politique sous lequel nous vivons ne permettant pas la création d'un bureau cen- tral, c'était beaucoup d'avoir à correspondre avec une cin- quantaine de 6eetions> et nous eomj^netts qu'il fût pu faire


36 LE LIVRE BLEU

la chose par à peu près, vis-à-vis de nous surtout, sachant que quelques-uns des nôtres pouvaient avoir des renseigne- ments au bureau de Paris; mais cela était au moins très- irrégulier. Aussi, pour rendre la tâche plus facile à notre secrétaire correspondant du Conseil général, nous nous permettrons de lui donner un conseil : dans la plupart des cas, lorsque les communications à faire ne sont pas spéciales à un bureau, mais au contraire intéressent tous les bu- reaux, il pourrait autographier sa lettre, c'est-à-dire ré- crire lui-môme sur du papier autographique avec de l'encre autographique et la faire tirer ensuite par un lithographe à 80 ou 50 exemplaires, autant qu'il en serait besoin ; cela coûterait peu et diminuerait considérablement la besogne, il ne lui resterait plus qu'à ajouter à la main ce qui serait particulier à chaque section.

On ne se figure pas assez les avantages qu'il y aurait à entretenir une correspondance sérieuse et suivie ; rien ne nuit plus à la propagande et à l'action des quelques hommes qui entreprennent de répandre l'idée que l'absence entre leurs mains de pièces de conviction, de preuves d'un com- mencement de résultat. Après les avoir bien accueillis tout d'abord, ne voyant rien surgir on finit par douter.

Bien d'autres sections, sans doute, ont ressenti les in- convénients que nous signalons ; aussi espérons-nous que les délégués prendront de sérieuses mesures pour qu'à l'a- venir cela ne se renouvelle pas.

Nous avons encore un point d'interrogation à poser au

Conseil général : Pourquoi n'a-t-il«pas envoyé plus tôt aux

sections le programme du Congrès ? Il nous semble que,

pour étudier les graves questions sociales que soulève no-

re affranchissement, un mois est plus qu'insuffisant. Â


DE L'INTERNATlONALl!:. i]7

notre avis, aussitôt un congrès terminé, le Conseil général devrait s'enquérir auprès des sections des questions à met- ire à l'étude pour le congrès suivant, et faire en sorte de formuler le programme au moins six mois à l'avance.

Ne pouvant aller au congrès , nous aurions voulu au moins envoyer, sous forme de mémoire, notre opinion, c'est- à-dire le. résultat de nos études sur les questions à l'ordre du 4our, mais nous n'en connaissons pas le texte ; il nous serait donc difficile de les discuter, en supposant que le temps nous eût permis de le faire. Nous préférons nous en remettre à la sagesse des délégués présents au congrès ; mais nous insistons pour qu'à l'avenir les sections aient une connaissance exacte de l'ordre du jour du congrès, longtemps à l'avance, afin qu'elles puissent, d'une façon ou d'une autre, faire connaître leurs idées et cela à l'avantage de tous.

Recevez notre salut fraternel. . . Pour la Société des ouvrières et ouvriers relieurs :

La Commission administrative.

VARLIN, PRÉSIOBMT.


Seetion de Boaen U

Citoyens et chers Collègues,

L'influence désastreuse qu'exerce l'administrafion politi- que de la France et la centralisation financière sur le moral des classes ouvrières dans les villes de province, se fait

1 Rapport lu par Âubry dan& la séance du 4 septembre.

3


38 , LE LIVRE BLEU

encore bien plus sentir sur les populations courbées sous le joug abrutissant du monopole industriel. Rouen, en par- ticulier, subit ce terrible despotisme ; tous les efforts que nous avons faits jusqu'alors pour répandre dans les classes ouvrières de nos contrées les idées de mutualité et de jus- tice ont été presque vains, aucune société coopérative n'a encore pu se fonder, et tout essai de ce genre vient se briser contre Tisolement dans lequel se trouve l'ouvrier rouennais. Il n'existe dans notre ville que des sociétés de secours mutuels, organisées par Tadministration et dirigées par le clergé et la bourgeoisie; la crainte du pouvoir et du cb6mage est tellement puissante qu'elle empoche toute ten- tative personnelle. Cependant nous avons l'espoir d'arriver & vaincre une partie de tous ces obstacles, grâce au con- cours que nous apporte la bienfaisante influence de Vin- ternationale,

L'appel que nous venons de fiedre aux ouvriers de notre arrondissement, qui aurait dû être fait il y a longtemps, mais que des circonstances indépendantes de notre vo- lonté ont empêché, a rencontré partout un accueil favo- rable.

Nous espérons, avec le concours de vous tous, citoyens, arriver enfin à faire comprendre qu'il n'y a aucun salUt pour les travailleurs en dehors de la solidarité.

Nous prions notre délégué d'adresser nos remerciements au Conseil général de l'Internationale et à la Commission parisienne pour le dévouement qu'ils ont apporté dans l'ex- tension des principes que nous propageons depuis quinze ans.

Nous nous rallions complètement au programme écono- mique de nos amis de Paris, et prions nos collègues do leur


DE L'INTERNATIONALE. 39

aider à le faire passer dans la pratique, autant que nous le permettra rorganisation politique des nations.

Gonyaincus que la lutte entre la travail et le capital ne pourra oesser qu'à la condition de faire disparaître la pré- libation de ce dernier et sachant que les moyens à employer sont peu faciles à mettre en pratique, surtout en France, et sont d'une nature fort complexe, nous nous associons à toutes les tentatives qui seront faites en vue de triom- pher écoxxomiquement des entraves que le monopole poli- tique et financier nous oppose.

Nous pensons que nous ne pourrons réussir qu'à la con- dition de développer la mutualité par les sociétés de cré* dity la formation de sociétés coopératives, et de faire ce qu'à Paris les sociétés ouvrières essayent de fonder dans l'organisation de la fédération du travail. Jusqu'à présent nous nous étions beaucoup plus occupés de faire connaître DOS aspirations au point de vue théorique que pratique ; il est temps, nous le croyons, d'essayer ce dernier point. Nous ne nous dissimulerons pas toutes le^ difficultés qui vont surgir et les impossibilités qu'en bien des circonstances nous ren-* contrerons ; mais il importe avant tout de nous affirmer, et» pour faire cela, il faut essayer tous les moyens en no- tre pouvoir pour faire disparaître le salariat qui les asservit.

Nous prions nos collègues d'éviter tout essai qui pour-* rait s'écarter des moyens propres à constituer relativement la valeur, que nous regardons comme le point culminant de l'économie sociale. C'est en vue de cette vérité écono-^ mique que nous combattons depuis si longtemps, parce que nous sommes convaincus qu'il n'y aura d'émancipation complète que le jour où nous connaîtrons la valeur des produits ; le vol ura dispara dans les échanges et la res*


40 LE LIVRE BLEU

ponsabilité sera vraiment une réalité pour chacun, parce que tous auront des droits compensant leurs devoirs.

La grève et les sociétés de crédit, comme nous Favons dit plus haut, arriveront à créer la corporation et à faire connaître la moyenne des salaires, connaissance à laquelle nous attachons un grand prix, parce que seule elle peut nous donner la valeur du produit, et que nos échanges ne peuvent être vraiment justes qu*à cette condition* Empres-» sons-nous d'ajouter, afin de d'ôtre pas en contradictioii avec nous-mêmes, que Éous n'acceptons la grève que comme instrument de guerre; autrement nous la condam- nons en principe, parce qu'elle ne résout pas le problème de la vente des produits au prix de revient, problème que nous cherchons tous à résoudre parce que nous savons que le parasitisme ne disparaîtra que le jour où chacun li- vrera les produits de son travail selon la quantité d'heures qu'il aura dépensées à sa confection, et c'est pour arriver à la moyenne de ces heures de travail que nous acceptons Isi grève, parce qu'elle aide la constitution de la corporation» qui, formée, constituée sur les bases de l'économie sociale, n'aura aucun des inconvénients qu'elle avait avant 1789» et que nos adversaires cherchent à vouloir lui reconnaître aujourd'hui, chaque fois que nous l'appelons à notre se- cours'.

Nous vous prions aussi, chers collègues, de vouloir bien» dans la formation des sociétés coopératives de production et de consommation, recommander aux intéressés qu'ils fassent tous leurs efforts pour faire intervenir dans leur organisation le principe que les produits s'échangent con- tre des produits, et qu'il y a contradiction entre travailleurs de faire cet échange avec prélibation, à moins que, vu la


DE L'INTERNATIONALE. 41

situation précaire du prolétariat, il ne soit stipulé que le bénéfice réalisé sera destiné à accroître les forces de la société en vue d'augmenter son capital, outils ou marchandises ; autrement nous ne serions que des bouti- quiers d'une nouvelle espèce et n'apporterions aucune idée susceptible de nous faire prendre au sérieux par les ouvriers désireux de s'occuper de leur affranchisse- ment.

C'est à cause de cela que les sociétés de ce genre qui ont essayé de se fonder à Rouen ont disparu ; presque toutes faisaient appel au capitaliste pour les aider à se former, et toutes, subissant l'influence de la prélibation, n'ont pas tardé à apprendre que toute organisation nouvelle doit ap- porter avec elle un principe nouveau.

Voilà, chers collègues, la pensée qui domine chez la ma- jorité de ceux qui s'honorent d'être membres de l'Interna- tionale, parce quUls sont certains que de cette société sor- tira l'émancipation positive des ouvriers de tous les pays, et qu'enfin l'humanité s'appartiendra.

Sans esprit de parti, de secte ni d'église, vos frères de Rouen ont toujours cru que l'extinction certaine du prolé- tariat n'était pas ailleurs que dans les idées qu'ils viennent de vous soumettre ; cependant, s'ils se trompaient, ils ver- raient avec plaisir l'exposition d'idées et de moyens plus propres à améliorer le sort de notre classe, et s'empresse- raient de les accepter et de les faire connaître à tous les ayants-droit.

C'est dans cette disposition d'esprit, chers collègues, que nous avons Thonneur de vous exprimer notre sincère gra- titude et que nous faisons des vœux pour le succès de notre cause.


42 LE LIVRE BLEU

Vos tout dévoués collègues, membres du groupe rouen- nais. Rouen, le 30 août 1867.

Le déléguéj

. AU Y.

Section de VlUef^anehe (RhAne) <•

Pour arriver par le plus sûr moyen à Textinction de l'ex- ploitation et de la misère, le travailleur a cherché à se former en société, soit internationale, soit, par la voie de la coopération, en société alimentaire, de boulangerie et de production.

La section internationale de Yillefranche se compose de 60 membres dans ce moment. Le bureau est formé, et nous pensons correspondre avec nos frères de tous les pays.

Plusieurs de nos membres appartiennent à des coopéra- tions de production, qui se joindront plus tard à nous pour ne faire qu'une même famille. Ce n*est que cette solidarité qui sauvera Thumanité.

Le délégué^

GHASSIN.

Section de IHeavllle-Bar-Saène >•

Habitants de la campagne, nous venons exposer nos sen- timents en oe qui touche la rénovation sociale que rea-

i Rapport lu par le délégué Ghassin, dans la cinquième séance du congrès (4 septembre). 9 Rapport lu par le délégué Rubaud dans la séance du 4 septembre.


DE l;INTERNATIONALE 48

ferme la force initiatrice de notre Association internationale des travailleurs, à laquelle nous sommes heureux et fiers d'appartenir.

Ayant compris que les efforts violents ne pouvaient uli«  lement aboutir, et que notre époque était essentiellement vouée aux problèmes pacifiques et intelligents, nous émet- tons avec sincérité et conviction les vœux suivants :

Premier vœu, — L'Association internationale des travail- leurs, nettement définie dans ses aspirations par les travaux du Congrès qu'elle a tenu à Genève du 8 au 9 septembre 1866, ne peut et ne doit être que le lien devant réunir tous les travailleurs sans distinction, n*ayant eux-mêmes en vue que leur émancipation par les moyens pratiques.

Nous désirons donc en conséquence que, fidèle à son programme, elle ne soit que Texpression de ce mouvement, en étendant par tous les moyens pacifiques et en rapport avec les lois des différents pays son cercle d'activité ; cer- tains que nous sommes de son succès.

Ce lien ne peut s'établir d'une manière sérieuse et profi- table à tous que d'une manière, en constituant un capital ouvrier pouvant se mettre en opposition au capital privi- légié, que nous considérons comme notre seul et unique ennemi.

Second vœu, — - Que ce capital ouvrier soit formé par tous les membres adhérents à l'Association internationale, par des efforts individuels et égaux pour tous ses membres. Ces efforts se traduisant par une cotisation fixe, mensuelle et uniforme, et ne pouvant être élevée ou abaissée que par un congrès réuni par les soins du conseil central de notre Association.

Troisième vœu, — Que ce présent Congrès veuille bien


44 LE LIVRE BLEU

s'occuper de la fixation de cette cotisation, ainsi que de la réglementation et de l'emploi de ce capital international ouvrier, que nous considérons comme absolument néces- saire.

Quatrième vœu* — Que l'avenir de l'Association interna- tionale dépendant de la compréhension de ses sublimes principes, elle cherche à faire la lumière par tous les -moyens utiles parmi tous les travailleurs par l'instruction, et cela par la création d'un organe que l'on appellerait le Moniteur de l'Association internationale.

Que, d'un autre côté, elle invite tous eeux de ses mem- bres qui, les circonstances aidant, auraient acquis quelques connaissances, à les communiquer à leurs camarades qui en sont privés, et cela d'une manière gratuite et toute familière. En un mot, qu'elle organise par la voix de la fra- ternité bien entendue Vinstruction mutuelle par tous ses membres.

Nous insistons principalement sur cette condition d'ave- nir, nous, hommes des campagnes, généralement ignorants. Car, nous l'avons entendu dire bien souvent, l'instruction ennoblit le cœur en élevant l'esprit.

Cinquième vœu. — L'Association internationale (bureau de Paris), posant dans son programme diverses questions qu'elle se propose d'étudier dans son congrès, telles que la question de la mutualité, de ses rapports, du travail des femmes et des enfants, de la formation des sociétés de secours, des droits des veuves et des orphelins, nous ré- servons nos pensées sur ces divers sujets; notre éloigne- ment des travaux intellectuels de ce siècle ne nous permet- tant pas actuellement de répondre avec discernement.

Mais, dans notre simple bon sens, nous croyons que si


DE L'INTERNATIONALE 45

nous devons aspirer à une amélioration sociale quelconque, ce ne peut être que par Tensemble de toutes les volontés tendant toutes au même but, et que nous ne pouvons mieux affirmer rexcellence dé notre problème de rénovation ou- vrière, qu'en ne demandant rien aux classes privilégiées pas plus qu'aux gouvernements.

Que nous ne devons accepter parmi nous que des travail- leurs, c'est-à-dire des ouvriers manuels, ne pouvant comp- ter sur la réussite de notre entreprise sociale que par l'en- semble des intérêts communs à tous. Nous sommes du reste certains qu'il est impossible de concilier les intérêts de l'exploitant avec ceux de Y exploité, ceux de celui qui pro- duit avec ceux de V inutile.

Et la chose est tellement impossible, que nous croyons dans notre faible bon sens que c'est faute d'y avoir songé un instant qu'est venu l'insuccès qui a signalé jusqu'à ce jour tous les mouvements tentés par la classe ouvrière en vue de son émancipation.

Ainsi, pour nous, pas de milieu ! et surtout un capital ouvrier international.

Le délégué,

LOUIS RUBAUD.


Seetion de Vienne (Isère) <•

Cette section a été fondée en 1866, avec un noyau de 52 membres. Trop faible pour envoyer à cette époque un délégué au Congrès de Genève, elle n'en a pas moins pro -

4 Rapport lu h la séan«*e du 3 septembre.

3.


46 LE LIVRE BLEU

gressé, quoiqu'elle n'ait pu recevoir les livrets par les rai- sons que le conseil central a données dans son rapport à ce sujet, ce qui a fait qu'un certain nombre de membres se sont retirés. Elle est cependant arrivée maintenant au chiffre de 500 adhérents, qui payent 30 centimes de cotisa- tion mensuelle, plus un apport de 1 fr. 25 comme mise d'entrée. Elle a envoyé au conseil général de Londres la somme de 75 francs en à-compte sur la cotisation centrale ; elle doit encore 75 francs dont elle s'acquittera. Avec son épargne, elle a l'intention de fonder une société de crédit mutuel.

Le délégué,

  • ALPHONSE AILLOUD,


Seotâons de llarseille et Faveaa ^ .

La plus ancienne do ces deux sections date seulement de la fin de juillet dernier. Il a donc fallu à leurs membres tout le dévouement dont ils sont capables pour envoyer un délégué au milieu de vous, quoique venant à peine de se constituer. Ils né font pas de promesses ; leurs devoirs, ils les connaissent et les accompliront ; leurs intérêts, ils les comprennent et travaillent pour cela. Ils vous aideront pour leur part à terminer l'édifice que vous avez si coura- geusement commencé.

Ls délégué,

J. VASSEUR.

  • Rapport lu par Vasseur dans la séance du 3 septembre.


DE L'INTERNATIONALE. 4T


Section de Bordenax^

Cette section est faible, eu égard à la population de la ville qu'elle représente ; elle ne compte que 57 mexnbreB, Chacun d'eux verse une mise* mensuelle de 50 centimes, destinée à couvrir les frais d'impression pour la propagande* La section a remis au conseil général de Londres tout ce qui lui était dû ; elle a en outre fait entrer dans l'Interna- tionale une association coopérative de production d'ouvriers voiliers et une association de tailleurs .de Bordeaux.

Le délégué, VÉSINAUD.


Comité eentral Italiens.

Les renseignements que je puis vous donner sur les sociétés italiennes seront incomplets, faute des moyens q[u'il faudra adopter si nous voulons étaler nos forces gran- dioses vis-à-vis de nos ennemis. Je dépose au bureau de la présidence mon projet à cet égard.

En Italie, avant 1859, il n*y avait de sociétés ouvrières que dans le Piémont. Dès lors, elles se sont étendues dans toute l'Italie, et nous en comptons au moins six cents, formées de plus dVn million d'associés ; mais comme il arrive dans tous les pays monarchiques (n'importe s'ils sont constitutionnels, car la France aussi a une constitu-

Rapport lu par Vesinaud dans la séance du 3 septembre. Rapport lu dans la séance du 4 septembre par le délégué Stampa.


48 LE LIVRE BLEU

tion), les privilégiés ont toujours empêché que les sociétés ouvrières ne s'occupassent d'autre chose que de secours mutuels. Beaucoup de sociétés chez nous sont dirigées par des protecteurs qui les comblent de bénéfices matériels, à condition qu'elles ne s'occupent pas de politique; qu'ils se réservent exclusivement pour eux.

Des hommes de cœur ont réussi, dans le 9* congrès des Sociétés ouvrières d'Italie qui a eu lieu à Florence, à faire décréter le contraire, c'est-à-dire que les ouvriers sont des citoyens qui veulent et qui doivent s'occuper de la chose publique. Ensuite nous avons cherché, dans le dernier congrès, qui a eu lieu à Naples, à grouper les Sociétés dans une fédération qui laisse à chacune d'elles son auto- nomie, et qui demande à chaque associé une cotisation annuelle de 10 centimes.* Un conseil de cinq membres devait représenter toutes les associations italiennes dans les affaires d'intérêt général ; mais la mort de quelques-uns de ses membres et d'autres contrariétés n'ont pas permis au conseil^ auquel j'appartiens, de faire tout son devoir. La réunion des forces ouvrières en une Association interna- tionale est vivement combattue par ceux qui craignent de voir le prolétariat devenir une puissance, et notre conseil a reneontré de ce côté une opposition presque insurmonta- ble. Cependant, lorsque VAssocîatioD internationale des travailleurs se constitua, je trouvai de mon devoir, en ma qualité de membre du conseil, d'y faire adhésion, et je m'occupai dès lors d'obtenir les adhésions des diverses et nombreuses sociétés ouvrières italiennes ; j'espère d'autant plus réussir, que les délibérations du Congrès de Genève ont retenti favorablement en Italie, et que les ouvriers, dont la situation est de jour en jour plus pénible, en sont venus


DE L'INTERNATIONALE. 49

àa'espérerplus rien du gouvernement tel qu'il est à pçésent.

Ce qu'il nous faut, ce qui sera utile à Témancipation des classes ouvrières, ce sera d'avoir des statistiques auxquelles on devra donner toute la publicité possible. Les ennemis des ouvriers connaîtront quelles sont nos forces, qu'ils pré- tendent combattre. Nous-mêmes nous prendrons confiance, parce que nous nous sentirons liés à des millions d'indivi- dus qui demandent comme nous la justice et leur droit.

Ce» statistiques nous feront savoir également de combien de manières on peut utiliser la coopération.

Ëtt Italie, il existe plusieurs banques populaires, ainsi que des associations coopératives do production et de con«  sommation. Mais, faute de liaison et d'entente, le papier- monnaie qui se fait à Milan, par exemple, n'est pas reçu dans une ville voisine, qui en émet pour son compte particulier.

A Milan , la banque populaire fait des opérations pour un million et demi. Il existe 38 sociétés ouvrières qui comp- tent ensemble âO^OOO membres. La Société générale a un capital de 120,000 francs. — Dans plusieurs sociétés, on a des écoles, on apprend la musique, on donne des prix. — Nous avons un consulat qui dirige 28 sociétés. Cinq maga- sins de consommation sont ouverts.

A Gênes, les sociétés ouvrières jouissent de toute leur indépendance ; il existe des sociétés de coopération, de pro- duction; mais pas de banque populaire ni de magasin de consommation. Ces sociétés ont pour direction commune un consulat qui, je crois, a fait directement son adhésion à l'Association internationale.

Le délégué du Conseil central des associations ouvrières d* Italie ^ GASPARD STAMPA.


50 LE LIVRE BLEU


Seettoas de Boloi^ne «t B^ssitiio t,

La société ouvrière de Bologne compte enviroa 600 mem- bres. Elle a à peu près les mêmes Statuts que les autres so- ciétés ouvrières d'Italie. Elle publie un journal populaire intitulé V Ouvrier. Elle a aussi créé une école. Elle alloue à ses membres 1 franc par jour en cas de maladie; les frais de médecin et de pharmacie sont à la charge de la so- ciété. Elle fait marcher une boulangerie et débite les fa- rines aux confrères.

La société de Bazzano compte 120 membres, et, sans être affiliée à celle de Bologne, a à peu près les mêmes rè- glements. On travaille en ce moment à fédérer entre elles toutes les sooiétés ouvrières italiennes.

Nos deux sociétés font comme vous le vœu qu'il soit possible de réaliser la fraternité et la solidarité des asso- ciations ouvrières du monde entier. Je vous apporte «de leur part le salut de la plus sincère fraternité.

Le délégaê,

SEBASTIANO TANARI.

Comité eentral allemand s.

Co groupe comprend les associations suivantes. Genève, Section. Sociétés de relieurs et de charpentiers, Association coopérative de production des brossiers.

1 Rapport lu par le délégué Tanari dans la séance du 4 septembre. Rapport lu dans la séance du 3 septembre.


DE L'INTERNATIONALE. 5i

Vevey, Arbeiter Verein,

Yverdon. Section et Arbeiter Verein,

NeuchâteL Section et société de tailleurs.

Chanx-^e-Fonds, Section et société de tailleurs.

Morat, Section.

Munster. Section.

Zurich, Section. Société de tailleurs et de tailleurs de pierre.

Bâle, Section.

Eptingen, Section.

Gœppingen. Arbeiter Verein et association coopérative de production des tisserands.

Mayence. Section.

Solingen. Section et association coopérative de produc- tion des ouvriers en acier.

Cologne* Section et société de tailleurs.

Duisbourg, Section.

Magdebourg, Section.

Berlin, Section et société de tailleurs.

Brunswick. Section.

Wolfenbûttel. Section.

Darmstadt. Arbeiter Verein.

Leipzig. Résidence du comité central de la Société des cigariers allemands. Cette société, forte de 10,000 membres, a adhéré à TAssociation internationale par une décision du congrès tenu par elle à Eisenach le 14 août 1861.

Dresde. Section.

NeW'York. Section allemande.

Ces diverses sections et associations représentent un total d'environ 30,000 membres.

Dans plusieurs villes d'Allemagne, des sections sont en


52 LE LIVRE BLEU

voie do formation, et des sociétés existantes sont en ce moment en pourparlers avec le comité central pour adhérer à r Association internationale.

La section allemande de Genève, qui est le siège du comité central, et qui compte 200 membres, possède en commun avec la section française un local de réunion qui sei*t de restaurant et qui fournit aussi du vin en gros aux membres des sections. Les bénéfices de cet établissement, où ont lieu les séances du comité et les assemblées géné- rales, ne sont pas partagés; on les emploie à soutenir les créations de l'Association internationale, à la propagande et à Tinstruction de la jeunesse.

Les deux sections de Genève ont également fondé ea commun une association coopérative de production des ou- vriers en brosses, qui chemine très-bien. Elles possèdent en outre une caisse de secours pour les malades, qui fonc- tionne depuis 18 mois et qui a déjà fait beaucoup de bien.

Tous les dimanches, de 8 heures à midi, il se tient dans le local des sections un marché qui est ouvert à tous les produits des sociétaires, ainsi qu'à ceux des associations coopératives. La section expose pour son compte toute es- pèce d'articles de ménage. Le profit de ce marché est éga- lement employé dans des buts d'utilité commune.

Le groupe des sections de langue allemande a créé de- puis le !«' janvier 1866 un organe central, le Vorbote, qui a 1,300 abonnés et dont l'existence au point de vue maté- riel est assurée.

Ce groupe de sections est organisé d'une manière solide et sérieuse, comme on peut le voir par ses statuts particu- liers. Ces statuts feront voir que le groupe est constitué sur les principes de solidarité et de mutualité ; chaque sec-


DE L'INTERNATIONALE 58

tion est en même temps une agence, et le comité central une agence générale, qui cherchent à faciliter la vente et l'échange des divers produits qui peuvent être fabriqués au sein de TÀssociation, et à organiser un crédit récipro- que. Tous les établissements créés par les sections doivent ètro leur propriété exclusive, et leurs bénéfices seront em- ployés à la formation d'associations coopératives de pro-» duction. Les associations de production ne pourront em- ployer d'auxiliaires salariés que dans des cas exceptionnels, et une partie de leurs bénéfices sera réservée pour aider à la formation d'autres associations. On a ainsi essayé de passer de la théorie à la pratique^ et plusieurs des ques- tions que le Congrès de cette année va discuter ont déjà reçu dans notre groupe une solution pratique.

Le président du Comité central y

JOH.-PH. BECKER.


Section de Bàle <.

La section de Bâle a eu, depuis sa fondation, une lutte des plus vives à soutenir contre les chefs d'industrie; néanmoins elle existe encore, mais sans avoir pu se déve- lopper beaucoup. Elle a réussi à fonder à Eptingen (Bâle- Gampagne] une section qui possède déjà un magasin de consommation. Le manque d'ouvrage et la timidité des ou- vriers les ayant retenus loin de nous, notre nombre n'est encore que de 34, et comme le manque de travail a em-

  • Rapport la par le délégué Frey, dans la cinquième séance du

congrès.


54 LE LIVRE BLEU

péché plusieurs d'entre nous de remplir leurs obligations,

nous avons une dette de 27 francs, provenant principale- ment de frais d'insertion dans les journaux.

Le déléguéy

FREY.

9«etloii de Homt U

Cette section, formée depuis six mois, compte 28 mem- bres, tous de langue allemande. Il sera formé un groupe français. Plusieurs sociétés agitent la question d'adhésion

à la section.

Le délégué^

HAFNER. Section allemande de IVenehfttel *•

Cette section s'était réduite à un très-petit nombre de membres, par suite du départ de plusieurs de ses fonda- teurs. La proposition fut faite alors de constituer les ou- vriers des différentes professions en sociétés particulières, dans l'espoir de faire avec plus de succès au sein de ces sociétés de la propagande pour PAssociation interna- tionale.

En suite de cette décision, deux sociétés de métier furent foimées parmi les tailleurs et les cordonniers. La Société des tailleurs adhéra proptement à l'Internationale. La So-

i 1 Rapport lu par Hafner dans la séance da 3 septembre. s Rapport lu par Kunkel dans la cinquième séance du congrès.


DE L'INTERNATIONALE. 55

ciété des cordonniers agite en ce moment la question d'adhésion.

Le délégué,

KUNKEL. Arbelter BUduiigs Vereln de Lausanne i« 

Cette société se compose des branches suivantes : une société de consommation, qui compte actuellement 60 asso- ciés; une association de secours en cas de maladie; une section de gymnastique ; une section de chant ; une caisse d'épargne; une caisse de secours pour les associés qui voyagent. — La société compte 80 membres ; elle possède une bibliothèque de 400 voluiaes,et du mobilier. — Il s'est également fondé à Lausanne une société de tailleurs, qui compte 80 à 100 membres, ainsi qu'une société de cordon- niers et une société de menuisiers.

Par nos soins, sept autres associations ont été fondées dans diverses localités.

Le délégué^

SGHLAIFER.

»

Section de Vevey *.

Notre section continue à progresser d'une manière satis- faisante, et nous espérons éveiller de plus en plus parmi les ouvriers l'intérêt pour le but de l'Internationale.

Le déléguêy GRIES.

  • Rapport lu par Schlaifer dans la cinquième séance du congrès.

2 Rapport lu dans la séance du 4 septembre.


50 LE LIVRE BLEU


Seetion de Cologne et Sollngen ^

Ces deux sections sont encore faibles numériquement, pour plusieurs motifs, dont l'un est Tentrave que les lois prussiennes ont apportée à la constitution de sociétés affi- liées à TAssociation internationale. Cependant, comme pre- mier fruit de notre activité, nous pouvons signaler la fon- dation d'une association coopérative de production, établie entre des ouvriers en fer et en acier à Solingen... Conti- nuons nos efforts pacifiques pour nous affranchir du joug qui pèse sur les classes ouvrières ; mais si le capital et les gouvernements persistent dans leur opposition aveugle, s'ils refusent de nous laisser nous associer librement, alors nous aurons recours à la force et nous montrerons au monde que, chez les ouvriers, le sentiment national a fait place au sentiment international.

Le délégué,

KLEIN.

Seetton da Loele >.

Cette section, qui s'est constituée en décembre 1866, compte environ 70 membres, et elle est en bonne voie de progrès. Les sociétaires versent une cotisation mensuelle de 50 centimes qui sert en partie à payer le journal la Voix de r avenir^ dont l'abonnement a été rendu obligatoire. Il s'est fondé, dans le sein de la section, une association de

i Rapport la dans la séance da 4 septembre. « Rapport lu dans la séance du 3 septembre.


DE L'INTERNATIONALE. 57

crédit mutuel ; le capital en est fonné par des cotisations hebdomadaires 'de 50 centimes. La section va s'occuper' de la création d'une école mutuelle du soir, destinée aux ap- prentis et aux adultes; elle étudie la question de la réunion par groupes des ouvriers des diverses parties de l'horlo- gerie.

Le délégué^ JAMEB GUILLAUME.

Seetion 4e Salnt-Imler « .

La section de Saint-Imier, organisée par les soins du docteur Goullery (1865)» fut d'abord présidée par le citoyen Jolissiant, devenu plus tard membre du Conseil exécutif de Berne. Notre section se composait à l'origine de deux cents membres et plus. II semblait que tout le monde voulait en être; mais comme la plupart des membres s'aperçurent bientôt que les personnages principaux étaient plus qu'in- différents ou peut-être étrangers aux questions qui con- cernaient uniquement l'organisation du travail, et que ces mêmes hommes étaient au contraire d'une ardeur extrême pour toutes les questions politiques à l'ordre du jour, ils se retirèrent peu à peu et sans bruit, ne voulant pas servir d'instrument et de piédestal à des hommes dont on ne connaissait pas les desseins.

La société périclita ainsi et se trouva réduite à quelques 20 membres, dont la moitié au plus payaient leurs cotisa- tions et assistaient assidûment aux assemblées de la sec- tion. Quelques-uns parlaient même de dissoudre la société,

t Rapport lu dans la séance du 3 septembre.


08 LE LIVRE BLEU

lorsque iaopiaément deux oa trois bonnes recrues se pré- sentèrent et furent admises dans la société avec une grande satisfaction.

On réorganisa la section sur de nouvelles bases; le comité fut renouvelé en entier, et, sur ces entrefaites, la société fut invitée par les sections de Sonvillieret de la Chaux- de-Fonds à assister aune réunion aux Franches-Montagnes^ où la sec- tion de Saint-Imier eut Toccasion de se montrer d'une ma- nière avantageuse. Dès lors, notre société prit faveur dans le publicet le nombre des membres s'augmenta dans une progression rapide. Aujourd'hui elle compte 112 membres. Les séances sont régulièrement fi*équentées et remplies par des discussions intéressantes sur les diverses questions d'économie sociale qui touchent de près àlaclasseouvrièro, qui concernent son bien-ôtre matériel et moral et son avenir, comme par exemple : • Des besoins de l'homme. Gomment prend naissance le capital ? En qui consiste-t-il réellement? Qu'est-ce que la coopération? Gomment pourrait-on l'ap- pliquer à l'industrie horlogère et l'organiser pour cette in- dustrie? Histoire des assurances sur la vie. Différence entre les assurances mutuelles et les compagnies d'assu- rances. En quoi les assurances- mutuelles pourraient être utiles aux travailleurs. »

Et tout récemment : « Quels seraient les moyens de re- médier à l'abaissement des salaires, à la crise actuelle, et d*empôcher les fraudes commerciales ? Des payements au comptant, sans escompte et en espèces. Gomment ce mode de payement peut-il s'introduire actuellement dans l'indus- trie horlogère sans nuire aux fabricants, aux ouvriers eux- mêmes et à la liberté commerciale ? Établissement de tri- bunaux de prud'hommes. »


DE L'INTERNATIONALE. se

Pour populariser ces diverses questions, les répandre dans le public et les faire discuter par tout le monde» la section de Saint-Imier, conjointement avec celle de Son- vilUer, prit Tinitiative d'une grande assemblée populaire qui eut lieu le 21 juillet sur la place Neuve à Saint-Imier.

Là furent discutées en plein air ces diverses questions, des rapports intéressants sur la situation furent lus. Un comité général fut nommé par cette assemblée pour mener à bien les résolutions prises*

Gé comité, composé de personnes de tous les rangs et de toutes les confessions, doit réaliser les décisions sui- vantes : payements au comptant» sans escompte et en es- pèces ; révision de la loi sur les poursuites pour dettes et les faillites ; établissement de conseilis de prud'hommes ; surveillance sur les abus et les fraudes commerciales et industrielles, et recherche de moyens propres à les empo- cher sans nuire à la liberté individuelle et du oommeroo.

Ge comité est encore à Fœuvre à Theure qu'il est, et l'on a lieu d'espérer qu'il parviendra à mener sa tâche à

bonne fin.

Le délégué,

FÉLIX VANZA.

Section 4e Blenne ^

La section de Bienne est une section de langue française* Elle s'est reconstituée il y a trois mois avec 80 membres. Elle s'est occupée principalement d'une question qui con« 

1 Rapport lu dans la séance du 4 septembre.


60 LE LIVRE BLEU

cerne Tindustrie horlogère : le payement au comptant et

sans escompte.

La section est en relation avec les autres sections du Jura bernois et du canton de Neuchàtel, et marche très-bien.

Le délégué f GUILLAUME ROTH.


UaIou typograiihiqne de Ijansaime t.

Cette société, affiliée à l'Association internationale, forme une section de V Union typographique suisse ^ qui a pour but principal le maintien des prix, le secours en cas de chô- mage et de grève, et'principalement l'assistance des ouvriers typogi^aphes qui, par l'ftge ou par les infirmités, sont de- venus invalides, ainsi que celle des veuves des sociétaires. La société compte 65 membres.

En général notre société veut l'amélioration de l'état so- cial des typographes par le développement matériel et mo- ral de chaque individu. Dans les derniers temps, nous nous sommes occupés de la question des apprentis, dont l'abus nous a forcés d'en venir à faire un règlement et à prendre des mesures énergiques à ce sujet. Nous nous sommes en- tendus avec tous les patrons de Lausanne, excepté une seule maison^ celle de M. Georges Birdel, où nous avons été for- cés de proclamer la grève qui existe encore aujourd'hui depuis six mois. Pendant ce temps nous avons pu recon- naître que, si les ouvriers veulent obtenir de bons résul- tats, il ne suffit pas d'être fort matériellement, mais qu'il

t Rapport la dans la cinquième séance du congrès (4 seplembre.)


DE L'INTERNATIONALE. 61

faut surtout être fort moralement. Aussi avonâ-nous ren- contré beaucoup d'embarras dans plusieurs affaires judi- ciaires, dans lesquelles nous avons été condamnés en plusieurs instances. Malgré cela, la société typographique n'a pas perdu courage et, appuyée par ses sœurs du pays et de l'étranger, elle persistera dans sa tâche pénible, mais juste et légitime.

Le délégué^ K^ESTNER.


Deuxième ParMe*


CONGRÈS DE BRUXELLES


(Septembre 1868.)


l


RAPPORT


DU


CONSEIL GEINERAL DE LONDRES


Lu au Congrès de Bruxelles par Eugène Dupont dans la séance du 8 septembre 1868.

LTannée 1867-1868 marquera dans l'histoire de l'Associa- tion internationale des travailleurs. Après une époque de développement paisible, elle a pris des dimensions assez puissantes pour provoquer les dénonciations haineuses de la bourgeoisie européenne et les démonstrations hostiles des gouvernements. Elle est entrée dans la phase . de la lutte.

Le gouvernement français a naturellement pris l'initiative

des attaques réactionnaires contre la classe ouvrière. Déjà

Tannée dernière nous avions à signaler ses manœuvres

occultes : il confisquait notre correspondance ^ saisissait nos

statuts et les documents du Congrès de Lausanne, Après des

4.


66 LE LIVRE BLEU

démarches infructueuses pour rentrer en possession de ces pièces, le gouvernement impérial ne les a rendues que sous la pression ofûcielle de lord Stanley , ministre anglais des affaires étrangères.

Mais cette année TEmpire a jeté bas le masque et a. essayé de détruire Tlnternationale par des coups de police et des actes judiciaires. Le gouvernement impérial, produit de la lutte des classes, dont les journées de juin 1848 sont Tex- pression la plus grandiose, fut forcé de se poser comme le sauveur officiel de la bourgeoisie et comme le protecteur paternel du prolétariat. Le pouvoir croissant de Tlnterna- tionale se manifestant dans les grèves de Roubaix, Amiens,

Paris, Genève, etc..) le mettait dans la nécessité de l'en- glober ou de le détruire. L'Empire voulait bien, pour le commencement, se contenter de peu de chose. Le manifeste des Parisiens, lu aa Congrès de Genève, ayant été arrêté è la frontière française^ notre bureau de Paris demanda au ministre de F intérieur les motifs de cette saisie. M, Rouber sollicita une entrevue, dans laquelle il consentit à autoriser rentrée du manifeste si on y faisait quelques modiûcations ; sur le refus des membres parisiens, il ajouta : « Pourtant, r 5j vous faisiez entrer quelques remerciements k P adresse • de l'Empereur qui a tant fait pour les classes ouvrières, « l'on pourrait voir. • (Hilarité générale.) Le sous-empe- reur, M. Rouher, en fut pour sa demande. {Applaudisse- ments prolongés.)

Dès ce moment, TEmpire chercha un prétexte pour sup- primer rinternationale. Sa colère fut encore exaltée par Tagitation auti-chauvinique créée par nos membres, après la guerre allemande. Peu après, lorsque la panique feniane fut arrivée à son comble, votre Conseil général envoya au


DE L'INTERNATIONALE. 67

gouvernement anglais une pétition pour demander la com- mutation de la peine des trois martyrs de Manchester, en qualifiant leur pendaison d'assassinat juridique; en môme temps, 11 tenait à Londres des meetings publies, où il sou- tenait les droits des Irlandais. L'Empire» toujours désireux de mériter les bonnes grftces de TAngleterre, crut le mo* ment propiee pour mettre les mains sur rintemationale. Il fît des perquisitions nocturnes, fouilla avec avidité dans les correspondances privées, et annonça à grand bruit qu'il tenait le centre de la conspiration feniane, dont l'Interna- tionale était un des principaux organes. Malgré toutes ses laborieuses recherches, le gouvernement impérial en fut pour ses frais. Le parquet môme ne put trouver des preuves pour le satisfaire.

Ne pouvant intenter à l'Assoeiation un procès de société secrète, on se eontenta d'une société non autorisée de plus de vingt personnes. Néanmoins les juges français, rompus à la discipline impériale, s'empressèrent de dissoudre l'In- ternationale et de jeter en prison notre bureau (le Paris. Le tribunal eut la naïveté de déclarer dans ses considé- rants, que l'Empire était incompatible avec une Associa- tion de prolétaires proclamant comme principes, la vérité, la justice, la ïAOTale. {Applaudissements,)

Le contre-coup de ces persécutions se fit sentir dans les départements : les mesquineries préfectorales contre les sections succédèrent aux condamnations de Paris.

Les tracasseries gouvernementales, loin de tuer l'Interna- tionale, lui ont donné un nouvel essor, en coupant court aux coquetteries malsaines de l'Empire avec la classe ou- vrière. (Applaudissements,)


68 LE LIVRE BLEU

En Belgique, riiiternatîonale a fait de grands progrès. Les patrons des mines du bassin de Gharleroi, après avoir poussé à bout les ouvriers mineurs par leurs exactions incessantes, forcèrent le gouvernement à leur prêter son armée pour les massacrer. Alors l'Internationale^ que les bourgeois belges essayèrent en vain de faire le bouc émis- saire de leurs propres infamies, prit en main la cause des mineurs, mit à' nu leur misérable condition économique, secourut les familles des morts et des blessées et procura des défenseure aux prisonniers qui furent tous acquittés. Après l'affaire de Gharleroi, le succès de Tlnternationale en Belgique était assuré. Le ministre Bara, dans la Chambre des députés, dénonça Tassociation et fit de son existence un motif principal pour le renouvellement de la loi contre lés étrangers. Il osa même menacer d'empêcher la tenue du Congrès à Bruxelles. Le gouvernement belge devrait com- prendre que les petits États n'ont plus de raison d'être en Europe, à moins qu'ils ne soient l'asile de la liberté. (Ap- plaudissements.)

En Italie, la marche de l'Internationale a été entravée par la réaction q[ui venait à la suite du guet-apens de Mon- tana : une des premières conséquences était les restric- tions apportées au droit de réunion. Mais, d'après les nom- breuses correspondances qui nous sont parvenues, on peut voir que la classe ouvrière italienne constitue de jour en jour son individualité en dehors des vieux partis.

En Prusse, l'Internationale ne peut exister légalement, à cause dune loi qui défend toute relation avec les associa- tions étrangères. Outre cela, le gouvernement prussien, vis-à-vis de Y Union générale des ouvriers allemands, a imité sur un petit pied les manœuvres bonapartistes. On le


DE L'INTERNATIONALE. 69

voit, les gouvernements militaires, quoique toujours prêts à s'entre-dévorer, s'entendent a merveille dès qull faut se croiser contre leur ennemi commun^ la classe ouvrière.

Malgré toutes ces entraves légales, depuis longtemps des branches indépendantes disséminées sur toute la surface du pays s'étaient ralliées au centre genevois.

L'Union générale des ouvriers allemands, dont les prin- cipales branches appartiennent au nord de l'Allemagna, dans son récent Congrès de Hambourg, a décidé d'agir de concert avec Tlnternationale, quoiqu'elle ne puisse s'affilier officiellement. Le Congrès de Nuremberg, où sont repré-< sentées plus de cent sociétés ouvrières du sud et du centre de rAllemagne, a mis à Tordre du jour : l'adhésion directe à rinternationale. Sur l'invitation du comité directeur, nous avons envoyé un délégué à Nuremberg.

En Autriche, le mouvement ouvrier prend une forme de plus en plus révolutionnaire. Au commencement de sep- tembre, un coiigrès devait se tenir à Vienne dans le but de faire fraterniser les ouvriers des différentes races de l'em- pire. Ils avaient aussi envoyé une adresse aux ouvriers anglais et français, dans laquelle ils proclamaient les prin- cipes de l'Internationale. Votre conseil avait déjà nommé un délégué à Vienne quand le gouvernement libéral do r Autriche f sur le point de succomber sous les coups de la réaction féodale, eut la clairvoyance do provoquer la colère des ouvriers en interdisant leur congrès.

Dans la lutte qu'ont soutenue les ouvriers en bâtiments de Genève, l'existence de l'Internationale était mise en question dans la Suisse. Pour entrer en pourparlers, les patrons sommaient les ouvriers d'abandonner l'Association. Les ouvriers ont refusé. {Applaudissements,) GrAoe aux


70 LE LIVRE BLEU

secours reçus de France, d'Angleterre, de Belgique, d'Alle- magne, etc., par l'intermédiaire de l'Internationale, les ouvriers ont obtenu une diminution des heures de travail et une augmentation de salaire. L'Association, déjà enraci- née en Suisse, a vu le nombre de ses adhérents s'accroître rapidement. Au mois d'août dernier, le congrès d'une partie des ouvriers allemands résidant en Suisse s*est tenu à Neuenburg (Nenfcbâtel), et a voté unanimement l'adjonc- tion à rinternationale.

En Angleterre, l'état incertain de la politique, la disso- lution des vieux partis, la préparation pour la prochaine campagne électorale ayant absorbé une grande partie de nos forces, ont retardé en quelque sorte notre propagande. Néanmoins nous sommes entrés en correspondance avec un grand nombre de t Trade^s-Unions > provinciales, plu- sieurs ont envoyé leur adhésion. A Londres, parmi les nouvelles affiliations, les sociétés des corroyeurs et des cordonniers de la Cité sont les'plus importantes.

Votre Conseil général est en constante correspondance avec l'Union nationale du travail des États-Unis. Même dans son dernier congrès, l'Union nationale avait voté l'envoi d'un délégué au Congrès de Bruxelles; mais pressés par le temps, ils ont oublié de prendre les décisions spé- ciales pour l'exécution de ce vote.

La puissance latente de la classe ouvrière américaine s'est dernièrement manifestée en forçant les législatures de plusieurs États particuliers de l'Union à passer une loi qui réduit la journée de travail à huit heures. Le gouvernement fédéral l'a mise immédiatement en vigueur dans tous les ateliers publics.

Mais pour la faire exécuter dans les ateliers privés, les


DE L'INTERNATIONALE. 71

ouvriers américains, ceux de New-York, par exemple, sont actuellement engagés dans une lutte acharnée contre le ca- pital qui ne veut pas de loi.

Ce fait nous prouve que, môme sous les conditions poli- tiques les plus favorables, tout succès sérieux du proléta- riat dépend d'une organisation qui concentre ses forces, et que toute organisation isolée du prolétariat d'une nation se brisera toujours contre sa désorganisation dans les autres pays, qui tous se font concurrence sur le marché du monde, agissant et réagissant les uns sur les autres.

Il n'y a que Pentente internationale des classes ouvrières qui puisse garantir leur triomphe définitif. Ce besoin a donné naissance à l'Association internationale des travail- leurs. Elle n'est fille ni d'une secte, ni d'une théorie. Elle est le produit spontané du mouvement prolétaire, engendré lui-même par les tendances naturelles et irrépressibles de la société moderne. Dans le sentiment profond de sa grande mission^ r Association mternationale des travailleurs ne se laissera ni intimider, ni détourner. Sa dpstinée est désor- mais inséparable du progrès historique de la classe qui porte dans ses flancs la régénération de l'humanité. (Applau- dissements prolongés.)


II


RAPPORTS

SUR LA SITUATION DES SECTIONS

Sodétée Italiennes.

Eugène Dupont raconte au Congrès que les ouvriei^s italiens ont reçu le contre-coup de Montana : que ceux qui ne sont pas tombés sur le champ de bataille ont été mis en prison. Le droit de réunion leur a été retiré. Les despotes auront beau faire, ajoute Dupont, ils n'empê- cheront pas les travailleurs italiens de s'entendre : ils n'empêcheront pas la révolution sociale de s'accomplir.


Section de Sollngen.

Depuis le congrès de Lausanne, il a été formé une société

de production de coutellerie. Elle comprend vingt-sept

membres.

Le délégué,

KLEIN.


DE L'INTERNATIONALE 7J


SeetioBÇ Genevoises.

Il y a à peu près six mois, nous avons eu une grève terrible; nous avons d'abord des remerciements à faire à tous ceux qui nous ont soutenus, surtout aux Parisiens, car sans eux nous étions perdus. La grève a fait du bien. Les bourgeois, bien que ce sôit uno république, ont été plus méchants qu'ailleurs, les ouvriers ont tenu bon. Ils n'étaient que 2 sections avant la grève; maintenant ils sont 2i sec- tions à Genève, renfermant 4 mille membres. {Sections : Section centrale. — Section de Garouge. — Section alle- mande. — Corps de métiers : Mouleurs de boites de mon- tres. — Bijoutière. — Ébénistes. — Menuisiei*s. — Maçons.

— Garrossiers-forgerons. — Gypiers \ernisseurs. — Char- pentiers français. — Gharpentiers allemands. — Graveurs.

— Gainiers. — Gorroyeurs et tanneurs. — Faiseurs de res- sorts. — Gouvreurs. — Terrassiers. — Ferblantiers. — Fabricants de pièces de musique. — Typographes. — Ser- rurriers-mécaniciens. — Tailleurs de laines.) Ge qu'on de- mande surtout au Gongrès, c'est de la pratique.

Le délégaéf GRAGLIA.

Assoeiatloiis ouvrières de la Cïatalogne*

Enchaînées depuis longtemps par un pouvoir despo- tique, les sociétés ouvrières d'Espagne envoient un salut cordial à leurs frères du reste de l'Europe. Lo moment

présent n'est pas très-favorable pour les associations. Ge-

5


74 LE LIVRE BLEU

pendant soUo voce^ en Catalogne et en Andalousie, les as- sociations ouvrières se développent petit à petit. On a essayé d'arrêter les ouvriers qai étaient à la tête de ces sociétés; mais chaq[ue jour on nommait douze délégués nouveaux : ftl bien que le pouvoir, las d'emprisonner, dut fi*arrèt6r dans cette vole et les laisser libres. Les ouvriers espagnols sont prêts â lutter avec leurs frères contre cette tbrmidable association de Farinée^ da trône et de Pautel, pour asseoir enûn sur des basses solides la paix, la justice

et le travail.

Le déléguée

8ARR0 MAGALLAN.

Section Anversolse.

Les Francs Ouvriers de Verviers, le Volksverbond d'An- vers, poursuivent le même but que TAssocIation interna- tionate, c'est-à-dire ne cherchent qu*à améliorer la position de Touvrier. Si une guerre devient inévitable, je conjure les ouvriers de ne pas tirer les uns sur les autres; que les grandes puissances aient d'ici à peu de temps une guerre acharnée, tous les ouvriers, le peuple en un mot devra dé- jouer Taffreux despotisme de ceux qui nous gouvernent. En définitive, nous sommes tous frères, que nul motif ne peut nous pousser à aller tuer des semblables qu'on n'a jamais vus ni connus. Le seul moyen de dérouter ces scan- daleux despotes est de fraterniser et de présenter la crosse du fusil en signe de paix, au lieu de tirer sur des frères inof- fensifs.

Le délégué,

GCBNBN.


DE L'INTERNATIONALE. 75


Seetion de TJége.

Les adhérents liégeois à V Association internationale dea travailleurs, tâchèrent de se constituer en section vers la fin de Tannée 1867.

Ils étaient 27, et eurent cpelques réunions où un projet de règlement fat discuté et adopté.

. Après avoir publié ce règlement et nommé un comité pro* visoire, composé de 5 membres, ils voulurent affirmer leur existence et convoquèrent deux meetings contre les armées permanentes.

Malheureusement ils se laissaient déborder parles partis politiques, et une coalition clérico-radicale rempla(^ bien- tôt rinternationale dans le mouvement contre le militarismei mais en restreignant la lutte aux seuls abus de la conserip- Uoa. Une Ligue fut instituée à cet effets et tous les béné- fices de la propagande faite par V Internationale fiirent re«  cueillis par cette ligue, et nullement par ceux qui avaient pris i'initiative de ce mouvement.

Trop peu forts pour lutter avantageusement ea ce mo- ment, découragés peut-être par rinsuccès de cette première tentative, les membres de la section liégeoise cessèrent do se réunir.

Le comité provisoire suspendit ses séances, #1 le seul acte posé par lui pendant les quatre premiers mois de Tan- née 1868 fut Tenvoi de deux délégués aux meetings orga«  niséfi par les Francs Ouvriers à Verviers.

A part cela, on peut dire que la section ne donna plus signe de vie.


76 LE LIVRE BLEU

Mais les événements soi'venus dans les bassins houillers de Gharlei*oi et le massacre des ouvriers organisé par Far- mée permanente secouèrent un peu partout les endormis : le manifeste de la Fédération bruxelloise acheva de les éveil- ler tout à fait.

Deux membres tentèrent alors de reconstituer la section liégeoise et se hâtèrent de convoquer une assemblée gé- nérale.

Ce premier appel, n'ayant pas reçu une publicité suffisante, ne fut guère entendu et quatre associés seulement y répon- dirent.

Us ne se laissèrent pas décourager, mais il leur était impossible de prendre à eux seuls une décision quelconque; Ils résolurent cependant de convoquer une nouvelle assem- blée générale et, dans l'intervalle, de tâcher d'acquérir le plus grand nombre d'adhérents possible.

Ce second essai réussit mieux que le premier. La deuxième assemblée générale, fixée au 7 mai, réunit, outre une quinzaine des anciens membres, une vingtaine d'étu- diants et d'ouvriers désireux de s'affilier à V Association. De la première section, par suite de démissions, il ne restait que 24 membres : 36 adhérents nouveaux furent inscrits ce jour-là, et portèrent le chiffre des membres à 60.

Ils ouvrirent immédiatement une liste de souscription en faveur des victimes de Gharleroi. D'autres listes furent envoyées par la section bruxelloise. — Ces dernières sont rentrées.

Nous remettons aujourd'hui une quarantaine de francs recueillis de ce chef, et d'ici à quelques jours nous ferons parvenir le restant des souscriptions.


DE L'INTERNATIOXALK. 77

Les premiers associés avaient complètement négligé de se fédérer aux autres sections établies en Belgique, et n'avaient pour ainsi dire aucun rapport avec Londres.

Cette fois, comprenant mieux les devoirs de rAssocia* tion, ils décidèrent qu'ils devaient se fédérer immédiatement avec les sections belges, et envoyèrent à la fédération bruxelloise un délégué chargé de s'entendre avec elle sur ce point.

dette démarche aboutit pleinement et les premiers liens de fraternité furent ainsi noués.

La section liégeoise, instruite par Texpérience, et ne voulant /)7a5 se laisser déborder par les partis politiques, recommença immédiatement ses essais de propagande, mais en se plaçant dorénavant sur le terrain économique.

Un grand meeting fut orjgpanisé le 7 juin.

Il avait pour ordre du jour :

L'Association internationale des travailleurs, son but et ses moyens d'action.

Des délégués furent envoyés aux sections bruxelloise et verviétoise pour s'assurer de leur concours. Elles le pro- mirent et tinrent pleinement leur promesse.

Ce meeting, où les questions sociales furent posées et débattues en dehors de toutes les préoccupations de parti, procura de nouveaux adhérents à l'Association interna- tionale, et 4epuis lors la section liégeoise a vu, de semaine en semaine, s'accroître le nombre de ses membres, qui s'est à peu près quadruplé en trois mois. *

Cependant ce résultat semblera peut-être mesquin pour une ville industrielle renfermant un si grand nombre d'où- vriers.

Quelques mots sur les circonstances qui rendent notre


78 LE LIVRE BLEU

propagande sî difficile suffiront à démontrer combien nous en sommes peu responsables..

Nous avons eu à lutter d'abord contre les calomnies des journaux qui ont tout fait pour dénaturer le but de notre Association.

Tantôt, où nous faisait passer pour Cette coalition élec- torale qui, la première, avait porté un coup si rude à notre développement; tantôt, on nous signalait comme une bande de révolutionnaires établissant la violence en principe ; tantôt, enfin, on nous qualifiait à'atbées fanatiques, voulant renverser par la fonce les principes religieux quels qu*ils soient,

Leô patrons et les industriels, de leur côté, nous faisaient une guerre déloyale, soit en défendant à leurs ouvriers de s'affilier à Tlnternationale, soit en chassant de leurs ate- liers ceux qui en faisaient déjà partie. — Nous pouvons citer, entre autres, trois ouvriers fondeurs expulsés de ce chef.

Enfin la police elle-même essayait de ruiner notre Asso- ciation et d'intimider ceux qui se mettaient à la tête du mou- vement ; c'est ainsi qu'un membre du comité provisoire fut appelé chez le commissaire pour avoir pris la parole à notre meeting. — Il jrefusa de s'y rendre, et, craignant d'échouer de ce côté, la police usa de certains moyens qui rappellent les plus mauvaises époques de la mouchardise despotique.

Des agents allèrent à plusieurs reprises informer un commerçant de notre ville qu'un de ses employés était affilié à l'Internationale. Ils furent houreuseméat mal reçus et n'obtinrent pas ce qu'ils attendaient : l'expulsion de l'employé.


DE L'INTERNATIONALE. 79

Gês lâches et perfides manœuvres expliqueront suffisam- ment pourquoi nous sommes si peu nombreux en compa-> raison des autres sections.

Mais tout cet échafaudage de calomnies, de pressions et de basses machinations commence à s'éorouler.

L'attitude calme et digne que nous n'avons cessé de conserver, l'activité réelle que nous avons déployée oom^ meneent à porter leurs fruits, et nous pouvons annoncer comme un espoir certain la prochaine affiliation à notre section de plusieurs associations ouvrières.

Nous sommes en pourparlers avep plusieurs d'entre elles, et nous nous croyons sur le pdint de réussir dans nos négociations.

Telle est en résumé notre situation* Disons à présent quelques mots de nos travaux.

Désireux de ne plus nous laisser enlever le fruit de nos efforts, et sachant combien disparaissent vite les sociétés dont les membres ne sont pas en rapports continuels, nous avons décidé qu'une Assemblée générale serait convoquée tous les lundis. — Depuis le 1 juin, toutes ces assemblées ont eu Heu régulièrement, attirant chaque fois un nombre considérable de membres.

Nous avons d'abord voulu mettre notre règlement d'ac- cord avec le programme de l'Association internationale et plus conforme à l'esprit qui la dirige.

Plusieurs séances furent consacrées à la discussion de ce règlement, où les principes de fédération et de mutualité sont enfin inscrits d'une façon pleine et entière.

Ce règlement, dont nous joignons un exemplaire à ce rapport, est établi sur les mêmes bases que ceux des autres sections belges.


80 UE LIVRE lU.EU

Une séance fut consacrée à la nomination du comité définitif.

Nous avons ensuite pris part au congrès préparatoire convoqué à Bruxelles, et deux de nos membres furent spécialement chargés de nous y représenter.

Depuis cette réunion, toutes nos séances ont été consacrées à la discussion, en assemblée générale, de toutes les ques- tions mises à Tordre du jour du congrès.

Cinq rapports traitant du crédit, de Tinstruction, des ma- chines, des grèves et des griefs des travailleurs ont été lus par les différentes commissions chargées de les élaborer et adoptés par FAssemblée générale.

Ces rapports sont présentés au Congrès.

Nous avons aussi fait quelques tentatives de propagande dans les environs de la ville.

Deux meetings ont été donnés dans la localité de Mon- f egnée dans ce but : le premier avec le concours des Bruxel- lois et des Verviétois, le second par les membres de la section liégeoise seuls. En suite de ces meetings une tren- taine de membres s*unirent à Montegnée et sont en train d'organiser une nouvelle section.

Enfîn, dans une de nos dernières assemblées générales, nous avons décidé qu'aussitôt Je Congrès terminé, nous commencerions une série de meetings dans tous les quar- tiers de la ville et dans quelques villages industriels envi- ronnants, où Ton nous demande notre concours.

De plus, une conférence sur les questions sociales sera donnée chaque semaine dans le local de notre section par les membres de TÀssociation.

Nous ne pouvons terminer ce rapport sans remercier chaleureusement les sections bruxelloise et verviétoise


DE LMNTERNATIONALK. 81

pour le concours ardent qu*eiles n*ont cessé de nous prêter.

Nous espérons être bientôt à même de parvenir à notre tour à les aider dans leur tâche et de reconnaître ainsi ce qu'elles ont fait pour nous.

Nous espérons aussi qu'au prochain Congrès nous pour- rons vous dire que nos efforts n'ont pas été superflus et que notre section parviendra à se mettre au niveau de celles qui tiennent si courageusement et si fermement le drapeau de la justice et de la fraternité.

Le déléguéy M\RÉGHAL.


Seetloa de Terriers,

L'association des Francs-Ouvriers date de novem- bre 1867. Isolée d'abord avant de se fédérer à l'Association internationale des travailleurs, elle a eu à lutter, dans son sein môme, contre plusieurs de ses membres animés de cet esprit bourgeois qui tend plutôt à transformer la servi- tude qu'à la faire disparaître ; mais grâce aux publications de l'Associationinternationale des travailleurs, nous sommes parvenus à comprendre les moyens qui nous restent pour nous affranchir du joug que fait peser le capital sur le tra- vail.

Dès à présent, nous avons à Verviers une section de l'Association internationale des travailleurs, comptant dans son sein 400 membres, ayant pour organe le Mirabeau^ journal que nous publions mensuellement, dont le premier numéro a été tiré à mille exemplaires, en décembre 1867 le second en janvier 1868, à deux mille exemplaires; letroi-


82 LE LIVRE BLEU

sième en février à quatre mille exemplaires, et ainsi nous continuons notre publication.

Aussi, dès aujourd'hui, nous pouvons marcher franche- ment dans la voie que nous nous sommes tracée, sans avoir à craindre ni la faiblesse des uns, ni la cupidité des au- tres.

 l'exemple de nos compagnons bruxellois, qui nous ont donné des éclaircissements et l'impulsion dont nous avions besoin, nous n'avons plus à craindre aucun obstacle qni puisse nous arrêter. Il est vrai que nous ne sommes pas encore bien nombreux, pour une ville qui compte plus de 30,000 habitants, mais il en est aussi vrai q[ue malgré la

lâche indifférence du plus grand nombre d'ouvriers, chez nous le courage supplée au nombre.

Travaillant pour une cause sacrée, la liberté et la solida- rité des travailleurs de tous les pays, V avenir est k nous, tout nous fait prévoir que noua triompherons. Nos moyens d'action sont les meetings, les sociétés de secours mutuels, de crédit, les sociétés coopératives de consommation et de production ayant pour base le mutualisme, c'est-à-dire ren- dant service pour service, prenant la réciprocité pour base des rapports sociaux.

C'est là ce qui distingue la marche de notre section pen- dant l'année écoulée .

Nous ne sommes pas encore parvenus à réaliser dans la pratique ce que nous développons en théorie, mais nous sommes prêts à le faire; à Verviers, à Ensival et à Pe- pinster, bon nombre de membres de nos différentes sections sont entrés dans les sociétés dites coopératives de ces loca- lités, à seule fin de les amener à un principe basé sur l'équité et la justice ; si donc à présent nous ne venons re-


DE L'INTERNATIONALE 83

présenter que des idées, dans peu de temps, pour le pro- cbain congrès de TAssociation internationale 'des travail* leurs, tout nous fait espérer que nous viendrons présenter des résultats pratiques*

Le déléguéy

FLUSE.


Seetlon 4e Bruges*

Une section vient de se constituer à Bruges depuis quel- ques semaines : nous avons encore besoin pour prospérer du concours des autres pays. Il est peu de villes, en effet» où nous ayons plus à souffrir du fanatisme religieux et de la tyrannie du capital.

Le délégué^

VANDEN BERGHE.


Cercle des eampagàards de Patl(spites (provlnee de

Namur).

Les oultivateurd sont plus malheureux que les ouvriers

des villes; mais dans les Ardennes, ils commencent à com- prendre qu'eux aussi doivent s'organiser et faire tous leurs efforts pour détruire Fanarchie sociale actuelle ; la seule chose qu'ils aient pu faire jusqu'ici a été la fondation d'une bibliothèque populaire. Us envoient aux ouvriers des villes leur salut fraternel.

Le délégué,

HENRI.


84 I.R LIVRE BLEU


Section de Charlerol.

Les journaux ont rapporté les événements de Gharleroi. On sait comment les ouvriers ont conduit leur grève et quel traitement ils ont subi. Ces malheurs proviennent de la non organisation des ouvriers, mais cela ne se présen- tera plus. Depuis que des journaux amis ont révélé l'exis- tence et le but de Tlnternationale, que des délégués bruxel- lois sont venus l'expliquer aux travailleurs, de nombreuses sections se sont formées, et ce mouvement est dans la voie la plus prospère.

Le délégué^ J.-B. FRÈRE.

Nous devons ajouter que le bureau de Paris n'ayant pu se faire représenter par suite des condamnations dont il venait d^ôtre frappé, avait adressé au Congrès une lettre dont le président donna lecture à la â« séance.

Voici dans quels termes elle était conçue * :


t Dans cette môme séance, le délégué Vaoden Berghe annonçait la fondation d'une section à Amsterdam, l'entente de cette section avec les sociétés ouvrières des . typographes, des peintres et des charpentiers, et la création d'un journal socialiste néerlandais, le Volktblad (journal du peuple),

Pellering, de VAffranehitsemeni de Bruxelles, représentait que cette société était la première société démocratique fondée en ce pays ; elle avait été créée pour lutter contre les deux espèces de tyraupie, là tyrannie des prêtres, la tyrannie des gouvernements. Il ajoutait que tous les membres étaient enterrés sans l'assistance du clergé et qu'ils combattaient ce dernier de toute manière.


DE L'INTERNATIONALE. 85

Prison de Sainte-Pélagie, 4 septcipbre 1868.

Aux citoyens membres du Congrès. ^

Le bureau de Paris se trouve dans Fimpossibilité de se faire représenter au Congrès par suite du jugement que vous connaissez.

Nous, membres de la dernière commission, en ce moment détenus à 'la prison de Sainte-Pélagie, nous croyons devoir profiter de la réunion du Congrès pour adresser à tous les membres de l'Association internationale une protestation contre l'arbitraire qui pèse sur nous et nous empoche de rendre compte de notre gestion.

Nous n'avons pas à vous donner de détails sur les cir- constances dans lesquelles nous avons été appelés à l'ad- ministration du bureau de Paris, les débats de notre pro- cès vous en ont suffisamment instruits.

Tout en regrettant de ne pas pouvoir prendre part à vos travaux, nous suivrons avec intérêt les discussions sur les diverses questions du programme dont la solution intéresse au plus haut degré toute la classe travailleuse.

Nous avons appris avec satisfaction qu'une grande par- tie des sociétés ouvrières parisiennes se font représenter au Congrès; les persécutions dont l'Association interna- tionale a été l'objet ont, sans aucun doute, contribué a ce résultat.

L'empressement avec lequel ces sociétés viennent appor- ter leur concours et leur appui moral à notre œuvre sociale, est une preuve que notre propagande n'a pas été stérile et que les idées de l'Association internationale ont profondément pénétré dans la population ouvrière.


86 LE LIVRE BLEU

Quant à nous, nous restons fermement résolus à conti- nuer notre œuvre individuellement, puisqu'il nous est maintenant impossible d'agir en collectivité.

Nous vous envoyons toutes nos sympathies, avec Tassu- rance de nos sentiments les plus fraternels.

Signé : A. Gombault; E. Varlin; E. Landrin; Hum- BBRT ; B. Malon ; Gharbonnaud ; Mollin ; G.-A. Bour- don; L. Granjon.


Troisième Partie


CONGRÈS DE BALE


(Septembre 1869.)


I


RAPPORT


DU


» t


CONSEIL. GENERAL DE LONDRES

Lu dans la séance du 7 septembre par le citoyen Robert, Tun des secrétaires du Congrès.


Citoyens,

Les rapports des délégués des différentes sections vous raconteront en détail les progrès de notre association dans leur pays. Le rapport du conseil générai s'occupera princi^ paiement des gueriiias entre ie capitai et le travail^ c'est- à-dire des grèves, qui durant Tannée dernière ont troublé l'Europe, et que Ton disait être engendrées non par la mi- sère des ouvriers ou par le despotisme des capitalistes, mais par les secrètes intrigues de notre association.

Quelques semaines après la tenue de notre dernier con-


90 LE LIVRE BLEU

grès, une mémorable grève des rubaniers et des teinturiers en soie eut lieu à Bâle. Cette ville jusqu'à aujourd'hui a conservé beaucoup des traits des villes du moyen âge, avec leurs traditions locales, leurs préjugés étroits, leurs patri- ciens orgueilleux de leur argent et leurs rapports patriar* eaux entre le maître et les ouvriers. Il y a à peine quelques années, un manufacturier bâlois se vantait près d'un secré- taire de l'ambassade anglaise, de ce que « l'entente entre l'ouvrier et le patron était mieux établie ici qu'en Angle- terre », qu'en « Suisse le travailleur qui quitterait un bon patron pour un meilleur salaire serait méprisé par ses pro- pres compagnons » et que leur supériorité consistait princi- palement «dans la longueur de la journée de travail et dans la modicité des salaires. » Vous le voyez, le patriarcalisme modifié par des influences modernes arrive à ceci : que le maître est bon mais que les salaires sont mauvais ; que, quoique l'ouvrier se sente comme un serf du moyen-âge, il est exploité oomme un moderne esclave salarié. Ce patriarcalisme peut être encore mieux apprécié par

une enquête officielle suisse sur l'emploi des enfants dans les manufactures et sur Tétat de leurs écoles primaires. Il y est dit que < Tatmosphère des écoles primaires de Bâle

est la pire du monde; que, tandis que l'acide carbonique à l'état libre ne constitue que 8 parties sur 10,000 et que dans les endroits enfermés il ne devrait [pas excéder 10 par- ties, cependant, dans les écoles communales bâloises, il y avait de 20 à 81 parties d'acide carbonique l'après-midi et, dans la soirée, de 52 à 94. » A quoi un membre du grand conseil de Bâle, M. Thurneysen, répondit froidement : « N'allez pas vous alarmer I Les parents ont passé par des écoles aussi mauvaises et ils s'en sont tirés la peau sauve. »


DE L'INTERNATIONALE. 91

Oft comprendra facilement qu'une révolte économique des ouvriers bâlois devait faire époque dans Thistolre so- ciale de la Suisse. Rien de plus caractéristique que le point de départ du mouvement. Une vieille coutume accordait aux ouvriers rubaniers quelques heures de repos à la Saint- Michel. Dans la manufacture de MM. Dubarry et fils, un des maîtres déclara à ses ouvriers- d'une voix rude et avec un geste impérieux : « Que celui qui quitterait la fa- brique serait expulsé pour toujours. » Voyant qu'ils pro- testaient en vain, 104 des 172 rubaniers quittèrent l'atelier sans croire à leur renvoi définitif, puisque les ouvriers comme les patrons s'étaient engagés par écrit à ne se don- ner congé que quinze jours à l'avance.

Le lendemain, à leur retour, ils trouvèrent la fabrique entourée de gendarmes chargés de repousser les rebelles delà veille, avec qui leurs camarades firent alors cause com- mune. Privés deleur travail, les rubaniers et leurs familles furent en même temps chassés de leurs demeures appar- tenant à leurs patrons, qui par-dessus le marché envoyèrent des circulaires à tous les boutiquiers, les invitant à refuser aux séditieux tout crédit pour les vivres. La lutte ainsi commencée dura du 9 novembre jusqu'au printemps de 1869. Les limites de notre rapport ne nous permettent pas d'entrer dans les détails : il suffit de dire que la lutte commença par un acte capricieux et rancunier du despo- tisme capitaliste, par un cruel lock-out qui amena des grèves, interrompues de temps en temps par des compromis sans cesse brisés par les maîtres, et qu'elle se termina par Tinfructueuse tentative du « haut et honorable conseil » de Bâie d'intimider le peuple ouvrier par des . mesures mili- taires et presque par un état de siège.


\)1 LE LIVRK nLElJ

Dans leur sédition, Tlntemationale n*avait pas seulement soutenu les ouvriers : les maîtres disaient que cette société avait été la première à introduire par contrebande Tesprit moderne de révolte dans la bonne vieille ville de Bâle. La chasser de leurs murs devint alors leur grande affaire. Ils travaillèrent dur, quoique inutilement, pour imposer à leurs sujets comme condition de paix l'abandon de Flnternatio- nale. Ayant été battus par elle, ils soulagèrent leur colère en lui jouant des tours. Possédant quelques établissements in- dustriels à Loerrache, dans le grand-duché de Bade, ces républicains poussèrent le représentant du grand-duc à supprimer la section de Tlnternationale de cette ville; mais cette mesure fut rappelée peu après par le gouvernement central. La Gazette universelle d'Augsbourg, journal alle- mand qui circule dans tous les pays, ayant rapporté impar- tialement les événements de Bâle, nos républicains indi- gnés menacèrent de suspendre leurs abonnements. Ils envoyèrent à Londres un messager avec la mission fantas- tique d*étudicr les dimensions de notre trésor. Quoique chrétiens orthodoxes, s'ils avaient vécu au temps de la naissance du christianisme, ils auraient avant tout voulu connaître à un sou près le compte courant de saint Paul h la banqpie de Rome.

Leur procédé stupidement barbare mérita quelques leçons économiques do sagesse mondaine de la part des organes capitalistes de Genève. Cependant, quelques mois plus tard, le bourgeois mal léché de Bâle aurait pu retourner le com- pliment avec intérêt usuraire aux gens du monde de Genève.

Au mois de mars, les ouvriers en bâtiment et les compo- siteurs de Genève se mirent en grève ; ils étaient affiliés à r Internationale.


DE L'INTERNATIONALE. U3

• La grève des premiers était provoquée par les maîtres, qui brisaient la convention qu'ils avaient solennellement signée Tannée précédente.

La grève des compositeurs n'était que la terminaison de dix années de querelles que les ouvriers avaient essayé d'éteindre par cinq commissions consécutives. Comme à Bâle, les maîtres transformèrent leurs disputes privées avec leurs ouvriers en une croisade d'État contre V Association internationale des Itavailleurs,

Le Conseil d'État de Genève dépêcha des sergents de ville pour recevoir aux gares et pour séquestrer de toute com- munication avec les grévistes tous les ouvriers étrangers que les maîtres réussiraient à faire venir. II permit à la jeunesse dorées les gens de sac et de corde de la Jeune Suisse, de s'armer de revolvers et d'attaquer dans les rues et sur les places publiques les ouvriers et les ouvrières. Et en différentes occasions il lança sur le peuple sa propre police. Le 24 mai, il y eut à Genève de ces scènes que Raspail a stigmatisées « d'orgie infernale de casse- têtes, m Lorsque les ouvriers genevois, dans un meeting public, rédigèrent une adresse requérant du Conseil d'État une enquêté sur ces orgies infernales de la police, ils reçurent une fin de non-recevoir. Evidemment la pensée secrète des capitalistes était de pousser le peuple dans une émeute pour Fécraser avec la force armée, pour extirper du sol Vlnîer^ nationale et pour soumettre les ouvriers à un régime dé- cembriste. Leur plan fut renversé par l'action énergique et modératrice de notre comité fédéral de Genève. Les maîtres furent obligés de céder.

A présent, écoutez les invectives des capitalistes genevois et de lem* tourbe de plumitifs contre l'Internationale. Dans


94 LE LIVRE BLEU

un meeting public, ils votèrent une adresse au Ck)nseil d'État où se trouvait la phrase suivante : « On iy Internationale) ruine le canton de Genève par des décrets envoyés do Londres et de Paris, on veut y supprimer toute industrie et tout travail. » Un de leurs journaux affirmait que les chefs de V Internationale étaient « des agents secrets de lEmpe^ reur, lesquels à un momeut donné pourraient fr^s-bien sç transformer en accusateurs publics contre la petite Suisse, » Et ceci était dit par des hommes qui ^'étaient montrés si anxieux de transplanter à la minute le régime décembriste en Suisse, par des barons financiers, les vrais maîtres de Genève et d'autres villes suisses, dont toute TEurope con- naît deptds longtemps la transformation de républicains suisses en feudataires du Crédit mobilier et d'autres asso- ciations internationales... de voleurs.

Les massacres par lesquels le gouvernement belge ré- pondit à la grève des puddleurs de Seraing et des mineurs du Borinage ont été longuement détaillés dans une adresse du Conseil général à tous les ouvriers d'Europe et des États-Unis.

Nous considérions cette adresse d'autant plus urgente que, pour le gouvernement modèle de constitutionalisme^ de tels massacres d'ouvriers ne sont pas un accident -mais une institution. L'horrible drame militaire était suivi par un^ force judiciaire. Dans ses mesures contre notre comité central de Bruxelles, dont le siège était brutalement forcé par la police, et dont plusieurs membres étaient mis au se^ cret, le juge d'instrijiction trouva la lettre d'un ouvrier do- mandant 500 internationaux. T>ix coup, il conclut que 500 com- battants devaient être envoyés sur les lieux de l'action.

Les 500 internationaux étaient 500 numéros de V Interna-'


DE L'INTERNATIONALE. 96

ii(méle^ l'organo hebdomadaire de notre eomiiédeBrazellea. Après une laboriense recherche, on mit Im mtin but un té- légramme envoyé à Paris par un des membres de Vlater" natioDaie^ dans lequel on demandait une oertaine quantité de poudre. Le paquet incriminé fût saiei à Bruxelles; mais ce n*était que de la poudre insecticide. A la fin la police belge, dans une de ses, visites domiciliaires, se flatta d'être parvenue & s'emparer de ce fameux trésor qui tracasse tant les -cervelles des capitalistes continentaux, o'ast-à-dire le trésor de V Internationale^ dont l'énorme masse s'acoumule à Londres, tandis que des sommes inférieures circulent continuellement dans tous les centres de rAssoeiation. La police crut qu'il était enseveli dans une colossale et solide caisse, caohée dans un endroit obscur. On saisit la caisse, on la force et l'on trouve des... morceaux de charbon. Peut- être que s*i! est touché par des mains ennemies, l'or pur de Vlntarnationale se convertit en charbon.

De toutes les grève» qui, en décembre 1868, infestèrent plusieurs districts cotonniers de la France, la plus impor- tante est celle de Sotteville'leg^Rouen. IjCS manufacturiers du département de la Somme, il y a peu de temps de cela, s'étaient réunis à Amiens pour étudier comment ils pour» raient battre les manufacturiers anglais sur leur propre marché. Ayant reconnu que, outre les tarifs protecteurs, l'infériorité comparative des salaires français leur avait jusqu'alors permis de défendre la France contre les cotons anglais, ils conclurent naturellement qu'en abaiS'* sont encore plus les salaires, ils pourraient envahir l'Angle- terre avec les cotons français. Ils ne doutaient pas que les ouvriers cotonniers seraient fiers de faire les frais de cette guerre de conquête que les maîtres avaient si patrie-


90 LE LIVRE BLEU

tiquement résolu de livrer sur l'autre côté du canal.

Peu après, le bruit courait que, dans un conclave secret, les manufacturiers en coton de Rouen et des environs avaient accepté la même li^ne de conduite • Alors une ré- duction importante de salaires fut soudainement proclamée à Sotteville-lez-Rouen et, pour la première fois, les tisseurs se révoltèrent contre les exactions du capital. Ils agirent sous rimpulsion du moment. Ils n'étaient pourvus ni de trade* sonnions ni d'aucun moyen de résistance. Dans leur détresse, ils en appelèrent au comité international de Rouen, qui leur trouva un secours immédiat à Rouen, dans les dis- tricts environnants et à Paris.

Vers la fin de décembre 1868, le comité de Rouen s'adressa au Conseil général dans un moment de détresse extrême . de tous les districts cotonniei*s de l'Angleterre, de misère sans pareille à Londres et de dépression générale dans toutes les branches de l'industrie anglaise. Cet état de choses dure encore. Malgré ces circonstances si défavorables, le Conseil général pensait que le caractère particulier du con- flit rouennais forcerait les ouvriers anglais à agir. C'était une grande occasion pour montrer aux capitalistes que leur guerre internationale, soutenue grâce à l'abaissement des salaires tantôt dans un pays tantôt dans un autre, allait être enfin arrêtée par l'union internationale des ouvriers. A notre demande, les ouvriers anglais répondirent immédia- tement par une première contribution envoyée à Rouen; et le Trade conncil de Londres, d'accord avec le Conseil gé^ néral, résolut de convoquer un meeting monstre en faveur de leurs frères normands. Mais la soudaine nouvelle de la cessation de la grève de Sotteville arrêta les préparatifs. L'insuccès matériel de cette révolte économique fut large-


DE L'INTERNATIONALE. 07

ment compensé par ses résultats moraux. Elle enrégimenta les ouvriers cotonniers de la Normandie dans F armée révo- lutionnaire du travail, elle donna naissance à des traders unions k Rouen, Elbœuf, Darnetal et les environs, et scella de nouveau le pacte d* alliance des classes ouvrières anglaises et françaises.

Pendant l'hiver et le printemps de 1869, la propagande de notre Association en France fut paralysée par la violente dissolution de notre section de Paris en 1868, par des chi- caneries policières dans les départements et par Tabsor- bant intérêt des élections générales françaises. Les élections une fois terminées, de nombreuses grèves firent explosion dans les districts houillers de la Loire, à Lyon et dans beaucoup d'autres places. Les faits économiques relevés pendant cette lutte entre les maîtres et les ouvriers frap- pèrent l'attention publique, comme autant de démentis aux fantaisies fortement épicées sur la prospérité des classes ouvrières sous les auspices du second empire. Les récla- mations des ouvriers étaient si modérées et si pressantes, qu'après la résistance de rigueur les maîtres durent céder. Les seuls caractères étranges de ces grèves étaient leur soudaine explosion après un calme apparent et leur rcq>ide succession. Cependant la raison en était simple et palpc^le. Ayante pendant les élections^ essayé avec succès leur pour- voir contre le despote public, les ouvriers devaient fatale* ment, après les élections ^ l'essayer contre leurs despotes privés. En un mot, les élections générales avaient réveillé r esprit de révolte. La presse gouvernementale, payée pour voiler et déformer les faits désagréables, trouva la cause des événements dans un secret mot d'ordre parti du Conseil

général, qui, d'après eux, envoya ses émissaires do place

6


98 LE LIVRE BLEU

en place pour eneeigaer aux ouvriers français (d'ailleurs pleinement satisfaits de leur condition) qu'il est mauvais d'être surchargé de travail misérablement payé et brutale- ment traité. Un organe de la police française publié à Londres, Vlnteraatîonal, dans son numéro du 3 août, a révélé au monde les motifs cachés de notre délétère actlr vite : ( Ce qu'il y a de curieux, disait (^ journal dans son num,éro du 3 août, c'est quQ les grèves ont reçiJL l'ordre de se déclarer daos les pays où la misère était loin de se faire sentir. Ces explosions inattendues et arrivait ci à propos pour tirer d'embarras certains voisins qui pouvaient craind^*e la guerre, a conduit bien des gens à se demander si Jbes déclarations des grèves n'avaient pas eu lieu à la requête de quelque Machiavel étranger qui se serait concilié la bienveillance de toute la puissante société. > Au moment çù cette feuille policière nous reprochait d'embarrasser le gouvernement français par des grèves à l'intérieur, afin de débarrasser Bismarck de toute guerre à l'extérieur, un journal prussien nous accusait de harasser la Fédération de l'Allemagne du Nord avec des grèves afin de détruire l'industrie allemande au profit des manufacturiers étrangers*

I^ous allons montrer par deux cas typiques quels sont les reports de ï Internationale &vec les grèves françaises* Dans la grève de Saint-Etienne et dans les massacres de la Hicamarie qui en furent la conséquence^ le gouvernement français lui-même n'osa plus prétendre que V Internationale y eût trempé les mains. A Lyon, ce n'était pas Vlnternatio^ aale qui jeta les ouvriers dans la grève, mais la grève qui les jeta dans Ylnternatiopale^

Les mineurs de Saint-Etienne, de Rive de Giers iOt de Firminy avaient; d'une manière calme, mais ferme» demandé


DE L'INTERNATIONALE. 99

aux directeurs c(eâ compagnies de réduire la journée de travail, qui était de 12 heures de rude travail souterrain, et de réviser le tarif des salaires. Leur tentative concilia- trice n'ayant pas abouti, ils se mirent en grève le 11 juin.

11 était pour eux d'une importance vitale de s'adjoindre les autres ouvriers qui travaillaient encore. Pour les en empê- cher, les diif'ecteurs des compagnies demandèrent et ob- tinrent du préfet de la Loire une forêt de baïonnettes. Le

12 juin, les grévistes trouvèrent les puits gardés par des soldats. Pour s'assurer de leur zèle, les directeurs distri- buèrent à chaque soldat un franc par jour. Les soldats ga- gnèrent leur argent en empoignant 60 mineurs désireux de converser avec ceux qui étaient dans les puits. Ces pri- sonniers étaient le même jour envoyés à Saint-Étienne sous escorte de cent cinquante hommes du 4« de ligne. Avant le départ de ces courageux guerriers, un ingénieur de mines de la maison Holzeret-Dorian leur fit boire 60 bou- teilles de cognac, et leur recommanda d'ouvrir l'œil sur

leurs prisonniers, les mineurs étant des sauvages^ des bar- l)ares, des forçats libérés.

L*eau-de-vie et le sermon étaient les meilleurs moyens pour préparer une collision sanglante. Une troupe do mi- neurs, avec leurs enfants et leurs femmes, les suivirent, les enveloppèrent du haut du puits du Moncel (quartier de la Ricamarie), au moment où ils passaient dans le défilé, et les prièrent de rendre leurs prisonniers.

Les soldats, après avoir refusé, reçurent des volées de pierres : alors, sans aucune sommation préliminaire, ils firent feu avec leurs chassepots ; quinze personnes furent tuées, dont deux femmes et un enfant, et un nombre considérable furent blessés. Les tortures des blessés furent horribles.


lOO LE LIVRE BLEU

Un d'eux était une pauvre enfant âgée de douze ans, Jeanne Petit; son nom vivra immortel dans le martyrologe du pro- létariat. Deux balles l'avaient frappée par derrière, Tune se logea dans la cuisse, l'autre passa à travers le dos, brisa son bras et s'échappa par l'épaule droite. Les chassepots avaient encore fait merveille.

Cependant cette fois-ci le gouvernement ne fut pas long à trouver qu'il avait commis non-seulement un crime, mais une bêtise. Il n'était plus acclamé le sauveur de la société par la bourgeoisie. Tout le conseil municipal de Saint- Etienne donna sa démission en dénonçant la barbarie de la troupe et en insistant sur l'éloignement du 4* de ligne. La presse française fut saisie d'horreur. Même de3 journaux conservateurs, comme le Moniteur universel, ouvrirent des souscriptions pour les victimes. Le gouvernement fut obligé de faire changer de garnison le 4^ de ligne.

Dans les circonstances si difficiles, il était lumineux de trouver un bouc expiatoire pour être sacrifié sur l'autel de l'indignation publique ; comme toujours,on prit Y Association internationale des travailleurs. Les prétendus émeutiers» pour être jugés, furent classés ingénieusement en 10 ca«  tégories indiquiant leur respective noirceur. Les premiers inscrits, les plus noirs, étaient accusés d'être plus particu- lièrement suspectés (Têtre suspects d'avoir obéi à un mot (Tordre venu de l'étranger, et donné par V Internationale,

La preuve fut accablante : « L'interrogatoire et l'audition des témoins, dit un journal français, n'ont pas permis d'établir nettement la participation de Y Internationale, Les témoins affirment seulement la présence, en tête des ban- des, d'inconnus en blouses blanches et en casquettes. Mais aucun de ces inconnus n'a été arrêté et ne figure sur Isa


I)K I/INTEHNATIONALR. 101

bancs, » A celte question : Croyez-vous à rintervention do Y In ternationale ?nn témoin répond : « Je le crois, mais sanS' preuve. »

Peu après le massacre de la Ricamarie» la danse des rd" voiles économiques était ouverte à Lyou par les ovalistes, la plupart des femmes. Elles s'adressèrent à V Internationale, qui, principalement par ses membres de France et de Suisse, les aidèrent à supporter la lutte. En dépit des tentatives d'intimidation faites par la police, les ouvriers proclamè- rent publiquement leur adhésion à V Internationale, et y on* trèrent formellement en envoyant au Conseil général leur cotisation.

A Lyon, comme auparavant à Rouen, les femmes joué-* rent un noble et puissant rôle dans le mouvement. D'au- très métiers de Lyon suivirent Fexemple des ovalistes : et BOUS recrutâmes plus de 10,000 nouveaux membres dans cette héroïque population, qui, il y a plus de trente ans, in^ scrivait sur sa bannière le cri de guerre du prolétariat mo^ derne :

« VIVRE BN TRAVAIIXAMT OU MOURIR EN COMBÂTTART, »

Pendant tout ce temps le gouvernement français conti* nuait ses mesquines tracasseries contre Y Internationale. A Marseille, on défendait à nos membres de se réunir pour élire un délégué. Les mêmes taquineries se répétaient dans d'autres villes. Mais les ouvriers du continent, comme ceux des autres pays, commencent à comprendre enfin que le moyen le plus sûr de conquérir ses droits est de les exercer à ses risques et périls.

Les ouvriers autrichiens, spécialement ceux de Vienne,

quoique commençant leur mouvement de classe à partir des

6.


102 LE LIVRE BLEU

événements de 1866, ont déjà conquis du terrain. Ils s'enrô- lèrent du premier moment sous les étendards du socialisme et de yinternationale^ à laquelle ils se sont incorporés eii masse parleurs délégués au congrès d'Eisenach. S'il y a un pays où la bourgeoisie libérale a montré ses instincts égoïstes, son infériorité mentale et sa ridicule jalousie êontrè là classé ouvrière, c'est en Autriche. Leur ministère libéral, voyant l'empire déchiré et menacé de ruiné par uiié intestine lutte de races et de nationalités, se tourne contre lés ou- vriers, qui proclament la fraternité de toutes les raftes ei de toutes Ids nationalités. La bourgeoisie elle-même, qui a gagné sa nouvelle position non par un acte héroïque, mais par le désastre sigiiâlé dé l'armée autrichienne, à peine ca- pable de défendre ses nouvelles conquêtes contré les atta- ques de la dyiiaâtiè, de l'aristocratie et du parti clérical, dépense cependant son peu d'énergie dans de vâlns atten- tatd côiitfe le droit de coalition, de réunion publique et de nbi^e pensée des classes ouvrières.

En Autriche comme dans tous les États continentaux dô rEurop^i VIaierna$ioaa2e supplante le ci-devant spectre rouge. Quand le 13 juillet on pratiquait un petit massacre d'ouvriers à Briinn, le Cotonôpolis de la Moravie, le mal- heur était mis sur le compte de V Internationale, dont les ûgenti^ malheureusement étaient doués de l*étrangô pouvoir &e se rendi'e invisibles. Quand quelques menôurô sôcialiôtes de Vienne étaient sur les bancs de la justice, racciisàtèux' pu- blic lès stigmatisa comme instruments de l'étranger. Pour montrer combien attentivement il ËiValt étudié l'affaire^ il commit la légère erreur de prendre la bourgeoise Ligué de là paix et dô là liberté pour VAsBocîation internationale des travailleurs.


DE L'tNTERNAl^IONALE.' m

Si le mouvement ouvrier était tracassé dans rAutricfae Cis-Leithanienne, il était persécuté sans pitié en Hongrie. Sur ce point; les rapports les plus certains sont parvenus de Pesth crt de Presbourg au Conseil général. Un e:temple de lit manière dont les autorités publiques traitent les ouvriers hongrois stifûra. M. de Wenckleim, lé ministre de l'intérieur dé la Hongrie, étdt à Vienne pour rflison politique. Les ouvriers de Presbourg depuiâ des mois étaient interdits de toute réunion publique, mémo de toute fêté destinée à col- lecter de l'argent poui^ là fondation d'une société de secours ; & k fin ils envoyèrent & Vienne des délégués chargés de porter leurs plaintes devant l'illustre M. de Wenokleîm, Notre illustre, nonchalemment reposé, fumait son cigai*e ; il les ûccueiUit avec cette polie rebuffade : « Êtes- vous ou- vriers t Travôillez^vous raide?EhbienI que demandez-vous de plusf Vous n*ave2 pô& besoin de sociétés, et si vous poli- tiquéz, nouâ nous occuperons des mesures à prendre contre vous* Je ne ferai rien pour vous^ et les ouvriers peuvent grommeler à se désopiler la rate. » Les délégués lui deman- dant si le bon plaisir de la police ^devait être encore la loi suprême, le ministre libéral répondit : « Oui, sous ma res- ponsabilité. )> Après une longue et inutile explication, les ouvriers se retirèrent en disant au ministre : « Puisque les questions d'État influencent le sort des ouvriers, les ouvriers doivent s'ocouper de politique et certainement ils s'en occu- peront. *

En Prusse et dans le reste de l'Allemagne, l'année passée se distinguait par la formation de traders unions sur toute la face du pays. Dans le récent Congrès d'Eisenach, les délé- gués de cent mille ouvriers allemands, appartenant à l'Alle- magne propre, à l'Autriche et à la Suisse, ont organisé un


104 LE LIVRE BLEU

nouveau parti démocratique socialiste, avec un programne qui littéralement reproduit les principes généraux de nos statuts. Empêché par la loi de se former en sections de no- ire association, ils 8*en sont néanmoins constitués membres en prenant directement des cartes individuelles au Conseil général. Au Congrès de Barmen, V Association générale des ouvriers allemands a adhéré de nouveau aux principes de notre association, tout en déclarant que la loi prussienne leur défendait de se fusionner avec nous.

De nouvelles branches de notre association ont été fon<«  dées à Naples, en Espagne, en Hollande. A Barcelone et à Amsterdam, deux nouveaux organes de notre association ont été créés.

Les lauriers cueillis par le gouvernement belge sur les glorieux champs de bataille de Seraing et de Frameries semblent avoir troublé le sommeil des grands pouvoirs eu- ropéens. Il n*y a donc pas lieu de s'étonner, si l'Angle* terre a voulu cette année se vanter de son massacre d'ou- vriers. Les mineurs de Galles, au grand puits de Leeswood,

près de Mold dans le Denbigshire, avaient reçu de leur di- recteur Tannonce d'une soudaine diminution dans les sa- laires : depuis longtemps ils étaient habitués à le considé- rer comme un misérable et incorrigible oppresseur. Les ouvriers de toutes les mines environnantes se groupèrent, l'attaquèrent, envahirent sa maison et transportèrent ses meubles à la gare du chemin de fer : ces malheureux, dans leur ignorance enfantine, croyaient que c'était là le moyen de s'en débarrasser pour toujours. Gomme de juste, des poursuites judiciaires furent commencées contre les émeutiers. Un d'entre eux fut arraché des mains de la po- lice et transporté hors la ville. Le 28 mai, deux des chefs


DE L'INTERNATIONALE. lOô

furent traînés devant les magistrats de Mold, eseortés d'un détachement du 4* de ligne « ihe king^s own •• Une foule de mineurs essayèrent de dégager les prisonniers, la police et la troupe résistèrent ; les ouvriers les atta<{uèrent alors avec des pierres, les soldats à la grêle de pierres ré- pondirent par une grêle de balles» avec des fusils Snider. Cinq personnes, dont deux femmes, furent tuées, vn grand nombre furent blessés. Jusqu'ici l'analogie entre le massaere de Mold et celui de la Ricamerie est frappant : mais iei il cesse. En France, les soldats n'étaient responsables que de- vant leur commandant ; en Angleterre, ils durent subir une enquête judiciaire : maifl l'officier judiciaire qui en était chargé était un vieux bonhomme souri et abruti, il était (^ligéde recevoir les dépositions des témoins à travers un cornet acoustique appliqué à son oreille ; et les jurés qui donnèrent le verdict étaient imbus des préjugés de leur classe. Ils déclarèrent le massacre un « justifiable homi^ eide ». En France, les émeutiers étaient condamnés de 3 à 18 mois de prison et amnistiés peu après ; en Angleterre, ils furent condamnés à 10 ans de travaux forcés. En France la presse tout entière retentit de cris d'indignation ; en Angleterre la presse n'était que sourire pour les meurtriers et que froncement de sourcils pour les victimes • Cependant les ouvriers anglais ont gagné beaucoup en perdant une grande et dangereuse illusion : jusqu'ici ils se figuraient être plus ou moins protégés par la formalité de la loi sur les émeutes et par la subordination des militaires aux au-> torités civiles. Grâce à la déclaration faite dans la Chambre des communes par M. Bruce, le ministre libéral de l'inté- rieur, ils savent maintenant que, sans avoir besoin de lire les sommations préliminaires, n'importe quel magistrat


106 LE LIVRE BLEU

eampagnarâ, le premier ehasseur de renard ou pasteur venu -a le droit d'ordonner aux troupes de faire feu sur ce qu'il lui plairait d'appeler une foule d'émeutiers ; deuxiè- ineinent, que les soldats eux*«ni6tnes peuvent de leur pro* pre mouvement faire feu sous prétexte de défense peraoti^ nellâi Le ministre oublie d'ajouter que, dans ces cîrcon* èstanees/ chaque eitojren doit être armé aux frais publies pour se défendre contre les soldats.

Le SO août ISCQ, la résolution suivante était votée au con- grès des traders unions anglaises, tenu fi Birmingham :

i Que comme les organisations locales ont presque dis- paru devant une organisation ayant un caractère national, et coriime nous croyons que Textension du libre-échange établissant entre toutes les nations une concurrence géné- rale, les intérêts de Touvrier sont susceptibles d'être dé- daignés et sacrifiés dans la sauvage course au clocher des capitalistes, nous demandons qu'une semblable organisation soit encore élargie et de nationale devienne internationale ; que comme VAssociation- internationale des travailleurs essaye de consolider et de combiner les intérêts des masses travailleuses, qui partout sont identiques, ce congrès re- commande chaudement une telle association â tous les ou- vriers du Royaume-Uni et spécialement à tous les corps or- ganisés, et les presse fortement de s'affilier à cette société, croyant de plus que la réalisation de ces principes établira sur la terre la paix universelle . »

Pendant le mois de mai dernier, une guerre entre lés États-Unis et TAngleterre semblait imminente. Votre Con- seil général envoya une adresse à M. Sylvis, le président de VUnion nationale américaine du travail, demandant aux ouvriers des États-Unis d'ordonner la paix là où leurs maî-


DE L'INTERNATIONALE. 107

ires vociféraient : guerro I La mort soudaine de M. Sylvis, ce vaillant champion de notre cause, nous justifiera si, comme hommage à sa mémoire, nous terminons le rapport par sa réponse à notre lettre :

« Philadelphie, le 26 mai 1869. « Votre lettre du 12 présent contenant votre adresse m'est parvenue hier. Je suis heureux de recevoir des paroles si amicales de nos frères ouvriers de l'autre côté de Teau; notre cause est commune : c'est une guerre entre les pau«  vres et les riohes. Partout le travail est dam une position inférieure, partout le capital est le même tyran : c'est pour- quoi je dis que notre cause est commune. Moi, au nom du peuple ouvrier des Etats-Unis, je vous tends, et par vous à tous ceux que vous représentez, et à tous les fils et filles du travail opprimés et foulés aux pieds, la main droite de la camaraderie. Allez en avant dans la bonne œuvre que vous avez entreprise, jusqu'à ce que le plus glorieux succès couronne vos efforts. Telle est notre résolution. Notre der- nière guerre a eu pour résultat d'édifier la plus infâme aris- tocratie financière de toute la terre. Ge pouvoir monétaire pompe la substance du peuple, nous lui avons déclaré la guerre^ et pensons remporter la victoire. Nous ewayeronit d*abord le suffrage, mais s'il fait défaut, noua aurons re* cours à des moyens plus efficaces. Une petite saignée est parfois nécessaire dans lés cas désespérés* » Au nom du Conseil général,

R. APPLEGARTH, président ds la séance.

Gowell STEPNEY, trésorier. I

J. George EGGARIUS, secrétaire général.

Londres, le !•' septembre 1869. Ofiïee, t86, HiRh Hol-*

born, W« G. LondoD»


11


RAPPORTS DES SECTIONS,


Rapport du Conseil général belge.

A. Propagande.

Immédiatement après le congrès de septembre, une non- velle carrière s'offrit aux délégués des meetings. Il s^gissait de faire dans le Borinage (environs de Mons) ce qpx avait été fait pour le bassin de Gharleroi : de nombreux meetings furent organisés et tout semblait promettre de brillants succès.

Malheureusement l'homme qui le premier nous avait ap- pelés là, M. Goudray, n'était guidé que par des motifs d'in- térêt. Plein d'astuce et de dissimulation, il s'insinuait dans toutes les sections, s'attachant surtout à gagner les comités ; puis, frappant un grand coup, il les réunit au mois de jan- vier, dans une séance où ils se votèrent réciproquement dos traitements sur le pied de 1 fr. 20 par homme et par an.


DE L'INTERNATIONALE. 109

ce qui fait, pour dix mille hommes seulement, 12,000 francs rien qu'en traitements.

Devant un pareil trait une rupture était nécessaire. Les sections de Jemmapes, Cuesmes et Ghlin nous restèrent fidèles : les comités des autres suivirent M. Goudray. Nous disons les comités, car ils se gardèrent bien de faire ap- prouver leurs mesures en convoquant des assemblées.

Dans la plupart des meetings tenus par le Conseil gé* néral dans les sections dissidentes, les membres furent unanimes à flétrir ces manœuvres, mais les comités, ne voulant pas abandonner leurs traitements, profitaient de rinexpérience des membres pour rester en fonctions, en les menaçant de ne rendre ni les papiers ni les fonds s'ils étaient démissionnes. Cependant, au mois de mars, Fra- meries se détacha de M. Goudray.

Aujourd'hui, M Goudray a jeté le masque : il renie l'As- sociation internationale et avoue hautement ses attaches gouvernementales. Il a lu dernièrement dans un meeting une lettre approbative de M. le ministre Jamar. Aussi les ouvriers se détachent-ils complètement de lui. A Pàtu* rages et à ^Quaregnon, ils ont décidé la nomination d'un nouveau comité ; ailleurs, il n'a plus avec lui que ses co- mités qui seront également remplacés. De tout cela, il no restera qu'une bonne leçon pour les ouvriers borains et beaucoup d'argent perdu pour eux, car ces gens n'ont ja- mais rendu aucune espèce de comptes.

Ceci nous conduit à parler d'un événement qui s'est pro- duit au sein de la section bruxelloise. Quelques membres de cette section, membres aussi de la société le Peuple, avaient été vivement blâmés de la façon peu délicate dont

ils avaient escamoté le journal « la Tribune du Peuple, » or-

7


ilO LE LIVRE BLEV

gane de l'Association précitée. Pour aa venger, ils n'imagi^ nèrent rien de mieux que de se liguer avec M. Goudray et de Taider dans ses projets peu honorables. Cet incident amena Texolusion de cinq membres. A ceux4à se joignirent quelques mécontents qui résolurent d'élever autel oontre autel, et établirent à Bruxelles la section des Affranchie^ ou autrement encore « Branche révolutionnaire, i Malgré tous leurs efforts, ils n'ont pu rallier une seule seotion de province. Toutefois, ceci nous amenait à poser cette quea*- tion au congrès belge du 16 mai : Peut*il exister en Bel«- gique une section de rinternationale en dehors de la Fédé- ration belge 9 Cette question fui résolue négativement à Tunanimité moins deux voix, et il fui décidé que les délé<- gués belges notifieraient oetia décision au Congrès de Bâle.

Vers le mois de mars, le baçsin du Centre (entre Mons et Charleroi) nous réclama à son tour, et là, en peu de temps, se formèrent une dixaine de sections dont quelques-unes sont déjà fort importantes. Ce qui distingua la propagande dans cette partie du pays, ce fut la résistance acharnée op«  posée par la classe des exploiteurs, qui alla plus d'une fois jusqu'aux voies de fait. Les autorités et la police se mei- taient à la tête de bandes de perturbateurs. M^ Defcr, bourgmestre de Houdeng Gœgnies, non content de s'armer d'œufs crus en guise de projectiles» s'emporta jusqu'à pro- férer des menaces d'assassinat contre un délégué. Inulile de dire que ce monsieur n'a pas été inquiété par la justice. Le bassin de Charleroi continuait entre temps à être le théâtre de nombreux meetings. 11 compta jusqu'à 42 soc-* tiens locales. Quelques-unes, plus éloignées du centre, soni tombées depuis, parce qu'on fut obligé de las négliger ;


DE L'ÎNtERNATIONALE. fil

maïs il est resté dans ces localités assez de bons éléments pour pouvoir reconstituer ces sections à la première oc- casion.

Pendant que le Conseil général organisait les sections du Hàinauty la province de Liège était remuée par Factive pro- pagande des sections de Liège et de Verviers. Cette der- nière ville a groupé autour d'elle une quinzaine de sections, et avec les sections en voie de formation, on peut en comp- ter autant autour de Liège .

La fédération de la Vesdre a un journal, le Mirabeau^ paraissant deux fois par mois.

Dans la province de Namur, outre quelques villages houillers, Namur et Dinarit ont des sections en voie de for- mation.

Bruxelles s'est augmentée, depuis le dernier congrès, des sociétés suivantes : maçons, terrassiers, tisserands, chapeliers, teinturiers en peaux, mécaniciens, relieurs. Elle a fondé une section à Waterloo.

Les i^arbriers ont fondé une association de production au sein de leur société de résistance.

Quelques localités de la province de Brabant ont aussi vu naître des sections, et plusieurs meetings se sont tenus, notamment à Woluwe Saint-Pierre et Koekelberg, dans le Brabant flamand, Houtain-le-Val , Waterloo, le Ghenois, dans le Brabant wallon.

Les provinces flamandes ont moins progressé que les provinces wallonnes ; cela tient surtout à la difficulté qu'il y a de porter ses efforts de tous côtés à la fois. Anvers s'est notablement développée : une des meilleures acqui- sitions de la section a été celle de la société des ciga- riers, au nombre de 400 membres. La section d'Anvers a


112 LE LIVRE BLEU

ua journal hebdomadaire flamand, le Werker, À Gand, le Werkerabond (Union ouvrière) composée d'une fédération de sociétés, ouvrières s'est affilié à T Internationale.

A Bruges, plusieurs sociétés ouvrières, ont adhéré à Tin- têrnationale.

Outre les localités où il existe des sections cousti- tuées, il en est bon nombre où nous comptons des pai*ti- sans, mais où il ne nous a pas encore été possible de nous rendre.-

En résumé, les provinces de Liège et de Hainaut appar* tiennent presq[ue tout entières à l'Internationale, et nous sommes attendus dans les autres. Même là où jamais un membre de Tlnternationale n'a pénétré, les ouvriers ne parlent que d'ËUe, n'ont espérance qu'en Elle; déjà nos forces contrebalancent celles de la réaction : elles ne tar- deront pas à les dépasser.


B. Ilrganlsatioa .

Jusqu'au dernier congrès la section bruxelloise a rempli le rôle de section centrale. Le nombre des sections s'ac- croissant toujours, ce mode d'organisation présenta des inconvénients nombreux. La section bruxelloise, absorbée par la province, ne pouvait, ni s'occuper de ses propres affaires, ni conduire celles de la fédération belge avec toute la célérité désirable.

Le congrès belge du 25 décembre 1868 para à cette dif- ficulté par l'élection d'un conseil général de dix-sept mem- bres, nommés pour un an. Ce conseil général reçut pour


DE L'INTERNATIONALE. tl8

attribution la propagande et les rapports entre les sections de l'intérieur et avec celles de l'extérieur. La création d'un journal, Y Internationale y fut décidée, et la rédaction en fut confiée au conseil général belge. Ce conseil est sous la sur- veillance du congrès belge, formé d'un délégué par sectioYi et se réunissant deux fois par an.

Les sections furent en outre fédérées par bassins indus- triels. 11 y en eut d'abord quatre dans le bassin de Ghar- leroi ; elles furent réduites à deux dont les centres sont Gilly et Dampremy. Une dans le Borinage : centre, Jem- mapes. Une dans le bassin de la Vesdre : centre, Verviers. Une dans le bassin de Liège : centre, Liège. Le centre va bientôt aussi être organisé en fédération. Ces sections tiennent des congrès, les unes mensuellement, les autres trimestriellement. Chacun des centres a un conseil fédéral permanent.

En outre les sections de Bruxelles, Liège, Gand, Anvers et Bruges sont organisées en fédérations de corps de mé- tier. Un conseil fédéral, formé des délégués des unions ou- vrières, y siège à côté du comité administratif.

Bien que chaque section soit libre de s'organiser à sa manière, chez presque toutes l'exemple démocratique donné par la section bruxelloise a prévalu. Non-seulement il n'y a point de présidents, mais les comités n'ont d'autre mis- sion que d'exécuter les volontés de l'assemblée générale. Toutes les délibérations sont publiques pour les membres, depuis celles des comités de corps de métier jusqu'à celles du conseil général. Les comités ne peuvent prendre aucune mesure, aucune dépense, qui n'ait été votée en assemblée générale. C'est véritablement pour les travailleurs un self- government.


114 LE LIVHfi BLEIJ^


Grève des tisserands à Gand. — Avec Faide des sections de toute la Belgique, après plusieurs mois de lutte d'atelier en atelier, les ouvriers ont abouti 'partout à obtenir Faug- mentation qu'ils réclamaient. I^a grève des fileurs de Pe- pinster s'est terminée par une transaction à Famiable entre les ouvriers et leur patron .

En revanche, la grève des tisserands à Hodimont-lez- Verviers n'a pas réussi : toutefois les ouvriers n'ont pas consenti à rentrer chez leur patron, et ont préféré aller chercher dé l'ouvrage ailleurs. La grève des ouvriers voi- liers d'Anvers a abouti à la formation d'une société coopé* rative de production. Bien que cette société ait été entravée par toutes sortes de persécutions, elle lutte courageuse- ment et espère bien prendre le dessus.


D. €rrè¥es de fierainnp et da Borinai^e. -^ Poursuites

contre l'Internatlouale.


Le pouvoir, inquiet de nos succès et ne pouvant pas, à cause du droit d'association, empêcher notre propagande, guettait une occasion de nous prendre par surprise, et crut l'avoir trouvée lors des grèves de Seraing et du Borinage. Quelle que soit l'importance de ce sujet, nous ne le traite- rons que brièvement, nous en étant longuement expliqués dans le journal V Internationale,

Des exigences insupportables forcent les ouvriers pud« 


DE L'INTERNATIONALE. m

dleurs de lA société Gockerill à se mettre on grève. Des conseils, que nous avons lieu de croire intéressés et per- fides, poussent les mineurs à eh faire autant, alors que le moment était on ne peut plus mal choisi pour ces der* niers.

La troupe, envoyée en hâte sur les lieux, alors que rien ne réclamait son concouVs, pour riposter à quelques pierres lancées au hasard, ensanglante les rues de Soraing durant quatre nuits.

Simultanément une grève de houilleurs éclatait au Flénu de Jemmapes, et s'étendait bientôt à tout le Borinage* A Seraing, c'étaient les baïonnettes qui avaient fonctionné ; à Frameries Ton fusille. Au bois de Wasmes, nombre d'ou- vriers s^étaient réfugiés ; on entoure le bois, et on le fouille à la baïonnette.

Dans cette circonstance^ l'Internationale fit son possible pour engager les ouvriers au calme, ce qui n' empocha pas le pouvoir de l'accuser d'avoir poussé à la révolte.

Le samedi, 17 avril, des perquisitions étaient faites ches tous les membres du conseil général, et le secrétaire gé- néral Hins, qui avait convoqué des meetings à Seraing et a Jemmapes pour apaiser les ouvriers, surexcités par tant d'horreurs, était mis en arrestation. Le lundi, on arrêtait, à Bruxelles, Groisier, qui, la veille, avait tenu des meetings à Cuesmes et à Frameries. Le même jour, Splingard était ar- rêté en plein meeting à Wasmes. Le mandat d'amener de tous trois portait cette étrange accusation : t prévenus d'avoir formé une association ayant pour but d'attenter aux person~ nés et aux propriétés ; » en d'autres termes, on les considé- rait comme des brigands. Après un mois de prison préventive, on les relâcha, sans


lie LE LIVRE BLEU

leur avoir donné, en aucune manière, une raison plausible de leur arrestation.

Les membres du conseil général furent appelés Tun après l'autre devant le juge d*instruction, puis il ne fut plus question de rien. Nos papiers sont toujours dans la main de ces gens-là : ils ne peuvent nous déclarer coupables, et il leur répugne de nous avouer innocents. Le pouvoir, en l'absence de lois spéciales, avait voulu profiter des pouvoirs exorbitants du parcpiet pour faire de l'arbitraire à sa guise; puis, incapable de trouver un prétexte pour nous con- damner; il abandonne l'affaire.

Ces mesures arbitraires n^ont fait que stimuler davantage Fardeur des membres de F Internationale y en même temps qu'elles ont montré k leurs ennemis effrayés la force de cette association naissante déjà capable de résister à tous les chocs. Désormais elle défie les persécutions, et bientôt même elle inspirera tant de terreur à ses ennemis que ceux- ci n'oseront plus la persécuter. Elle a pris pour devise ce mot de Danton : « De i^'audage, de l'audace, et encore de

L*AUDACE. »

Le délégué, EUGÈNE HINS.

Eapport au Conseil général de f Association internationale des travailleurs sur F état du bureau correspondant de Marseille K

Citoyens, Après douze longs mois de sommeil, l'Association inter-

i Ce rapport et l'adresse des marins de Marseille ont été lus par Albert Richard dans la troisième séance du congrès (7 septembre


DE L'INTERNATIONALE. 417

nationale des travailleurs s'est réveillée à Marseille au milieu de Tagitation générale qu'elle a heureusement créée parmi les travailleurs de toutes les nations civilisées.

Le bureau correspondant de Marseille a été seulement installé en cette ville dans le courant du mois d'août, au moment même où les principes de l'Association ouvrière, telle que nous la comprenons, se réalisaient en passant dans la pratique. Le bureau correspondant devint naturellement le centre générateur du mouvement socialiste qui, dès au- jourd'hui , est sérieusement développé et promet pour l'a- venir prochain d'heureux résultats.

Trois corporations à peine organisées, sous F égide de notre association, ont adhéré spontanément à son principe. Dans les rares intervalles que nous laisse le soin de ces organisa- tions^ nous avons recueilli quelques adhésions individuelles qui iront en s'augmentant sur une échelle considérable.

Ainsi, les vanniers, les chaisiers et les marins font dé- sormais partie de la grande famille, qui bientôt sera unique parce qu'elle unira par un même lien les travailleurs des deux mondes. Inutile de faire ressortirl'importance de l'ad- hésion des travailleurs matelots ; d'ailleurs les pièces qu'ils nous font parvenir, pour en saisir le Congrès, ont une élo- quence originale que nous ne voulons pas déflorer.

Avantpeu et aussitôt organisés fédérativement, les travail- leurs marseillais enverront, nous respérons, une adhésion collective à l'Association internationale, et dès ce moment le lien créé sera indestructible.

Salut et fraternité!

Le correspondant,

BASTELIGA.

7.


118 LE LIVRE BLEU


Adresse des marins Français de cette ville.

Marseille, le 2 septembre 1869.

Aux délégués! des corporations ouvrières au Congrès in- ternational de Bàle, les membres de Tunion des marins français, salut et fraternité I

Citoyens et frères, Animés do l'esprit de solidarité qui doit unir tous les prolétaires, partout victimes de Texploitation de l'homme par riiomme, nous venons apporter à votre assemblée le

concours de notre adhésion morale.

Grâce à des préjugés indignes de nous, et habilement entretenus par ceux qui ont intérêt à nous diviser, nous avons jusqu'à ce jour formé une catégorie à part, distincte de celle des autres ouvriers. Un emblème nous éloignait les uns des autres ! .

Comme le vôtre cependant, souffrance et misère, tel a été et tel est encore notre sort. Comme le vôtre, Revendi- cation sociale, tel est le programme que nous avons inscrit sur notre, drapeau !

Il est temps que nous fassions litière des barrières qui nous séparaient; qu'il n*y ait plus à partir de ce jour ni ma- telots ni ouvriers ; qu'il n'y ait plus que des travailleurs trop longtemps abusés, et ponrsiiivontle but commun : Tavéne- ment de la Justice,

Espoir et Courage.

Au nom de l'Union des marins français. Les membres du conseil.

{Suivent les signatures.)


DE L'iNTfîftNÀTÏONALE. 119


Rapport sur la corporation des ovaliatea de Lyon,

La corporation ouvrière au nom de laquelle je viens ex-* poser des griefs au sein du Congrès est intéressante à plu- sieurs points de vue. C'est d*abord une corporation où la majorité est composée de femmes. C'est à ce titre que je réclame tour à tour au nom de ces malheureuses, d'abord la pitié universelle pour elles, ensuite la réprobation générale pour leurs oppresseurs*

En économie sociale, il est établi sans conteste que la femme qui est obligée de travailler pour subvenir à ses be- soins les plus impérieux, établit par ce seul fait une oou- currence dangereuse pour le travail de l'homme. D'un côté| avec l'organisation politique et sociale actuelle, il est im- possible qu'il en soit autrement. Les gouvernements et les capitalistes, dispensateurs de la fortune publique, ont eu soin de créer cet amalgamme où la fatalité semble jouer le plus grand rôle ; de sorte que, pour tout individu qui n'est pas tout à fait dépourvu de bon sens ou de bonne foi, la ques- tion se pose claire, incisive, pressante. D'où vient le mal ? Tout le monde le sait. Quel est le remède ? Tout le monde hésite à se prononcer. A quoi tient cet état de choses ? A ce que le plus grand nombre des capitalistes et des théoriciens se sont contentés de signaler les anomalies qui pèsent sur l'existence des travailleurs sans que presque jamais aucun d'eux ait pu trouver le moyen d'arriver à une solution pra- tique. Et pour quelle cause ? Parce que la plupart, pour ne pas dire tous, ont complètement ignoré les premières no- tions de ce qui constitue un travailleur proprement dit.


120 LE LIVRE BLEU

Découvrir un système, c'est bien , le mettre en pratique, c'est mieux. Or, tout ce qui a été dit et écrit, depuis le pre- mier des économistes jusqu'au dernier, n'a abouti jusqu'à présent qu'à faire entrevoir aux malheureux dépossédés de la terre un avenir si lointain et si confus, que le découra- gement s'empare par moments du plus grand nombre.

En voyant l'état d'exploitation et d'asservissement où sont plongées les malheureuses au nom desquelles je parle, l'on se demande si la barbarie de l'état sauvage n'est pas préfé- rable à cette civilisation mensongère et inhumaine dont se vantent avec tant d'orgueil les nations européennes ! ! 1

Avant 1848, en France, les malheureuses assujetties à cette industrie meurtrière travaillaient, dans les villes, seize heures par jour, à 1 fr. 25 c. environ. Dans les cam- pagnes, où aucune police ne surveillait la cupidité des pa- trons, elles travaillaient dix-sept heures, et les meilleures ouvrières gagnaient de 18 à 22 francs par mois. Ce n'est pas tout, pour complaire à son patron, le garde-chiourne de ces bagnes inavoués, ou, si l'on veut, le contre-maître, trouvait encore le moyen, par des manœuvres infernales, de leur voler deux heures par jour, ce qui, tout compte fait, portait la journée à 18 et 19 heures I Et pour pousser l'a- bomination à son comble, on rencontrait, et on rencontre encore, de jeunes ouvrières de 9, 10 et 11 ans I... Que Ton vienne nous dire encore après cela que nous vivons sous des gouvernements libéraux 1 Que l'on vienne nous dire encore que les commerçants et les industriels qui ac- caparent les millions au prix de tant d'atrocités sont d'hon- nêtes gens ! Un homme qui, dans un mouvement de colère, portera à son semblable un coup pouvant porter atteinte à sa santé ou à sa vie sera traduit devant les tribunaux, con-


DE L'INTERNATIONALE. 121

damné comme, un misérable dangereux pour la société, et ce sera justice : et tous ces vampires qui se vautrent dans un luxe insultant, et qui, de propos délibéré, assassi- nent indirectement des milliers de producteurs, passeraient impunément pour d'honorables citoyens ! Mais alors, logi- que, où es-tu ?

En 1848, une grève éclata, de justes réclamations se fi- rent entendre, et après quelques jours de lutte, la journée fut réduite de deux heures pour les ouvriers de Lyon. Cette nouvelle condition a duré jusqu'au commencement de juil- let 1869, époque à laquelle de nouvelles réclamations ont été adressées aux patrons. Après un mois ou cinq semaines de lutte, la grève s'est terminée par une diminution de tra- vail de deux heures. Bref, on en est arrivé à obtenir de ne travailler que 10 heures par jour. Quant au prix de la journée, il est resté à peu près ce qu'il était avant la grève.

Quelques jours de prison pour les unes, quelques jours de famine pour beaucoup d'autres, tel a été le prix auquel s'est fait cette conquête.

Après avoir vu rapidement l'état de ces malheureuses au point de vue matériel, jetons un coup d'œil sur le côté moral. Ces forçats féminins, après avoir rempli cette jour- née de labeur, sont réduites le soir à monter sous les com- bles des maisons qui leur servent d'ateliers, dans des che- nils qui leur servent de dortoirs. Là, elles trouvent un

  • grabat dont le linge n'est changé que tous les trois mois et

le plus souvent tous les six mois. Quant aux accessoires, ils ne sont changés ou appropriés que lorsqu'on est obligé de les remplacer complètement. Tous les insectes de la créa- tion, pour me servir d'une expression vulgaire, habitent ces lieux infects, de sorte qu'après avoir épuisé leur corps,


lit LB LIVRE BLEU

en travaillant toute la journée pour entretonir le lute des parasites, elles sont obligées de le donner, la nuit, en pâture à la vermine

L'ignorance est encore T apanage de cette classe de la so- ciété. Sur mille, Ton en trouvera quarante environ sachant un peu lire, mais on n'en trouvera peut-être pas dix sachant signer leur nom ! Comment pourrait-il en être autrement, puisque dès l'âge de 8 à 9 ans des parents aussi stupides qu'elles les sacrifient déjà comme instruments de produc- tion, et les livrent à la merci d'individus sans entrailles qui n'ont pas honte de pratiquer la traite des blancs en plein dix-neuvième siècle ! De là cette pauvreté d'intelligence qui fait bientôt d'elles des créatures dégradées au moral comme au physique. Ainsi, immoralité faute d'instruction, souf^ f rances physiques par l'excès du travail au-dessous de l'âge voulu, insuffisance de gain comme salaire pour le genre de travail qu'elles font; voilà les causes capitales qui font de ces pauvres créatures le jouet de toutes les passions mauvai- ses de la société. Une grande partie d'entre elles peuplent les hospices , beaucoup d'autres se font condamner pour infan- ticide, de sorte que l'on peut considérer les prisons et les ho»* pices comme les asiles de retraite de ces victimes du travail I

Nous ne ferons pas comme ces juges nommés par le bon plaisir do quelques tètes couronnées. Nous ne dirons pas que pour tel ou tel motif nous sommes obligés de jeter un voile sur les griefs que la justice humaine nous force de dénon- cer. Nous venons au contraire, avec toute la brutalité des faits, exposer devant les assises du travail tout ce qu'il y a d'horrible, pour ne pas dire plus, dans la position insou- tenable qui est faite au plus grand nombre par l'organisatioa anarchique sous laquelle nous vivons.


DE L'INTBRNATIONâLE. liS

Nous voudriens pouvoir faire en sorte que Tindignation qui nous exaspère s'innoculât immédiatement dans les veines de tous les travailleurs 1 ! !

Pour remédier au plus tôt à cet état de choses, il ne s'agit pas de savoir si tel système économique est meilleur que tel autre, nous devons nous occuper sérieusement et d'urgence d'organiser, par tous les moyens possibles, un programme qui nous permette de mettre à la disposition d'une corporation quelconque des secours immédiats pour l'aidera secouer le joug de Texploitation. Presque tous les économistes s'acharnent à trouver la solution complète du système économique social, mais malheureusement presque pas un ne s'occupe de ^organisation matérielle de son sys- tème. Cependant nous savons par l'expérience que le peuple n'a pas toujours le temps d'attendre que les rêveries des penseurs de tous les pays se changent en réalités. La misère et la faim rendent l'homme impatient ou l'abrutis- sent. Les grandes fortunes rendent l'homme orgueilleux et égoïste, par conséquent nuisible. Trouver la solution de ce problème n'est pas diflicile, les autres améliorations vien- draient ensuite d'elles-mêmes.

Il me reste un devoir impérieux à remplir ; c'est celui d'adresser, au nom de la corporation que je représente, tous les sentiments de reconnaissance l'r éternelle dont sont ani- més ses membres envers les généreuses sections de l'In- ternationale qui ont donné un témoignage si éclatant de leurs sentiments de solidarité.

Lyon, le 3 septembre 1869.

Lo délégué^

LOUIS PALIX.


124 LE LIVRE BLEU

Rapport de la Société des marbriers de Paris,

Citoyens,

Les ouvriers marbriers de Paris ont tenu à se faire repré- senter tout particulièrement au Congrès :

lo Parce que la chambre syndicale de la marbrerie vient de subir une double épreuve de résistance semi-loyale, et j'emploie ce mot avec intention, car vous n'ignorez pas que les ailes de la liberté d'association en France ne sont pas encore poussées ;

2° Parce qu'ils sont à la veille d'en recommencer une troi- sième, et qu'ils ont besoin de faire connaître à leurs frèresu de tous les pays les détails de la tâche qu'ils ont entreprise, afin de resserrer les liens qui doivent les unir pour la dé- fense de leurs intérêts internationaux et professionnels.

La lutte que nous avons soutenue, avec toute la sagesse que donne la conviction du droit et de la justice, a réussi au delà de nos prévisions ; nous avons procédé rapidement, et cependant nous étions bien jeunes, notre chambre syndicale n'avait pas encore de dents : elle était sans argent. Mais le sentiment de la solidarité s'était éveillé parmi les marbriers à la voix des syndics qu'ils s'étaient choisis, et encore aussi à celle des délégués de différentes professions.

En quinze jours, les conscrits de la revendication étaient devenus des héros, prêts à tout sacrifier pour faire triom- pher leurs justes réclamations. Tout allait pour le mieux, lorsqu'au milieu de leur pacifique combat, lorsqu' aucun acte

portant atteinte à la liberté du travail individuel n'avait été commis, lorsque nous n'avions décidé la cessation du tra-


LE L'INTERNATIONALE. 125

vail qu'après avoir épuisé tous les moyens do conciliation pour obtenir de nos patrons des concessions légitimes, nous avons été victimes de rigueurs extrajudiciaires.

Nos livres de comptabilité, nos papiers ont été saisis, nos domiciles soumis aux perquisitions, notre correspondance intime fouillée et emportée à demi, à la volonté des agents chargés de cette triste mission.

On nous avait mis dans le dénûment le plus complet, non parce qu'on avait saisi la caisse (il n'y en avait pas au siège social, elle était en sûreté dans la poche de tous les adhé* rents qui n'ont pas manqué à leur devoir), mais parce qu'on avait placé les syndics dans la situation la plus équivoque en les mettant dans l'incapacité de demander ou de rendre des comptes.

Lorsque l'on songe aux bruits calomnieux que ceux qui nous combattent ont l'habitude de répandre parmi les ou- vriers pour les diviser, on voit que cette mesure de police était un coup à nous retirer en une heure la confiance de nos collègues.

Les fabricants triomphaient, partout on répandait le bruit de notre prochaine arrestation, et tout cela au milieu de notre deuxième grève!

Eh bien 1 citoyens, la solidarité morale a fait merveille, pas comme les chassepots, entendons-nous. Les chambres syndicales parisiennes, les caisses de solidarité se sont émues, toutes étaient attaquées dans la chambre syndicale des marbriers. Pendant un mois, tous les Journaux ont publié leurs protestations, on ne pouvait les repousser. Les ouvriers demandaient compte à l'administration de la valeur de ses promesses, de ne pas intervenir dans les différends qui pourraient s'élever entre patrons et ouvriers ; elle de-


m LE LIVAB BLBU

vait latdser à chacun pleine et entière liberté de défendre ses intérêts et elle attaquait les syndicats par une saisie!...

La tolérance q[ue depuis longtemps Tadministration avait accordée uniquement aux patrons, elle n'a pas osé la leur retirer ; il lui a bien fallu la laisser aux ouvriers qui avaient pris la liberté de s'en servir avec la ferme volonté de la transformer, au profit de tous, en droit d^association*

Nous avons lutté, et nos frères de la marbrerie n'ont pas c6ssé pendant la lutte d'être encouragés par les Offres de fonds d'un grand nombre de groupes solidaires.

L'esprit de l'œuvre de la société internationale des tra** vailleurs n^était pas mort dans les coups portés au comité de Paris.

On enchaîne les novateurs qui prêchent le règne de la liberté, de la paix, de la raison, de la science et de la justice ; on les tue parfois, mais leur pensée vivifie et éclaire les peuples de l'avenir en dépit de toutes les oppres** siohs.

Instruits par les leçons du passé, soutenus moralement par la solidarité, sans nous préoccuper des dangers du pré- sent, nous avons posé carrément nos conditions aux patrona qui nous exploitaient depuis nombre d'années.

Voici en quelques mots les motifs de nos contestations, sur lesquels nous appelons l'attention fraternelle des marbriers du monde entier en général et de ceux de la Belgique, nos plus proches voisins, en particulier.

A Paris, il y a six mois, la journée des marbriers et po- lisseurs variait, pour 40 heures de travail, de 5 fr. 50 à 4 fr. 50. On travaillait généralement aux pièces, on faisait des heures supplémentaires, enfin on travaillait le dimanche^

Aujourd'hui, après deux mois de résistance, nous avons


DE L'INTERNATIONALE. 1S7

(^)tenu en principe dans deux spécialités de notre industrie, la cheminée et le meuble, les résultats suivants :

lo Suppression des heures supplémentaires et du travail du dimanche.

2o Généralisation du travail à la journée.

Augmentation de 1 franc par jour pour les marbriers, et 1 fr« 25 c. pour les polisseurs.

he nombre des dissidents à la caisse générale a été exces- sivement minime, et déjà nombre de ceux qui avaient refusé leur concours dans les deux premières grèves se font inscrire pour la défense des iûtérôtfi des marbriers de la pendule.

Vous remarquerez, citoyens, que je ne vous ai donné au- cun détail sur les motifs qui nous ont déterminé à réclamer la réduction des heures de travail ; ils ont été trop sage- ment étudiés Tannée dernière au dernier congrès de Bruxel- les et trop bien compris par la totalité du monde entier, pour qu'il me soit nécessaire de m'y arrêter.

Je me contenterai donc de résumer la prolongation du temps employé chaque jour au travail par ces quatre points :

1° Antagonisme continuel entre tous les ouvriers cher- chant à accaparer le travail.

2» Abondance de besogne pour les uns, et chômage pour le plus grand nombre.

3<» Misère pour tous, inquiétude constante pour la satis- faction des besoins les plus impérieux, facilitant les moyens d'exploiter Vhomme par le capital,

4*> Servitude corporelle et morale, et ignorance complète des travailleurs, privés du temps nécessaire pour s'in- struire et vivre en famille.


128 LE LIVRE BLEU

Il ne nous reste plus qu'à nous occuper de la troisième spécialité de notre profession, c'est-à-dire des marbriers - penduliers. Ici se présentent de nouvelles difficultés. La lecture des résolutions prises dans la dernière séance du syndicat des marbriers vous fera comprendre plus facile- ment que la question que nous avons à résoudre est d'un intérêt universel, et qu'elle n'a pas encore été^ traitée dans les congrès ouvriers.


Aax Harbriera de Paris.

Citoyens,

La chambre syndicale des ouvriers marbriers de Paris, appelée à discuter sur les réclamations des ouvriers mar- briers-penduliers, propose à l'assemblée générale d'adopter les résolutions suivantes :

Considérant que le plus grand nombre des ouvriers polis- seurs de pendules travaillent chez eux à fapon et que beau- coup de femmes sont employées chez elles à cette besogne ;

Considérant qu'il est matériellement impossible, quant à présent, de contraindre patrons et ouvriers à supprimer le travail en chambre et à le remplacer instantanément par le travail à la journée dans les ateliers ;

Considérant que, cela même fût-il possible, ce serait pri- ver injustement les femmes des ressources d'un métier qu'elles professent depuis longtemps;

Considérant que la question du travail à façon est d'une grande importance et présente des difficultés sérieuses in- téressant une foule de professions qui occupent beaucoup de façonniers ;


DE L'INTERNATIONALE. 129

Considérant que les ouvriers façonniers ne peuvent être soumis à la surveillance fraternelle exigée pour la réussite des revendications collectives, puisqu'ils travaillent chez eux en toute liberté et que souvent ils fabriquent à leur compte des objets qu'ils vont offrir et vendre au prix qu'il leur convient;

Considérant que la rentrée des ouvriers à façon dans les ateliers ne pourra s'opérer qu'à la double condition que la solidarité sera assez étroitement établie entre eux pour qu'ils renoncent volontairement à leur mode de travail, et que les patrons disposeront leurs ateliers pour les y rece- voir;

Considérant que ces deux conditions sont loin d'être éta- blies, et qu'il n'est pas prouvé que la rentrée dans les ate- liers d'un grand nombre d'ouvriers qui travaillent en liberté chez eux soit complètement indispensable pour assurer la solidarité générale des travailleur ;

Considérant qu'il est du devoir de la chambre syndicale de n'abandonner aucune fraction des ouvriers qui ont con- couru à la défense de l'intérêt commun, que l'assemblée générale du 22 août a décidé la mise à l'étude delà suppres- sion du travail à façon de la marbrerie ;

Considérant en outre qu'un petit nombre de polisseurs est employé aujourd'hui dans les ateliers ;

Par ces motifs et d'autres à développer :

La chambre syndicale déclare, que quant à présent la suppression du travail à façon et la rentrée dans les ateliers sont impossibles, et qu'il serait inopportun et tout à fait con- traire aux intérêts de la collectivité d'entrer à ce sujet en négociations avec les patrons.

La chambre décide qu'une enquête est ouverte dès au-


190 LE LÎVRË BLEU

jourd'hui pour Tétude dea moyoûs à employer pour établir la solidarité et orgauisor le contrôle du travail des ou- vrière et ouvrières à façou de la [marbrerie. Elle invite à cet effet les ouvriers des autres professions à limiter et à lui fournir tous les renseignements à la solution de cette question.

La chambre décide en outre que le salaire des ouvriers marbriers et polisseurs en pendules n'étant pas en rapport avec leurs besoins, essentiels, il y a lieu de consulter l'as- semblée générale pour savoir s*il est urgent de prendre toutes mesures immédiates pour obtenir Taugmentation de salaire accordée par les patrons des deux autres parties de Findustrie de la marbrerie de Paris, Ces résolutions ont été cidoptées à Tunanimité^

Citoyens,

Pardonnez-moi si j'ai abusé de vos instants pour vous occuper de nos intérêts particuliers, mais j'ai cra et Je crois encore que jamais occasion plus belle ne peut être offerte à un groupe d'exposer les embarras de sa situation devant une assemblée de travailleurs plus compétente.

Le succès de notre entreprise dépend du concours de la solidarité internationale. C'est ici que ses représentants sont réunis; c'est ici que je dois faire appel à nos frères de la Belgique. G*est aux marbriers belges, que je dois dire : nous avons vaincu l'exploitation à Paris par Tunion, ne soyez pas les instruments qui doivent servir à détruire ce que nous avons élevé.

L'homme isolé dans la société est vaincu, le peuple isolé dans l'humanité est u n peuple mort.


DE L'INTERNATIONALE. Ui

Vous connaissez la puissance du capital. Vous savea toutes les ressources productives de la Belgique en matière de marbrerie; vous savez que les ouvriers belges sont mal payés , que les moyens de transport sont faciles, que dans bien des cas enfin nos patrons pourraient chercher à reve- nir sur les concessions (pi'ils nous ont faites s'ils peuvent tirer leurs produits ou leurs ouvriers de la Belgique.

Les misères causées par la concurrence commerciale sont incommensurables, les larmes du travailleur pourraient seules en faire comprendre la profondeur.

G*est donc à vous, marbriers nos frères, voua qui pouvez en liberté adhérer à la société internationale^ de revendiquer un salaire correspondant au nôtre, aûn de mettre à néant les tentatives cupides des riches exploiteui*s : les marbriers français.

Notre profession, en me choisissant, a voulu prouver que l'esprit de nationalité avait disparu, puisqu'elle a tenu à se faire représenter au Congrès par un étranger qu'elle avait déjà choisi comme président de son syndicat.

Pour moi, citoyens, ma tâche est terminée. Je n*ai pas l'habitude de la parole et je viens ici chercher la lumière ; mais ce que j'ai à oœur de vous dire, c'est que notre pro- fession a les yeux fixés sur vous et qu'elle attend avec anxiété les résolutions du Congrès.

Si la question pratique m*a été dévolue, c'est qu'elle comptait sur mes collègues pour Tétude des questions d'é- conomie sociale.

Jamais les marbriers n'ont cru que la solidarité n'avait pour but que l'élévation du salaire et poiir moyen que les grèves ; ils savent, et ils vont tenter de l'éprouver, que l'as- sociation des efforts productifs peut seule nous amener à


132 LE LIVRE BLEU

l'émancipation en assurant à chacun la juste rétribution de ses labeurs.

Je terminerai donc en vous disant en leur nom, travail- leurs délégués de tous les pays, si les ouvriers français ne peuvent combattre ostensiblement dans vos rangs pour la revendication de toutes les libertés sociales et politiques, ils sont de cœur avec vous.

Ils ont confiance et espoir dans Fentreprise gigantesque de la Société internationale des travailleurs, et une admi- ration sans borne pour le courage et le dévouement de ceux qui soutiennent son drapeau malgré tous les efforts de Toppression.

Ils comptent enfin sur la solidarité des travailleurs du monde entier pour opérer la transformation sociale sans révolution brutale.

Le délégué.

FLA.HAUT.

Situation du bureau de Paris.

Le citoyen Murât a la parole. Il explique en quelques mots la situation des sociétés ouvrières parisiennes :

« Après la dissolution du bureau de Paris par la justice « française, Tesprit de l'Internationale s'est répandu dans « toutes les sociétés ouvrières ; différents petits groupes de « notre association se reforment; les sociétés de Paris, « quoique partageant nos principes, n'ont pas encore effecti- « vement adhéré à l'Internationale parce qu'elles veulent se « fédérer entre elles, ce qui serait déjà fait sans l'interven- « tion de la police lors des dernières élections, ainsi que


DE L'INTERNATIONALE. 133

c Taflirme le manifeste qu'elles viennent de publier ; sans « ces entraves elles auraient adhéré en masse. »

Il parle de la grève de Barcelone, qu'un journal français, le Réveil y a dit avoir été fomentée par F Internationale. Deux autres versions peu probables ont circulé. La première at- tribuait la grève aux partisans d'Isabelle : il croit les ou- vriers de Barcelone trop républicains pour que ce soit vrai; la deuxième, que ce ne pouvait être autres que les manu- facturiers anglais : il ne le croit pas plus, parce qu'il sait les ouvriers espagnols trop patriotiques pour cela.

Il croit, en sa qualité de fondé de pouvoirs du conseil géné- ral, devoir répondre à toutes ces calomnies, qui ne devraient pas ôtre répandues par des journaux républicains; on le comprendrait des organes bonapartistes. Il a écrit à ce sujet une lettre un peu vive peut-être qui a été suivie d'une ré- ponse brutale ; cependant, puisque ni les délégués de Ge- nève, ni ceux de Barcelone n'ont parlé de ce fait, c'est qu'il ne s'était pas trompé.

Dans la séance du 9, Yarlin complète ce qu'a dit Murât sur V Internationale de Paris.

Il fait ressortir combien la dissolution violente du bureau de Paris a produit d'heureux effets au point de vue de la propagande en faveur de l'Internationale. Beaucoup de travailleurs ne s'étaient jamais occupés de l'Association avant la condamnation : ils sont venus, dès ce moment, demander à adhérer, si cela était encore possible. Pour ious Jes ouvriers, F Association continuait d^ exister : son idée se répandait et la perpétuait dans les masses^ aussi bien qu'aux yeux de la bourgeoisie inquiète. Tous les mem- bres da bureau de Paris ont fait ce qu'ils ont pu pour ré- pandre les principes, en affirmant la solidarité internatio-


iS4 LE LIVRE BLEU

naïe ; parfont ils ont cherché, malgré les entraves, à créer des liens entre toutes les sociétés ouvrières; et quand les travailleurs venaient s'adresser à eux, ce n'était plus, il est vrai, le bureau de Paris, supprimé de par la loi, qui pre- nait leur cause en main, mais les anciens membres dudit bureau.

Deux sociétés d'études se sont fondées : Le Cercle dé^ tudes sociales, et les Travailleurs^ Unis, toutes deux vien- nent d'envoyer leur adhésion à Flntemationale.

Il raconte les efforts des sociétés coopératives pour se* couder le mouvement provoqué par Tlntemationale, et dans rintention bien arrêtée d'arriver à obtenir une adhé- sion directe. Déjà la société des lithographes a voté son adhésion : la société des relieurs qu'il représente n'est donc pas la seule affiliée en bloc.

Il est plus que probable, ajoute-t-il, qu'au retour de Bâle, les délégués entraîneront les autres corporations à faire de môme ; il dit en terminant que F Association internationale n'est pas morte à Paris ; qa^an contraire elle y est plus vivace que jamais.


  • Section de Bâle.

Lorsque la grève de Bâle éclata, les bourgeois de cette ville croyaient à une révolution : c'est ce qui explique l'at- titude arrogante de ces messieurs dans le conflit écono- mique qui a agité cette ville pendant plusieurs semaines ; cependant, malgré le résultat en apparence négatif de la grève, les ouvriers y ont gagné un léger adoucissement : différentes sociétés ouvrières se sont formées, et conti-


DE L'INTERNATIONALE. 185

naent à se former depuis cette époque» mais on ne peut en- core les considérer comme une force pour l'Internationale. Après les manifestations pacifiques du congrès, elles n'hési* teront pas à venir adhérer à notre association.

Le délégué^

BRUHIN.

Rapport des délégués du centre fédéral des sociétés ouvriè- res de Barcelone.

Compagnons,

Les sociétés ouvrières de l'Espagne jouissaient, à l'époque du précédent congrès de l'Association internationale, comme vous le savez, de peu de liberté, et, par conséquent, de peu de vie.

Profitant d'un mouvement de la politique militaire, le peuple est parvenu à détruire le trône qui opprimait tou- jours les forces vives du travail.

Les effets bienfaisants de la liberté ont donné une grande solidarité et une grande force aux sociétés peu nombreuses qui ont su résister à cette longue période d'oppression. D'abord furent instituées des sociétés de tout genre, non- seulement dans les grands centres ouvriers, mais aussi dans les localités de peu d'industrie. Ces sociétés eurent besoin d'une direction consciente pour établir l'harmonie et affer- mir les principes régénérateurs qui vivifient toute asso- ciation.

Ij'organisation du pays est telle qu'en agissant avec intel- ligence, elle peut donner, dans peu de temps, des résultats remarquables pour l'Internationale.


136 LE LIVRE BLEU

Barcelone est une ville des plus importantes pour cela ; car les corporations y actuellement organisées sont au nombre de 38 avec 7,081 membres. — L'importance manu- facturière et industrielle se fait remarquer à Barcelone par un nombre très-important de fabriques de tous genres ; ce qui fait aussi de cette ville le point le plus important de la péninsule Ibérique par le développement des sociétés ouvrières.

Le Centre fédéral des sociétés ouvrières constitué après Vévolution de septembre, — en octobre 1868, — est par- venu à organiser et à fédérer quelques-unes des sociétés ouvrières de plusieurs endroits de l'Espagne, et trente- quatre sociétés ouvrières de Barcelone travaillant pour Tor- ganisation ouvrière ibérique. Le Centre a une forme fédé- rât ive, rejetant la forme monarchique d'un seul président, et chaque jour devient plus sympathique le mouvement ou- vrier que vous, plus instruits que nous, avez accompli, en défendant et répandant les principes sociologiques les plus radicaux.

Beaucoup de sociétés ouvrières s'y sont réunies pour coo- pérer au même but. Dans le catalogue que nous présentons au Congrès, nous indiquons le nom, le domicile, le système sociétaire et le nombre des membres de toutes ces sociétés. Ici il suffit de constater qu'en Espagne nous en connaissons 195 avec plus de 20,000 membres.

La création d'un journal, la Federacion, solidarise déjà tous ces éléments ; son but est d'opérer la réforme par les ouvriers et pour les ouvriers : son importance est grande sous tous les rapports. Le Centre fédéral a célébré en dé- cembre dernier un congrès d'ouvriers de Catalogne, et en célébrera un autre des ouvriers de la péninsule Ibérique


DE L'INTERNATIONALE. 137

Ainsi même, le Centre a envoyé aux Gortès constituantes un ouvrier de son sein, et au Municipe, d'autres qui re- présentent dans ces assemblées les vrais intérêts humains, ceux du travail et des travailleurs.

Pour arriver à un résultat solide d'organisation, il fut constitué à Madrid et à Barcelone un petit noyau d'hommes dévoués dont le but est celui de l'Association internationale, et qui, sans prendre ouvertement le titre de l'Association, propagent les vrais principes de la Vérité, de la Justice et de la Morale, et en même temps font connaître les grandes théories et les solutions qui sont approuvées par l'Associa- tion. Les résultats croissent* à merveille^ parce que les avantages et les pures idées de l'Association s'impriment dans le cœur de nos ouvriers.

L'état politique actuel de l'Espagne est, sous tous les rapports, transitoire. Le moment de la transformation so- ciale n'est pas encore arrivé : aujourd'hui, il lui manquerait la simultanéité d'action; il tardera sûrement le peu de temps qu'il faut pour compléter la fédération ouvrière.

Pour cela, il faut ne pas s'écarter du chemin que nous avons indiqué plus haut : une propagande scientifique et active, en écartant toute personnalité. Aujourd'hui, il ne faut pas en douter, les sections espagnoles de l'Association internationale doivent travailler avec beaucoup de pru- dence : il faut éviter que l'Internationale en Espagne s'at- tache à un parti ou à une secte ; car notre révolution n'est ni d© parti, ni de secte : elle est sociale. — Nous voulons être conséquents à vos doctrines ef imiter votre dévouement; nous voulons que la péninsule Ibérique ouvrière tout en- tière soit quelque jour (oh! grand jour!) de l'Internatio- nal e<

8.


188 LE LIVRE BLEU

Cette déclaration peut être accomplie si vous voulez oélé* brer le congrès international prochain dans la capitale in- dustrielle de la république fédérative ibérique. — De prochains événements pourront vous convaincre de la pos- sibilité de parvenir à ce résultat. Cependant, bien que l'éta- blissement de la républiqpie soit retardé, nous croyons qu'il y aura la liberté suffisante pour pouvoir y célébrer le con«  grès, si vous le croyez convenable.

Les principes les plus radicaux de la science sociale, bien que rejetés, comme vous pouvez le penser, par le clergé, le militarisme, la bourgeoisie et Faristocratie, ne laissent pas de pousser de fécondes racines en Espagne, particuliè- rement parmi les ouvriers qui les accueillent avec une faveur croissante.

Le Centre s'est occupé un peu de tous les points qui constituent le programme de ce congrès; et bien que nous n'ayons pu les soumettre à une discussion approfondie, que nos dernières luttes de la politique et du travail nous aient laissé peu de temps pour cela, nous vous présente- rons — lors des votes — avec conviction, nos conclu- sions.

Oui, nous, les ouvriers de la Catalogne, admettons com- plètement tous les principes de l'Internationale ; mais, parce que la transformation est grande chez nous dans l'actualité, et afin d'obtenir un triomphe complet, nous avançons, quoique lentement, avec sûreté vers le but que vous sou- haitez aussi bien que nous.

Au sujet du travail, nous commençons à combattre avec une véritable force ; nous sommes bien convaincus que le salariat est une des infamies sociales, et que le produit du travail étant une richesse dont tous, jouissent, il faut, en


DE L'INTERNATIONALE. 189

conséquence, que tous coopèrent réellement au travail. Nous sommes tout disposés à combattre de toute manière pour obtenir la justice sociale ; nous voulons donc la régé- nération morale, intellectuelle et matérielle de notre classe, pour rémanciper et faire entrer les classeB privilégiées, en les abolissant^ dans le grand, fécond et honnête champ du travail, établissant ainsi l'égalité sur la terre.

A Barcelone, les travailleurs : tisserands, mécaniciens, fileurs et journaliers de fabrique soutinrent une grève sur laquelle ont publié beaucoup de faussetés les journaux bourgeois d'Espagne et d'extérieur; nous devons constater ici que la grève continuait au commencement de septembre, malgré un contrat fait et signé par une commission mixte ou d'arbitrage, composée d'ouvriers et de patrons ; et que la grève était soutenue par les seuls efforts des ouvriers, par les sociétés affiliées au Centre fédéral, qui s'aident mutuellement pour vaincre le capital tyrannique et mono- polisateur.

Entre nous^ les ouvriers catalans, et, nous pensons, bientôt ceux de toute la presqu'île Ibérique, entre nous et vous la solidarité morale et intellectuelle est déjà un fait, à un tel degré, que la solidarité matérielle ne peut tarder beaucoup.

La question de l'instruction, considérée comme un moyen de réunion des divers éléments révolutionnaires, avance. Ateneo de la cîase obrera, institution pour le développement intellectuel et physique de l'ouvrier, donnera bientôt des résultats remarquables. Pour l'enseignement intégral, nous commençons et tâcherons de posséder le grand capital de la force intellectuelle pour anéantir l'iniquité des théolo- giens et des savants bourgeois.


140 LE LIVRE BLEU

Compagnons,

Par la persévérance, l'union et la solidarité, dans chaque situation de la vie, dans chaque endroit du monde, quelles que soient les nationalités, nous aurons la Paix et la Liberté, en abolissant les États ; car tous les hommes doivent for- mer un seul faisceau, et tous les peuples une fédération libre d'associations libres d'ouvriers. Mais cela n'est pas tout ; il faut l'égalité économique, il faut que la propriété devienne collective, et pour cela il faut l'abolition du droit d'héritage.

Sachons par la réciprocité du respect affirmer l'inviolabi- lité et la dignité humaines : aimons le prochain plus que nous-mêmes et Vhumanité plus que toutes les choses.

Revendiquons et affirmons internationalement le Droit et le Devoir sociaux : la Justice.

Compagnons,

Au nom de tous les ouvriers de Barcelone et de la pénin- sule Ibérique en général : Salut et Fraternité ! — Nous sommes envoyés vers vous, nos frères, pour vous assurer que l'Espagne n'est pas restée indifférente à votre mouve- ment, et pour étudier comment nous pourrons chez nous faire de mieux, et coopérer le plus à garantir les intérêts internationaux des ouvriers, et à obtenir notre juste et souhaitée rédemption.

Vive la république démocratique et sociale !

Les délégués de la fédération des sociétés ouvrières de Barcelone,

H. FARGA PELLICER. G. SENTINION.


DE L'INTERNATIONALE. 141


Rapport des sections de Genève,

Après le Congrès de Bruxelles, on comprit qu'il manquait d'organisation dans le comité central; aussi des conféren- ces furent ouvertes tous les jeudis afin de préparer une or- ganisation nouvelle dans les statuts.

En outre, plusieurs conférences eurent lieu pour la for- mation de sociétés de consommation, d*où il résulta la for- mation d'une boulangerie coopérative et de deux magasins d'épiceries. A la même époque (en automne 1868), les patrons donnant une interprétation favorable à leurs intérêts, au contrat signé des deux parties, et proposé par les ouvriers en bâtiments, cela amena les sociétés contractantes à la déclaration d'une grève nouvelle qui ne fut conjurée qu'en cédant, non pas sur le nombre d'heures accordées par eux, mais sur la manière de remplir la journée. Nous dûmes conseiller aux ouvriers de céder, parce qu'à l'entrée de l'hi- ver nous avions cru reconnaître un piège dans la manière dont les patrons avaient calculé l'époque de leur contesta- tion. Quoi qu'il en soit, cette grève ne fut conjurée que pour l'hiver, car au printemps 1869, les patrons (du moins les trois grands chantiers principaux) se refusèrent d'exécuter le contrat, qui pourtant était signé d'un commun accord en 1868.

Nous recommençâmes la grève, et nombre de bourgeois se firent gendarmes pour protéger les intérêts des patrons.

Une assemblée des bourgeois a eu lieu ; il y fut demandé au gouvernement, au nom de la liberté individuelle et du danger que couraient les institutions du pays, de réprimer


142 LE LIVRE BLEU

les ouvriers : les pétitionnaires offraient, à cet effet, leur appui matériel.

Les ouvriers de leur côté en appelèrent à l'opinion pu- bliq[ue, qpii fit justice de tant d'outrecuidance et força les pa- trons à exécuter le contrat.

Mais revenons à notre sujet. Les 1, 2 et'3 janvier 1869, s'ouvrit à Genève un congrès romand qui fédéralisait toutes les sociétés de cette partie de la Suisse.

Il faisait un règlement fédéral, nommait un comité fédé- ral, et fondait le journal VÉgalité pour remplacer la Voix de l'Avenir, qjai ne répondait pas à ce que les sections en attendaient.

Au printemps, et en même temps que la grève des ou- vriers en bâtiments, éclatait la grève des typographes, dans laquelle se forma un schisme des plus regrettables. Les sé- paratistes appelés sarrasins, quittant la section des typogra- phes, se formèrent en société avec les patrons (société de secours),

La société des typographes, séparée dès lors en deux camps, offrait un triste spectacle : plusieurs partirent, et le reste organise maintenant un atelier coopératif.

Plusieurs sections sont déjà entrées dans la caisse de ré-* sistance, les autres n'ont pas eu le temps de prendre des décisions, à cause de circonstances indépendantes de leur volonté. Pour l'une d'elles, je dois vous signaler que la formation d'une caisse dite de retraite est en projet.

Nous devons ajouter, en terminant, que nous dûmes pro- tester par deux fois auprès des autorités, pour les grèves sus-nommées ; qu'à la première protestation, il fut répondu par une fin de non-recevoir, et que la seconde attend encore sa solution. Nous n'entrerons pas dans les détails des scè-


DE L'INTERNATIONALE. 143

nés qui se produisirent à roccasion des grèves, vu que le rapport du Conseil général en fait mention *.

Le délégué^ GROSSELIN.


Rapport des sections des Monteurs de boîtes, Bijoutiers, Gainiers, Guillocheurs, Graveurs, Faiseurs de ressorts, et des Faiseurs de pièces à musique, de Genève.

Citoyens,

Nous ne pouvons vous donner un rapport bien complet sur nos sections, néanmoins nous vous donnerons un aperçu général de leur organisation. Ces sociétés sont la plupart de création très-ancienne, sauf une seule, les Faiseurs de pièces à musique : elles font toutes partie du groupe des sections de Genève et de la fédération romande.

Nous pouvons estimer le nombre de ses membres à 500 ; les cotisations dans ces sections varient beaucoup ; les plus faibles sont de 1 fr., les plus élevées sont de 1 fr. 50; toutes sont basées sur la résistance, quatre font partie d'une caisse collective de résistance.

Six de ces sections accordent des secours pour maladie,

une seule accorde des secours pour chômage : celle des graveurs. I^a moyenne des salaires et très-différente : la journée

i Pendant la lecture de ce rapport, Brosset explique que ses col- lègues de Genève et lui ont reçu mandat pour voter en faveur de la propriété collective et de V abolition de Vhéritage : 17 sections les ont investis de cette autorisation .


144 ' LE LIVRE BLEU

chez les monteurs do boîtes atteint le chiffre de 5* fr. 50 ; bijoutiers, 4 fr. 50; gainiers, 3 fr.; guillocheurs, 4 fr. 60, graveurs, 5 fr. 50; faiseurs de ressorts, 4 fr.; pièces à mu- sique, 3 fr. 25.

Le travail est très-intermittent dans la bijouterie et Thor- logerie : il y a des chômages prolongés, ce qui réduit en- core beaucoup la moyenne des journées; seuls les faiseurs de pièces à musique n'ont point de chômage.

Le genre de travail dans ces divers métiers n'est pas le même : les monteurs de boîtes, les faiseurs de ressorts et les guillocheurs travaillent au mois ; les gainiers et les fai- seurs de pièces à musique, à la journée. Les salaires ont subi une baisse dans Thorlogerie et la bijouterie, ces der- nières années, par suite des longues crises qu'elles ont eu à traverser.

Les monteurs de boîtes et les guillocheurs ont créé des caisses de retraite dans leur sein.

Enfin nous vous faisons part que les sections des char^ pentiers romands, des plâtriers-peintres et des ferblan- tiers ont adhéré à la caisse de résistance des quatre sections de la fabrique ; nous espérons que d'autres sections vien- dront se joindre à cette caisse, qui a déjà rendu d'importants services dans plusieurs grèves.

Enfin, pour terminer ce rapport, nous vous soumettons quelques-uns des vœux de nos sections.

Nous désirons que les congrès internationaux s'occupent activement des questions d'un intérêt réellement pratique pour les travailleurs; que le congrès de Bûle consacre toute son attention à la discussion des questions suivantes : Do j Influence des sociétés de résistance, de l'Instruction inté- grale du Crédit.


DE L'INTERNATIONALE. 145

Nous ne sommes nullement contre Tétude et la discussion des grandes questions sociales^ mais nous estimons que la propriété foncière et l'abolition du droit d'héritage sont des questions qui ne sont pas encore suffisamment étudiées ni discutées dans les sections, qu'elles ne peuvent être réa- lisées que dans un avenir très-éloigné.

Nous considérons qu'il est prématuré de voter des réso- lutions sur ces deux questions; nous désirons que le Congrès les renvoie à l'étude.

Nous insistons vivement pour que Ton s'occupe d'orga«  niser plus fortement notre association, ^n donnant toule son attention aux caisses de résistance^ question la plus importante dans le mouvement actueL L'organisation de puissantes caisses de résistance doit faire entrer dans l'association la masse des travailleurs, jusque-là restée in- différente à nos principes; toutes ces caisses unies par la solidarité fraternelle, nous sommes persuadés que nous marcherons plus sûrement à notre émancipation complète,, et à la réalisation des grandes questions sociales.

Nous aimerions que les questions à discuter dans les con- grès soient envoyées aux sections six mois à l'avance, afin de pouvoir les étudier sérieusement.

Le délégué^

HENRI PERRET, graveur.

Rapport de la section du Locle,

Je ne pourrai présenter qu'un rapport très-court et néces- sairement imparfait. Durant cette année, la section du Locle

a repris une nouvelle énergie. Nous avons groupé autour

9


146 LE LIVRE BLEU

de la section centrale différents porps de métiers et, aux ter- mes du règlement fédéral romand, nous avons constitué u^ comité fédéral local, phargé de relier entrq elles les sociétés

  • locales et de communiquer avec le comité fédéral romand

qui siège à Genève, ainsi qu'avec les autres, sections. Nous avons en outre créé une csiisse de résistance qui ^ commencé à fonctionner lors des dernières grèves.

Notre comité local| d'accord avec les sections de la QJiau^t- de-Fonds et du district de Gourtelary (Jurçi bernois) ^ di, youlu suivre l'exemple de no§ amis belgpsi \ pous ayoi^^ organisé des meetings, qui ont pyçduit déjà quelques bons résultats,. Dans ces meetiqgSi novii| §yons rompu une fois po.\^r toutes avec la politique bourgeoise et pationale que prônent en Suisse certains fau^^ socialistes, et qui menace, si l'on n'y prend garde, de devenir chez notisun véritable danger pour l'Internationale, que des g^mbitieux cherchent à détourner 4e son véritable h|ut pour l'exploiter dans des intérêts poli- tiques et gpvivernementaux. Nou^ ne croyons pas à l'Qffica- cité des réformes constitutionnelles pour, réi^ouclre le pro- blème social ; au^si ne ng^us as^pcieron^-nous pas à quelques socialistes de la Suisse cdleiftanda, qui présentent la légi^ls^- tion directe par le peuple comme la panacée universelle. Hostiles à l'État et au gouvernement, les baptisât-on des noms d'Etat socialiste et de gouvernement populaire, nous, nous ne voyons de salut que dans l'anarchie par la révolu- tion.

Vous avez appris par les journaux la manière dont a été conduite la grève des graveurs et des guillocheurs. Les pa- trot^s avfi\ient répand\^ le bruit que les ouvriers avaient dé- claré la grève pour se. mettre en [ribote ; la cpnçluite exem- plaire d,p§ ouv^ier^ î^ démenti çptte ççiloiQnie, pt gyâpe à


DE L'INTERNATIONALE. 141

l'appui de nos frères du dehors, de Genève en partieulier» après dix-sept jours de lutte, les patrons ont dû aeoepterlea conditions qu'ils avaient d^abord repoussées. Tout fait orolre que les choses n'en demeureront pas là, et que la grève des graveurs et des guillocheurs n'a été que le début d'une agi* tation dont l'Internationale profite.

Nous devons rappeler aussi que notre caisse de crédit mutuel, fondée en 1866, fonctios^ne toujours très^-bion.

L& déléguéy FLOQUET. Locle, le 4 septembre 1869.

Rapport du Conseil fédéra} des aeetions du baaaÎD de

Liège,

OompagnonSy

Partait la classe ouvrière se réveille.

Partout les travailleurs semblent enfin sortir de l'apathie pu ils étaient plongés ^ ils sentent que l'heure de la reven- dication approche, et ils s'apprêtent pour la lutte défiaitive qui doit enfin les remettre en possession de leurs droits si longtemps méconnus.

Le mouvement, cette fois, est générçil ; il sera irrésistible.

C'est que les peuples ont enfin compris que tous ils sont frères et que l'un n'a rien à gagner à l'oppression de son voisin.

Aussi, tandis que les despotes cherchent en vain à rallu- mer le feu des vieilles haines, tandis qu'ils essayent partout de semer la discorde, suivant leur antique maxime :


148 LE LIVRE BLEU

les prolétaires tendent au contraire à faire disparaître tout ce qui pourrait encore les diviser.

Les groupes se forment, se rapprochent, et bientôt ils finissent par s'unir et se confondre pour se joindre à d'autres groupes et arriver ainsi à réaliser cette solidarité univer- selle, rêve de quelques-uns d'abord, mais qui, bientôt, sera pour tous une réalité.

11 n'y a pas bien longtemps, compagnons, que ceux*là qui osaient prêcher l'union des travailleurs étaient traités comme des fous dangereux.

Et cependant, voyez :

Hier, ils étaient peu nombreux; aujourd'hui, c'est par milliers qu'on les compte ; et demain, oh ! demain, tous se- ront enrôlés sous la bannière de la Justice et de l'Égalité sociales.

liC mouvement s'étend et grandit de proche en proche. Nous l'avons dit : « Cette fois il est général. » Ceux qui semblaient les plus hostiles aux idées de réorganisation so- ciale ont été, par la force des choses, amenés peu à peu à reconnaître que sans elles il n'est pas d'affranchissement possible pour la classe ouvrière.

Il est maintenant prouvé et établi à tout jamais que les ré- formes politiques, quelles qu'elles soient, ne parviendront pas à tirer le peuple de la misérable condition où il végète depuis tant de siècles.

Ceux qpii pouvaient encore en douter n'ont eu qu'à ou- vrir les yeux.

Cette année a été féconde en événements, douloureux pour nous, mais qui du moins auront suffi à renverser tous les sophismes à l'aide desquels on essayait de faire croire aux malheureux prolétaires que c'était à la forme seule du


DE I/INTERNATIONALE. 149

gouvernement que tenaient leurs misères et leur infériorité.

N*ont-ils pas vu en effet dans la même année, en pleine paix, et pendant qu'ils ne faisaient qu'user d'un droit inscrit dans leurs menteuses constitutions, n'ont-ils pas vu leurs frères mitraillés, massacrés et pourchassés à coups de baïonnette, non-seulement sous le gouvernement despotique d'un empereur absolu, mais encore dans la libérale Belgi- que et dans la Suisse républicaine?

N'ont-ils pas vu ce qu'on appelle la Justice, poursuivre non pas les assassins du peuple^ mais le peuple assassiné, et celui-ci subir en prison f expiation des attentats commis contre lui?

N'ont-ils pas entendu surtout les clameurs de la presse capitaliste poursuivre jusque dans leur supplice les mal- heureux qui s'étaient cru des citoyens et qui n'étaient que des esclaves I

N'ont-ils pas vu cette honteuse entente dans l'injure et dans la calomnie s'aider et se répondre de Liège à Bruxelles, de Bruxelles à Paris et de Paris à Genève, comme pour mieux montrer à tous que partout et toujours il y avait deux ennemis en présence, le Travail et le Capital, et que désormais c'est entre eux que la lutte doit éclater?

Mais, compagnons, ils auront vu que si la bourgeoisie était partout la même, acharnée à défendre ses intérêts et à mettre obstacle à l'affranchissement du peuple ; partout aussi le peuple était le même, accablé sous des fardeaux pareils et tendant à l'union pour combattre l'ennemi, le soûl ennemi : le Maître.

Compagnons,

Les membres des sections du bassin de Liège n'ont pas attendu les tristes événements qui sont venus plonger dans


1G0 LB LIVRB BLEU

la stupeur et Id deuil dés oentAines d'ouvriers^ pour com- prendre que ceux-ci devaient se tendre en tous lieux une main fraternelle.

Depuis longtemps déjà, affiliés à l'Association interna- tionale, ils savent que V émancipation des travailleurs doit être Vœiivre des travailleurs eux-^mémesp et qu'ils n^ont rien è attendre d'une bourgeoisie repue qui ne peut vivre dans Pabondance et le luxe qu'en maintenant le peuple dans la dépendance la plus absolue et en faisant peser sur lui les charges les plus accablantes.

Les obstacles mis partout à là formation des sections de rinternationale, la pression exercée par les patrons sur leurs ouvriers pour les empocher de s'assodier; les oalom- ûieB journellement répandues contre nou3« nous avaient Buffîdamment instruits à cet égard.

Nous avions vu aussi, par des exemples réoentsi quel cas notre gouvemeitient doctrinaire fait de la vie des ou- vriers^ et les massacres de Gharleroi avaient eu un sinistre retentissement dont 16 Souvenir n'était pad ex&cord effacé. Mais l'éclatante réprobation qui avait accueilli en tous lieux ce ëanguinaire attentat nous faisait espérer qu'on n'oserait plus le renouveler dans un pays qui se prétend libre et civilisé « 

Nous avons bientôt appris le contraire. Nous avons bien- tôt vu que la haine contre l'ouvrier était implacable, et que son affranchissement ne s'obtiendrait qu'au prix de luttes obstinées.

Nous n'avons pas, compagnons, l'intention de vous re- tracer la triste histoire de la grève de Seraing et des mas- sacres odieux qui désormais semblent être en Belgique l'appendice obligé de toute manifestation ouvrière « 


DE L'tNfERNÀtlONALE. îW

Les or^iarles de Tliiterilatiônàle vous ont tbti^ mis âii courant de ces faits ; de plus, l'a. pî*otestation de Ift section liégeoise, le bulletin de la grève publié ^ttr la sëctiôri dé Lize-Seraing mômC; et dont nous faisdiis parvenir des exemplaires, vous reiiseignëront sûi* ties poihts d*uôe façon plus complète que nous ne pouvoii^ le fûlfe aujourd'hui.

Nous voulons seulement^ au noiïl de toutes les sections du bassin de Liège, protester contre la manière dont On en- tend chez nous respecter là liberté du travail.

Nous venons donner le démenti le plus foi^mel àiix. calôtU- nies que Ton déverse journellement sur noUs, ëi montrer, par notre exemple, aux prolétaires de tous les pays, ce qu'ils peuvent attendre de leurs patrons etdeleui*s gouvernants.

Nous venons surtout protester coi2^/*e cepiéff'ô odieux tendu à notre bonne foi et qu*on appelle la liberté de coalition.

Si, en effet, compagnons, chaque fois que les travailleurs veulent se réunir en vertu de ce prétendu droit, on envoie immédiatement l'armée permanente charger et dissiper les réunions, de quel droit et dé quelle liberté prétend-on nous laisser jouir ?

La liberté de nous taire et le droit de mourir de faim !

Mais il y fei trop longtemps déjà que nous subissons ce monstrueux état de choses, et nous trouvons qu'il est gràhd temps de le supprimer.

La liberté n'existe pas sans l'égalité; et tiant que la bour- geoisie aura en sa possession exclusive tout ce qui consti- tue la force et la puissance, le pouvoir gouvernemental aussi bien que l'autorité sans contrôle de l'atelier ; aussi long- temps qu'elle aura le monopole de la propriété, du capital et des instruments de travail, l'ouvrier, quels que soient les prétendus droits qu'on lui octroie, n'aura jamais, quoi qu'on


152 LE LIVRE BLEU

en dise, Tombre de liberté, et se verra en définitive plus misérable dans le prolétariat moderne qu'il n'était dans resclavage antique.

La Justice et la Liberté ne peuvent exister qu'entre des hommes égaux ; et quelle égalité y a-t-il entre les ouvriers et les patrons d'aujourd'hui?

Nos frères de Seraing l'ont pu expérimenter par eux- mêmes.

Tandis que, livrés à leurs seules forces, ils ont réclamé pacifiquement la cessation d'abus criants établis par leurs patrons, ils ont vu ceux-ci, non contents des éléments d'iné- galité que leur donnait l'exclusive propriété des instruments de travail, appeler encore à leur aide le concours des armées permanentes .

Les ouvriers étaient seuls et sans appui. — I^es capita- listes — et quels capitalistes ! (l'un est le bourgmestre de Seraing, les autres sont membres de la Chambre des repré- sentants, ministres même et plus encore, membres delà fa- mille royale) disposaient de [tous les pouvoirs publics, et ces pouvoirs ils les ont mis au service de leurs intérêts particuliers. ;

Et de nouveau le sabre et le fusil ont été chargés de ré- soudre les problèmes économiques.

La voilà, compagnons, cette pieuvre ûnancière (dont par- lait le journal la Liberté) qui nous étouffe, nous enserre et s* engraisse du plus pur de notre sang.

Chez nous l'ouvrier n'a donc rien à attendre de personne,

puisque princes, ministres, représentants, bourgmestres,

magistrats, tous ceux qui sont censés représenter la justice

sont au nombre de ses exploiteurs.

De quelque côté qu'il se tourne, il ne voit que des 'enne-


DE L'INTERNATIONALE. 158

mis. L'avocat même qu'il charge du soin de preiidre sa défense appartient à un corps privilégié qui dépend presque entièrement de ceux contre lesquels il demande justice 1

Sachons-le donc, compagnons, du haut en bas de Téchelle sociale, de quelque côté que nous portions nos regards, ce sont des chefs et des maîtres que nous rencontrons.

C'est donc sur nous, travailleurs, et sur nous seuls que nous devons compter pour établir enfin l'ère de la Justice et de l'Égalité.

La lutte sera longue peut-être ; mais nous sommes dis- posés à en prendre notre part, et nous vous envoyons nos saints fraternels.

Le Conseil fédéral du bassin de Liège *.


Rapport sur la marche de la section du district de Courte^

lar y, pendant Vannée 1868-69,

IjSl section internationale du district de Courtelary fut dé- finitivement fondée le 1«' septembre 1868, par la fusion des anciennes sections locales de Saint- Imier et de Sonvillier. Cette fusion était principalement commandée par les inté- rêts communs à la classe ouvrière du vallon de Saint-Imier, comprenant une vingtaine de localités, mais aussi par la nécessité, n'étaient les quelques membres restés fidèles

1 La lecture de ce rapport a été faite par le citoyen Robin, con- damné plus tard à Paris, le 8 juillet 1870, à deux mois de prison pour affiliation à rinternationale. En terminant cette lecture, il fait connaître au Congrès que la police françaite a volé, près de Thion- ville, au compagnon Baslien de Yerviers tous les documents et tra- vaux préparés par cette section et destinés à être présentés au Congrès.

9.


184 LE LIVRE BLEU

à rititei'ttÂtîôkialë, de réunir leurs efforts s'ils ne voulaient pas se condamner à l'impuissance.

La nouvelle section se développa d'abord lentement, puis reçut une puissante impulsion par le fait qu'un des fabri- cants du vallon^ M. Frattolllon, interdit formellement à ses ouvriers de faire partie de l'Internationale. L'esprit d'indé- pendance se réveilla chez nos ouvriers montagnards, et de- puis le nombre des adhérents a toujours été en augmentant : notre section compte actuellement 104 membres.

Nous n'avons encore rien réalisé de pratique, c'est-à-dire que nous n'avons jusqu'à ce jour créé aucune institution améliorant directement le sort de l'ouvrier, et cela pour la raison bien simple qu'avant de fonder des sociétés coopé- ratives, de crédit, etc., nous avons voulu en étudier les véritables principes, afin que si nous créons une institution, elle ne devînt pas un agent de la réaction, mais un moyen pratique d'étudier sur quelles basés doit être organisée la société future. Nous sommes à la veille de créer une insti- tution de crédit, que les uns veulent organiser sur les bases de la gratuité, les autres, tout en étant en principe d'ac- cord avec la suppression dé l'intérêt au capital, veulent mo- mentanément le conserver, en vue d'arriver promptement Q former un capital considérable : la discussion se poursuit, et une décision formelle sera prise dans une prochaine as- semblée.

Notre section s'est, en outre, occupée de la question de l'impôt; sur laquelle elle n'a pu prendre aucune résolution immédiatement pratique, et de l'instruction pour les adultes : l'organisation de cours d'enseignement mutuel, la fonda- tion de bibliothèques démocratiques a été renvoyée à cet hiver. En attendant, nous avons eu régulièrement une assem-


DE L'INTERNAtlONALE. 155

bléô générale par mois, et pour laquelle, outre ce îjui con- cerne Tadministration et les rapports avec les autres sec- tions, une question était toujours mise à l'étude.

Les membres composant la section ont déployé une grande activité dans la fondation des sociétés de métier et la fédé- ration de ces sociétés ; ce n*est qu'au moment où la masse des travailleurs, groupés au moyen des sociétés de métier, prendra une part active au mouvement social, que ressortira de plus eyn plus la nécessité d'une liquidation sociale, vu l'impuissance de tous les moyens employés dans les condi- tions actuelles.

Le comité de notre section a fait la demande au comité central de la fédération du vallon qu'il s'occupât de la fon- dation d'une caisse dé résistance ; celui-ci vient de décider que cette question sera traitée à l'assemblée générale de toutes les sections, et nous avons l'espoir que des résolu- tions pratiques seront prises sur cette question. Nous atti- rons aussi l'attention du Congrès sur cette question, et dési- rons vivement qu'il sorte des débats, non-seulement une 'affirmation théorique, mais les bases d^une organisation internationale de la résistance.

Nous faisons des vœux pour que le congrès de Bàle, s*ins- pirant des besoins réels des populations ouvrières, affirme nettement la nécessité d'une transformation radicale dans rorganisatioii sociale, et pose les jalons qui doivent nous guider vers un meilleur avenir ; mais aussi que, sur les questions pouvant recevoir une solution pratique immédiate, il prenne des résolutions conformes à l'attente légitime de nos associations ouvrières.

Quant à nous, nous continuerons à prêter noire faible concours à l'œuvre générale.


156 LE LIVRE BLEU

Au nom de la section internationale du district de Cour- elary.

Le délégué, Adhémar SGHWITZGUEBEL.

Fédération de la vallée de la Vesdre.

Compagnons,

L année dernière, notre délégué au congrès de l'Asso- ciation internationale des travailleurs, à Bruxelles, dans son rapport sur Tétat de la section verviétoise, accusait 400 membres. Or, depuis peu, nous avons pu former la fé-

dération des 21 sections groupées sous le titre de Fédération des sections de la vallée de. la Vesdre, et qui compte au moins 6,000 membres. Nos efforts se sont surtout portés, comme moyen de lutter contre l'opposition des patrons, à organiser les différents corps de métiers et fonder des caisses de résistance. Gomme moyen de propagande, nous avons continué à organiser des meetings comme précédem-, ment : dans le courant de cette année, nous avons donné quatre-vingt-dix meetings. C'est ici que je dois louer la bonne entente qui règne entre les sections pour les diverses délégations à nos meetings ; car à présent nous ne pouvons approuver que ce mode d'instruction, pour arriver à faire comprendre aux travailleurs leurs droits et leur dignité qu'ils ont méconnus jusqu'à ce jour.

Plusieurs grèves ont éclaté dans notre bassin industriel, et si toutes elles n'ont pas réussi, tel que nous l'aurions désiré, elles ont cependant servi à mieux nous grouper et en même temps à nous montrer le remède contre le mal qui


DE L'INTERNATIONALE. 157

nous ronge tous en général. Dans ces grèves nous n'avons pas eu à déplorer de massacres comme ceux dont Seraing et le Borinage ont été le théâtre.

La publication mensuelle de notre journal le- Mirabeau^ dont le tirage se fait à 4,000 exemplaires, se fera désor- mais deux fois par mois avec le même tirage. Deux procès nous ont déjà été intentés : nous les avons soutenus, grâce à la solidarité qui unit les travailleurs.

La question de la réduction des heures de travail a été mise à Tétude dans les sections : on a même tenté de la mettre en pratique partiellement, les essais ont parfaitement réussi : les patrons n*ont essayé d*y mettre aucune opposition.

Les élections pour le renouvellement " du conseil des prud'hommes ayant lieu cette année à Verviers, nous en avons profité pour organiser une espèce de révolution en permanence, afin de montrer à nos adversaires qu'il y a de l'iniquité dans nos codes et que nous ne voulons plus de ces lois serviles qui mettent la classe laborieuse à la re- morque de la classe oisive.

•Nous avons eu beaucoup à lutter pour en arriver là, no- tamment contre la bourgeoisie qui n'a cessé de nous ca- lomnier dans ses grands carrés de papier quotidiens, et contre quelques traîtres qui avaient embrassé la cause avec ardeur, mais l'ont désertée pour se mettre du côté de nos exploiteurs afin de satisfaire leurs intérêts personnels. Je donne mon rapport comme je l'ai pu élaborer, vu que l'on m'a volé celui qui m'avait été remis par la Fédération, dont je vous apporte le salut fraternel.

Le délégué de la Fédération des sections de la vallée de la Vesdre siégeant à Verriers^

HUBERT BASTIN.


158 LE LIVRE BLEU

Assoeintlon Intemftlloiifile des tra^Ulenrs. Section

de Kaples.

Sous rinfluence de la situation économique de Tltalie méridionale et du progrès des idées socialistes, une section de rinternationale a pu être fondée à Naples, au mois de janvier dernier. Dans cet ancien réceptacle de toutes les turpitudes monarchiques et monacales, dans ce pays qui s'est laissé fasciner par les promesses des unitaires italiens, une bourgoisie, en tout semblable à celles de la France et de TAngleterre, est venu mettre à la place des lazzaroni des ouvriers qui travaillent jusqu'à quinze heures par jour pour gagner 2 ou 3 francs, et à la place de Gamorra qui poignardait dans Tombre, des exploiteurs qui affament aux yeux de tout le monde. La section de Naples compte déjà 600 membres qui sont organisés en sous-sections et qui font une active propagande dans l'Italie méridionale, et vers lesquels toutes les malheureuses populations de ces pays commencent à tourner les yeux comme vers les pré- curseurs de la vraie liberté.

Les ouvriers napolitains réuniront toutes leiirs forces sur le terrain du socialisme révolutionnaire, et îls ont envoyé leur représentant à ce congrès pour y sceller, avec les re- présentants de toutes les autres sections de l'Europe, l'al- liance universelle qui doit préparer et proclamer, par le renversement de toutes les iniquités sociales, la souverai- neté économique du peuple *.

Le délégué,

GAPORUSSO.

> Ce rapport fut communiqué au congrès par le citoyen Albert Hichard.


DE L'INTERNATIONALE. 159


mouvement des Sc»eiétés allemandes de la Suisse.

^;i Elles ont commencé à se former vers 1833; il en existe aujourd'hui 58.

Elles ont pour but de fournir une bonne alimentation à leurs membres, de compléter leur instruction, et de leur procurer les récréations du corps et de Tesprit.

Les ouvriers allemands venant en Suisse apprendre à travailler y trouvent Toccasion et la possibilité de se dé- velopper plus complètement que sous leurs gouvernements monarchiques *, quoique la République Suisse ne soit pas

encore comme nous la voulons : la République de Ta- venir.

Depuis trente ans, ils prennent à leur passage en Suisse les mœurs démocratiques et des principes de liberté qu'ils vont reporter ensuite dans leur pays, où ils sont des exem- ples vivants d'hommes habitués à la vie libre.

Par leur adhésion à notre association, les membres de ces sociétés sont devenus autant d'auxiliaires de propa- gande qui ont concouru puissamment à l'introduction de rinternationale en Allemagne.

Le déléguéf

GGEGG.


  • Le président Zung déclare pro testée contre cette glorification de

la République Suisse, alors surtout que dans cette République les ouvriers sont plus malheureux que partout ailleurs.

Becker ajoute que les sections allemandes de la Suisse ont fait d'immenses progrès : leur activité est telle que 3,600 lettres ont été écrites et 26 hrochutêè publiées.


160 LE LIVRE BLEU


MouTement socialiste en Allemafl^e.


Le citoyen Liebknecht a la parole pour rendre compte du mouvement socialiste en Allemagne. Il explique au Congrès que Tancien chef du parti socialiste allemand, I^assalle, était un homme de grande capacité, de grande énergie, et surtout très-honorable ; mais que depuis sa mort beaucoup d'individus sans talent et d'un caractère douteux ont essayé de s'emparer du mouvement à leur profit. De là les luttes nombreuses dont a eu à souffrir le parti socialiste allemand dans ces dernières années. L'orateur rentre dans de grands développements à ce sujet.

Enfin, au dernier Congrès d'Eisenach, après des tenta- tives infructueuses de conciliation, la scission s'est affirmée d'une façon beaucoup plus nette : les démocrates socialistes , c'est-à-dire' ceux qui ne veulent pas séparer la question politique de la question sociale, les délégués de cent cin- quante mille travailleurs ont complètement rompu avec les socialistes du parti de M. Schweitzer, qui croient que les réformes sociales sont compatibles avec le gouvernement de Bismarck.

Il a proposé aux sociétés ouvrières allemandes d'adhérer à l'Internationale; mais en présence des difficultés légales, qui ne permettent pas l'affiliation d'une société allemande à une société étrangère, Je Congrès d'Eisenach a voté une adhésion en masse y et puis on a distribué des cartes d'adbé^ sion individuelle amx membres des sociétés.


DE L'INTERNATIONALE. 161


Situation de la seetloM lyonnaise.


Aucun rapport écrit n'ayant été présenté, le citoyen Ri- chard fut chargé dé donner au Congrès de vive voix quel- ques renseignements sur les progrès et le développement de rinternationale à Lyon.

Il raconte que l'Association internationale a eu beau- coup de peine à se développer tout d'abord, parce que les Lyonnais étaient trop révolutionnaires dans le sens politi- que,, et ne comprenaient pas l'importance du mouvement social. Mais que, depuis les élections dernièreS; la crise économique qui se produit un peu partout, mais qui s'est affirmée d'une façon plus complète encore dans la ville de Lyon, a enfin ouvert les yeux aux Lyonnais. En présence de ce mouvement parti, des couches inférieures de la population ouvrière, mouvement qui grandit chaque jour et tend à soulever le monde, ils ont enfin compris que la révolution ne devait pas être seulement politique, mais qu'elle devait être en même temps et surtout so- ciale.

Aussi, depuis ce moment, l'Association internationale a fait d'immenses progrès ; les corporations réunies pour la grève se sont adressées à elle pour profiter des avantages de la solidarité des travailleurs et sont devenues membres de notre vaste association.

Lyon compte maintenant dix mille adhérents à F Interna^ tionale.


LB LIVRB BLEU


Situation des traders anlons.

Bien que TAngleterre ne possède pas encore toutes les libertés nécessaires au développement et à l'émancipation sociale des masses, les ouvriers font cependant tout ce qu'ils peuvent pour tirer tout le parti possible des libertés existantes. Depuis sa fondation, en 1860, la société des char- pentiers de Londres a distribué à -ses sociétaire^ malades ou sans ouvrage une somme de 750,000 francs; et en outre de cela, elle possède en caisse une somme de 425,000 francs déposés à la banque d'Angleterre.

Beaucoup de sociétés sont en même temps sociétés de résistance et de secours mutuels. Elles accordent des se- cours à l'ouvrier que l'âge ôii un accident empêchent de travailler. Les unes donnent 10 francs par semaine, les autres une somme , une fois donnée , qui va jusqu'à 2,500 francs.

C'est à rinsistancé des sociétés ouvrières organisées qild l*on doit l'enquête faite sur les classes ouvrières en Angle- terre, et c'est depuis cette enquête que les loil^ anglaises permettent aux sociétaires qui ont été volés par leurs secré- taires de poursuivre ceux-ci devant la justice.

Ainsi le gouvernement, qui avait commencé cette enquête dans le but de nuire aux sociétés ouvrières, a dû finir par les reconnaître. C'est qu'elles comptent 800,000 membres, et bien que privées du droit de vote, elles n'en exercent pas moins une forte pression sur le gouvernement; et s'iV se montrait récalcilranty elles pourraient bien y d'ici k quelque tempSy rinviter à leur céder la place.


DE L'INTEftNATIONALE. 163

Autrefois les sociétés ouvrières, en Angleterre, étaient méprisées par toutes les autres classes ; mais aujourd'hui il n'en est plus de même : les libéraux, les jeunes lords eux-mêmes les flattent et les sollicitent, et l'écueil à éviter est maintenant précisément de céder à ces feollibitations.

Les ouvriers anglais ont pris part au dériiier mouveittent de la réforme électorale* la Labof ï'êprêsentàtiVe league (Li- gue dé la représentation du travail) tend à envoyer des ouvriers anglais au Parlement.

Il y aurait aviantage à établir des rapports suivis entre les sociétés d'une même corporation ; les ouvriers anglais sont prêts à entrer en relations avec leurs confrères du reste de l'Europe. Toute rivalité nationale doit être effacée, et Ton ne doit plus voir partout que des travailleurs se tendant la main.

Lé délégué, APPLEGARTH.

ilioaveineiit otiyifler en Autriche.

Le socialisme a eu du mal à se produire en Autriche; cela tient au gouvernement, qui fait la guerre à toutes les manifestations de ce genre. L'origine du mouvement a été une petite brochure publiée à Berlin et qui a fait beaucoup de bruit parmi les ouvriers autrichiens.

A dater de cette publication, les sociétés ouvrières ont commencé à se former en Autriche, et elles n'ont pas tardé à arriver à la conclusion que la question du travail peut seulement être résolue internationalement. Toutes les so- ciétés ouvrières de Vienne arborent le drapeau rouge, et


164 LE LIVRE BLEU

leurs adversaires les appellent les frères rouges. Sous les circonstances actuelles, ils ne peuvent entrer officiellement dans rinternationale, mais ils espèrent bientôt être assez forts pour pouvoir s'affilier à la barbe du gouvernement.

Les populations slaves qui font partie de l'Autriche sem- blent être absorbées dans leurs questions de race et de na- tionalité. Il invite Bakounine à employer Tinfluence dont il dispose pour inviter les ouvriers slaves à prendre part au mouvement socialiste *.

Le délégué j

NEUMAYER.


Résumé des lettres et correspondances lues au Congrès de Baie par de Paepe, Vun des membres de la commission de correspondance.

l» Un télégramme, signé Bebel, au nom des ouvriers dé- mocrates-socialistes de Leipzig, qui envoient des salutations au Congrès de Bâle.

2o Un autre télégramme, signé Sarro Magallan, au nom de la Légion ibérique ouvrière, qui salue également le Con- grès.

30 Une lettre du citoyen Tartaret, de Paris, qui, nommé délégué en même temps que Flahaut, des marbriers de Pa- ris, s'excuse de ne pouvoir assister au Congrès à cause d'une maladie mortelle dont il se trouve atteint.

1 Bakounine répond qu'il emploiera sa modeste influence pour engager non-seulement les Tchèques, mais aussi pour entraîner tout le panslavisme qui subit le joug du césar russe à venir adhérer aux principes de la grande fédération internationale ouvrière.


DE L'INTERNATIONALE. 165

40 Du citoyen Bastélica, de Marseille, donnant les progrès de rintemationale dans cette ville ; il y est question d'une vingtaine de chambres syndicales et de Tadhésion en bloc des matelots de Marseille à TAssociation.

5« Des chapeliers de Paris, qui regrettent de n'avoir pu envoyer de délégué au Congrès; celte lettre se termine par Une déclaration d'adhésion à rintemationale.

6<» Du Cercle des campagnards ardennais (Belgique), qui expriment leurs vives sympathies pour Tœuvre, mais croient que les idées socialistes ne pourront se développer que très-difficilementl dans notre vieille Europe et con- seillent rémigration en masse vers l'Amérique.

^o D'Harlé, du Cercle d'étude sociale de Paris, qui déclare s'être constitué en section de l'Internationale. Cette lettre est accompagnée des statuts du Cercle.

8» Une autre lettre du citoyen Malon, au nom du groupe de soixante-quatorze membres qui s'est constitue à Paris sous le titre de Travailleurs Unis, et déclare s'affilier à l'Internationale.

Ce groupe travaille activement à en former de nouveaux en province; il est déjà parvenu à en former un à Roubaix, Lille et Turcoing.

9» Une lettre des ouvriers tapissiers de Paris, qui envoient au Congrès l'assurance de leurs sentiments.

IQo Un long rapport d'Amérique.

11® Une lettre de l'Union des ouvriers allemands de New- York, qui forme des vœux pour le triomphe de l'Internatio- nale et déclare que les ouvriers d'Amérique travaillent acti- vement au même but.

12° Des télégrammes d'un meeting d'ouvriers tenu à Wienerueustadt, et de démocrates socialistes de Reichen*


))eipg, en Boh$xi(^a,) promettant leur cûtç^p.ération dan^ le ^i^and œuvre de la régénératioQ sociale.

130 Des lettres des imprimeur^ sur étoffe (fe Neuville-^ur- SaÔDe, déclarant leur adhésion san,s, réserves ^ flnternatio- 22a7e; d'un groupe de e^ocialistes ingorrigubles, exprimant le regret que les persécutionsi policières pt judiciaires les aient empêchés d'envoyer un Relégué au Gongrça; du Con- seil exécutif du parti social-démocratique allemand , eur voyant un sali^t fraternel et de bons souhaits j de i^euf mem- bres de rUi\ioi^ sQçi^le démoçrat^ue de. Bruns.wicH> çiei la Société sociale-démocratique de ^^çlfenl^vittQli onYQy^nt ^çs souhaits au Congre^.


APPENDICE


CONGRES DE LAUSANNE

(Septième question da programme.)

La privation des libertés politiques n* est-elle pas un obs- tacle k l'émancipation sociale des travailleurs et Vune des principales causes de perturbation sociale? Quels sont les moyens de hâter ce rétablissement des libertés politiques ? Ne serait-ce pas la revendication par tous les travailleurs du droit illimité de réunion et de la liberté illimitée de la presse?

Rapport présenté sur cette question par le citoyen Perron, l'un des membres de la commission chargée de son examen *

Citoyens,

La première question soumise à votre commission est ainsi conçue : « La privation des libertés politiques n'est- elle pas un obstacle à l'émancipation sociale des travailleurs

1 Les autres membres de la commission étaient : Pioley, de Paris; Treboux^ de Genève; Vésinaud, de Bordeaux, Reymond, de Paris.


468 LE LIVRE BLEU

et Fuue des causes principales des perturbations sociales (chômage)? »

Nous répondons : Oui, la privation des libertés politi- ques est un obstacle à Témancipation sociale des travail- leurs ; oui, la privation de ces libertés est une des principales causes des perturbations sociales et du chômage dont les ouvriers souffrent si cruellement.

Les différents rapports qui ont été lus au Congrès ont démontré d'une manière évidente que les travailleurs qui consentent à vivre privés de leurs libertés politiques se condamnent à tourner dans un cercle vjcj'eu-s:, funeste à leurs véritables intérêts, et qu'il leur importe de franchir.

Ainsi que Font également prouvé ces mômes rapports, chez les peuples privés de leurs facultés de citoyens libres, partout où des restrictions sont apportées aux droits im- prescriptibles de se réunir, déparier et d'écrire, l'action de l'Association internationale ne peut être que très-lente et ses résultats bien faibles ; tandis que c'est précisément dans les pays où l'on possède la plus grande somme de liberté que les progrès de l'Association se sont le plus accentués.

Donc, sans la possession des libertés politiques assurée aux travailleurs f il est à peu près impossible à l'Association internationale de réaliser ses glorieuses destinées j de s'éten- dre, de couvrir l'Europe et de devenir ce qu'elle doit être, la confédération ouvrière puissante et forte appelée à régé- nérer l'état social du monde.

Donc, pour mettre fin à un statu quo fatal, et qui sans

cela durerait indéfiniment, il importe que F émancipation

politique soit revendiquée tout d'abord et avec la même

énergie que nous mettons à revendiquer Vémancipation sociale.


DE L'INTERNATIONALE. 169

En conséquence, la commission propose au Congrès que l'assemblée fasse la déclaration suivante :

Le Congrès international des travailleurs réuni à Lau^ sanne en septembre 1867, considérant :

Que la privation des libertés politiques est un obstacle à r instruction sociale du peuple et a V émancipation du pro^ létariat,

Déclare,

1® Que r émancipation sociale des travailleurs est insépa- rable de leur émancipation politique;

2« Que rétablissement des libertés politiques est une me^ sure première d'une absolue nécessité.

Quant au deuxième point dont la commission a eu à s'oc- cuper, elle pense que la revendication par tous les ouvriers, dans la mesure des forces individuelles, du droit illimité de la presse et de réunion serait un moyen de hâter Téta* blissement des libertés politiques. La commission recon- naît cependant que selon les événements qui pourront surgir en Europe, il y aurait quelques mesures plus pra- tiques à appliquer afin d'accélérer la réalisation des vœux des travailleurs ; mais pour le moment, en tenant compte de la situation de certains pays despotiques, la commission ne peut que formuler les moyens suivants :

Faire connaître k tous les ouvriers de VEurope la décla^ ration faite par le Congrès concernant la première partie de la question.

Renouveler chaque année solennellement cette même dé^ claration.

La commission reconnaît en outre que la propagande

des idées d'émancipation politique et sociale est une néces*

10


ITO jLE I.IVBE BLEU

site de la régénération des travailleurs^ et qu'à ce titre elle doit être recommandée par le Congrès.

En conséquence elle propose à rassemblée de prendre la résolution suivante :

De donner communication ofâcielle des résolutions qui précèdent à tous les membres de T Association internationale des travailleurs ainsi qu*à ceux du Congrès de la paix, en leur demandant leur concours énergique pour investir enûn tous les peuples des droits imprescriptibles de 1789.

Sigi;ié : Gh. Perron, rapporteur.


GONGRÈS DE BRUXELLES

Compte rendu de la troisième $éan^e,

La discussion est ouverte sw cette, question : Quelle de- vrait être r attitude des travailleurs dans le cas d'une guerre entre les puissances européennes,

CATALAN; de Gecève. — J'éprouve un grand embarras à prendre le premier 1$^ parole dans cette assemblée. Quoique le but de TAssociation interaationale ne soit pas de s'occu- per des grandes questions politiques qui divisent actuelle- ment l'Europe, on conçoit que nos amis d'Allemagne, ré- cemment éprouvés par ce fléau, en aient une horreur si grande qu'ils nous demandent contre elle une grande pro- testation. Cette protestation, nous devons la faire, et pour lui donner plus de valeur, nous devons ajouter quelques indicatioiis et rechercher les moyens pratiques sinon de la rendre tout si fait impQssible, au moins d'y apporter de


DB L'INTERNATIONALE. !T1

grandes ëntràres et de préparer l'époque où on ne pourra plus songer à faire la guerre.

Je dis d'abord que la guerre no dépend pas de l'opinion publique ; en 1866, par exemple, partout on protestait contre elle : journalistes, hommes de la pensée, bourgeois, négo- ciants, travailleurs, étaient unanimes; et cependant nous avons eu une guepre plus terrible que celles des temps an- ciens.

Pourquoi ? C'est qu'il y a au-dessus de l'opinion publique des institutions qui la brisent. Il y a des volontés supérieure^ à celle du peuple, disposant seules du droit de la guerre ou de la paix ; voilà, dans les circonstances actuelles^ la vraie cause de la guerre.

Donc pour l'empêchei*, il en faut supprimer les fauteurs, et pour cela chacun doit s'en occuper dans son propre pays. Aujourd'hui Uïi grand nombre d'hommes ont peur, restent tranquilles, et tâchent de se créer au milieu dd l'état social général un petit état social partiouliei^ où ils trouvent un âemblaût de pait. Ils veulent par de petits moyens sortir d'embarras, âans chercher à faire sortir avec eux les autres travailleurs de la grande anarchie sociale»

Or, cette action de ces hommes est et sera toujours insuf- fisante. Ce qu'il faut faire, c'est de substituer à l'éducation trompeuse d'aujourd'hui, — cette éducation qui crée l'anta- gonisme des intérêts et la haine entre les individus, — la véritable science sociale, celle qui enseigne que l'intérêt individuel et l'intérêt général sont intimement liés, que la garantie mutuelle de l'existence de chaque individu et de chaque peuple doit être mise à la place de la concurrence entre les individus et entre les nations. Soyons toiis contre la guerre, mais non pas seulertient


172 LE LIVRE BLEU

en théorie, en pratique surtout. Que chacun de nous et que l'Association internationale tout entière fasse la guerre à la guerre, en employant toutes les forces contre les hommes qui ont le droit de faire la guerre, contre les institutions qui créent ce droit et contre Tignorance qui lui permet de se perpétuer. (Applaudissements,)

Henri, de Paris. — En prenant la parole, j'ai besoin, pour faire cesser certaines calomnies dirigées contre notre délé- gation parisienne, d'exposer notre principe et notre but sur la question de la guerre et les autres questions sociales.

Je dirai donc : La question telle qu'elle est posée me suggère une observation ; ne sont- ce pas toutes les classes qui doivent discuter cette question ? Elle est universelle, car elle intéresse tout le monde et nous ne pouvons faire ici une distinction de classes, il n'y a plus de distinction de classes, il faut poser cette question au point de vue de toutes les classes et de tous les pays. .

Il est vrai que c'est le producteur qui paye les frais de la guerre ; tout ce qui se dépense, le sang que nous versons, c'est l'ouvrier qui le fournit. Les guerres sont nuisibles à tout le monde, aux vainqpieurs comme aux vaincus. Celle de Crimée a coûté 1,500 millions, celle de Mexique 1,200. Qu'en avons*nous de plus ? Le sang versé de nos frères, à quoi a- t-il servi ? A donner satisfaction à un homme qui dispose de quarante millions d'âmes.. Donc personne ne veut de guerre, mais pratiquement comment l'empêcher? Je crois qu'il faut nommer des hommes aux ' prochaines élections qui amèneront un changement d'institutions, ou même....

En ma qualité de Français, je ne pourrai dire toute ma pensée^ mais si je ne puis demander la transformation du gouvernement, je demanderai au moins celle de nos insti-


DE L'INTERNATIONALE. 173

tutîons. Bref, au point de vue politique, nous devons par les élections et les manifestations populaires, par la pro- pagande socialiste et politique, arriver à la transformation des gouvernements personnels, qui peuvent disposer de la vie, de la fortune et de la paix de quarante |millions d'hommes.

De Paepe, de Bruxelles. — La guerre est un mal évident pour nous tous. Mais outre notre éternelle protestation, on nous demande que nous tâchions d'intervenir pratiquement pour sa suppression .

Pour cela il y a deux méthodes : la première, c'est de s'attaquer directement à la guerre par le refus du service

militaire {Applaudissements) ou, ce qui revient au même,

puisque les armées ont besoin de consommer, par le refus du travail. La seconde n'intervient pas directement ; c'est en résolvant la question sociale elle-même qu'elle prétend arriver à la suppression de la guerre ; telle est la méthode que, par son développement, l'Internationale est destinée à faire triompher. (Bravos,)

En employant la première manière, c'est sans cesse à re- commencer. La seconde, seule, détruit le mal dans sa source même.

On a cherché à attribuer la cause de la guerre à des indi- vidualités ; c'est une erreur : les rois, les empereurs, ne sont que des accidents, des instruments. La seule vraie cause de la guerre est dans nos institutions sociales. Et la preuve, c'est que des Etats qui n'ont point de souverains se font aussi la guerre. Qu'y avait-il dans la guerre d'Amé- rique, sinon une question de travail? Les bourgeois du Sud avaient besoin de leurs esclaves noirs; les États du Nord voulaient l'abolition do cet esclavage, pour lui substituer

10.


474 LÉ LIVRE ËLÉU

rdsclâvAgd moderne, plus dur peut-être encore que Taûeien, car l'esclave noir coûte quelque chose et l'esclave blanc ne coûte rien, pour y subtituer, dis-je, le prolétariat*

La cause première de toute guerre est la faim. Au début, le sauvage mange simplement son ennemi vaincu; plus tard, le résultat se complique en apparence, mais reste au fond le môme : le vainqueur prend au vaincu la terre, les instruments de travail, les résultats du travail lui-même, et par là satisfait ses besoins.

Cette guerre d'Orient qui a coûté tant de sang, qu'est-elle autre ohose qu'une lutte pour saisir un débouché des pro- duits de l'Orient; une véritable lutte sociale, commerciale.

Je me résume. Les travailleurs ne peuvent intervenir efficacement dans la question de là guerre qu'en conti- nuant leur œuvre sociale et en arrivant par l'organisation du travail à la suppression du paupérisme» seule cause de l'anarokie moderne. {Applaudissements proîongéSi)

HiNB, de Bruxelles* -^ Je n'ai presque rien à ajouter au discours de De Paepe. Je remarquerai que, quoique tout le monde se déclare contre la guerre, en réalité beaucoup en restent partisans sans le savoir. Vous, bourgeois, qui vou- lez des gouvernements forts pour maintenir dans l'obéis- sanoe passive les masses laborieuses; des Chambres pour donner à leurs actes une apparente sanction de justice, qui fermez les yeux en présence d'une déplorable situation économique^ vous déclarez détester la guerre, et vous vou* lez conserver tout ce qui la fait naître. (Bravos,)

Gomme preuve que la fantaisie de quelques individualités n'est pas la seule cause de la guerre, rappelez -vous 1848. ï*ensant établir une république éternelle, pacifique, on a supprimé un roi, et l'on n*a réussi qu'à faire un empereur.


DE L'INTERNATIONALE. 175

Les ouvriers eux-mêmes on été quelquefois, f^ ns leurs douleurs, partisans de la guerre, comme dériv >.(if de leur misère. Encore en 1848, ne criaient-ils pas : \ ivre en tra- vaillant ou mourir en combattant?

La question sociale s'impose toujours quand il s*agit de paix ou de guerre. L'année dernière, au congrès de la Paix, à Genève, on avait commencé à parler de faire lai guerre à la guerre par les petits moyens que De Paepe a si justement combattus. Mais après que le congrès des travailleurs a mis comme condition de son adhésion au congrès de la Paix la subordination de la question de la guerre à la question économique, la discussion ft été placée sur son véritable terrain.

Et cette année, dans quelque^ jours, va s'ouvrir à Berne le congrès de la Paix et de la Liberté, qui, d'après les ten- dances indiquées dans un programme que vous avez tous lu, ne différera que tres-peu du nôtre.

Encore un mot. Ah I si nous nous entendions assez avec les travailleurs de tous les pays pour les décider à refuser le service militaire, ce jour-là nous les déciderions à bien d'autres choses, et la question de la guerre n'existerait plus.

SPEkL, de Bruxelles. — Dé Paepe et Hins ont établi que la source de la guerre est dans la question économique. Il y a donc pour nous, travailleurs, un motif direct de nous occuper de la guerre. Le refus du travail est un moyen de protester. Des protestations contre la conscription qui livre le prolétaire au hasard et qui est le gage de son inégalité, sont un autre moyen. Il faut ensuite rapporter dans toutes les sections de l'Internationale les protestations que nous faisons ici, afin de leur donner le plus grand retentissement


176 LE LIVRE BLEU

et de provoquer contre la guerre la conjuration du peuple travailleur tout entier.

LucRAFT, de Londres. — J'abhorre également la guerre, qui ne provient que de Tavarice et de la cupidité, qui ne sert qu'à enrichir les riches, mais je crois qu'elle ne sera définitivement vaincue^ et à sa suite, les armées perma- nentes, que par le triomphe des principes que l'Association internationale s'est donné mission de propager. Je rappelle l'opinion de Montesquieu, qui, dans V Esprit des lois^ avait prévu l'influence désastreuse qu'acquerraient les armées permanentes sur la situation d'un pays. Voici aussi, d'après un ouvrage du docteur Larroque, de Paris, le montant des pertes annuelles qu'un tel système provoqpie : 2,795 mil- lions comme dépenses d'entretien, 3,300 millions pour la perte de travail des hommes enlevés à l'industrie et à l'a- griculture, 800 millions pour l'intérêt de ces capitaux gas- pillés, total : 7,075 millions sortant annuellement de la poche des travailleurs. Aussi, en France, la dette qui, en 1851, se montait à 5 milliards 100 millions, s'élève-t-elle aujourd'hui à 12 milliards 300 millions. L'Italie est de même, et il en sera ainsi tant que l'on n'aura pas pris la résolution de ré- duire les armées permanentes, tant que l'on n'aura pas com- pris que celui qui ne produit pas n'a pas le droit de vivre.

ToLLAiN, de Paris, présente, au nom de plusieurs délé- gués parisiens, les résolutions suivantes (en faveur de la paix) :

Le Congrès, considérant que la justice doit être la règle des rapports entre les groupes naturels, peuples, nations, aussi bien qu'entre les citoyens ;

Que la guerre n'a jamais été que la raison du plus fort et non pas la sanction du droit ;


DE L'INTERNATIONALE. 177

Qu'elle n'est qu'un moyen de subordination des peuples par les classes privilégiées ou les gouvernements qui les représentent ;

Qu'elle fortifie le despotisme, étouffe la liberté (nous en donnons pour preuve les dernières guerres d'Italie et d'Allemagne) ;

Que, semant le deuil et la ruine dans les familles, la dé- moralisation sur tous les points où les armées se concen* trent, elle entretient et perpétue ainsi Vignorance, la misère ;

Que l'or et le sang des peuples n'a jamais servi qu'à maintenir entre eux les instincts sauvages de l'homme à l'état de nature ;

Que, dans une société fondée sur le travail et la produc- tion, la force ne peut être mise qu'au service de la liberté et du droit de chacun ; qu'elle ne peut être qu'une garantie et non une oppression, fût-ce même pour un seul membre utile du corps social ;

Que, dans l'état actuel de l'Europe, les gouvernements ne représentent pas les intérêts légitimes des travailleurs ;

Le Congrès de l'Association internationale des travail- leurs réuni à Bruxelles,

Déclare protester favec la plus grande énergie contre la guerre.

Il invite toutes les sections de l'Association, chacune dans leur pays respectif, à se rallier à sa résolution, — ainsi que toutes les sociétés ouvrières, groupes d'ouvriers quels qu'ils soient, — à agir avec la plus grande activité et la plus grande énergie pour empêcher, par la pression de l'opinion publique, une guerre de peuple à peuple, qui aujourd'hui ne pourrait être considérée qpie comme une.


178 LE LîVRË BLEU

guerre civile, parce que, faite entre producteurs, elle ne serait qu'une lutte entre frères et citoyens.

ToLLAiN propose qu'une commission soit nommée pour recevoir les arguments que Ton n'a pu développer dans cette séance, et qu'après avoir étudié la question, elle en tire des conclusions qu'elle soumettra dans une des derniè- res séances du Congrès.

Cette proposition est adoptéô à l'unanimité moins trois voix.


A*^M*fc4i m .11 *■>*— ^4


1


DISCUSSION SUR LA QUESTION DES GRÈVES.


Rapports des sections genevoises^ en réponse à la question

des grèves et des arbitres.


Citoyens,

Tout çn reçonAaissant que les grèves^ sout contraires aux principes éconoaii(}ue8i^ nous Qroyon^ cependant quQ tant que la société aura son organisation (actuelle» que 1q capital seul sera juge et partie, que le travailleur sera soumis aux caprices de celui qui Texploite, il serait dangereux pour la classA des travailleurs de ne pas prendre des mesures éner- giques pour niettre au moins un arrêt à la baisse conti- nuelle de la main-d'œuvre.

Nous croyons que lorsque TAssociation propagerait le principe de la solidarité par une organisation qui relierait toutes les sections de T Association internatiaaale des tra- vailleurs,, nous rendrions un service efficace, aux prin- cipes que nous ^yons tous à coeur de diéfçmdrQ éAOrgique-


480 LE LIVRE BLEU

Si nous examinons attentivement le passé, nous recon- naîtrons sans peine combien a été difficile et onéreuse la position du producteur, livré à ses propres forces.

Donc, si nous voulons éviter, dans 1* avenir, les fâcheux effets de Tisolement que chaque travailleur a plus ou moins éprouvés, il faut d'abord que chaque corporation de l'Association internationale se forme en plusieurs fais- ceaux pour constituer la vraie solidarité, la seule efficace et féconde par la création de caisses centrales de prévoyance.

Leur création est aussi simple que pratique, comme nous l'a fort bien démontré la caisse centrale ouvrière qui existe à Genève depuis une quinzaine d'années, composée seule- ment de trois sociétés, fortes d'environ quatre cents socié- taires.

Ce sont les sociétés des bijoutiers, orfèvres, dès ouvriers graveurs et celle des ouvriers gaîniers.

Avec une cotisation mensuelle de 25 centimes, elle a eu à supporter quatre grèves terribles : celle des bijoutiers en 1856 qui a occasionné une dépense de 4,800 fr. ; celle des gaîniers en 1858 et 18Ô7, 4,580 francs ; la dernière, celle des graveurs, 5,600 francs.

Malgré toutes ces luttes successives, elle a toujours été maîtresse de la position. Grâce au principe de solidarité qui a toujours régné entre ses membres, à notre dernière grève, qui a tellement éprouvé la Société des ouvriers du bâtiment, elle nous a été d'un grand secours, en mettant à leur dis- position la somme de 3,000 francs. Cependant elle a encore en caisse 3,000 francs.

Vous comprendrez sans peine quel avantage il y aurait d'étendre dans toutes les sections de l'Internationale une organisation pareille. Peut-être nous objectera-t-on ^u'un


S


DE L'INTERNATIONALE. 181

système semblable serait favorable et encouragerait les grèves; il nous sera facile de prouver le contraire. Aujour- d'hui une grève se déclare presque toujours sans contrôle, et bien souvent injustement; mais avec les caisses centra- les, vous aurez un contrôle, vous aurez les comités des di- verses sections qui jugeront le différend, et par ce seul fait, ils deviendront les arbitres et ils jugeront en dernier res- sort.

Alors vous aurez confiance lorsqu'un appel vous sera fait. Car vous pourrez être sûr que Ton aura tout fait pour éviter un conflit, qui est toujours regrettable. Non, nous n'aimons pas les grèves ; mais comme c'est la seule arme que l'ouvrier possède, cherchons un moyen pour nous en servir le mieux que nous pourrons. Quant à nous, nous avons foi dans l'avenir, nous avons foi en notre grande as- sociation ; mais, nous le disons franchement, une organisa- tion générale est indispensable.

Si nous voulons que l'Association prospère, unissons- nous, et nos adversaires regarderont à deux fois avant de nous attaquer. Nous devons être prévoyants, si nous vou- lons pouvoir résister contre ceux qui veulent nous enlever le fruit de notre travail. Oui, citoyens, unissons-nous, et ajoutons une nouvelle formule à notre devise : Pas de droits sans devoirs, pas de devoirs sans droits* Ajoutons ; Qui touche k F un, touche a Vautre.


M


II


Rapport de la section Liégeoise.

Pour être complet, un travail sur la grève doit néces$ai«  rement examiner celle-ci sous toutes ses faceâ.

Nous Tétudierons d'abord dans ce qu'elle a de mauvais et de contraire au but que nous voulons atteindre ; nous dirons après dans quels Cas elle doit être employée et comment on peut atténuer les préjudices qu'elle manque rarement de causer.

La grève est une conséquence fatale de Tantagonisme qui existe aujourd'hui entre le travail et le capital, et ne fait qu'accroître cet antagonisme.

Elle ressort nécessairement d'une organisation sociale injuste et conserve en elle le germe de l'injustice. Il y a là un cercle vicieux dont il nous faut sortir à tout prix.

Dans rétat social actuel, état que nous condamnons, mais que nous devons subir tant que nous ne sommes pas en état de lui en substituer un autre, la libre concurrence est la seule garantie qui puisse exister entre le producteur et le consommateur.


LE LIVRE BLEU DE L'IN TERN ATIONALE. 183

Or, la grève détruit cette garantie, puisqu'elle gêne toute liberté de transaction et met la violence et la contrainte là où il devrait y avoir accord et réciprocité.

La concurrence, nous le savons, est une garantie insuf- fisante, mais c'est pour cela qu*il faut opérer une ré- forme radicale et transformer entièrement l'organisation so- ciale.

La grève est une lutte. Elle accroît donc les ferments de haine jetés entre le peuple et la bourgeoisie, et sépare de plus en plus deux classes qui devraient au contraire se fon- dre et se réunir.

La coalition^ qu*elle vienne des patrons ou des ouvriers, a le même principe pour point de départ : chacun cherche à agrandir sa part au détriment de l'autre ; elle a le même ré- sultat pour conséquence finale : elle produit arbitrairement une baisse ou une hausse dans la valeur des produits, dé- nature ainsi la loi de Voffre et de la demande, et met la dé- fiance et la contrainte là où il est nécessaire qu'il y ait con- fiance et mutualité.

En effet, la coalition venant des patrons peut avoir pour résultats :

1° De leur donner un monopole qui leur permette d'im- poser leurs produits à des conditions onéreuses,

2° De simuler une rareté factice et par là d'augmenter la valeur d'un produit quand ils s'unissent pour renvoyer une partie des ouvriers et arrêter ainsi la production.

Et venant des ouvriers, elle occasionne le même renché- rissement, soit qu'ils réclament une augmentation de sa- laire, soit qu'ils demandent une diminution du nombre d'heu- res de travail et profitent de leur force pour imposer leurs conditions.


184 LE LIVRE BLEU.

Des deux côtés, il y a une violence réelle qui détruit tout à fait le libre contrat.

Or, comme le dit Proudhon, le producteur a droit à un payement rémunérateur du produit de son travail, mais le consommateur a droit de ne payer ce produit que ce qu*il vaut réellement.

Aujourd'hui, le seul moyen de parvenir à ce résultat consiste dans la liberté complète des transactions, — et la grève entrave cette libertQ.

Plus tard, par Tassociation libre des travailleurs mettant en pratique la mutualité de réchange et la solidarité des groupes, on créera une garantie réelle et contre le risque de voir les producteurs trop peu rémunérés, et contre le risque contraire d'avoir à payer les produits trop chers. — La grève sera donc alors inutile et même impossible. — De nos jours, elle conduit à une voie déplorable où il est dif- ficile de s'arrêter.

Après la grève pour augmenter les salaires ou diminuer le nombre dès heures de travail, on en arrive aux coali* tiens pour empêcher le patron de prendre des apprentis, pour lui défendre d'employer des étrangers ou de se servir des procédés nouveaux. Et comme la haine et l'injustice appellent l'injustice et la haine, les ouvriers en arrivent à se faire la guerre entre eux, après l'avoir faite à leurs pa- trons.

La grève, mauvaise dans son principe, est presque tou- jours funeste dans ses résultats. — C'est une arme à deux tranchants qui blesse souvent ceux qui s'en servent.

Sans parler de l'argent dépensé à la soutenir et de la perte de production qui résulte du chômage (perte de pro- duction qui se traduit toujours par un renchérissement gé-


DE L'INTERNATIONALE. 185

néral dont tout le inonde doit souffrir), n'a-t-elle pas sou- vent pour conclusion :

1» La soumission onéreuse des travailleurs qui ne peu- vent lutter longtemps faute de capitaux.

2*> L'appel fait par le patron à des ouvriers étrangers ve- nant faire une concurrence désastreuse aux premiers. ' S® La fermeture des ateliers ou au moins le renvoi d'une partie des ouvriers.

A^ La faillite du patron, et, par conséquent, les ouvriers sans pain et sans travail, obligés d'aller à leur tour faire concurrence aux travailleurs des autres ateliers et à dé- terminer eux-mêmes cette baisse du salaire contre laquelle ils s'élevaient.

Enfin, la grève se termine souvent dans l'émeute, et à la violen.ce morale vient se joindre la violence physique ; la force remplace le droit, et l'ouvrier sans défense est mi- traillé au nom de l'ordre et de la légalité.

Mais, dira-t-on, si la grève est* mauvaise, il faut donc l'a- bolir le plus tôt possible ?

— Évidemment.

— Alors il faut laisser l'ouvrier à la merci d'un patron qui lui offre un salaire dérisoire en retour d'un travail exor- bitant, atteignant souvent quatorze et quinze heures par jour?

— Qui a jamais prétendu cela ?

Nous reconnaissons que la grève, résultat de Fanarchie, la produit à son tour, et que chacune est le complément de l'autre. On ne peut donc abolir Tune sans l'autre, et le seul moyen de supprimer ja grève est d'arriver à un état social basé sur la justice, où la mutualité remplacera l'antago- nisme.


186 LE LIVRE BLEU

Pour cela, il faut que les ouvriers s'unissent, s'associent et remplacent les ateliers où cent individus sont exploités par un seul, par des ateliers où cent associés s'aident mu- tuellement et répartissent équitablement entre eux les bé- néfices ainsi réalisés.

Les ateliers constitués de cette façon doivent, suivant les principes de solidarité, se garantir la réciprocité de ré- change et la gratuité du crédit.

Enfin, les travailleurs ont à compléter leur ijfstruction et leur éducation de façon à pouvoir se substituer en tout à la classe des patrons, des savants et des capitalistes, et épren- dre eux-mêmes la direction de leurs affaires. Us se sous- trairont ainsi au pouvoir de ceux qui spéculent sur leur mi- sère et leur ignorance.

Chacun comprend que dans cet état social que nous de^ vons nous efforcer d'atteindre, la grève aéra chose impos* sible. Ne tachons donc pas de nous habituer à la considérer comme le seul remède à nos maux.

Efforçons-nous au contraire de montrer tout ce qu'elle a de mauvais^ de contraire au droit et à la liberté ; et si la nécessité nous oblige parfois à nous en servir, sachons au moins que nous ne devons l'employer qu'avec précautionf après avoir mûrement réfléchi et longuement pesé les con«  séquences qu'elle comporte avec elle.

Cependant, puisque nous reconnaissons nous-mêmes la fatale nécessité de la grève, puisque nous constatons son existence, nous ne devons pas nous borner à la déclarer mauvaise et attendre, confiants, un avenir meilleur.

Si l'on savait que le choléra doit disparaître un jour, de- vrait-on moins tâcher de le combattre dans le présent et d'en atténuer les tristes effets ?


DE L'INTERNATIONALE. 187

Insensé qui le croirait !

Notre devoir est donc pour le moment de chercher à amoindrir les fatales conséquences de la grève et de déter- miner les cas où Ton doit se résoudre à remployer.

D*ailleurs, la grève, injuste dans son principe, à cause de l'anarchie même dont elle fait partie^ retrouve dans cer- tains cas une impérieuse nécessité qui Térige momentané- ment comme un droit qu'il est bon d'opposer à une eieplol- tatioa trop grande.

Elle pouti en telle circonstance» relever la dignité de l'ouvrier, lorsque les patrons veulent s'immiscer dans leur vie privée et leur interdire telle opinion, telle association, telle manière de slorganiser.

La grève des bronziers de Paris suffit à le prouver.

Elle peut même rétablir jusqu'à un certain point l'équité dans la loi de l'offre et de la demande, lorsque, par la con- currence effrénée que les patrons se font, en la laissant peser uniquement sur les travailleurs, ils parviennent, par la diminution graduelle des salaires, à livrer un produit quelconque au-dessous de sa valeur réelle.

Enfin, elle offre encore un caractère évident de justice, lorsque, livrant même les produits ce qu'ils valent réelle- ment, le patron prélève sur le prix de ces produits un bénéfice exorbitant qui rend de nouveaule salaire illusoire»

Dans un grand nombre de cas, la grève peut donc re- trouver à côté de l'injustice plus grande des exploiteurs, un certain côté juste qu'il ne faut pas dédaigner, etquiper^ met de s'en servir comme un moyen de lutte momentané.

Mais il faut pour cela qu'elle soit définitivement organisée, do façon à offrir toutes les chances de réussite à ceux qui sont réduits à s'en servir.


488 LE LIVRE DLEU

Mais la grève est multiple.

D'un pays à l'autre, d*un métier au métier voisin, elle peut différer entièrement et dans le but et dans la forme.

Il est donc impossible de formuler des préceptes complets» servant dans toutes les circonstances et ayant la même efficacité partout.

C'est ici que commence le rôle de l'Internationale.

Par son influence colossale et les capitaux dont elle dispose, elle seule peut procurer aux ouvriers les moyens de lutter avec avantage contre les patrons et les capi- talistes.

Par ses ramifications dans toutes les contrées, elle peut empocher les ouvriers d'un pays de venir faire la concur- rence aux coalisés d'un autre.

Par son enquête sur les salaires et les conditions du tra- vail dans chaque localité, elle peut souvent éviter la grèvOf en donnant aux ouvriers entassés dans un endroit et se faisant une concurrence désastreuse par le trop de bras, les renseignements et le crédit nécessaires pour se déplacer.

Ainsi les salaires, n'étant plus disputés par une trop grande quantité de travailleurs, reprendront leur taux nor- mal, et les prolétaires comprendront que Teutente . et la réciprocité ont une influence bien plus bienfaisante sur leur condition que la lutte et Tégoïsme individuel.

Enfin, l'Internationale comptant dans son sein des tra- vailleurs de toutes les professions, est mieux à même que n'importe qui de prendre en main la défense de leurs intérêts.

Il arrive souvent, par exemple, qu'un corps de métier, en se mettant en grève, cause par là môme une grève forcée chez les ouvriers dont le métier dépend du premier.


DE L'INTERNATIONALE. 489

La grève de quelques-uns faite aux' dépens de beaucoup d'autres ne pourra donc plus se faire à Taveugle, puisque tous les corps de métier étant appelés à se prononcer, chacun discutera son intérêt, et c'est naturellement l'intérêt général qui l'emportera.

Pour nous résumer :

I^ grève doit être organisée ;

Elle doit pouvoir compter sur un capital qui lui permette de lutter le temps nécessaire ; elle doit être assurée que des étrangers ne viendront pas la ruiner par une concurrence désastreuse ;

Elle doit être unanime et respecter les droits de chacun ;

Enfin, elle doit être régie par un conseil d'arbitrage, composé de membres appartenant à toutes les nations, à tous les corps de métier, reconnaissant et mettant en pra- tique les principes de justice et de solidarité.

L'Association internationale seule est en état de présider à cette organisation. \

C'est à elle qu'incombent le droit et le devoir de prendre en main la cause des travailleurs.

Elle ne faillira pas à cette tâche.

Nou^ sommes réunis en ce Congrès comme en une vaste consultation médicale. Nous sommes, en effet, les médecins des maladies sociales, et notre devoir est de ne pas nous en dissimuler la gravité.

Mais cette constatation faite, tous nos efforts doivent se porter vers le remède.

Le remède aux maux du moment consiste dans la sage organisation de la grève, mais souvenons-nous que le re- mède définitif est dans la justice et la mutualité.


11-


III


Rapport de la section Bruxelloise,


Nous devons déclarer d'abord qu'à nos yeuît \^ grève n'est pas une solution, môme partielle, du grand problème de l'extinction de la misère, mais nous croyons qu'elle est un instrument de lutte dont l'emploi conduira définitivement vers' la soliition de ce problème. C'est pourquoi notts croyons devoir réagir contre les coopérateurs exclusifs qui, en de- hors des sociétés de consommation, de crédit et de pro- duction, ne voient aucun mouvement sérieux parmi les travailleurs et regardent en particulier la grève comme inutile, yoire même comme funeste aux intérêts des travail- leurs. Nous croyons qu'il serait nécessaire ici de distinguer entre grève et grève, tant au point de vue de l'organisation de la grève qu'au point de vue du but qu'elle poursuit ; mais avant d'en arriver là, nous voulons répondre à deux objections que l'on a faites contre les grèves en général.

Et d'abord nous rencontrons l'objection d'Adam Smith, objection si souvent répétée et par les économistes et par les socialistes. Les premiers en effet se sont servis de cette


LE LIVRE BLEU DE L'INTERNATIONALE. 191

objection pour détourner les ouvriers de toute lutte aveo les patrons et pour engager les travailleurs à se soumettre à rinflexibilité des lois économiques; les seconds s'en sont servis comme d'une arme contre Tordre social actuel, dans lequel ils prétendent que le prolétaire ne peut absolument briser aucun des anûeauK de sa longue chaîne.

Voici côtte objection ; « Dans ces sortes de disputes^ dit Adam Smith, les maîtres peuvent tenir bien plus longtemps. Un propriétaire) an fermier, un maître manufacturier, un commerçant peuvent généralement vivre une année ou deu)t deâ fonds qu'ils ont par devers eux, sanâ employer uii seul ouvrier^ La plupart des Ouvrier^ nd pourraient pas subsister une semaine, fort peu ^espace d'un mois, et presque attcuii l'espace d'un an^ sans travailler. A la longue le maître ne peut pas plus &e passer dé rouvriei*, maië lô besoin qu'il ôû a n'est pas ai urgeiit. »

Ceux qui 'répètent aujourd'hui ces paroles du père de réconoitiie politique, Semblent n'avoir rien vu de l'immense évolution économique qui s'est accomplie depuis l'époque où écrivait Adam Smith; l'état économique au milieu du- quel Adam Smith vivait, n'est plus complètement identique à celui où nous vivons. D'Utte part, à la lutte individuelle, isolée, du Salarié contre le capitaliste, s'est substituée la luttô collective deô aèsociations ouvrières. D'autre part, dans un graftd nombre d'industries, à l'employeur, le pa- tron, le maître manufaoturîer, s'eôt substitué l'association des capitalistes, sott sous forme de société anonyme, soit sous toute autre forme, et cette élimination de l'employeur est même une des tendances les plus marquées et les plus remarquables de la période économique que nous traver- sons en ce tnoménl. Or, au premier point de vue, s'il est


i9i LE LIVRE BLEU

vrai qu'un ouvrier isolé, livré à lui-mémo, peut rarement rester une semaine sans travailler et plus rarement eneore un mois, il n'en est plus de même lorsque Ton considère une association ouvrière qui s*est concertée longtemps à l'avance et qui peut compter non-seulement sur sa propre caisse, mais encore sur Taide des autres associations ovtr vrières. Au second point de vue, s'il est vrai jusqu'à un certain point que du temps de Smith un propriétaire, un fermier, un maître manufacturier, pouvait généralement rester un an ou deux sans faire travailler ses ouvriers, il n'en est plus de même lorsqu'on considère une société ano- nyme, dont les capitaux se retireraient bien vite s'ils ces- saient quelque temps d'une façon absolue de produire des intérêts; et du reste, môme pour l'employeur ou pour le capitaliste se trouvant personnellement à la tète d'une in- dustrie, on peut dire que ce que dit Adam Smith n'est pas •xact, ce patron ou ce capitaliste n'ayant paiï seulement à vivre des fonds qu'il pourrait avoir par devers lui, mais devant aussi faire face à ses engagements tant vis-à-vis de ses créditeurs et fournisseurs de matières premières que vis-à-vis de sa clientèle. Aussi, voyez comme les faits donnent de plus en plus un éclatant démenti aux observa- tions de Smith, à mesure que les intérêts d'un établissement industriel se trouvent plus étroitement liés aux iniérêts des autres, et à mesure que se généralise le concert et l'en- • tente parmi les ouvriers. Si l'on peut citer encore bon nombre de grèves où les patrons ont triomphé des récla- mations des ouvriers, c'est par milliers qu'on peut citer celles où les ouvriers ont fini par triompher de l'opposi- tion des patrons. Certains adversaires de la grève, qui sont le plus sou-


DE L'INTERNATIONALE. 193

vent des hommes théoriques et non pratiques^ ont fait contre la grève une autre objection générale. Ils déplorent le temps que perdent les ouvriers en grève ; c'est, disent- ils, arrêter la production, comme si les produits faisaient défaut! Ils ajoutent aussi que lorsque Touvrier reste huit ou quinze jours dans rinaction, celui-ci n'en consomme pas moins. Ce langage est tout bonnement ridicule^ alors que l'on songe qu'il y a dans la société des hommes qui n'ont, pen- dant toute leur existence, produit quoi que ce soit, c'est-à- dire pas un quart d'heure de travail. Ont*ils, ces contra- dicteurs, songé un seul instant au nombre d'heures que font chaque jour les producteurs? Ainsi, nous pouvons, avec la certitude de ne pas être démenti, avouer que la plu- part des ouvriers ne travaillent pas un jour par jour, mais bien un jour et demi. Citons les mineurs, qui descendent dans la fosse à 5 heures du matin pour n'eu sortir qu'à 10 heures du soir. Si l'observation de ces hommes était fondée, on serait amené à reprocher au travailleur le temps qu'il perd lorsque la maladie le tient au lit, où il con- somme encore, mais ne produit pas.

Mais nous désirerions savoir si le travail qui n*a pas été fait ne reste point à faire? Les adversaires de la grève pouri'aient répondre à cette remarque, s'il leur était donné de pouvoir prouver que les producteurs ne sont pas par-, fois obligés de chômer sans qu'il dépende de leur propre volonté. Ignore-t-on que, dans presque toutes les profes- sions, il y a ce qu'on appelle les mortes saisons? Et, à, part les mortes saisons, n'avons-nous pas régulièrement des chômages dus simplement à une surproduction, à un en- combrement de produits non écoulés ? Mais quand les ob- servations de nos contradicteurs seraient fondées, cela ne


194 LE LIVRE BLEU

devrait pas empêcher les ouvriers de faire la grève, par la raison tonte simple qn'il vaut mienx passer par on mauvais ohemin que de tomber dans un précipice.

En effet, en supposant que dans une grève faite parce que les patrons veulent diminuer le salaire ou augmenter les heures de travail, ou bien parce que les ouvriers veulent faire augmenter le salaire ou diminuer les heures, le pro«  ducteur perde son temps et son argent, ne regagne-t-il pas l'un et l'autre quand la grète réussit? Qu'il n'obtienne qu'une diminution d'une heure de travail, oela ne lui fait-il pas au moinâ 300 heures par année? Un fait est constanti o'est que les professions qui n'ont pas d'organisation du^ rable pour la grève, pas de sociétés de résistance, sont dans un état déplorable, tandis que dans celles où oela existe, les ouvriers sont non^eulement plus heureux au point de vue du gain, mais aussi moins durement traités.

Nous disions qu'il était nécessaire de distinguer entre grève et grève, tant au point de vue de l'organisation de la grève qu'au point de vue du but qu'elle poursuit.

En nous plaçant au premier point de vue, celui do l'orga- nisatiou qu'exige la grève, il nous parait évident que toute grève qui est mal combinée et mal dirigée, soit que les ressouroes n'aient pas été bien calculées, soit que la sai-* son ne soit pas favorable, a bien peu de chance do réus-^ sir; or, toute grève qui ne réussit pas est pour le travail* leur un désastre immense, parce qu'elle est une déperdition de capitaux à cause des frais qu'elle nécessite et du chô-» mage qu'elle occasionne, parce qu'elle est un décourage- ment pour toutes les tentatives ultérieures, parce qu'enfin elle amoindrit l'homme et enlève au travailleur quelque chose de sa fierté et de sa dignité. Mais c'est pour cela


DE L'INTERNATIONALE. 195

précisément que nous croyons que la grève doit cesser d'être une guerre au hasard, un combat de travailleurs, mais doit être bien organisée, dûment méditée d'avance et préparée de longue main.

En noua plaçant au second point de vue, c'est-à-»direpour ce qui est relatif au but particulier que la grève peut se proposer d'atteindre, nous trouvons qu'il y a matière en- core à distinction. En effet» la grève peut avoir pour but ; ou une demande de salaire, ou le refus d'accepter une di- minution de salaire^ ou une demande de diminution dans les heures de travail, ou le refus d'accepter une augmen- tation des heures de travail, ou l'abolition de règlement» d'atelier attentatoires à la dignité de travailleur, ou Famé* lioration des conditions de salubrité et de sécurité de certains ateliers ou de certaines mines, ou le refus do travailler avec un outillage défectueux ou avec des matières premières de mauvaise qualité dont l'emploi peut oonstituer une perte pour l'ouvrier, ou le dessein de s'oppo-* ser a la violation des contrats passés avec les patrons (comme cela s'est présenté il y a un an pour la grève des teinturiers en coton d'Amiens), ou le projet de déjouer les machinations des chefs d'industrie contre l'existence même de l'Association ouvrière (comme il est arrivé pour la dernière grève des broaziers de Paris et pour la grève des imprimeurs sur étoffe de Roubaix), ou encore l'oppo- sition contre l'introduction d'un trop grand nombre d'ap- prentis dans les ateliers.

Lorsque la grève a pour but une augmentation de salaire, nous savons tout ce qu'on peut lui objecter. On fait ordi- nairement à ces sortes de grèves deux objections. Voici la première :


196 ^-E LIVRE BLEU

Ricardo, Mac Culloch et beaucoup d'autres économistes prétendent que le taux du salaire est inyarlablement fixé par le prix des objets de première nécessité. Plus les sub- sistances sont d*un prix élevé, plus les salaires le seront également; plus les subsistances sont bon marcbé, plus les salaires seront bas.

Telle est la loi inflexible qui, d'après ces économistes, régit le taux des salaires, et les réclamations et les efforts des ouvriers ne peuvent rien contre la fatalité de cette loi. « Que le pain baisse de 5 centimes le kilogramme, avec la constitution actuelle de l'industrie, dit M. Michel Chevalier, il ne faudra pas six mois pour que les salaires aient subi une réduction à très-peu près équivalente. » Et ce ne sont pas seulement les économistes qui ont affirmé l'existence de cette loi inéluctable, la plupart des écrivains socialistes, Vidal, Pecqueur, les deux De Potter, Colins, etc., la recon- naissent également, non pas, il est vrai, en la regardant comme une loi étemelle (ce serait incompréhensible chez des socialistes), mais comme une conséquence inévitable de Tordre social actuel. « Aujourd'hui, dit Vidal, le mini- mum de subsistances est le taux normal des salaires. Les salaires gravitent vers ce minimum fatalement, comme le liquide vers son niveau : c'est la loi. »

Ce serait peut-ôtre ici le moment de dire un mot sur la prétendue inflexibilité des lois économiques ; mais nous en parlerons plus loin à propos d'une autre objection. Quoi qu'il en soit, beaucoup d'économistes, Adam Smith, Stuart Mill, Dunoyer, Carey, Bastiat, Baudrillart, etc., nient la soi-disant loi de Mac Culloch et de Ricardo, et ils nous pa- raissent avoir parfaitement raison. Nous ne disons pas que le prix des subsistances n'a absolument aucune influence


DE L'INTERNATIONAUE. 197

Bur le taux da salaire, mais nous soutenons que cette in- fluence est tantôt dans le rapport exprimé par la loi de Mae Culloch, tantôt on le trouve dans un rapport diamétralement inverse. Expliquons<nous : Lorsque le prix des subsistances augmente, il y a ordinairement ralentissement dans l'acti- vité d'une foule d'industries, parce que l'argent des con- sommateurs se porte alors avant tout sur les objets de première nécessité, et s'il se peut qu'alors l'ouvrier, en demandant une augmentation de salaire, parce que ce sa- laire n'est plus en rapport avec le prix des subsistances; obtienne l'augmentation demandée, il se peut aussi que le ralentissement de l'industrie, le manque de commandes fasse précisément que les patrons puissent se passer d'une bonne partie de leurs ouvriers. Au contraire, lorsque le prixdes subsistances diminue, l'industrie reprend, et alors certainement le désir de diminuer le salaire peut exister chez les patrons, mais la demande de bras se faisant, l'ou- vrier est plus à môme que jamais de faire augmenter son salaire, ce qui est précisément l'opposé de la loi de Mao Gulloch. Et c'est ce qui arrive en effet ; mais, bien entendu, lorsque les ouvriers s'entendent, se coalisent, car s'ils de- vaient attendre l'-augmentation de salaire du libre jeu des lois économiques, ils attendraient peut-être longtemps.

Du reste, un simple coup d'œil jeté sur les faits suffît pour démontrer que la dépendance du phénomène du taux des salaires vis-à-vis du prix des subsistances est peu étroite.

Exemple : Le salaire du travail n'a guère varié, depuis dix ou vingt ans, dans une foule de métiers, tandis que dans d'autres le salaire a constamment baissé. Le prix des sub- sistances vai'ie généralement d'une année à l'autre, môme d'un mois à l'autre, et en prenant la succession des années.


1^8 LE LIVRE BLEU

ou peut môme dire que le prix des subsistances va sans oesse en s*enchérissant.

Autre exemple : Il y a dans beaucoup d'industries une différence entre le salaire d'été et le salaire . d*hiver ; les affaires reprenant souvent vers Tété dans ces industries, le salaire est plus fort en été ; et cependant à cause de la dépensa plus grande de chauffage, de lumière, de vêtement et de nourriture en hiver qu'en été, le salaire devrait être plus élevé. De tout cela, on peut conclure que la loi de Mac GuUoch est fausse, et qu'elle ne mérite même pas le nom de loi économique, puisque non-seulement elle n'est pas la généralisation d'un fait constant, mais qu'elle n'est pas môme une simple tendance, n'est pas même une loi-limite, Aussi le bon sens populaire n'en a-t-il jamais tenu compte*

Voici maintenant la seconde objection : Le prix d'un produit quelconque, dit-^on, se compose de deux choses ; d'une part, du salaire des travailleurs; d'autre part, des prélèvements du capital (c'est*à-dire intérêts, dividendes, bénéfices des patrons, profit des intermédiaires, etc,}. Or, un des deux facteurs du produit s'élevant, le produit lui-- même s'élève, et par conséquent lorsque les salaires s'élè- vent, le prix des objets de consommation ; s'élève ; ensuite, l'autre facteur du produit s'élève bientôt à son tour, parce que la grève, en haussant le salaire, a fait renchérir le prix des objets de consommation, ce renchérissement amène comme contre-coup une élévation dans le prix des loyers^ des fermages et des capitaux, et cette hausse des loyers, des fermages et des intérêts amène à son tour un nouveau renchérissement des produits, puisque les bénéfices du capital forment, comme il est dit plus haut, avec la rétribu- tion accordée au travail, le prix de tout produit. Ainsii dit-


DE L'INTERNATIONALE. 199

. on, réoart entre la valeur du salaire et le prix des objets de consommation n*est pas moins grand après qu'avant la grève. On en conclut enfin que la grève pour augmentation de salaire est pour le moins inutile, même lorsqu'elle réussit.

Certes, nous sommes loin de nous dissimuler la gravité de cette objection ; nous en reconnaissons même la justesse pour un grand nombre de cas ; mais les conclusions qu*ou en tire nous paraissent trop absolues.

Nous ne contesterons pas cette sorte de loi économique, en vertu de laquelle on prétend que lorsqu'un élément du prix d'un produit s'élève, le prix total du produit tend à s'élever. Mais nous ferons observer que cette loi n'est, comme les autres lois économiques, qu'une loi tendantielle, c'est-à-dire qui se trouve arrêtée dans la pratique par une foule de causes modificatrices. En effet, chaque science a ses lois particulières, et ces lois se rapprochent d'autant plus de l'absolu que la science est plus simple, que les phé- nomènes à observer sont moins compliqués.

En mécanique, par exemple, les lois scientifiques s'iden- tifient presque avec l'expression même des faits; mais en biologie, et ^urtout en science sociale, il faut tenir compte d'une masse de variations dépendant des milieux et des circonstances. Il en est de même de la célèbre loi de Y offre et la demande, que nous sommes loin de contester, mais qui est cependant neutralisée par une foule de faits écono- miques ; il en est ainsi également de la loi relative aux prix des produits, que nous examinons en ce moment.

Si nous nous transportons dans une société où il n'y au- rait que des travailleurs sans intermédiaires, ni capitalistes, certes là toute augmentation du prix de la main-d'œuvre


200 LE LIVRE BLEU

amènerait une augmentation dans les prix du produit, le travail étant, dans ce cas, l'élément unique de la valeur. Si nous nous transportons dans une société où il n'y aurait plus d'intermédiaires entre les travailleurs et les capita- listes, où tout le capital serait représenté par des actions sans intérêts et dividendes, et tout le travail par la main- d'œuvre donnant salaire, la loi économique que nous exa- minons ne trouverait déjà plus une réalisation aussi voi- sine de la vérité absolue que dans le cas précédent, mais elle s'en éloignerait moins qu'aujourd'hui. En effet, si dans ce cas, dans une industrie quelconque, les salaires aug- mentaient, il y aurait une tendance marquée à l'élévation des intérêts et dividendes du capital, car sans cela les ca- pitaux se dirigeraient bientôt vers des industries où le loyer des capitaux est mieux payé, les capitaux étant aveugles par nature et n'ayant pas plus de préférence pour telle in- dustrie que pour telle autre.

Mais il n'en est pas ainsi aujourcfhui. En prenant l'orga- nisation actuelle de la société, nous disons que le fait du renchérissement des produits après la hausse du salaire, n'est rien moins qu'un fait général, et nous allons citer quelques exemples à l'appui de ce que «lous avan- çons :

1*' Exemple : La concurrence que le patron est obligé de soutenir ne lui permet pas toujours d'augmenter ses bé- néfices en proportion de l'augmentation des salaires, et alors le renchérissement des produits n'a pas lieu ; la hausse du salaire est prise dans ce cas sur les profits du patron, les- quels diminuent d'autant.

^ Exemple : A part les bénéfices prélevés par les pa- trons, il arrive fréquemment que les placiers ou môme ceux


DE L'INTERNATIONALE. 201

qui ne font que procurer la commande reçoivent 5, 10, 15, 20 et même 25 p. cent sur la vente.

Établissez après cela, d'une façon claire et nette, que le prix d*un produit devra être majoré, parce qu*on aura augmenté de quelques centimes la journée de l'ouvrier, comme si l'augmentation de salaire dans ce cas, môme sans être prise sur les profits des patrons, ne pouvait être prise sur une partie du pour cent des placiers et autres intermédiaires.

3« Exemple : Lorsque l'augmentation de salaire a lieu dans une industrie qui jouit d'un monopole ÇLé^ol ou na- turel, peu importe), et dans laquelle par conséquent les bénéfices du capital sont très-élevés à cause du manque de concurrence, il se peut que, malgré la hausse des salaires, lesdits bénéfices soient encore plus élevés dans ladite in- dustrie que dans toute autre ; alors les capitaux ne se diri- geront pas ailleurs, et il se peut que le patron ne fasse pas hausser le prix des produits, dans la crainte que cette hausse des produits ne vienne à faire diminuer la consommation et par suite la vente, conformément à cette loi économique : « Quand le prix d'un produit s'élève en progression arithmé- tique, la consommation de ce produit tend à diminuer dans une progression géométrique. >

4« Exemple : Lorsque la hausse du salaire coïncide avec une diminution dans les frais de production, celle-ci, qui sans cette hausse n'aurait fait qu'augmenter les profits du patron, pourra avoir lieu exclusivement à l'avantage des ouvriers, si la hausse du salaire est strictement proportion- nelle à l'économie obtenuCi ou être à la fois à l'avantage de l'ouvrier et du patron, si l'économie des frais est su- périeure à la hausse du salaire : dans l'un comme dans


202 LE LIVRE BLEU

l'autre cas, il n'y a pas ici de motif pour que le prix des produits s'élève.

Quant à la grève faite pour s*opposer à Tintroduction d'apprentis dans les ateliers, c'est là une question des plus délicates. Il est des professions dans lesquelles les travail- leurs ^'opposent systématiquement à faire des apprentis, dcuxs la crainte qu'ils ont de voir ces apprentis, devenus ou- vriers à leur tour, leur faire concurrence sur le marché du travail ; nouç comprenons cette crainte, mais nous ne poa«  voua approuver la mesure qu'elle a dictée à certaines cor- porations; les enfants du peuple, rejetés ainsi de certaines industries, se rabattent sur d'autres, et alors, de deux choses l'uuQ ; ou ces industries les reçoivent, et se trouvent alors un beau jour encombrées de bras; ou bien elles les repous- sent, et alors où Venfant apprepdra-t-il à travailler?

S'il est juste que l'ouvrier ait un salaire équitable, qu'il ait le droit de vivre en travaillant, l'apprenti a aussi le droit d'apprendre à travailler pour vivre.

Nous m voulons pas le monopole d'où qu'il vienne, et uoua protesterons tout aussi bie^ contre les travailleurs qui veulent monopoliser dans leurs mains le travail, que contre les oisifs qui ont monopolisé dans leurs mains les capitaux et la propriété. Notre devise est : Justice avant tout et envers tous.

Mais s'il est juste que l'enfant du peuple puisse appren- dre un métier, est-il juste qu'il le fasse au détriment de celui-là même, c'est-à-dire de l'ouvrier? Non, évidemment. Eh bien, c'est ici qu'est le nœud de la question. Actuelle- ment, dans beaucoup de professions, il en est des apprentis comme des machines, lesquelles en fonctionnant exclusi- vement au profit des patrons, portent préjudice aux travail-


DE L'INTERNATIONALE. 203

leurs; c'est-à-dire que la machine supprime les bras, et que les apprentis, après avoir appris sous les yeux et par les conseils des compagnons, font le travail â un prix inférieur à celui qu'exigent les ouvriers faits. Voilà le mal dont se plaint Touvrier.

Pour nous, cette question de l'apprentissage û& ti*ouvera sa solution définitive que dans la solution d*une autre question qui se trouve également à l'ordre du jour du pré- sent Congrès ; nous voulons parler de l'enseignement in- tégral, comprenant renseignement complet et simultané des sciences et des métiers. En dehors de l'enseignement mu- tuel, une autre solution de cette question des apprentis ré- side peut-être dans la généralisation des associations de production, associations où les apprentis, au lieu de consti- tuer un bénéfice pour le patron comme aujourd'hui, travail- lent pour le compte des travailleurs associés; de même que la machine, qui constitue aujourd'hui également un avan- tage pour le patron, fonctionnerait également pour les tra- < vailleurs associés. Mais en attendant, les sociétés de résis- tance ne pourraient-elles pas arriver à une solution toute actuelle et immédiate de cette question ?

Ne pourrait-on pas arriver à ce que le travail de Tap- prenti fût compté, par le patron, comme ayant été fait par les ouvriers ? Ceux-ci, après avoir payé à l'apprenti ce qui lui revient, verseraient la différence au profit de la société de résistance. Déjà, dans plusieurs professions, un mode ana- logue est en usage. Citons comme exemples les cigariers, qui ont chacun un apprenti à leurs frais, et les tailleurs, qui ont eu une expression toute particulière pour qualifier le leur : ils le désignent sous le sobriquet de bœuf.

Si ce système pouvait être admis, il en résulterait évi-


204 LE LIVRE BLEU

demment que l'ouvrier, n'ayant plus à redouter de concur- rence de la part de l'apprenti, consacrerait plus de temps à lui indiquer la manière d'exécuter le travail, et finirait très- probablement par en faire un travailleur plus parfait que ceux qui sortent de l'organisation actuelle. Ce serait done à la fois un avantage pour le compagnon et pour l'apprenti.

Pour terminer sur ce point, nous concluons : i^ que la grève faite en vue de s'opposer systématiquement à toute introduction d'apprentis n'est pas légitime; 29 que là grève faite en vue de 9' opposer à l'introduction d'apprentis ve- nant faire à bas prix la. besogne des ouvriers peut être considérée comme légitime, mais qu'il s'agit néanmoins alors de chercher une combinaison qui permette à l'enfant du peuple d'apprendre son métier, sans léser les intérêts de l'ouvrier fait.

Quant aux grèves qui ont pour but d'alléger un travail abrutissant de 15 à 16 heures par jour et tuant littéralement le travailleur dans son corps et dans son intelligence, et quant à celles qui ont pour objet la suppression de règle- ments attentatoires à la dignité, ou de rappeler les patrons à leurs engagements, ou de s'opposer à la coalition des maîtres contre le droit d'association pour le travailleur, qui donc oserait en contester la parfaite légitimité et la haute moralité? Dans ce cas, la cessation de travail ne nous paraît pas seulement un droit, c'est un devoir.

La grève peut donc offrir des avantages incontestables, nous croyons l'avoir démontré suffisamment. Mais, selon nous, les grèves doivent être soumises à certaines condi- tions^ non-seulement de justice ou de légitimité, mais aussi d'opportunité et d'organisation. Ainsi, pour la question d'opportunité, il est aisé de comprendre que telle saison,


DE L'INTERNATIONALE. 205

par exemple, peut être plus favorable à la réussite de la gi'ève que telle autre. Quant à la question d'organisation, nous croyons que la grève doit être conduite par des sociétés de résistance. Sans cela, tout en étant parfois nécessaires, les grèves courront sans cesse la chance d'aller à rencontre des intérêts des travailleurs et devront presque toujours aboutir à des troubles, qu'on décore plus vulgairement, avec une intention malveillante, du titre d'émeutes.

Et comment pourrait-il en être autrement? La loi défen- dait aux travailleurs de se réunir autour des établissements où a cessé le travail, et les ouvriers n'ayant pu s'entendre au préalable pour choisir des délégués qui réunissent les qualités nécessitées pour une démarche à feire chez les pa- trons (c'est-à-dire les convenances, le savoir-vivre que donne non l'instruction mais bien l'éducation, la perspi- cacité et la fermeté de caractère qui sont le résultat de la connaissance du droit et de la justice), les ouvriers, disons- nous, se rassembleront vis-à-vis des établissements ou de la demeure du patron et formeront, quoi qu'on fasse et qu'on dise, une réunion tumultueuse que les patrons ne voudront point écouter. De là, des poursuites, en un mot, de la répression, qu'avec une sage organisation de sociétés de résistance on pourrait facilement écarter. C'est ce que les bouilleurs du bassin de Charleroi ont compris; après s'être laissés aller tant de fois à des grèves non organisées, et, par suite, à l'émeute, ils viennent d'entrer franchement dans une voie nouvelle, c'est-à-dire dans la création de sociétés de résistance, et déjà le bassin de Charleroi se couvre de ces sortes de sociétés.

La grevé, sans] 'société de résistance , offre encore de

nombreux inconvénients et de grandes injustices au point

12


206 LE LIVRE DLEU

de vue de la réciprocité et de la dignité. En effet, sans or- ganisation^ où peut résider la certitude.de voir, en cas de grève de la part d*une catégorie de travailleurs ayant con- couru au maintien d'une grève d'une autre catégorie, H certitude de voir, disons-nous, CQtte mutualité s'établir d'une manière juste et. équitable ?

Faire la grève en dehors de la société de résistance, c*est vouloir entreprendre une lutte inégale ; les patrons étant peu nombreux, favorisés de la fortune et protégés par le pouvoir, s'entendront toujours facilement. C'est, en un mot, faire la guerre sans tactique ni munitions.

Cependant, qu'on ne se trompe pas sur la portée de nos paroles ; malgré tout ce que nous venons de dire contre la grève, non organisée par une société de régi stance, nous soutenons qu'elle est juste, légitime et nécessaire, quand les conventions sont violées par l'employeur, et qu'elle peut alors être tentée nonobstant les chances d'insuccès. N'est-il pas toujours grand et beau de voir l'esclave protester contre des mesures barbares et inhumaines? Et quelle mesure peut être plu3 barbare et plus inhumaine que cellS qui con- siste à rogner sans cesse la ration de ceux qui ne vivent déjà que de privations?.,..

En présence de la minimité des salaires dans certaines industries (dans les grandes manufactures et dans les char- bonnages, par exemple), en présence de la grande centra- lisation des capitaux qui fait que les capitalistes sont là en coalition permanente pour réduire les travailleurs à la der- nière extrémité, en présence du capital énorme qu'il fau- drait à ces travailleui* pour exploiter par eux-mêmes de vastes usines ou des charbonnages, et en l'absence de toute organisation du crédit qui pourrait faciliter la création d'as-


DE L'INTERNATIONALE. 207

sociations de production dans ces industries, nous le deman- dons, quelle autre arme que la] grève, fût-elle même sans organisation, a-t-on laissée à ces prolétaires contre la baisse indéfinie du salaire? Vaut-il mieux qu'ils meurent de faim à la tâche, sans laisser échapper un cri d'indignation et sans faire aucun effort pour se relever? Eh bien, fût- 11 prouvé, comme â et 2 font 4, que la grève ne peut dans ce cas donner aux travailleurs aucune amélioration, au moins faudrait-il l'accepter comme la protestation suprême du des- hérité contre les vices de notre organisation sociale.

Nous avons dit au commencement de ce rapport que la grève peut être utile et nécessaire; que par conséquent nous sommes partisans des sociétés de résistance en vue de donner aux grèves des moyens et une sage et énergique direction. Oui, malgré notre désir et la certitude que nous nourrissons de voir un jour Tordre social complètement transformé» c'est-à-dire la suppression de l'exploitation de l'homme par l'homme remplacée par l'égal échange entre les produits et la réciprocité entre les producteurs, nous soutenons qu'il est nécessaire d'établir des sociétés de résistance, tant qu'il existera des catégories de travailleurs dont l'affranchisse- ment complet est impossible aujourd'hui. Exemple : les mi- neurs, dont l'instrument de travail ou la matière première no peut guère s'acquérir ; les terrassiers, auxquels il fau- drait des capitaux énormes pour effectuer leurs transfor- mations, etc. Nous soutenons encore cette nécessité, parce que tout en fondant des associations de praduction, il fau- dra, avec l'organisation actuelle du crédit, à chacune des professions différentes beaucoup de temps avant de pouvoir acquérir les instruments de travail que pourrait nécessiter l'emploi de beaucoup de bras, et parce que, pendant le temps


208 LK LIVRE BLEU

qu'on mettrait à créer les capitaux indispensables, les exploitants pourraient réduire le salaire de telle façon que le travailleur, au lieu de pouvoir épargner de quoi effectuer sa mise de fonds, tomberait dans la situation d'un homme qui ne sait pas faire face à ses engagements.

La société de résistance est nécessaire encore, parce qu'elle inspire une certaine crainte à l'exploitant. Gelui-oi, quand il n'est pas à peu près sûr de réussir, se gardera bien d'enfreindre les conventions, sachant qu'il perdrait de son autorité au cas de non réussite dans sa tentative arbi- traire. Cette remarcpie est tellement vraie, qu'elle peut être appliquée aux exploités. En effet, des travailleurs qui sont contraints de reprendre le travail qu'ils ont d'abord refusé, parce que le prix devait en être diminué, sentent bien mieux l'autorité qu'exerce sur eux l'exploiteur dédaigneux, quand le besoin les force à rentrer, l'oreille basse, dans ce bagne, qui devrait être, pour l'homme laborieux, un lieu de bon- heur et de satisfaction, puisque c'est de là que sort la vie, la richesse et le bien-être.

La société de résistance est d'une nécessité incontestablo, tant que durera l'exploitation de l'homme par l'homme, tant que les oisifs prélèveront quoi que ce soit sur le travail d'autrui. Elle est nécessaire^ non -seulement eu égard à ce que nous avons dit, mais encore parce qu'il n'y a que par elle que les patrons et les ouvriers sauront à qui ils ont affaire dans la personne de celui qui vient demander du travail. L'Association donne à chacun de ses membres un brevet de moralité et d'honnêteté. Le patron et l'ouvrier sauront que l'Association ne garde dans son sein que des travailleurs exempts de toute souillure.

Une des causes de la baisse constante du prix de la main-


DE L'INTERNATIONALE. 409

d'œuvre, nous la signalons également, c*est que les travail- leurs inoccupés se rendent de maison en maison pour offrir leurs bras, et donnent ainsi à Texploiteur l'idée qu'il y a une plus grande abondance d'hommes désœuvrés qu'il n'y en a réellement. Par l'association, les demandes d'ouvriers de- vraient être faites directement aux comités, qui pourraient encore n'envoyer des ouvriers que là où le besoin s'en fait sentir.

Enfin, à part son utilité pour les grèves, le placement des ti*availleurs; etc., la société de maintien de prix est encore utile par une des institutions complémentaires qu'elle doit contenir, nous voulons parler de la caisse d'assurance con- tre le chômage, complément indispensable de la caisse de résistance proprement dite. En effet, s'il est nécessaire que l'association réunisse des fonds pour pourvoir à l'existence de ses nrembres dans les cas de grève, c'est-à-dire de chô- mage, par suite de contestation avec les patrons. Il est pour le moins utile qu'elle en fasse autant pour les cas de chôma- ges imprévus dus à des crises industrielles plus ou moins passagères.

Si les grèves, pour réussir, ont besoin d'être faites et dirigées par des sociétés de résistance, à leur tour, les so- ciétés de résistance ne seront sérieuses que lorsqu'elles se- ront toutes fédérées, non seulement dans un métier et dans on pays, mais de pays à pays et de métier à métier ; de là la nécessité d'une fédération internationale.

Il ne sera pas hors de propos de donner ici un mot d'ex- plication à ce sujet. Ainsi, on comprendra facilement qu'une société de résistance, quoique- étant parvenue, dans une lo- calité, à se rallier tous les ouvriers d'une même profession,

n'aura rien fait de stable et de salutaire que lorsque le pa-

42.


210 LE LIVRE BLEU

tron ne pourra trouver uL dans les localités voisines, ni

dans le pays, ni à Textérieur, les travailleurs dont il peut

avoir besoin pour remplacer ceux qui auront ' suspendu le

travail pour une cause légitime. Déjà, sans parler des ira-

de's unioBS anglaises, chez qui la fédération existe depuis

longtewpsi bon nombre de corps de métiers ont compris l« 

néoessité de se fédérer d*une ville à l'autre dans Un môme

pays ; citons, en Belgique, les associations typographiqpieSf

qui sa sont toutes fédérées avec Tassociation libre des com-

positeurs-typographes de Bruxelles ; oitons encore les me« 

nuisiers, qui viennent d'entrer tout récemment dans cette

voie. Le même motif qui a poussé les 'sociétés de résis»*

tance d'un môme métier à s'entendre entre elles, les pous»

sera à s'entendre aveo les autres corps de métier. C'est oe

qu'a oempHe la fédération des menuisiers de Bruxelles, d'An-*

verSidePepinster, etc*, qui est affiliée enbloo à l'Internatio*

naloi et c'est ce qu'ont compris depuis longtempsles socié*

tés typographiques de la Suisse, également affiliées en bloc.

Mais qu'on ne s'y méprenne point, les patrons ont encore

un moyen de se tirer d'affaire, auquel la fédération peut

aisément porter obstaole ; ee moyen consiste à faire con-

feetionner au dehors oe qu'on n'est point parvenu à faire

oonfeotionner dans le pays. Les associations fédérées, dans

ee eas, pourraient se refuser à exécuter le travail, saohant

que de la part des patrons cela ne peut être qu'un eoup de

tête qui sera d'une bien courte durée* Nous disons coup de

tête, parce qu'il ne peut entrer dans l'idée de personne de

prétendre qu'un produit fourni dans ces oonditions puisse

établir une concurrence au travail en général. Il suffit pour

cela de songer aux frais de toutes sortes qu'entraînerait un

pareil système.


DE L'INTERNATIONALE. 211

A part ce que nous venons de signaler, il peut y avoir quelque chose de sérieux dans cette façon de faire travailler à l'extérieur. C'est lorsque les exploiteurs choisissent les endroits où la main-d'œuvre se donne à des prix excessi- yement bas. Là encore ce sera la fédération et rien que la fédération qui pourra remédier au mal en faisant dételle sorte qu8, tôt ou tard, le travail soit payé partout à peu près à un prix uniforme. C'est-à-dire qu'il s'agit d'arriver à une certai- ne proportionnalité entre le taux des salaires dans un pays quelconque et le prix des subsistances dans ce même pays.

il est encore d'autres raisons qui doivent engager les associations à la fédération internationale ; pour en démon- trer la nécessité, nous nous bornerons simplement à ne oiter que deux faits dont les travailleurs feront bien de se pénétrer ; lorsque les bronziers de Paris durent abandonner leur travail, parce que leurs patrons avaient exigé d'eux la dissolution de leur association, les ouvriers n'eurent raison de cette prétention qu'avec l'aide de leurs frères les An- glais ; 20,000 francs partirent de Londres et obligèrent les patrons français à baisser pavillon.

A leur tour, les ouvriers de Genève sortirent triomphants de la lutte entreprise contre les employeurs, parce que les ouvriers de France, d'Angleterre, d'Allemagne, d'Italie étaient venus à leur secours. L'Association n'en étant en- core qu'à son début, les choses n'ont pu se faire selon les^ strictes règles de la solidarité organisée ; donc les diffé- rentes sections de l'Association internationale des travail- leurs organisèrent une vaste souscription, et le bureau de Paris, à lui seul, procura en quinze jours de temps une somme de 10,000 francs, et une seule société ouvrière, celle des ouvriers typographes , figure dans ce chiffre pour


ûit LE LIVRE BLEU

2,000 francs. Cet argent contribua sans doute à donner gain de cause aux ouvriers de Genève.

Ces deux faits, croyons-nous, suffiront pour démontrer la nécessité de la fédération internationale.

Quant à la dernière proposition, qui a trait au conseil d'arbitrage, deux modes se présentent à notre esprit. C'est tout d'abord et naturellement celui qui devrait être constitué moitié de personnes appartenant à la bourgeoisie ou classe exploitante, moitié d'ouvriers ou exploités. Ces deux classes d'hommes étant intéressées dans le différend, il est néces- saire que chacune d'elles y trouve son défenseur ou son représentant. Mais voyons jusqu'à quel point ce mode pré- sente, pour Tune des deux parties, les garanties d'impartia- lité, sans lesquelles un jugement quelconque ne saurait être rendu selon l'équité. Un conseil d'arbitrage constitué de la sorte nous semble être le pendant de ce que l'on nomme aujourd'hui les conseils de prud'hommes, et Ton sait comment s'y rendent les jugements. Ces conseils, d'or- dinaire, sont présidés fpar un patron, qui exerce sur la réunion un certain ascendant, par la facilité d'élocution et par la position qu'il occupe dans la société, c'est-à-dire par son indépendance personnelle.

Notons que l'influence que nous venons d'attribuer au président, à part celle que lui donne la présidence, existe pour tous les autres membres de sa catégorie ; personne» nous en sommes sûrs, ne niera le prestige qu'exerce sur une grande partie de nos frères, toujours à la merci de ceux qui détiennent les instruments de travail et le capital, les qualités que nous avons attribuées au président. Un de moyens puissants de ces messieurs consiste, tout le pre- mier, lorsqu'ils sont réunis avec des ouvriers, à les inviter


DE L'INTERNATIONALE. 213

à des espèces de banquets, où Ton se permet la consomma- tion du vin ; le travailleur, ne pouvant avec son maigre salaire, se permettre ce luxe, la carte sera acquittée par le capitaliste; comme bien on le pense. Ce que nous signalons là n*est rien^ comparativemeut à ce qui reste à dire au su- jet de la dépendance des ouvriers vis-à-vis des patrons ; ceux- ci étant étroitement liés, pour différentes raisons qu'il serait superflu d'énumérer, pourraienitenir compte à Touvrier de caractère de ses velléités d'indépendance, quand le besoin, c'est-à-dire le manque de travail, l'obligerait à aller solli- citer chez l'un d'eux un emploi quelconque. Ce qui serait non moins dangereux, ce serait de confier le jugement à des chefs d'atelier qui, à part d'honorables exceptions, ne sont trop souvent, comme on dit vulgairement, que des frotteurs de manôheSy cherchant à faire diminuer le salaire des ouvriers afin de voir augmenter leurs appointements.

Il ne reste donc, selon nous, qu'un genre de création d'un conseil d'arbitrage que nous nous faisons un devoir de vous soumettre.

La Fédération^ section bruxelloise de l'Association inter- nationale des travailleurs, en établissant dans son sein un conseil fédéral (qui ne peut manquer de s'établir dans cha- cune des sections de ladite association) nous a été d'une utililé incontestable dans l'idée que nous allons émettre au sujet de l'organisation du conseil qui fait l'objet de notre étude. En effet, en fondant un conseil fédéral au moyen de trois délégués de chacune des corporations, comme cela se pratique à la Fédération ^ il sera facile, dans cette réunion d'hommes, de trouver les éléments nécessaires pour con- stituer le conseil d'arbitrage dont nous reconnaissons l'uti- lifé autant que la nécessité.


214 LE LIVRE BLEU

Si le conseil fédéral est et doit être à même de juger de la nécessité et de Topportunité des grèves qui surgissent à propos d*une baisse de salaire, il ne saurait en être de même pour une multitude de contestations qui peuvent se produire soit entre patrons et ouvriers, soit entre ouvriers seulement.

Nous pourrions ici nous étendre surtout sur les devoirs des ouvriers vis-à-vis des apprentis, mais cela nous en* traînerait à de trop longues explications. Dans tous les cas enfin où le conseil fédéral devra s'effacer pour faire place au conseil d'arbitrage , les membres du conseil fédéral pourraient désigner pour faire partie du conseil d*arbitrage, un membre de chacune des délégations qui composent son^ conseil; et lorsque les membres constituant le conseil d'arbitrage ne tomberaient point d'accord sur une décision à prendre ou sur la légitimité d'un acte à poser, il leur res- terait la suprême ressource de s'adjoindre trois, cinq ou sept de ces travailleurs qu'on appelle indépendants, c'est-à- dire des citoyens qui ne sont ni patrons ni ouvriers salariés. mais des ouvriers travaillant à leur propre compte. Ces derniers, à cause de leur indépendance relative vis-à-vis des uns et des autres, seraient considérés comme tiers-ar^ bitrêB et trancheraient définitivement la question qni aurait pu diviser le conseil d'arbitrage.

Enfin» nous dirons pour terminer ce sujet, que si nous sommes si grands partisans des sociétés de maintien de prix, comme on dit en BelgicpiO; des sociétés de résistance, comme on dit en France, des traders unions, comme on dit en Angleterre, ce n'est pas seulement eu égard aux néces- sités du présent, mais aussi eu égard à l'ordre social de l'a- venir. Expliquons-nous. Nous ne considérons pas unique-


DE L'INTERNATIONALE. 215

meut ces sociétés comme nn palliatif nécessaire (remarcpe? que nous ne disons pas comme remède) ; non^ nos vues sont bien plus hautes. Du fond de ce chaos de lutte et de misère où nous nous agitons, nous élevons nos regards vers une société plus harmonique et plus heureuse. Alors, nous voyons dans ces sociétés de résistance les embryons de ces grandes compagnies ouvrières qui remplaceront un jour les compagnies de capitalistes ayant sous leurs ordres des légions de salariés, au moins dans toutes les industries où la force collective eat mise eu jeu et où il n*y a pas de milieu entre le salariat et Tassociatiou. Déjà dans les prin- cipales grèves qui ont éclaté ces dernières années, une ten- dance nouvelle commence à se dessiner asse« nettement t la grève doit aboutir à la société de production. Déjà cela s'est dit lors de la grève de ^association des menuisiers de Gandy des menuisiers et charpentiers de Gand, comme lors de la grève des tailleurs de Paris< £t cela se fera, parce que cela est dans la logique des idées et dans la force des choses. Il est inévitable que les travailleurs n*en viennent pas à tenir ce petit raisonnement ; « Mais pendant que nous sommes en grève, parée que les patrons refusent de faire droit à nos réclamations, les consommateurs sont là de->* mandant à cor et à ori les produits de iiotre industrie ; puisque notre inoccupation, ne provient pas du défau{ de demande, mais seulement de robstinatiOR de nos patrons, pourquoi ne travailleriçus^-nous pas directement pour le public ; Vargent que notre caisse dépense pour entretenir les trayailleurs inoccupés à cause de la grève, pourrait être eonsaeré à Tachât de la matière première et de Toutillage. » Cette idée une fois eomprise, elle aéra bien vite réalisée. Seulement, il est à remarquer (et c'est un point impor-


à 216 LE LIVRE BLEU

tant) que ces associations de production qui résulteront de la transformation des sociétés de maintien de prix, ne se- ront pas de ces associations mesquines comme la plupart de celles qui existent actuellement ; ces dernières, excellen- tes comme exemple et comme enseignement, nous le vou«  Ions bien, ne nous paraissent réellement avoir aucun grand avenir social, aucun rôle à jouer dans la rénovation de la société, car, composés de quelques individualités seule- ment, elles ne peuvent aboutir, comme le dit le docteur Buchner, qu'à créer, à côté de la bourgeoisie ou tiers-état, un quatrième état ayant au-dessous de lui un cinquième état plus misérable que jamais. Au contraire, -les associations productrices issues des traders unions engloberont des corps de métiers entiers, envahiront la grande industrie et formeront ainsi la corporation nouveulb ; corporation que les économistes bourgeois confondraient volontiers (nous le savons) avec l'ancienne maîtrise, bien que cette dernière fût organisée hiérarchiquement, fondée sur le monopole et le privilège, et limitée à un certain nombre de membres (tout comme nos petites associations de production ac- tuelles), tandis que la première sera organisée égalitaire- ment, fondée sur la mutualité et la justice, et ouverte à tous.

Là nous apparaît Tavenir réel et positif des traders unions f car la grève, nous l'avouons, n'est utile qu'à titre provisoire; la grève perpétuée serait l'éternisation du sa- lariat, et nous voulons l'abolition du safariat; la grève perpétuée serait la lutte sans trêve ni fin entre le capital et le travail, et nous voulons, non pas précisément ce que l'on a appelé de nos jours V association du travail et du capital (combinaison hybride, en vertu de laquelle le capitaliste,


DE L'INTERNATIONALE. 217

bailleur de fonds, s'entend avec des ouvriers pour éliminer le patron, tout en continuant à prélever intérêts et divi- dendes sur le travail], mais nous voulons l'absorption du travail par le travail; carie capital étant du travail accumulé qui ne doit avoir qu'une simple valeur d'échange égale à la valeur du travail qu'il a coûté, ne peut dès lors entrer en ligne de compte dans la répartition des produits ; produit du travail, le capital ne peut qu'être la propriété du travail- leur, il ne peut en être l'associé.

Alors, cette transformation des sociétés de résistance ne se faisant pas seulement dans un pays, mais dans tous, ou du moins dans ceux qui sont à la tête de la civilisation; en un mot, toutes ces associations de tous pays, fédérées, in- terviendront d'abord pour la lutte, mettant cette fédération à profit pour l'appliquer à l'échange réciproquef des produits au prix de revient, le mutuel échange international rem- placera et le protectionnisme et le libre échange des écono- mistes bourgeois. Et cette organisation universelle du travail et de l'échange, de la production et de la circulation, coïncidant avec une transformation inévitable et nécessaire dans l'organisation de la propriété foncière en môme temps qu'avec une transformation intellectuelle, ayant pour point de départ l'instruction intégrale donnée à tous, la régéné- ration sociale sera opérée dans le double domaine matériel et mental. Et désormais basée sur la science et sur le tra- vail, au lieu d'être basée comme aujourd'hui sur l'ignorance et sur la domination du capital, l'Humanité, marchant de progrès en progrès dans toutes les branches des arts, tics sciences et de l'industrie, accomplira pacifiquement ses destinées.

Tartaret, de Paris. ^ 4e me déclare partisan dos

1^^


tl8 LE LIVRE BLEU

idées émises par De Paepe dans son rapport, mais il fait remarquer que leur application doit se rapporter aux moyens pratiques de chaque pays. 11 établit qu'en droit les travail- leurs doivent trouver dans le produit de leur travail non* seulement la satisfaction de leurs besoins les plus impé- rieux, mais encore une plus-value qui leur permette de profiter de Tinstruction dont ils ont tant besoin pour leur émancipation; il faut donc rechercher les moyens de ga- rantir notre salaire. Le patron, qui prend tant de soin de ranimai, de Toutil qu'il emploiet pour son exploitation, ne slnquiète guère de Touvrier, et cependant Foutil humain mérite-t-il moins d'égards que le cheval, que la ma- chine ?

On oppose aux réclamations du producteur sa prétendue incapacité, ses défauts ! Mais avec les qualités qu'ils exigent de nous, combien y a-t-il de patrons qui seraient dignes d*être ouvriers?

Sans doute la grève est déplorable au point de vue éco- nomique, mais elle est nécessaire, parce qu'elle permet au travailleur de défendre non-seulement son salaire, mais encore et surtout sa dignité, elle lui donne aussi garantie contre l'usage des matières premières nuisibles; nous avons donc à nous occuper de son application. En France, quoique l'entente préalable soit interdite par la loi, les efforts tentés par quelques ouvriers pour étendre les bienfaits de la solidarité ont déjà obtenu quelques ré- sultats ; ils ont même influé d'une façon assez notable sur la suppression de l'article 1781 du Gode Napoléon, qui créait une inégalité entre le patron et l'ouvrier. Mais pour don- ner à son action la sécurité désirable, il a fallu s'efforcer de rentrer dans la légali*j^, <^t de là est surgie l'idée des


DE L'INTERNATIONALE îl9

sooiétéo syndicales qui sont appelées à remplacer les pru- d'hommes, trop souvent incompétents pour décider dans les conflits qui leur sont soumis, et qui garantissent à Tou- yrier des droits identiques à ceux dont les patrons jouissent depuis longtemps. Cette idée, basée sur un principe d'éga- lité incontestable, a été acceptée par les ministres français. La société syndicale peut rendre au travailleur les plus grands services; non-seulement elle garantit le maintien de son salaire, mais encore elle est appelée à exercer une grande influence morale sur les questions d'éducation pro- fessionnelle, de machines, etc., et prépare) T affranchisse- ment des travailleurs.

Catalan, de Genève. — Il est bien évident que les grèves sont aussi préjudiciables à l'ouvrier qu'aux autres membres de la société, puisqu'elles interrompent la production. Mais aussi, il faut bien se dire que pour le moment, c'est un des seuls, pour ne pas dire le seul moyen que l'ouvrier ait de faire entendre ses réclamations^ et d'obtenir qu'on y fasse droit ; et puisque ce droit est le seul, nous ne pouvons pas permettre qu'on conteste la légimité de la grève,

La question, pour moi, n'est pas là, elle est dans le fait de savoir dans quelles circonstances la grève peut se pro- duire avec le plus de succès.

L'exemple de ce qui s'est passé à Genève, lors de la grève des ouvriers en bâtiments, peut nous servir de critérium. A Genève, nous nous sommes trouvés avec près de trois mille ouvriers sur le pavé, durant quinze jours. Nous avons eu des assemblées populaires très-nombreuses et très-pas- sionnées; les organisateurs de la grève ont pu même a^^ir dans la rue pour la création et le maintien de la résistance, sans qu'aucune collision violente avec l'autorité ne se soit


220 LE LIVRE ÉLEU

produite. Et, en fin de compte, les ouvriers en bâtiments ont obtenu une heure de réduction de travail et une aug- mentation de salaire.

Si, malgré la gravité que revêtent chez nous les luttes pu- bliques, nous n'avons eu aucun malheur à déplorer, si au contraire la grève a produit une amélioration réelle dans le sort des ouvriers en bâtiments, c'est que nos institutions politiques garantissent à tous les citoyens également les droits de réunion, de discussion, de presse, et permettent même l'action dans la rue, action sans violence, mais ce- pendant efficace.

Tandis que dans d'autres pays où ces institutions ne sont pas les mêmes, où la liberté n'existe pas et où le droit égal est dénié aux ouvriers, il arrive souvent que la grève est sans effet, quand elle ne sert pas aux gouvernements de la bourgeoisie de prétexte à boucheries humaines, ainsi que cela vient de se passer à Charleroi.

D'où je conclus de nouveau que, en matière de grève, comme en matière de guerre, la revendication des libertés politiques est d'absolue nécessité, et que rien n'est fait tant que cette revendication est à faire.

ToLAiN, de Paris. — Je confirme l'observation faite par Catalan pour la déclaration du Congrès de Lausanne. Quant à la coalition que l'on impute à crime aux travailleurs, ne se trouve-t-elle pas dans l'état social actuel ? L'insolidarité est telle que tous les intérêts sont en guerre, le paysan vit dans r abondance sans s'occuper du travailleur des villes qui meurt de faim, et réciproquement y l'un est indifférent à la misère de l'autre et même s'en réjouit dans quelques cir- constances; c'est donc contre cette solidarité que nous de-^ vous lutter, et la résistance nous en offre actuellement les


DE L'INTERNATIONALE. 221

moyens, elle est la transaction entre l'organisation actuelle et Torganisation future.

La grève est une coalition, dit-on, donc elle est condam- nable. Mais pourquoi donc les industriels ne la condam- nent-ils pas également entre banquiers, commissionnaires, exportateurs, qui pèsent pourtant sur toutes les relations commerciales ? La grève c'est la guerre, mais à côté de la guerre mauvaise, injuste, il y a la guerre pour défendre ses droits, et celle-là c'est la guerre sainte.

Quant aux sociétés syndicales appuyées par un délégué de Paris, il ne leur trouve pas Tautorité suffisante pour faire prévaloir leur jugement ; il croit donc qu'il serait pré- férable de travailler à la fédération des sociétés de résis- tance, et de laisser à cette fédération le soin de décider de l'appui qu'elles devraient fournir aux travailleurs attardés, lorsqu'une enquête aurait justifié la valeur de leur réclama- tion.

Graglia, de Genève. — Je ne prends la parole que pour m'occuper des moyens pratiques. Sur la question que nous traitons dans ce moment, permettez-moi de développer le rapport que j'ai présenté. Les sections genevoises croient qu'en propageant le plus que nous pourrons les caisses do prévoyance, nous doublerions lios forces ; et rien ne serait plus facile pour nous que de nous associer, tout en recon- naissant à chacune des caisses de résistance leur autonomie.

Je m'explique. Ce que nous voudrions, c'est que dans chaque ville, dans chaque village, enfin partout où il y au- rait des sections de l'Internationale, qu'elles se forment en groupes pour pouvoir, dans un moment où l'on voudrait at- taquer une ou plusieurs sections, être toujours en position de résister avec des chances de succès. Je dis plus : si nous


222 LE LIVftE BLEU

sommes unis à ce point de vue, les grèves seront impos* sibles; car les patrons ne pourront pas se soutenir contre une organisation pareille. -Et maintenant, si nous restons sans organisation, qu*arrivera-t-il ? G*est qne les patrons s'associeront, comme ils l'ont déjà fait à Genève.

Permettez-moi de vous donner quelques détails au sujet de notre dernière grève, qui a eu lieu à Genève. Les ou- vriers en bâtiments, après avoir eu quelques entrevues en- tre eux, résolurent d'envoyer une proposition à leurs chefs

d'atelier, en leur faisant connaître que leur position deve- nait par trop difficile ; ils leur demandaient de s'entendre avec eux. Les ouvriers envoyèrent quatre lettres; les pa* trons ne répondirent pas. Après cela, deux sections, les ouvriers maçons, tailleurs de pierres et les charpentiers se déclarèrent en grève. Que firent les patrons? Ils déclarèrent aussi la guerre aux ouvriers, et six jours après ils décidè- rent de fermer tous leurs ateliers. Ainsi, vous le voyez, ils ne sont pas restés longtemps pour s'entendre afin de ré- sister aux justes réclamations des ouvriers.

Que Ton y prenne garde; car si nous ne voulons pas être exploités encore davantage, il faut se mettre à l'œuvre sans retard, non pas dans un an, non pas dans un mois, mais aujourd'hui môme. Que chaque délégué, en rentrant chez lui, fasse tout ce qu'il pourra pour propager le principe de solidarité.

Compagnons, soyez-en sûrs, si nous ne voulons pas nous associer, les patrons s'associeront comme ils l'ont déjà fai * à Genève.

Ne croyez pas que la solidarité n'existe pas chez eux.

Je termine, compagnons; quoi que l'on puisse dire, il n'y a que la solidarité qui puisse rendre notre position meilleure ;


DE L'INTERNATIONALE. ttS

sans la solidarité, nous ne ferons absolument rien. La grève de Genève a réussi, car la bourgeoisie croyait que iious recevions des fonds considérables de T Angleterre, de la France et de la Belgique. Mais prenez-y garde, nous pourrions bien ne pas toujours aussi bien réussir.

' Shaw, de Londres. — Dans le septième rapport annuel de la société mixte des charpentiers et menuisiers, décem- bre 1865 à décembre 1866, j'ai choisi un exemple pour don- ner une idée de la rémunération du travail :

A Market-Drayton, nos camarades travaillent 61 heures par semaine, pour lesquelles ils reçoivent 20 shillings (25 francs); à Oldham, ils travaillent 52 heures par semaine pour 1 liv. 9 shillings (36 fr, 25). Les uns reçoivent donc 4 farthings (20 centimes) par heure, les autres 6 3/4 farthings (33 centimes) ; les uns 3 sh. 4 farthings (3 fr. 95) par jour; les autres 4 sh. 10 farthings (5 fr. 50) ; cela fait une diffé- rence en faveur d'Oldham de 2 3/4 farthings (13 centimes) par heure, 1 schelling 6 deniers (1 fr. 85) par jour, 9 shillings (11 fr. 25) par semaine pour neuf heures de moins de travail, ou une différence de temps, d'argent s'éle- vant à 14 sh. (17 fr. 50) par semaine.

Brismée, de Bruxelles.. — Ce n*est pas assez que l'ouvrier gagne sa vie, et arrive, comme le veut Tartaret, à avoir quelques loisirs pour s'instruire ; il faut môme que, comme le patron, il soit en état de se former un petit pécule pour pouvoir manger quand il ne sera plus en état de gagner sa vie.

Je voudrais aussi que Ton ne confondît pas les mots cen- tralisation et fédération. La première est Tarme du despo- tisme; la seconde est un contrat conclu entre des hommes libres. Par elle^ on peut obtenir de bons résultats.


i224 LE LIVRE BLgU

Je voudrais (fae les membres des sociétés de résistance, au lieu de placer leurs fonds à 3 ou 4 p. cent dans des caisses de bourgeois q[ui leur font produire 10 ou 12 p. cent, s'en servissent pour faciliter le développement des so- ciétés de consommation et de production. J'ai dit aussi de consommation, car il ne me parait pas moins utile de se débarrasser de l'exploitation des boutiquiers que de celle du patron*

Dupont, de Londres, lit l'extrait suivant du compte rendu du congrès do Genève :

6*> Sociétés ouvrières (trade's unions), leur passé, leur pré-

sent, leur avenir.

a) Leur passé.

Le capital est la force sociale concentrée, tandis que l'ouvrier ne dispose que de sa force productive individuelle, Donc le contrat entre le capital et le travail ne peut jamais être établi sur des bases équitables, même en donnant au mot équitable le sens que lui attribue une société pla- çant les conditions matérielles du travail d'un côté et l'énergie vitale productive de l'autre. Le seul pouvoir social que possèdent les ouvriers, c'est leur nombre. La force du nombre est annulée par la désunion. La désunion des ou- vriers est engendrée et perpétuée par la concurrence inévi- table laite entre eux-mêmes. Les traders u/2io/2s (associations de métiers] originairement sont nées des essais spontanés des ouvriers luttant contre les ordres despotiques du capital, pour empêcher ou au moins atténuer les effets de cette con- currence faite par les ouvriers entre eux. Ils voulaient


IDE L'INTERNATIONALE. 225

changer les termes du contrat, de telle sorte qu'ils pussent au moins s'élever au-dessus de la condition de simples esclaves. L'objet immédiat des traders uDions est toutefois limité aux nécessités des luttes journalières du travail et du capital, à des expédients contre l'usurpation incessante du capital; en un mot, aux questions de salaire et d'heures de travail. On ne peut y renoncer tant que le système actuel dure; au contraire, les traders unions doivent généraliser leur action en se combinant.

D'un autre côté, les traders unions ont formé à leur insu des centres organisateurs de la classe ouvrière, de même que les communes et les municipalités du moyen âge en avaient constitué pour la classe bourgeoise. Si les trade*s unions, dans leur première capacité, sont indispensables dans la guerre d'escarmouches du travail et du capital, elles sont encore plus importantes dans leur dernière capacité, comme organes de transformation du système du travail salarié et de la dictature capitalistes.

b) Leur présent.

Les traders unions s'occupent trop exclusivement des lut- tes immédiates. Elles n'ont pas assez compris leur pouvoh' d'action contre le système capitaliste lui-même. Néanmoins, dans ces derniers temps^ elles ont commencé à s'apercevoir de leur grande mission historique. Par exemple, la résolu- tion suivante, récemment adoptée par la grande conférence des différents délégués des traders unions tenue à Sheffield : « Cette conférence, appréciant à leur juste valeur les efforts I faits par l'Association internationale des travailleurs pour « unir dans un lien fraternel les ouvriers de tous les pays, i recommande très-sérieusement à toutes les sociétés re-

c présentées de s'affilier à cette Association, dans la con-

13.


n» LB LITRE BLEU

f victîon que FAesociation internationale forme un élé- « ment nécessaire pour le progrès et la prospérité de toute « la communauté ouvrière. »

c) Ijeur avenir.

A part leur œuvre immédiate de réaction contre les ma- nœuvres tracassières du capital, elles doivent maintenant agir sciemment comme foyers organisateurs de la classe ouvrière dans le grand but de son émancipation radicale. Elles doivent aider tout mouvement social et politique dans cette direction. En se considérant et agissant comme les champions et les représentant de toute la classe ouvrière, elles réussiront à englober dans leur sein les « non society men » (hommes ne faisant partie des sociétés) ; en s'occu- pant des industries les plus misérablement rétribuées, comme Tindustrie agricole, où des circonstances exception- nellement défavorables ont empêché toute résistance orga- nisée, elles feront naître la conviction dans les grandes masses ouvrières qu'au lieu d'être circonscrites dans des limites étroites et égoïstes, leur but tend à l'émancipation des millions de prolétaires foulés aux pieds.

Dupont ajoute :

La société actuelle est composée de deux classes : le ca- pitaliste et le producteur. Le capitaliste, possédant la puis- sance sociale, exploite sans relâche le travailleur. Cette hostilité produit la guerre sociale. Dans cette situation, le travailleur ne se défendra contre les envahissements du capital que par la résistance. Un des moyens les plus effi- caces, c'est la grève ; arme terrible, il est vrai, mais non pas à deux tranchants, comme on l'a dit, car tous ses coups portent sur le capital. Nous considérons la grève non-seule- ment comme une arme, mais aussi comme le meilleur moyen


DE L'INTERNATIONALE. M7

d'ofganiser les forces de la classe ouvrière. Car en dehors du Uen de solidarité universelle qu'elle établit, les ouvriers se préparent à Texercice de leurs droits sociaux et politi- ques, et posséderont la forme la plus simple d'administration le jour où ils seront assez unis pour arracher la puissance sociale des mains des exploiteurs.

La grève est encore un des auxiliaires du système coo- pératif; celle des BasheVs Makers, de Londres, le prouve. Les patrons avaient été chercher à grands frais des ouvriers flamands ; mais grâce à notre Association, ces .derniers comprirent qu'ils combattaient contre eux-mêmes et repri- rent la route de la Belgique avec indemnités payées par les traders unions. Pendant ce temps, les Basket* s Makers se formaient en société coopérative ; les commandes ne pou- vant être exécutées chez les patrons, affluèrent là. Et ce succès est incontestablement dû à la grève, grâce à l'orga- nisation des ouvriers en société.

Brismée lit les résolutions suivantes présentées par la commission :

Vu les considérations émises dans les rapports élaborés par différentes sections de V Internationale, la commission nommée en séance administrative de ce matin pour l'étude de la question des grèves et des sociétés de résistance, pro- pose au Congrès l'adoption des résolutions suivantes :

Le Congrès déclare :

l'o Que la grève n'est pas un moyen d'affranchir complè- tement le travailleur, mais qu'elle est souvent une nécessité dans la situation actuelle de lutte enti'ele travail et le capital ;

2*> Qu'il y a lieu de soumettre la grève à certaines règles, à des conditions d'organisation, d'opportunité et de légi- timité ;


228 LE LIVRE BLEU

3* Qu'au point de vue de l'organisation de la grève, il y a lieu, dans les professions qui n'ont pas encore de sociétés de résistance, de secours mutuels, de caisse, d'assurances pour le chômage, etc., de créer de ces institutions, puis de solidariser entre elles les sociétés de résistance de toutes les professions et de tous les pays, en instituant, dans chaque fédération locale de sociétés de résistance, une caisse destinée à soutenir les grèves ; qu'en un mot, il faut continuer dans ce sens Tœuvre entreprise par Tlnternatio- nale, et s'efforcer de faire entrer le prolétariat en masse

dans cette Association ;

A^ Qu'au point de vue de l'opportunité et de la légitimité, il y a lieu de nommer dans la fédération des groupes de résistance de chaque localité une commission formée de délégués de ces divers groupes, qui constituerait un con- seil d'arbitrage (pour juger de l'opportunité et de la légiti- mité des grèves éventuelles) ; du reste, qu'il est nécessaire de laisser, pour le mode de formation de ce conseil d'ar* bitrage, une certaine lalituJe aux différentes sections, sui- vant les mœurs, les habitudes et les législations particu- lières.*

{Addition proposée par Graglia) :

5* Le Congrès sera nanti chaque année d'un rapport sur les caisses de résistance émanant de chaque groupe ou de chaque section, afin de se rendre compte de ses progrès.


DE L'INTERNATIONALE. 229

Extraits du rapport des sections de Genève sur la question

de renseignement.


I


Considérations générale! •

On n'ose plus guère mettre en doute Tétat vicieux de Tor- ganisation sociale ou plutôt l'existence du désordre anar- chique au sein de la société. Ces crises violentes qui, sous le nom de révolutions^ ont ensanglanté et ensanglanteront encore l'humanité ne sont-elles pas une preuve que ce dé- sordre existe? « Toute révolution, dit Proudhon, se pose d'abord comme une plainte du peuple, accusation contre un état de choses vicieux dont les plus pauvres sentent les premiers la douleur. »

En effet, c'est une erreur de croire que les révolutions sont le fait de quelques individus, de quelques agitateurs^ ainsi qu'on les appelle ; ce sont les souffrances du peuple qui le font s'agiter et qui font éclater la crise, la révolu- tion.

Or, ces souffrances se produiraient-elles si l'ordre régnait dans la société? Evidemment non, car le corps social, de même que le corps de l'homme, ne peut éprouver de douleur que par suite de désordre organique. Donc, puisque notre civilisation voit éclater des crises violentes, c'est qu'il y a souffrance du peuple, et puisque le peuple souffre, c'est que le désordre existe dans notre société. C'est élémen- taire.


230 LE LIVRE BLEU

Et c'est ici un fait que les conservateurs, les ennemis de tout changement, que ceux enfin qui nient la nécessité d'émanciper tout ce qui souffre devraient méditer, c'est que les révolutions violentes, ces manifestations du désordre social, continueront à se produire aussi longtemps que ce désordre subsistera ; c'est-à-dire, aussi longtemps que l'on se bornera, comme on l'a fait jusqu'à présent, à chercher à atteindre les effets du mal au lieu d'en faire disparaître la cause, à mettre des emplâtres sur les chancres du corps social au lieu de porter remède au vice constitutionnel qui les produit.

Ainsi reconnaître la source du mal, telle est la première chose dont nous avons à nous occuper.


II


Des eaasea du désordre social.

Le désordre social se traduit 'par des effets immédiats, dépendant d'une cause première, et dont les principaux signalés dès longtemps sont :

1® La guerre, qui favorise le développement du despo- tisme et fait couler le sang humain, le plus souvent sans profit pour le vainqueur; mais dont les^ effets réguliers sont de paralyser, même avant qu'elle éclate, le commerce et l'industrie, occasionnant ainsi un surcroît de misères et de ruines chez ceux mêmes qui sont étrangers à la lutte.

2<» Le paupérisme, qui fait l'enfant trouvé, le mendiant, le voleur et la fille publique.


DE L'INTERNATIONALE. «M:

S» Ij Église, qui condamne la raison, légitime la guerre et consacre le despotisme et le paupérisme.

Bornons à ces trois points Ténumération des effets immé- diats du mal, lesquels, ainsi que nous voulons le démontrer, ne sont en réalité que les effets d*un vice social organi- que.

La guerre, résultat des armées permanentes qui sont une nécessité du despotisme, lequel a pour cause le besoin de commandement, de direction, éprouvé par tout groupe d'hommes vivant dans Y ignorance.

Le paupérisme, résultat du prolétariat, qui est [lui-même la conséquence du mauvais état des relations économiques et de l'aliénation à quelques-uns du sol et des capitaux amassés par les générations passées, aliénation qui a pour cause Vignorance.

Enfin V Église, résultat d'une puissante et habile organi- sation, dont les grandes ressources financières sont four- nies directement ou indirectement par le peuple, parce qu'il croit encore à la nécessité de l'Église, parce qu'il a des préjugés. Or, quelle est la cause de tout préjugé ? En- core et toujours V ignorance!

Uignorance, voilà le vice social organique, la cause pre- mière du désordre ! C'est là qu'il faut frapper, et frapper fort ; car si l'on fait disparaître cette lèpre, la vraie, la dernière révolution sera accomplie. Ainsi :

Pour mettre fin au désordre social, il faut que l'instruc- tion soit généralisée, carie désordre

social^ c'est Vignorance de tous ou de quelques-uns à un degr^ quelconque, et F ordre

social y c'est V instruction complète de tous.


LE LIVRE BLEU



III

lA igm^mamm 4e l'faistnMtUH i 4e «ésBlr les 4Hren

C'est un fait de tous les temps qae les privilégiés se dé- fendent avec acharnement contre les empiétements de la liberté et de la raison, comme si le progrès devait lear être . fatal. C'est grâce à cette erreur que l'esclavage, le servage et tant d'autres institutions des privilégiés n'ont pu prendre fin que dans le sang. Il faut donc s'attendre à voir le des- potisme, la bourgeoisie, TÉglise s'opposer de toutes leurs forces à la généralisation de l'instruction, qui aurait pour résultat de supprimer pour jamais les privilèges jugés par ceux qui les possèdent indispensables à leur bonheur.

Et cependant, quel être raisqnns^ble — assez fortuné pour avoir une existence indépendante — consentirait, de nos jours, à vivre exactement dans les mêmes conditions que les seigneurs du moyen âge? Quel être raisonnable, lorsque la généralisation de l'instruction aura porté tous ses fruits, voudrait consentir — quand cela serait possible — à vivre exactement dans les mêmes conditions que l'homme le plus abondamment pourvu des privilèges de notre triste époque?

Les générations futures aurt^nt peine à se rendre compte par quelle étrange aberration l'humanité aura pu si long- temps ne pas comprendre que l'intérêt individuel bien en- tendu c'est l'intérêt de tous, et que Tintérêt de tous bien compris c'est le bonheur de chacun.


DE L'INTERNATIONALE. 288

Le principe de la généralisation de Tinstruction, consi- déré au point de vue de la rénovation sociale, pour être développé selon son importance, nécessiterait un travail complet et beaucoup plus considérable que ne le comporte le cadre restreint que nous avons dû nous tracer. Néan- moins, les développements que nous donnons ici suffiront sans doute pour atteindre le but que nous nous sommes proposé : l'indication d'un moyen pratique pour arriver SANS RÉACTION à Tétablissemeut de Tordre réel dans la so- ciété, par l'émancipation de tous les individus.

Mais auparavant, qu'il nous soit permis de faire précéder ce rapide exposé de quelques réflexions qui nous sont sug- gérées par la tendance qu'ont presque tous les hommes du parti avancé de vouloir faire prévaloir telle question à la- quelle ils sont plus particulièrement attachés aux dépens de telles autres qui, cependant, ont bien leur importance aussi.

Que l'on n'oublie donc pas, une fois pour toutes, que le progrès est un, et que rien n'est fait tant qu'il reste quelque chose à faire.

La question de l'instruction résolue aussi radicalement que nous le comprenons entraine parallèlement la solution de toutes celles qui agitent notre époque ; c'est un grand avantage que celles-ci n'ont pas. De plus, le renversement du despotisme et l'abolition des armées . permanentes, les relations économiques modifiées, la séparation de l'Église et de l'État prononcée, sont ^es progrès qui, accomplis iso- lément, ne peuvent ni établir l'égalité, 'ni par conséquent produire l'ordre social ; accomplis simultanément, ils ne peuvent présenter de garantie, de stabilité (pi'autant que la réaction n'aura plus pour levier Y ignorance générale^ ce qui revient à dire que toutes les réformes ne seront com-


S84 LE LIVRE BLEU

plètes et stables que si Finstruction est absolument géné- ralisée.

La forme républicaine du gouvernement ne supprime pas le paupérisme, voyez la Suisse! Et voyez si, dans les États- Unis d'Amérique, qui cependant sont séparés de FEglise, l'individu est affranchi matériellement et même intellectuel- lement ! Les rapports économiques modifiés donneront-ils la séparation de rÉglise et de l'État, l'affranchissement de la pensée, la forme démocratique dans le gouvernement? Cela peut être mis en doute ; dans tous les cas, ces progrès ne comportent pas forcément l'accomplissement immédiat de tous les autres.

Ces réformes partielles peuvent donc s'obtenir sans que pour cela le désordre social disparaisse ; tandis que l'ins- truction NE PEUT être généralisée si les questions politique, religieuse, économique, etc., ne sont parallèlement ré«  solues.

En outre, comme nous le verrons par la suite, la géné«- ralisation de l'instruction présente l'inappréciable avantage de mettre toutes ces réformes et le nouvel ordre de choses qui les aurait établies, à l'abri de toute menée réaction- naire.

Pour ces considérations et pour d'autres que nous allons énumérer, nous ne saurions partager l'opinion de ceux qui: voient dans l'institution des armées permanentes le prin- cipal obstacle à tout progrès; ee qui signifie, pour quicon- que comprend à demi mot, que tout ira bien quand les dif- férents pays de l'Europe, de monarchiques qu'ils sont aujourd'hui, seront devenus républicains.

Ce n'est pas nous qui voulons mettre en doute que la forme républicaine du gouvernement ne soit à tous égards


DE L'INTERNATIONALE. 235

bien supérieure à la forme monarchique ; mais ce qui n'est pas moins indubitable, c'est que le gouvernement républi- cain ne rend pas nécessairement les citoyens égaux et peut laisser subsister les causes du désordre social, le proléta- riat par exemple.

. En Suisse, dans cette antique république, le peuple est-il plus avancé que dans les pays monarchiques? Beaucoup le pe^isent, mais combien grande est leur erreur 1 Ces fiers républicains, comme nous appellent ceux qui ne nous con- naissent que par les récits incomparablement orgueilleux et chauvins des historiens suisses, sont soumis, môme dans les cantons dits avancés^ aux aristocraties de toutes les formes • et de toutes les couleurs. Ne marchent-ils pas avec discipline au commandement d'un chef — librement choisi il est vrai — lequel peut au besoin — cela s*est vu plus d'une fois — faire faire à son armée toutes les fautes dont il se sent capable ? Ces hommes libres ne vont-ils pas à l'église, ne vénèrent-ils pas l'autorité militaire, ne sont-ils pas amoureux de la gloire autant pour le moins que le der- nier sujet du premier empire venu? La hideuse misère ne pullule-t-elle pas et les prisons sont-elles moins nécessaires en Suisse que dans les États monarchiques ? N'a-t-on pas vu dernièrement le peuple des petits cantons faire de grands efforts pour maintenir la peine de la bastonnade et l'inter- diction aux israélistes de séjourner sur leur territoire?

Les exemples abondent, mais ceux que nous venons de citer prouvent amplement que la suppression des armées permanentes et que la forme républicaine du gouvernement n'entraînent pas nécessairement l'établissement de tous les progrès. Nous faisons vis-à-vis des libres penseurs qui veulent


2S6 LE LIVRE BLEU

la séparation de l'Église et de TÉtat les mêmes réserves ; nous pensons que cette question ne peut primer les autres, parce qu'elle ne comporte pas nécessairement leur solution. Nous en avons déjà donné la preuve en citant les Etats- Unif^ d'Amérique.

Un grand progrès sera accompli quand l'Etat ne subvien- dra plus aux. frais des cultes, cela est à nos yeux indiscuta- ble; mais au fond, quelle peut être l'importance réelle de cette réforme chez la population européenne qui, pour les neuf dixièmes, est absolument ignorante ? Et quelle arme pour la réaction, quel danger pour le nouvel ordre de cho- ses, si le peuple, continuant à être privé d'instruction, voit dans cette séparation une persécution dirigée contre la reli- gion, contre l'Eglise qu'on lui a appris à vénérer? Enfin, que veut-on atteindre, en séparant l'Eglise de l'Etat? L'affran- chissement de la pensée, n'est-ce pas? Alors revendiquez la généralisation de l'instruction et réclamez l'emploi des moyens propres à l'obtenir d'une manière complète.

Enfin, de même que les politiques à propos de la sup- pression des armées permanentes, de même que les libres penseurs à propos de la séparation de l'Église et de l'État, les socialistes veulent avant toute autre question — quand ce n'est pas à l'exclusion de toute autre question — la ré- forme qui leur est chère. Ils voient une panacée universelle dans la réforme des rapports économiques.

Nous savons que tant que cette question ne sera pas ré- solue, il n'y aura pas d'égalité possible; mais il est de toute évidence aussi qu'aucune réforme radicale de ce genre n'est compatible avec le despotisme, et que, tant que celui-ci sera debout, il faudra renoncer à tout espoir de résoudre le problème économique autrement qu'en théorie.


DE L'INTERNATIONALE. 287

d'est pour cela que la question politique a été introduite au Congrès des travailleurs à Lausanne, et c'est convaincu que la déchéance du césarisme était indispensable que ce Congrès a déclaré :

c Que la privation des libertés politiques est ud obstacle à rinstruotioD sociale du peuple et à F émancipation du pro^ létariat, » et « que Fétablissemeut des libertés politiques est une mesure première d'une absolue nécessité* »

C'est pour les mêmes motifs que cette même réunion d'ouvriers a décidé :

€ U adhérer pleinement et entièrement au Congrès de la Paix. »

Tant que le plus grand nombre ne saura njL lire ni écrire, tant que l'immense majorité des travailleurs ignoreront non-seulement ce que c'est que la question économique, mais même qu'il y a une question économique, il sera bien difficile, sinon impossible, de la résoudre.

Logiquement, pour les socialistes comme pour les libres penseurs et les politiques, la question de la généralisation de l'instruction s'impose, et tous doivent l'accepter d'autant plus volontiers qu'il est aisé de comprendre que le retour d'un césar rétablissant l'ordre de choses dont ils ont à se plaindre n'est pas une chose impossible, si l'instruction ré-* pandue à flots ne met pas le peuple en garde contre la réac-'

tion.

Le césarisme, l'Église, la bourgeoisie sont les résultats d'une instruction égoïste, monopolisée, au profit d'un petit nombre de privilégiés ; instruction qui fait d'eux en réalité une race supérieure, forte, aux yeux de laquelle la direction et l'exploitation de la masse ignorante apparaît tout naturel- lemeiit comme une chose juste, légitime, inévitable.


288 LE LIVRE BLEU

Que rinstruction scientiâque soit donnée à chacan à tous les degrés, et, par Ja force des choses, l'exploitation sous toutes ses formes, politique, religieuse et financière, etc., disparaîtra.

Le soldat, le dévot, le prolétaire ont leur raison d'être, ils sont la manifestation de Tignorance du peuple. Le césa- risme abattu, TÉglise séparée de l'État, les rapports écono- miques modifiés, toutes les réformes, enfin, si elles ne sont pas complétées par l'instruction du peuple, n'empêcheront pas le soldat, le dévot, le prolétaire de reparaître sous une autre forme, peut-être, mais voilà tout, le fond sera le même, l'inégalité et le désordre social subsisteront.

Au seizième siècle, l'ère des révolutions commence, mo- ralement un pas immense est fait dans la voie du progrès ; mais l'instruction n'étant pïis généralisée, tout reste à peu près dans le même état ; le fond subsiste, la forme seule change ; le prêtre prend un autre uniforme et un autre nom, le sermon remplace la messe et le dévot reste.

Au siècle dernier, la féodalité nobiliaire meurt sur l'écha- faud; mais l'instruction n'étant pas accessible à tous, la féodalité doit forcément reparaître. C'est en effet ce qui arrive : la féodalité financière surgit, plus ardente peut-être, à la curée que son aînée. Le serf devenu libre, mais non instruit, ne fait que changer de nom : il s'appelle aujour- d'hui prolétaire.

Ainsi, puisque l'établissement dans toute l'Europe du régime républicain, la séparation de l'Église et de l'État, les modifications dans les relations économiques ne ramè- neraient pas l'ordre dans la société -si ces grands progrès n'étaient pas complétés par la généralisation de l'instruc- tion, n'est-ce pas un devoir et un acte de raison pour chaque


DE L'INTERNATIONALE. É89

association qui aspire à régénérer rhumanité que de mettre en tête de son programme la. généralisation de Vin^ strnction ?


IV


De la graUùté de l'enself^ement»

L'instruction du peuple étant de l'intérêt général, on a

admis à peu près partout le principe de la gratuité pour renseignement donnée par TEtat au moins pour l'enseigne- ment primaire.

Sous ce régime, l'impôt prélevé sur les citoyens fait les frais de l'instruction publique, et les plus pauvres d'entre les plus pauvres, payant l'impôt directement ou indirecte- ment, contribuent aux frais qu'entraîne l'instruction donnée aux enfants de ceux qui jouissent d'un bien-être relati- vement assez grand, pour profiter des avantages offerts par la gratuité. Nous nous expliquons. On croit communé- ment que tous, sans exception, peuvent envoyer leurs en- fants aux écoles primaires ; c'est une erreur. De ce que le plus grand nombre peut profiter des écoles primaires, la porte n'en est pas moins close pour beaucoup. Comptez les parents pour lesquels leur position de fortune — de mi- sère serait mieux dit — rend obligatoire le travail, la men- dicité même des enfants qui, s'ils entrent aux écoles, n'y peuvent consacrer qu'un temps insuffisant.

L'injustice créée par la gratuité actuelle de l'enseigne- ment primaire est plus frappante encore relativement à l'enseignement secondaire et à l'enseignement supérieur,


240 LE LIVRE BLEU

parce qu'un nombre plus considérable de citoyens ne peu* vent y atteindre, bien que cette instruction soit donnée aux frais de tout le monde. Gela est évident, puisque l'écolage payé par les élèves privilégiés ne couvre pas les frais de cette instruction dont FÉtat — ' c'est-à-dire tous les citoyens — doit parfaire les frais.

L'iniquité est flagrante, mais ce n'est pas tout. Cette in- struction supérieure payée par ceux qui en sont exclus a pour effet de créer une catégorie de citoyens qui, rendus supérieurs par leur développement intellectuel, exploite- ront à des degrés divers ceux qu'un tel système maintient dans l'ignorance. On sait que l'ignorance fait la brute, le faible, qui est nécessairement exploité par les intelligents, les forts, ceux qui ont reçu de l'instruction.

Payer des verges pour être battu, voilà ce qui se passe sous le régime de la gratuité de l'enseignement qui nous a été octroyé !

Faut-il conclure de cela que cette gratuité^ môme telle qu'elle existe aujourd'hui, doive être supprimée? Non, sans doute, car bon nombre de ceux qui Jouissent des avantages de l'instruction primaire, secondaire et supérieure en se- raient privés, ce qui aurait pour résultat d'abaisser le ni- veau du développement général de la société, et par consé- quent de diminuer le bien-être social auquel tous sont intéressés. Mais ce qu'on doit conclure, c'est que l'injustice étant une cause de malaise et de désordre, il faut rechercher les moyens de la faire cesser.

Ainsi nous avons reconnu que :

Maintenir la gratuité de l'enseignement telle que nous l'avons, serait perpétuer une iniquité et, par suite, le dé- sordre social.


DE L'INTERNATIONALE. 241

Et que, supprimer cette même gratuité serait une sottise, ayant pour effet une diminution du bien-être général relatif actuel, suivie d'un surcroît de désordre sociaL

Pour sortir de ce cercle vicieux, nous ne voyons qu'un seul moyen, c'est de rendre l'instruction publique accessible à tous. C'est à quoi il n'est possible d'arriver que par l'obli- gation de l'instruction logiquement instituée.


De l'obllfi^tlon de l'instmetlon.

L'instruction doit-elle, oui ou non, être obligatoire? Telle est la question, encore controversée, que nous allons exa- miner, en faisant remaropier que nous n'admettrons cette loi d'obligation qu'autant qu'elle sera conforme à la justice, c'est-à-dire cpi'elle ne lésera ni l'intérêt et le droit de tous, ni l'intérêt et le droit de chacun.

Or, r intérêt et le droit de la société, c'est sa conserva- tion, son développement, qui ne sont possibles qu'avec l'ordre social; et l'intérêt et le droit de l'individu, c'est aussi sa conservation, son développement, soit le droit de vivre en tant qu'espèce, c'est-à-dire matériellement, soit le droit de vivre en tant qu'être sociable, c^est-à-dire intellec- tuellement.

Ainsi, l'obligation ne pourra être considérée comme une loi juste et utile que si elle est soumise à ces trois condi- tions :

14


S42 LE LIVRE BLEU

1« Respecter riutérôt et le droit de la collectivité, soit Tordre social.

2o Respecter Tintérôt et le droit de l'individu comme homme, soit le droit de vivre matériellement.

3" Respecter l'intérêt et le droit de vivre de l'individu comme citoyen, soit le droit de vivre intellectuellement.

Nous avons déjà établi dans la première partie de ce l'ap- port que l'ordre, condition absolue d'existence pour toute société, n'était désormais possible que par la généralisation de l'instruction. Il s'ensuit que, puisque tous nous sommes intéressés à atteindre ce résultat, et à l'atteindre au plus vite, que, puisque Tobligation est le seul moyen radical à employer pour cela, la société est fondée en droit à rendre l'instruction obligatoire pour chacun de ses membres; car laisser au père la faculté d'instruire ou de ne pas instruire son enfant, c'est retarder indéfiniment cette généralisation devenue indispensable, c'est « mettre l'intérêt de tous à la merci de Tindividualité. d La société ne peut ni ne doit y consentir.

Donc, la première condition pour reconnaître la justice et l'utilité de l'obligation de l'instruction se trouve remplie, parce qu'elle est conforme à l'intérêt et au droit de la so- ciété.

En est-il de même quant à l'intérêt et au droit de l'indi- vidu, et tout d'abord quant à son droit de vivre matériel- lement ?

Chacun sait que dans les conditions économiques où nous vivons, généralement l'ouvrier père de famille ne peut avec son faible salaire — quand il en a un — nourrir et en- tretenir ses enfants. Dans la société moderne, en effet, l'enfant ne parvient à peu près à vivre qu'en consacrant ia


DE L'INTERNATIONALE. 84S

totalité de ses journées à la production, de sorte que lors- que l'obligation de Tinstruction le retiendra sur les bancs

de récole, il lui sera impossible de gagner sa vie Qui

donc le nourrira, le vêtira, le logera? Le père ne peut matériellement pas supporter cette charge, nous Tavons vu,

É

surtout s*il a plusieurs enfants.

L'obligation expose donc celui (qu'elle, atteint à mourir de besoin, l'intérêt individuel est lésé, le droit de vivre mé- connu, et dans ces conditions l'obligation devient une loi inique et révoltante à laquelle il faut renoncer, quels que puissent être d'ailleurs les avantages que retireraient ulté- rieurement et la société, et l'individu, s'il parvenait à vivre soit par la mendicité, soit de toute autre façon pendant que cette loi pèserait sur lui.

Donc, la seconde condition pour reconnaître la justice et l'utilité de Tobligation de l'instruction n'est pas remplie, parce qu'elle n'est pas conforme à l'intérêt et au droit de l'individu.

En résumé, l'ordre social ne peut exister que par la généralisation de l'instruction.

La généralisation n'est possible que par l'obligation, et l'obligation est. impossible, parce qu'elle lèse l'intérêt et le droit de l'individu : *— source de désordre social.

Nous sommes de nouveau dans un cercle vicieux d'où Ton ne peut s'échapper, que si la société reconnaît à l'indi- vidu le droit de vivre pendant qu'il demeure sous le coup de la loi nécessaire à la conservation et à la prospérité générale; ce qui revient à dire, que la société doit, sous peine de désordre et de ruine, s'engager à fournir à chacun les moyens d'exister pendant la durée de ses études.


244 LE LIVRE BLEU

Qu'on nous pennette de répéter ici ce que nous avons rigoureusement démontré :

Que le désordre social ne peut cesser que par la généra- lisation de rinstruction, laquelle n*est possible que par r obligation ; que cette obligation n'est matériellement exi- gible qu'autant que la collectivité reconnaît le droit de vivre à la jeunesse soumise à cette loi, et qu'en consécpience, l'État doit, dans l'intérêt de tous, se charger comme d'un service public de subvenir aux frais de nourriture et d'entretien de la jeunesse pendant la durée de ses études.

De la sorte, le droit de vivre n'étant plus méconnu : la seconde condition pour reconnaître la justice et l'utilité de l'obligation de l'instruction se trouve remplie, parce qu'elle est conforme à l'intérêt et au droit de l'individu.

La troisième condition, on se le rappelle, exigeait le res* pect du droit de citoyen, soit le droit de vivre intellectuel- lement. Cette troisième condition ne nous arrêtera pas longtemps, car il tombe sous le sens que l'obligation de l'instruction, bien loin d'entraver la vie intellectuelle, peut seule l'assurer à chacun.

Donc, la troisième condition, pour reconnaître la justice et l'uitlité de l'obligation, est remplie, parée qu'elle est con- forme à Pintérêt et au droit de l'individu.

Pour notre époque, l'ordre social n*est possible que par r obligation de r instruction et 1* entretien complet par la société des individus soumis à cette loi.

Voilà ce que nous tenons pour absolument acquis; et, dès lors, il faut choisir entre ces deux alternatives : ou l'ordre social, soit l'obligation de l'instruction avec les con- séquences, qu'elle entraîne, ou le refus de ces conséquences


DE L'INTERNATIONALE. 245

et, partant, le maintien de l'ignorance générale et du dé- sordre social actuel.

On ne peut sortir de là.

Nous l'avouerons, ce n'est pas sans satisfaction que nous avons vu la logique nous conduire à poser la question en termes aussi précis, car elle obligera sans doute les hommes politiques à se dessiner nettement. Ceux qui exploitent leur réputation de révolutionnaires, d'hommes avancés, pour entraver le mouvement social, seront peut-être enfin contraints de prendre ouvertement la place que leur assigne leur opposition plus ou moins masqfuée aux progrès récla- més par la jeunesse, et, en général, à toutes les idées nou- velles qui s'éloignent du cercle dans lequel ils ont circons- crit leur vie publique.


VI


Des objeetlons contre l'obligpatlon de Plnstruetion.

Bien que nous ayons démontré la nécessité de Tobliga- tion de l'instruction, il ne sera peut-être pas inutile, pour rassurer tout à fait certaines personnes, de réfuter quelques objections, bien faibles, il est vrai, que l'on fait communé- ment à ce progrès.

La liberté individuelle, dit-on, — il est maintenant d'u- sage de se servir de ce mot contre toute réforme sociale, — la liberté individuelle n'assure-t-elle pas au père le droit d'élever son enfant comme bon lui semble? Gela pourrait être admissible si celui-ci devait toujours appartenir au père, mais il n'en est point ainsi, l'enfant deviendra membre

14.


S4ê LE LIVRE BLEU.

de la société, qui exig-era de lui, en échange du bien-être qu'elle lui donne, la garantie qu'il n'y portera pas atteinte, et môme qu'il le développera dans la mesure de ses forces. Et comme cette garantie consiste dans la possession indivi- duelle d'un ensemble de connaissances déterminées, le père ne peut avoir la faculté de les laisser ignorer à son enfant. « De môme que l'homme, en vertu de la loi humaine et en vertu de la loi de la nature qui est plus haute encore, n'a pas le droit de tuer son enfant, de môme il n'a pas le droit de tuer l'intelligence de son enfant par une fausse éducation ou par l'ignorance. »

Une autre objection est celle-<îi : Vous , collectivité, vous ne pouvez pas imposer à mon enfant un programme d'é- tudes qui ne me convient pas. A cela nous répondrons que le programme des études exigé par la société ne peut être composé que des éléments de science, c Or, la science, quel qu'en soit l'objet, physique ou moral, quel qu'en soit le nom, mathématiques, histoire, grammaire, rhétorique, logique, morale, ne peut porter .ombrage à la famille. Gomme elle ne contient que des vérités exactement vérifiées ou rigou- reusement démontrées, et qu'elle élimine de son domaine tout ce qui est objet de foi ou de croyance, elle ne contredit ni ne blesse aucune doctrine, soit religieuse, soit philoso- phique. La science est bonne à tous, comme la vérité dont elle est la pure et impartiale expression. S'il est des familles qui poussent la passion, le préjugé et le fanatisme au point d'y voir un ennemi de leurs croyances, de leurs doctrines, de leurs intérêts, c'est un malheur qui ne rend que plus légitime et plus nécessaire l'intervention de l'État. Les individus ont le droit de fuir la lumière ; mais ils n'ont pas celui d'y soustraire leurs enfants. »


DE L'INTERNATIONALE. «47


VII


Du degré de l'instruetion générale.

L'obligation de Tinstruction doit s^ (étendre à tous les de- grés, parce que la possession des connaissances nécessaires pour rendre toute exploitation impossible, n*est acquise qu'après les avoir parcourus. L'ensemble de ces connais- sances, la science, est un capital qui, de môme que tous ceux accumulés par les générations passées, doit être ré- parti entre tous les membres de la société, c'est-à-dire qu'il doit appartenir à la propriété collective, afin que tous en soient également propriétaires. Ce que la société a dû, peu à peu, sans s'en douter, admettre par la force des choses à l'égard des routes, des édifices publics, des promenades pu- bliques, etc., pourquoi ne Tadmettrait-elle pas pour le ca- pital scientifique, puisque de tous ceux que l'humanité a constitués c'est le plus important ? Et cela est d'autant plus nécessaire que, si les autres capitaux peuvent assurer l'exis- tence matérielle de notre espèce, la science, la science seule peut la faire prospérer. Avec leur possession, l'homme peut rester une brute, il ne peut avoir la plénitude de ses facul- tés que par la science.

Or, comme il n'est possible de faire entrer ce capital à la propriété collective qu'en obligeant chaque membre à la possession des connaissances que donne l'instruction supé- rieure, l'obligation est, nous le répétons, nécessaire à tous les degrés.


248 LE LIVRE BLEU

Nous voulons répondre d'avance à une objection qu'on ne manquera pas de nous faire : La propriété collective, soit la répartition égale de la science, est une utopie, nous dira-t-on. Comment voulez- vous que ceux qui en abandon- neront rétude, après avoir satisfait à la loi de l'obligation, aient une part égale à celui qui consacre sa vie à cette ^

même étude? Leur part sera égale, afQrmons-nous, et voici pourquoi : c'est que les études supérieures mettent en pos- session des connaissances générales nécessaires au dévelop- pement de chacun, et qu'aller au delà dans le domaine scientique, c'est embrasser une spécialité productive con- forme au goût de l'individu, mais qui ne le rendra supérieur en rien à ceux qui se voueront aux spécialités artistique, agro- nomique, industrielle, etc. Grâce à la possession des connais- sances générales, incapables tant les uns que les autres de tolérer l'exploitation, l'échange des produits ne pourra plus <

se faire que sur la base de l'équivalence des fonctions.

En résumé, l'ordre social exige que l'obligation de l'in- struction comprenne ce qu'on appelle aujourd'hui les études primaires, secondaires et supérieures.

VIII

IiideiiiBlté seolmire on entretien de la Jeunesse des

éeoles par l'tfltat.

Si la gratuité, telle que nous l'avons aujourd'hui, est in- ^

suffisante pour généraliser l'instruction, on peut la considérer comme un premier pas fait vers la gratuité telle que nous devons l'avoir, c'est-à-dire complète— nous entendons par gratuité complète que l'instruction ne soit pas tellement oné-


DE L'INTERNATIONALE. 249

reuse pour les citoyens, que le grand nombre d'entre eux doivent en priver leurs enfants. La gratuité actuelle, ame- née, elle aussi, par la force des ohoses, est un achemine- ment inconscient au service public de Tindemnité scolaire, de sorte que cette indemnité n'est au fond qu'une simple extension du principe de gratuité si généralement admis de nos jours ; elle en est la conséquence inévitable.

Si donc on reconnaît que la gratuité de renseignement est bonne en soi, on ne peut, sans manquer de bonne foi ou de raison, méconnaître la légitimité de l'entretien de la jeunesse des écoles par l'Etat.

C'est l'a j& c de la justice, du reste; et cela devrait suffire pour être accepté quand bien môme nous ne saurions pas d'autre part que notre intérêt à tous le commande. Ainsi pendant la durée des études, riches et pauvres des deux sexes devront recevoir de l'État une somme, variable peut- être, mais toujours suffisante pour que chaque élève puisse vivre — tant pour la nourriture que pour le logement, le vêtement, etc., — dans des conditions parfaitement hygié- niques.

Nous n'avons pas parlé des pauvres seulement, parce qu'il ne doit être fait de distinction d'aucune sorte entre les citoyens dans les services publics qui, par leur nature même, doivent fonctionner d'une manière égale pour tous.

Le service des postes, celui des télégraphes ne coûte pas plus pour le rentier que pour le mendiant, et la jouissance des promenades publiques est gratuite pour l'un comme pour l'autre.

Et puis, quel est le nombre de ceux qui pourraient faire faire des études complètes à leurs enfants sans réclamer le secours de l'État? Il est à peu près nul. Gela ne vaut donc


250 LE LIVRE BLEU

pas la peine d'avoir deux poids et deux mesures. Au sur- plus, en exigeant de tous les mêmes devoirs et en n'accor- dant pas à tous les mêmes droits, on commet une injustice, et il n'en faut pas là où doit régner Tordre social.

L'on comprend que la généralisation de l'instruction, aussi radicalement instituée, entraînerait à de grandes dé- penses : non-seulement il faudrait subvenir à l'entretien des enfants de la république pendant un certain nombre d'années, créer un grand nombre d'écoles et faire les frais d'approprier à cet usage les églises, temples, etc., que la séparation des cultes et de l'État rendrait disponibles, mais encore il faudrait beaucoup augmenter le nombre des pro- fesseurs et plus que doubler et même tripler les appointe- ments qu'ils reçoivent aujourd'hui.

Les ressources actuelles des gouvernements ne sauraient faire face à tant d'exigences, même en admettant la sup- pression des budgets de la guerre et des cultes. Nous de- vrions établir ici le calcul des sommes nécessaires pour faire les tveiis d'un service public, aussi dispendieux, il serait nécessaire également de rechercher où l'on peut trouver les ressources pour y suffire sans écraser les popu- lations par les impôts ; mais ce travail, d'une nature spé- ciale, nous est épargné par celui que prépare un. des mem- bres de notre Association du Sou, et qui aura pour titre : De rimpôt.


DE L'INTERNATIONALE. 251


IX


Impuissance de la réaction.

Nous avons avancé que la réaction contre l'œuvre de la révolution sociale deviendrait impossible, si celle-ci avait •soin de généraliser l'instruction.

Voici pourquoi nous croyons à l'impuissance réaction- naire, malgré les leçons du passé.

Reqiarquons d'abord que la réaction puise sa force prin- cipale dans la désaffection du peuple pour la révolution qu'il a accomplie, parce que celle-ci ne mettant pas fin à ses misères comme il l'avait espéré, — la raison en est que toutes les révolutions passées n'ont pas atteint la cause première des misères sociales, l'ignorance, — il lui devient assez indifférent qu'un coup d'Etat renverse les institutions nouvelles qui n'ont rien su changer à sa position. Si, au contraire, on suppose la cause première des souffrances du peuple détruite par la généralisation de l'instruction, la réaction devient impossible et l'avenir n'est plus que le développement permanent du progrès. Mais nous recon- naissons que cette généralisation ne s'opérera pas d'un jour à l'autre; il faudra pour cela un certain temps pen- dant lequel le retour du passé, à l'aide de l'ignorance en- core existante, pourrait avoir lieu, si les populations n'a- vaient pas un intérêt direety immédiat, à soutenir de toutes leurs forces le régime qui aurait inauguré l'indemnité sco- laire.


252 LE LIVRE BLEU

Il faut que la future république, plus sage en ceci que ses devancières, qui ne se sont jamais mises en garde contre les anciens partis, imite le despotisme qui assure son exis- tence par la force matérielle. Ce n*est pas à dire que nous entendions la force des armes, mais n'est-il pas à notre épo- que une force bien autrement grande, celle de Tintérêt ? C'est celle-là qui doit assurer Texistence de l'œuvre du pro- grès.

Par l'indemnité scolaire, le père de famille recevra une somme d'argent pour l'entretien de chacun de ses enfants en âge de suivre les cours publics. Qu'on se figure les paysans les plus ignorants, les plus dévots, les plus impé- rialistes possible, recevant pour chaque enfant, en France, je suppose, une somme moyenne de 5 ou 600 francs par an, et auquel on irait prêcher le renversement d'un ordre de choses qui, non content d'avoir supprimé les impôts qui pè- sent si lourdement sur eux, la conscription, etc., payerait encore, et largement, l'entretien des enfants !1I Mais ces dé- vots, ces impérialistes, je vous le jure, prendront au collet les excitateurs à la haine et au mépris de la république dé- mocratique et sociale et au besoin se feront hacher pour elle I C'est là une force qui vaut bien celles des baïonnettes, sans compter que jusque dans les hameaux l'idée nouvelle aura des défenseurs énergiques dans les personnes des ré- gents primaires et secondaires des deux sexes, qui, bien payés, par conséquent indépendants, n'auront à ménager aucun préjugé et ne seront plus les très-humbles serviteurs du prêtre, — à supposer qu'il en reste quand les habitants devront individuellement en faire les frais.

Voilà les raisons pour lesquelles nous croyons la réac- tion impossible si l'indemuité scolaire est instituée.


DE L'INTERNATIONALE. 253

Au moment de disparaître à jamais, il serait juste que rignorance — jusqu'ici Tennemie du progrès — fût consti- tuée Tarmée défensive de Finstruction et de Tégalité.


Coneliisloii*

La première période de l'histoire de la civilisation touche à sa fin, c'est la période de Fignorance, soit de l'inégalité sociale, que les demi-révolutions successives, engendrées jusqu'à ce jour par les souffrances du peuple, n'ont pas su clore et à lacpielle doit succéder la période de connaissance, soit de l'égalité sociale.

Peut-être appartient-il aux générations présentes de fer- mer cette longue suite de siècles de misères !

Quoi de plus naturel, en effet, que d'admettre que les Gon-

».

grès de Bruxelles et de Berne auront assez de virilité pour se préparer à donner, en fixant d'un commun accord le pro- gramme de la révolution sociale, le signal de cette gigan- tesque évolution I Ne sont-ils pas assurés de rencontrer la sympathie et le dévouement des classes opprimées,- ainsi que l'appui de toutes ces associations qui impriment à no- tre siècle son caractère de spécialité, remarquable en ceci, qu'il tend à substituer au principe des nationalités celui de l'humanité : à l' antinomie , la solidarité.

Nous no forcerons donc pas la situation en disant qu'il dé- pend des quelques hommes réunis dans ces assemblées d'à-

vancer l'époque qui mettra enfin un terme à l'anarchie qui

15


254 LE LIVRE BLEU

pèse sur le» peuples d'aussi loin qu'ils sesouviennent, e» re- vendiquant la généraUsatioa des biena accumulas par les générations passées et au nombre desquels figura le capital scientifique.

DE LA PROPRIÉTÉ COLLECTIVE.

CONGRÈS DE BRUXELLES.

RésolatloBs adoptées pa» la eoMimlMiMu

lo Relativement aw mines, bQVlillères Qt çbepaiijs de fer,

Considérant s

Que les grands i^strumentsi de travail soAt fixés au sol et occupent une notable partie de ce sol fourni gratuitement à rhumanité par la nature ;

Que ces instruments de travail exigent nécessairement l'application des machines et de la force collective ;

Que les machines et Ift force collective qui existent au- jourd'hui pour runiq[U9 avantage des capitalistes, doivent à l'avenir profiter uniquement ?\ux travailleurs, et que pour cela il faut que toute industrie ou ces deux forces économi- ques sont indispensables aoiit §î;qrçée par des g^pupes af- franchis du salariat |

Le Congrès pense :

lo Que les carrières, houillères et autres mines, ainsi que les chemins de fer, dans une société normale, appartien- dront à la collectivité sociale, représentée par TÉtat, mais par l'État régénéré et soumis lui-même a la loi de justice ;

2» Que les carrières, houillères, chemins de fer seront


DE L'INTERfiÀTlONALE. ^

Goucédés par la société, nQn à des capitaliste^, comme au- jourd'hui^ maÎQ à des qompaçoie^ ouvrières ; et ce moyen- uant un double contrat ; Tun donnant Tinvestiture à la com- pagnie ouvrière et garantissant à la société : a) l'exploita- tion scientifique et rationnelle de la concession, b) ses ser- vices au prix le plus proche du prix de revient, c) le droit de vérifier les comptes de la compagnie, d) et par poAséquent l'impossibilité de la reconstitution du mono- pole^ l'autre garantissant les droits naturels de chaque mepibre ^e l'Association ouvrière vis-à-vis de ses collè- gues.

2o Relativement à la propriété agricole.

Considérant :

Que les nécessités de la production et l'application des connaissances agronomiques réclament une culture faite en grand et avec ensemble, exigent l'introduction des ma- chines et l'organisation de la force collective dans l'agri- culture, et que d'ailleurs, l'évolution économique elle-même tend à ramener la culture en grand ;

Que dè^ lors le travail agricole et la propriété du sol doi- vent être traités sur le môme pied que le travail minier et la propriété du sous-sol ;

Que, du reste, le fonds productif est la matièye première de tous les produits, la source primitive de toutes les ri- chesses, sans être par lui-môme produit du travail d'aucun particulier ; /-

Que l'aliénation à quelques-uns de cette matière première indispensable rend la société entière tributaire de ceux à qui elle est aliénée;

Le Congrès pense que l'évolution économiqua î&r^ de rentrée du sol arable à la propriété collective une néoaasiité


256 LE LIVRE BLEU

sociale, et que ce sol sera concédé aux compagnies agri- coles comme les mines aux compagnies minières, les che- mins (le fer aux compagnies ouvHères,^t ce avec des condi- tions de garantie pour la société et pour les cultivateurs analogues à celles nécessaires'^pouc les mines et pour les chemins de fer. 3» Relativement aux canaux,routes, voies télégraphiques, Considérant que ces voies de communications exigent une direction d'ensemble et un entretien qui ne peuvent

m

être abandonnés à des particuliers, comme le demandent certains économistes, sous peine de monopole ;

Le Congrès pense :

Que ces voies de communication doivent rester à la pro- priété collective de la société.

4® Relativement aux forêts ;

Considérant que Tabandon des forêts à des particuliers pousserait à la destruction de ces forêts ;

Que cette destruction sur certains points du territoire nuirait à la conservation des sources, et par suite des bon- nes qualités des terrains ainsi qu'à l'hygiène publique et à la vie des citoyens ;

Le Congrès pense :

Que les forêts doivent rester à la collectivité sociale. >

CONGRÈS DE BALE.

Discours prononcé à l'ouverture du Congrès par le ci- toyen Bruhim, procureur de la République de Bàle, prési- dent des sections réunies de Bâle, — ville et Bâle, — cam- pagne.


DE L'INTERNATIONALE. 257

Frères travailleurs,

Avant toute chose, qu'il me soit permis de souhaiter cor- dialement la bienvenue à vous tous, représentants de la classe ouvrière. Nous aurions aimé de vous recevoir dans ube église, mais il paraît que les églises de cette ville sont fermées aux messagers qui viennent proclam'er la vérité réellement évangélique de Témancipation de Touvrier. Con- solons-nous, citoyens, en pensant que tout endroit est saint où viennent se réunir des fils de Thomme pour discuter les intérêts de Fhumanité.

Cet endroit est saint trois fois lorsqu'il renferme des représentants de cette grande association ouvrière qui ad- met dans ses rangs- tous les hommes sans exception au- cune. Ah ! il est vrai, aujourd'hui l'Association n'embrasse que l'élite des ouvriers, les ouvriers les plus intelligents, les plus énergiques de la France, de l'Angleterre, de l'Al- lemagne, de la Suisse et de TAmérique. Nous ne formons que l'avant-garde de la grande armée des travailleurs. Beaucoup s'effrayent encore au seul mot dJInternationalef beaucoup ont peur. Mais ces folles terreurs ne tarderont pas à se dissiper, et l'Association comprendra les ouvriers du monde entier.

Disons-le : Qu'est l'histoire des travailleurs, sinon l'his- toire de notre Association? Et cette histoire, dans le passé c'est l'esclavage, dans le présent c'est la» lutte, dans l'ave- nir ce sera la victoire. Partout où l'on a commis des fautes envers les ouvriers, on les a commises envers notre Asso- ciation. Que ce soit dans le Borinage ou dans le bassin de la Loire, les coups portés aux ouvriers nous ont atteints.


25Ô LE LlHrhÈ BLfeU

La réponse faite aux ouvriers de Vienne : < Réunissez- vous autour de Téchafaud I » nous la considérons comme adressée à nous, et l'affreux malheur de Planer a jeté un deuil profond dans nos âmes. ,

Mais aussi nous pouvons dire que le mouvement qui agite les ouvriers est notre mouvement, et partout où se réunis- sent les opprimés, notre esprit plane au milieu d'eux, comme on Ta pu reconnaître naguère lorsque le grand pai*ti socialiste allemand a tenu ses assises.

On sait qui nous sommes, et nous ne cachons pas ce que nous voulons. Non, nous n'acceptons pas la société telle qu'elle est actuellement constituée, cette société qui met tous les biens, tous les avantages entre les mains de quelques nrivilégiés, avec la faculté d'en disposer selon leur bon plai-

cette société où l'ouvrier, réduit à l'esclavage, est forcé

de vendre à bas prix son travail et son être lui-même ; cette société qui n'a jamais su, comme le fait un bon père de fa- mille., assurer l'existence à chacun de ses enfants ; cette société où ceux qui travaillent jour et nuit ont à peine un morceau de pain, tandis que l'exploiteur peut à volonté acca- parer et amonceler des richesses, et non-seulement ne point produire, mais encore eippêcher à son gré la production.

Non, nous ne pouvons pas reconnaître une société qui veut régler le travail en le mesurant au flux et au reflux de l'offre et de la demande, une société où il y a peu d'heureux et tant de déshérités. Cette société n'est pas issue des en- trailles de l'humanité. On l'a souvent comparée à un enfer sur la terre, et le mot était juste. Caries traditions que nous ont laissées nos pèrçs, car la forme qu'ils ont donnée à la vie humaine, font de la société un amas de démons et de damnés. Les damnés, se sentant innocents, se sont plaints


DE L'INTERNATIONALE. 860

de ne point être démons et de ne pouvoir tourmenter les autres à leur tour. Mais nous, nous désirons envisager la question d'un point de vue plus élevé. Nous voulons l'é- galité entre les hommes, nous voulons qu'entre eux régnent l'union et la concorde, cette concorde que l'œuvre de tant de siècles n'a pu jusqu'ioi nous conquérir. Aujourd'hui, il est triste de constater que toutes les relations sociales sont basées sur le droit du plus fort et que cette usurpation a été ratifiée, sanctifiée par les lois. Aussi, qu'est-il arrivé? Il est arrivé que les hommes qui étaient sur l'enclume ont tàahé de devenir marteaux.

Mais au milieu de ce triste état de choses notre oœur s'est ouvert au pressentiment qu'un monde tout nouveau va se former, qu'une société nouvelle va sortir des décombres de l'ancienne, assez forte, assez glorieuse pour rendre heu- reuse toute créature humaine.

Déjà les premiers pas ont été faits, la tyrannie des nobles^ la tyrannie des prêtres ont été brisées, les privilèges de la noblesse, ceux du clergé ont disparu. Il faut maintenant que le privilège bourgeois disparaisse comme les autres» il faut que tous travaillent. La société libre que nous rêvons saura exploiter coopérativement tout travail; cette société, n'étant composée qpie de travailleurs, saura se suffire et se gouver- ner elle-même. Elle ne souffrira point que l'on violente la conscience, mais elle saura satisfaire les désirs des cœurs auxquels le sentiment religieux est nécessaire.

Alors la paix sera perpétuelle, les peuples ne formeront plus qu'une grande famille répandue sur l'une des innom- brables planètes qui se meuvent dans l'espace infmi. Alors sera atteint ce but poursuivi par tous les esprits généreux, ce but auquel aspirent tous les cerveaux d'élite. Les grandes


260 LE LIVRE BLEU

inventions, qui sont la véritable gloire humaine, oonduisent  ce paradis du développement complet et intégral de Thu- manité. ..

Frères ouvriers... est-ce que je rêve? Alors vous rêvez avec moi... Suis-je insensé en parlant ainsi, et faut-il me renfermer dans un asile d'aliénés ? Non. Ce qui me prouve que je ne rêve pas, que je ne suis point insensé, c*est Texis- tence de F Association internationale elle-même, c*est son intervention active dans tout ce qui touche au bien-être de l'ouvrier.

Travaillons donc, travaillons sans relâche à la création de la république populaire (volkstaats), car avant tout il faut que le peuple prenne en main le gouvernement. Alors seu- lement il dépendra de lui, de son activité, de son intelligence, de sa vertu, de créer un monde comme il Tentendra, un monde en conformité avec ses intérêts et débarrassé des préjugés, ces montagnes qui vont se creusant et se minant chaque jour.

Il reste à savoir si nous pourrons réaliser les réformes projetées dans un bref délai, et s'il nous sera donné de les accomplir par des voies pacifiques. Hélas! Tespritdu siècle ne paraît point encore suffisamment éclairé pour que Té- mancipation puisse être d'ores et déjà proclamée. Tous les ouvriers et ceux qui vivent en dehors du monde ouvrier ne veulent point comprendre la lumineuse majesté de cette cause; mais le besoin, la nécessité nous étreindront de leurs bras de fér, et Je besoin, la faim, créeront la nouvelle so- ciété. Laissez le capital s'amonceler encore dans quelques mains privilégiées et... Les bouleversements ont toujours eu pour origine l'intérêt que la misère y avait. Qu'ils restent donc avec leurs préjugés ceux qui ne voient d'autre diffé-


DE L'INTERNATIONALE. 261

rence entre les hommes que la différence de leurs fortunes, et ne considèrent ni talent, ni valeur; la nécessité sera leur maîtresse.

Nous n'attendons rien du grand capital, cependant nous ne faisons pas la guerre aux personnes, nous la faisons aux principes et aux institutions qui sont le résultat de la con- stitution présente de la société.

Citoyens, il n'a été rien accompli là où il n'y avait point d'esprit de conviction et d'énergique volonté ; cet esprit, je le sais, fait battre les cœurs et c'est pour cela que le mou- vement actuel est appelé à réussir. Je vous salue donc, vous qui préparez le grand jour de l'émancipation; soyez les bienvenus, d'où que vous veniez; notre but est com- mun : vous voulez tous gagner cette terre promise, la seule dont la possession puisse être revendiquée pour l'homme.


Discours du citoyen Tolain sur la question de ïabolition

de la propriété individuelle.

Citoyens, dix minutes ne permettent pas de répondre à tous les arguments exposés dans le volumineux rap- port du citoyen de Paepe ; je vais donc droit au cœur de l.a question, et pour commencer, une déclaration : je ne crois pas que nous ayons le droit de décider la collectivité du sol en l'absence des représentants de l'agriculture.

Vous m'accorderez que la société se compose d^individus,

que la collectivité est unèlre abstrait, quelque chose qui ne

i^ssemble pas à rhomme, quelque chose qu'on nous impose,

qui est inconnu et qu'il faut cependant accepter. L'individu,

au contraire, existe; il s'affirme dans toutes les branches de

15.


m LE LtVRÈ ÔLÊU

l'activilê humaine ; il suffit dô l'envisager h côft tfMâ poifttâ de vue : la religion, la politique et Téconomie, pour se per- suader que de toutes les tendances, celles qui sont fausses sont seulement celles qui sont contraires à la manifestation de l'individu; et partout vous reconnaîtrez ce désir de chaque homme d'être son propre roi : un être libre et indépendant.

Quand l'homme a fourni sa part de contribution pour l'or- ganisation des services publics, lorsqu'il a satisfait les garanties qu'exige de lui la société, je nie à la collectivité le droit de porter la main sur le produit de son travail ; c'est là une question de liberté humaine.

Passant ensuite à la propriété elle-même, l'orateur re- proche à ses adversaires de prendre l'effet pour la cause en attribuant au droit de posséder le motif des misères de l'hu- manité. Il faut la voir au point de vue de la suppression des baux, loyers, etc., remplacés par le contrat de vente et le crédit réorganisé. Demandons-nous maintenant si, comme intelligence, la collectivité est supérieure ou inférieure à l'individu. Eh bien ! par qui ont été réalisés tous ces grands progrès dont s'enorgueillit l'humanité, sinon par des indi- vidas qui, par leur savoir et leur habileté, se sont élevés au-dessus do la collectivité, qpii souvent les poursuivait de ses oris et de ses sarcasmes? Colomb, Stephenson, Galilée et beaucoup d'autres sont autant de preuves que les efforts de l'individu sont supérieurs aux efforts de la collectivités

La collectivité a encore cet autre danger, qu'elle nuit à cette division du travail qui est un premier élément de pros- périté. La question de la propriété est du domaine de la science, qui seule peut la résoudre. Tous nos votes n'y feront rien.

Enfin, citoyens, parmi tous les systèmes qui nous recom-


DE L'INTERNATIONALE. ««l-

mande lecolleotivisme, il n'en est pas un qui se soit affran- chi de Torganisation hiérarchique et autoritaire ; et tant que ces systèmes ne concorderont pas avec la liberté et avec l'égalité, je resterai partisan de la propriété individuelle et terrienne. En terminant Torateur pose les conolusion^ qui suivent :

Considérant que la collectivité ne petit avoir de droits qui portent atteinte aux droits naturels des individus qui la composent;

Que par conséquent les droits collectifs ne peuvent être que des droits de garantie mutuelle qui assurent à chacun le libre exercice de ses facultés ;

Que ces droits sont inhérents à Thomme lui-môme et qu'ils sont égaux pour tous ;

Que, sous peine de toutr livrer à une réglementation arbi- ' traire ayant pour point de départ, soit une idée abstraite prise en dehors de l'homme et supérieure à l'humanité, soit un sentiment qui n'est pas susceptible de régler et de déter- miner les rapports sociaux d'une manière juridique, il faut reconnaître que l'homme a le droit de s'approprier la tota- lité de son produit ;

Qu'en plus de Toutillage proprement dit, industriel ou agricole, le crédit ou le sol est nécessaire à l'artisan ou à l'agriculteur pour devenir producteur échangiste et maître souverain du produit de son travail, alors qu'il a contribué à toutes les charges sociales ;

Que le fait de certaines industries qui nécessitent la réunion de plusieurs individus ne change rien au fait de la possession ou propriété libre individuelle ;

Le Congrès déclaré que pour réaliser l'émancipation des travailleurs, il faut transformer les baux de ferma*


264 LE LIVRE BLEU

ges, etc., en un mot tous les contrats de location en con- trats de vente.

Qu'alors la propriété, étant continuellement en circula- tion, cesse d*être abusive par ce fait même; que, par consé- quent, dans l'agriculture comme dans l'industrie, les travailleurs se grouperont, comme et quand ils le jugeront convenable, sous la garantie d'un contrat librement conclu, sauvegardant la liberté des individus et des groupes. »

Bésolutions écrites^ présentées sur la même question par le

citoyen Langlois,

Relativement à la propriété foncière, le Congrès fait les déclarations suivantes :

La terre en tant qu'elle n'est pas un produit de l'indus- * trie humaine, appartient indistinctement à tous, et en droit elle n'a jamais cessé de leur appartenir.

Les parties de ce domaine commun, de cette propriété commune et inaliénable n'ont pu être concédées à quelques- uns que sous certaines conditions.

Ces conventions, qui, l'histoire est là pour le démon- trer, ont été souvent modifiées, le seront encore, et elles devront l'être dans chaque nation dès qu'elles y auront été reconnues contraires à la justice et à l'intérêt général.

Ces déclarations de principes une Jfois faites, le Congrès poserait ainsi la question pratique :

Quelles sont, non pas dans un avenir éloigné sur lequel nous ne pouvons avoir que des idées fort vagues, mais dans l'époque actuelle, dès demain ^ les conditions nouvelles ou 1c? conditions anciennes. mQdifîées auxquelles, en bonne


DE L'INTERNATIONALE.. 265

justice, les parties du domaine commun doivent être con- cédées ?

Tout ee qui sort de cette question de politique ou de lé- gislation immédiate peut sans doute intéresser le philoso • phie ou le rêveur ; mais le Congrès, qui poursuit Taffran- chissement des travailleurs dans le siècle actuel et non pas seulement dans les siècles futurs, ne saurait perdre son temps à s*y arrêter.

Le Congrès déclare que tout en concédant à quelques- uns (individus ou groupes formés) le droit de cultiver, à Texception de tous autres, une partie du domaine commun, la société ne saurait leur abandonner aucun droit sur la rente foncière; il déclare, en d'autres termes, que cette rente appartient tout entière à la collectivité, soit que, par les progrès de la population, elle résulte de l'élévation du prix des produits agricoles, soit qu'elle résulte des travaux de toute sorte exécutés par le concours de tous.

Si le cultivateur a un droit, ce ne peut être que sur la plus-value, essentiellement temporaire, toujours mena- cée d'annulation par la libre concurrence que son intelli- gente initiative peut avoir créée sur sa concession, en y réalisant, avant ses concurrents, une amélioration quel- conque.

Le Congrès pense que le jour où les droits de la collec- tivité et ceux des agriculteurs auront été nettement distin- gués et pratiquement garantis, le droit d*expropriation pour cause d'utilité publique, l'organisation du crédit gratuit, tant à longue qu'à courte échéance, suffiraient pour empêcher toute exploitation abusive, assurer la réalisation de l'éga- lité entre les travailleurs agricoles, de l'égal échange entre ces travailleurs etles travailleurs manufacturiers, et réduire


266 LE LIVRE BLEU

à néant les prétendus droits qui rendent aujourd'hui pos- sible Toisiveté des propriétaires fonciers. »


t)U DROIT D'HÉRITAGE

Rapport sur cette questiouy présenté au Congrès de Bâie

par la section bruxelloise.

L'abolition du droit d'héritage peut être envisagée par les socialistes à deux points de vuô i i* comme oon6tituant par elle-même Mû remède ou du moiûft une partie intégrante du remède contre le paupérisme et en général contre les vices de l'organisation actuelle de la société, c'est-à-dire comme une chose devant exister d'une fa^on définitive et permanente dans un nouvel ordre social; 2" comme un simple procédé pour opérer sans trop brusque secousse la transformation sociale, c'est-à-dire comme tm moyen de faire passer lentement des mains des particuliers aux mains de la société les biens détenus aujourd'hui par des individus et qui doivent devenir la propriété collective soit des asso- ciations de travailleurs, soit de la grande société elle-même.

Nous envisagerons successivement cette question à ce double point de vue.


I


Il est assez généralement reconnu de nos jours, que dans la Révolution française du siècle dernier deux grands courants se sont montréti», dont l'un, assez individualiste»


DE L'INTERNATIONALE. 2eT

pl^Océdaiit des encyclopédistes, visait surtout à l'abolition des privilèges de la naissance, dont Tautre, essentiellement Communiste, procédant de Mably et de Morelly, visait à Tégalité sociale la plus complète. Mais tandis que ce dernier ne parvint pas à réaliser ses ■ vues, le premier eut la gloire de réaliser presque entièrement les siennes ; il obtint la suppression des titres dé noblesse, du droit de primogéni- ture, de Tliérêdité des charges et des fonctions publiques, . et de la monarchie elle-même, qui, une fols constitutionna- lisée, ne se distingue plus guère de la République que par Thérédité du trône. Un seul de ces privilèges de la naissance resta debout au Mlieu de la tourmente révolutionnaire qui balaya le monde féodal : c'est le privilège de se trouver dans la richesse et le bien-être par ce seul fait que Ton est issu de tel pèt*e plutôt que de tel autre, parce qu*en un mot, suivant l'expression de Beaumarchais; on s* est donné la peine de naître.

Il était donc dans la logique des idées, lorsqu'au commen- cement de oe siècle le socialisme reprit l'œuvre inachevée de la Révolution, de voir surgir une école issue de la phi- losophie du dix-huitième siècle, qui s'attaquât tout d'abord au dernier débris des privilèges du sang et protestât contre la transmission héréditaire des fortunes.

En pleine réaction bonapartiste, alors que l'on venait de reconstituer le pouvoir monarchique et militaire du moyen âge, et que de ci-devant palefreniers recevaient pour eux et leurs descendants mâles les titres de duc ou de comte, un fils de preux, un descendant de Charlemagne releva l'é- tendard de la révolte et, sur cet étendard, inscrivit comme cri de ralliement de la génération nouvelle : Guerre à l'hé- Htàge.


268 LE LIVRE BLEU

C'était Saint-Simon; et Ton sait que la doctrine saint-si- monienne, quoique bien incomplète, fut la première forme de ce socialisme scientifique, mais peu populaire, recru- tant ses adeptes parmi les masses, dont le fouriérisme fut plus tard le successeur et dont le socialisme d'Au- guste Comte est la plus récente et la dernière expres- sion. Ce que le saint-simonisme poursuit, ce n*est pas l'é- galité des conditions ; au contraire, essentiellement hié- rarchique, classant les hommes suivant leurs facultés, il consacre l'inégalité sociale, et s'il s'attaque à l'héri- tage, c'est uniquement parce qu^il veut que la fortune soit amassée par celui-là qui en jouit et non par ses ancêtres : il y a des classes dans la société saint-simonienne, comme il y a des capitalistes au phalanstère, comme il y a des prolétaires et des chefs industriels dans le système d'Auguste Comte.

Mais à côté de ce socialisme anti-égalitaire, se propage aussi l'autre courant de la grande Révolution. Celui-ci se recrute dans le sein môme du prolétariat : représenté en France par les morellistes, les babouvistes, les icariens, en Angleterre par les spencéens et les owennistes, il rédame, lui, non pas l'abolition des privilèges de la naissance, mais l'abolition de tous les privilèges quels qu'ils soient ; ce qu'il poursuit, c'est l'égalité réelle, Végalité de fait comme di- sait Babœuf. 11 va de soi que par ce socialisme populaire la question de l'héritage ne fut point soulevée, ou plutôt cpi'elle n'existait pas pour lui. Partant du système de la commu- nauté des biens, — où l'accumulation des biens aux mains des individus ne peut plus exister, ou même, comme dans la République des Égaux de Babœuf, est défendue et sévè- rement punie par la loi, — il est évident qu'il n'y a plus, pour


DE L*INTERNATIONALE

cette école, question de privilèges de naissance en général, ni de droit d'héritage en particulier.

Or, aujourd'hui, dans le sein de Tlnternationale, le so- cialisme scientifique et le communisme populaire, sous les formes rajeunies et sous les dénominations nouvelles de mntuellisme et de collectivisme, se dépouillent de ce qu'ils avaient d'exclusif et d'absolu, tendent à s'embrasser, à se pénétrer dans une conception nouvelle de la société, — conception synthétique, qui recherche à la fois des garan- ties pour l'individu et des garanties pour la collectivité, et qui fixe aussi nettement que possible les limites de ce qui doit être individuel et de ce qui doit être collectif. On peut donc se demander ce que devient, dans cette conception nouvelle, cette question de l'héritage qui préoccupa tant d'esprits au commencement de ce siècle et en laissa indiffé- rents tant d'autres. On peut se demander comment, pour l'In- ternationale, cette question doit être résolue.

Pour nous, qui, par nos tendances vers l'égalité des con- ditions, procédons du grand courant communiste, mais qui en même temps, par les garanties individuelles que nous réclamons et par la part de biens que nous croyons pou- voir sans danger laisser à l'individu, procédons aussi du courant saint- simonien, cette question de l'hérédité devient tout à fait secondaire, sans que cependant elle ait cessé d'exister. Dans une société comme celle vers laquelle nous tendons, — où la propriété foncière individuelle est abolie et où par conséquent cette propriété échappe à la transmis- sion héréditaire, — où les machines et les instruments de travail deviennent la propriété collective des groupes ou associations industrielles qui les font fonctionner, et passent sans cesse aux membres nouveaux de l'association sans


^ LE LIVRÉ BLÈÙ

pt*èôë6ùpâtioû de savoir si ces defaîers sont ou né sont pas les fils des anciens membres décédés, — où par ^abolition de l'intérêt du capital et Tégal échange des produits, cha- cun vivant de son travail et Jamais de prélèvements sur le travail des autres, Taccumulation de grandes richesses par un particulier devient impossible, — dans une pareille so- ciété îl ne reste aux mains des individus, comme passibles d'être transmis par voie d'hérédité, que les choses usuel- les, les objets de consommation personnelle ou de ménage,

  • tels qpi' aliments, vêtements, mobilier, etc., plus quelques

épargnes en monnaie peut-être, qui ne portant plus intérêt dans l'industrie, ne constituant plus ce qu'en économie po- litique on appelle un capital, ne peuvent être après tout qu'échangées contre des vêtements, des aliments, du mo- bilier, etc. Dans cette nouvelle conception des rapports éco- nomiques, la question de l'héritage se réduit donc à ceci : Est-il juste ou injuste, nuisible aux intérêts sociaux, ou disingereux pour l'égalité, que cet avoir individuel puisse ôu non être transmis à la postérité par voie d'héritage in- dividuel ?

Poser cette question, c*est la résoudre. Au point de vue de la justice, nous disons que cet avoii* provenant non de prélèvement sur le travail d'autrui, maiâ exclus! Vôtnent des économies que l'individu peut avoir faites sur le produit de son propre travail, en consommant moins que d'autres, en se privant même de certaines jouissances si tel est son bon vouloir, il est juste que l'individu puisse transmettre cet avoir à ceux qui sont ses enfants de par la nature ou de par l'adoption. Au point de vue de l'unité ou des intérêts so- ciaux, nous disons que la possibilité pour le père de fa- mille de transmettre son avoir à ses enfanta peut être Un


DE L'INTERNATIONALE. m

stimUlahi pour le travail et nn préservatif contre le gas- pillage. Enfin, au point de vue de l'égalité sociale» nous di- sons que, cet avoir ne pouvant servir à exploiter les autres, mais seulement à être échangé; dépensé, consommé» et d*un autre côté la société donnant à chacun une instruction commune et complète en môme temps qu'elle garantit à chacun les instruments de travail, dans un semblable mi- lieu l'héritage individuel ne peut porter atteinte à l'éga- lité des moyens de développement physique et intellec**

tûeL

Mais ce n'est pas tout» Quoique limité déjà quant aux objets auxquels il peut s'appliquer» nous croyons que le droit d'héritage peut encore être restreint quant aux degrés de parenté qui donnent accès à la succession^ En tous pays la loi limite ce droit à un certain degré, au 12™« dans les pays qui sont régis par le Code Napoléon. Eh bien, nous croyons qu'il n'y a pas de motif pour s'arrêter plutôt au iâ>°* degré qu'à \aa degré beaucoup plus proche ; nous pensoAs niéme qu'il pourrait fort bien être circonscrit à la patenté en ligne directe, descendante et ascendante, plus la • ligne collatérale du premier degré. L'idée de laisser son pécule à des arrière-cousins qu'on n'a jamais vus ni connus ne peut êtrô titi tnobile pour pousser l'homme à la produc- tion ou à la conservation de ses objets, tandis qu'il n'en est pas dô même de la perspective de laisser en mourant tHi Surcroît de bien»ôtre à une épouse, à des enfants, à un père, à une mère, à des frères ou à des sœurs. (Nous ouvrons ici une parenthèse pour déclarer que nous faisons nos réserves au sujet de la liberté de tester, c'est-à-dire sur le droit de transmettre son bien par testament à des per- sonnes qui 116 ëoût méâiô point parentes du testateur; cette


872 LE LIVRE BLEU

réserve, nous la faisons parce que cette question de la h berté de tester est très-diversement jugée par les membres de la section bruxelloise.)

Ainsi épuré, dépouillé de tout ce qui le rendait inique, limité en lui-même et par le milieu social tout entier, ré- duit enfin à son minimum^ l'héritage individuel n'est plus qu'un élément de progrès et de moralité.

Pour nous donc, comme pour nos pères les communistes, il n'y a pas lieu de s'attaqpier directement au droit d'héri- tage ; il y a lieu d'organiser de telle sorte la propriété, le travail, la circulation, l'enseignement, que l'égalité en ré- sulte. Les mémoires que nous présentons au Congrès do Bâle sur les quatre autres questions à l'ordre du jour, sur la propriété foncière, sur les sociétés ouvrières, sur le cré- dit, sur l'instruction intégrale ont précisément pour objet de rechercher les moyens et les conditions de . cette orga- nisation égalitaire. Mais ce n'est pas l'hérédité qui fait l'inégalité; tout au plus, Pinégalité étant donnée, peut-on considérer l'hérédité comme un effet qui tend actuellement . à aggraver encore la cause dont il dépend. L'inégalité pro- vient de la division des hommes en propriétaires et en prolétaires, en capitalistes et en travailleurs ; faire cesser cette division, là est le problème. Or l'abolition du droit d'héritage, par elle-même, n'abolit pas l'inégalité, le saint- simonisme l'avait bien compris; mais l'abolition des classes, l'égalité sociale, fait disparaître les abus de l'héré- dité.

De deux choses l'une :

Ou les socialistes qui demandent l'abolition de l'héritage se bornent à cette seule réforme, et alors nous prétendons qu'ils n'en maintiennent pas moins les distinctions de capi-


DE L'INTERNATIONALE. 273

talistes et de travailleurs, par conséquent le parasitisme pour les uns et le paupérisme pour les autres ;

Ou bien ils demandent en outre l'entrée du sol à la pro- priété collective, Tabolition des prélèvements capitalistes la mise en possession des instruments de travail aux mains des travailleurs, Tinstruction intégrale donnée à tous, et alors nous prétendons que Taholition de l'héritage est chose pour le moins inutile et superflue.


II


Nous avons à examiner à présent quelle valeur il faut attacher à Tabolition de l'héritage considérée, non plus comme principe d'un nouvel ordre social, mais comme moyen pour faire passer lentement des mains des proprié- taires et capitalistes aux mains des travailleurs la terre et les instrui^ents de travail.

Si l'en pouvait espérer voir la bourgeoisie reconnaître enfin que l'organisation actuelle de la société est vicieuse dans ses bases, et travailler d'un commun accord avec le prolétariat à l'affranchissement de ce dernier, il est évi- dent que l'on pourrait à l'amiable s'entendre avec les dé- tenteurs de la terre et des instruments de travail pour choisir un procédé qui assurât le transfert de .cette terre et de ces instruments de travail aux mains des travailleurs, tout en ménageant les intérêts des détenteurs actuels. Parmi ces procédés se présente tout naturellement celui-ci, assez simple :

11 serait convenu entre travailleurs Qt capitalistes, que


174 LE LIVRB BLEU

ces derniers auraient leur vie durant la jouissance des ri-* chesses qu'ils détiennent et qui ne sont en définitive que les fruits accumulés du travail de la classe prolétaire, mais qu'à leur décès ces richesses passeraient à un Etat réorga-* nisateur formé de délégués choisis d'un commuA accord et qui serait investi de la mission de mettre la terre f)t les instruments de travail à li^ dispositipo dç ceux qui Içs font fructifier.

De cette façon, l'abolition de l'hérédité deviendrait un moyen d'opérer la liquidation sociale.

Et même sans aller jusqi]^'4 l'abolition complète de l'hé- rédité, l'école de Colins pense que les mesures sui- vantes : réduction de l'hérédité à la ligne directe descen- dante (mais avec faculté de tester), entrée à la propriété . eollective de toute succession ab intestat sans héritiers directs, et impôt de 25 pour cent au minimum sur toute succession par testament, suffiraient pour opérer la liqui- dation sociale au bout d'un quart de siècle environ.

Mais à mesure que la classe prolétaire s'organise et re- vendique plus ouvertement ses droits, on voit au contraire les classes privilégiées se refuser à toute concession. Il y a quelques années, on eût dit que la bourgeoisie était sourde et aveugle à l'agitation qui se faisait autour d'elle ; mais depuis quelque temps, le mouvement ouvrier, par ses grèves, ses associations, sa vaste organisation internatîb- nale, ses meetings et ses discussions publiques, ses jour- naux, ses revendications et ses protestations de tous genres, s'est affirmé d'une manière tellement significative, que la bourgeoisie s'est enfin aperçue du pas gigantesque que la classe ouvrière avait fait et des idées rénovatrices qui animent partout les prolétaires. Eh bien, chose incroyable


DE 1,'INTEïlNATIONALE. 875

si elle ne se produisait journellement souq no^ yeux, à ce grand mouvenieat des liasses, à ces ^nergiqueii réclama- tions de la plèbe laborieuse, la bourgeoisie n'a répondu que

par un redoublement de persécutions et d'pppression

Que parlons-nous de persécution^ et d'oppression 1 ces ma- chines de guerre ne suffisent déjà p],us à V^trocité de nos maîtres. Imitant \^ bonne et vieille coutume du gouverne-^ ment belge, partout il^ o^t mis à Tordre du jour le mas-* sacre des persécutés e^ des ppprimés. A ^eraing, à Fra^ meries, à Walcheren, à Genève, à Parig, à^ Saint^-Éti^s^es à Brunn, leur police assomme et leur armée fusille la vile ' multitude.

On dirait cpie la bourgeoisie ^ juré de se p^iciçler plutôt que de faire la moindre concession. Elle veut la guerre U,. Eh bien! elle l'aura. Le prolétaire est las de souffrir la mi- sère et les humiliations, il veut sa part de bien-être et de dignité ; pour obtenir cette part, il veut jouir de l'intégra- lité des produits de son travail ; il sait que, pour cela, il faut ôter aux propriétaires et capitalistes le monopole de la terre et des capitaux ; il veut rentrer dans les biens qui lui reviennent légitimement et que les classes privilégiées ont géré si longtemj)s à son grand détriment et à leur grand profit ; il demande à être, réintégré dans les bieiis que la nature donne à tous, tels que le sol, les mines, les forêts., les eauX| et dans ceux que son propre travail a créés, tels que les outils, les machines, lesi ateliers. Or, comme la bour- geoisie semble peu disposée à entrer en conciliation, il faudra bien que le grand procès en restitution soit intenté. Il ne faut donc pas être prophète pour voir que l'abolition complète ou partielle de l'hérédité, pas plus que toute autre mesure pacifique, p'çsf daps les chqses prçib^les.


276 LE LIVRE BLEU

Peut-être faut-il en excepter quelques contrées, les Etats- Unis et certains cantons suisses, où les travailleurs, ayant le droit de vote avec une assez bonne dose de liberté poli- tique et une organisation ouvrière assez puissante, pour- Vaient faire passer dans la loi Tabolition de l'héritage ou sa restriction, comme mesure de transition. Mais, à part ces exceptions, tout porte à croire que le prolétariat, sûr de la force de son droit et usant du droit de sa force, aura re- cours au grand argument du roi Frédéric vis-à-vis du meunier de Sans-Souci :

« Sais-tu que sans payer je pourrais bien le prendre ? »

Nous ne dirons pas : voilà ce que nous voulons, mais voilà ce que nous prévoyons. Donc, èi d'aucuns voulaient voir une menace dans cette pure et simple déclaration de ce que nous ne faisons que prévoir, tout comme Tastronome prévoit une éclipse, de faits que nous constatons comme de- vant être le résultat fatal des choses q[ue l'observation met à notre portée, nous dirions que ce n'est pas notre faute à nous si la bourgeoisie s'obstine à conserver sa domination et si le prolétariat s'obstine à poursuivre son affranchisse- ment. Ce n'est pas nous, Association internationale des travailleurs, qui avons créé cette situation, mais nous sommes un effet de cette situation.

Et après tout, pourquoi la bourgeoisie aurait-elle le droit de se lamenter : Tu Pas voulu, Georges Dandin ! Bien plus, en agissant ainsi, le prolétariat ne ferait qu'imiter l'exemple de la bourgeoisie elle-même^ Lorsqu'au siècle dernier la grande Révolution de la bourgeoisie liquida avec la société féodale, elle se contenta tout simplement de confisquer les biens des nobles et du clergé. Le prolétariat, poussé à bout,


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DE L'INTERNATIONALE. 277

pourrait donc répondre aux doléances bourgeoises par le refrain de sa chanson populaire :

« Morbleu I de quoi vous plaignez-vous ? »

Pour conclure en quelques mots, nous dirons : Gomme principe permanent et définitif, Tabolition de Thérédité n*est pas utile; comme moyen de liquidation sociale, elle n'est pas probable.

CONGRÈS DE GENÈVE.

vjscours prononcés a 1* ouverture du Congrès par les citoyens DupleiXf président de la section française de Genève; Becker^ président de la section allemande de Genève, et Coullery, président de la section de la Chaux-de-Fonds,

Dlseonni de DapleljL.

Compagnons,

Le voilà donc arrivé ce jour où les ouvriers vont, à la face de l'Europe, s'occuper des questions qui les intéres- sent! Trop longtemps nous avons souffert de notre isole- ment et de la division de nos forces; l'association que nous avons formée nous donnera la puissance nécessaire pour améliorer enfin lesconditions du travail, et, à l'exemple du grand citoyen Lincoln, qui a détruit l'esclavage des noirs, détruire, sur le vieux contilient, et dans le monde entier, l'esclavage des blancs.

Les ouvriers n*ont eu jusqu'ici en partage que les mi- le


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dô toiitôà lôâ nationalités s6 tendetit la fnfiitl fi*atet*fielle au nom de la liberté, de la vérité et de la justiôe?

Nous avons droit, frères chéris, d'être fiers de 06 jour, où une grande idée, la plus grande de celles que les hommes aient jamais conçues, nous unit pour toujours; oui, jurons que pour toujours, cette grande idée réalisée doit être la pro- priété de tous sans distinction de la naissance et de la na- tionalité. C'est par cette grande idée que notre génération ouvre une nouvelle ère dans l'histoire du monde. Il n'y a que l'aveugle égoïsme qui ne veut paS voir que l'histoire doit changer actuellement l'état de guerre de tous contre toils, en état de paix et de travail de tous pour tous, sous peine de ruiner et perdre sans i^etour toutes les conquêtes de la civilisation. Mais les classes dominantes ont perdu tout sens moral, tout sentiment de la dignité humaine, elles troquent chaque jour les princip6S.de la justice contre les bénéfices d^argent ou la grâcô ded oppresseurs de l'huma- nité. La régénération donc doit Venir d'en bas, du prolé- tariat, de la plèbô, tant et si longtemps conspuée. Ce n'est que rémancipation Complète des travailleurs, que leur développement normal sous les t'apporta physique et in- tellectuel qui peut sauver la société d'un cataclysme inévitable. Les bienfaits de la nature, les conquêtes de la science, les créations du génie humain dans l'art doivent être accessibles à tous les enfants de l'homme. Tout homme doit travailler au bien commun, et doit avoir sa part aux bienfaits de la nature et de la communauté. Tout homme Ira vaillant de ses mains ou de sa tête, pourvu qu'il travaill-e au bien commun, est ouvrier. Nous tous réunis ici sommes de tels ouvriers.

Nous regrettons que la guerre actuelle , suscitée au


280 LE LIVRE BLEU

profit des hommes soi-disant grands par la grâce de Dieu, ait empêché nos frères d'Allemagne et d'Italie de venir à nous, et de nous aider à Taccomplissement de notre œuvre difficile. C'est ainsi que nous, le peuple, payons toujours de notre sang et de notre argent les méfaits des autres, que nous sommes les Lazares de la civilisation chrétienne. Mais que notre petit nombre ne nous décourage pas : nous savons donc qu'il y a des centaines des milliers de braves dont les cœurs battent de loin à l'unisson des nôtres pour la sainte cause, pour le grand but que nous poursui- vous. Rappelons-nous qu'il y a 500 ans trois hommes seule- ment ont fondé sur le Grutli une Confédération sans la- quelle nous n^aurions pas un coin de terre pour y planter le drapeau de notre association; et pour nous aussi viendra le jour où les messagers de la bonne nouvelle crieront de vallée en vallée : « Frères! levez-vous, le grand jour est arrivé! » Nos fils se souviendront qu'en septembre 1866, à Genève, nous avons mis la main à l'œuvre de la délivrance qui doit affranchir l'humanité. Cette pensée doit nous donner la force pour surmonter tous les obstacles, supporter les plus lourdes épreuves ; elle doit nous consoler de toutes les misères des temps présents.

Mais il faut que nous voyions clairement le but que nous poursuivons ; il faut que nous brisions le triple joug qui nous opprime et obscurcit notre vue : le joug de la force brutale, le joug de l'argent sans pitié ni conscience, et le ' joug de préjugés héréditaires. Il nous faut commencer par rompre le dernier qui s'est emparé de nptre propre inté- rieur, il nous faut concilier nos idées sur le droit et la morale avec les grands principes de notre but, la réalisa- tion de la justice sur la terre. Comme notre but est grand


DE L'INTERNATIONALE. 281

et pur, les moyens d'y parvenir doivent être purs. Il nous faut être fermes dans nos principes : point de compromis, point de concessions. Il ne faut pas leurrer le peuple par des promesses illusoires de l'autre monde , mais lui dire la pure vérité sur les causes de sa situation, lui enseigner les grandes vérités philosophiques et scientifiques qu'il a trop longtemps ignorées.

Nous ne connaissons d*autre divinité que le grand idéal, que notre raison nous présente ; nous ne connaissons d'autre juge que notre conscience; nous ne connaissons d'autre foi et loi que la puissance créatrice de la raison humaine : c'est ainsi que nous parviendrons à atteindre notre but, la réalisation de la justice sur la terre.


Discours de Conllery.

Nous sommes heureux de venir ici, au nom de nos ou- vriers, donner la main aux travailleurs de Genève et aux représentants de ceux qui sont au dehors.

Il faut se féliciter que la classe ouvrière ait enfin com- pris qu'elle ne peut se sauver que par elle-même, et qu'elle ne doit rien attendre que de ses propres efforts.

Mais ces efforts il faut les combiner et les bien diriger. On se sert souvent de l'ouvrier dans un but politique ou d'ambition personnelle, parce que l'ouvrier est ignorant, ou que l'instruction qu'il reçoit dans les écoles fausse les no- tions du bien, du juste et du droit, au lieu de les déve- lopper.

C'est dans ces écoles où l'on nous parle sans cesse de nos devoirs et jamais de nos droits, où l'on nous enseigne

16.


282 LE LIVRE 6LEU

la soumiéâiôn à toutes led puissances établies, où Toli nous parle d'un Dieu des batailles, que Touvrier puise cette fausse science destinée à le tenir sous le joug.

Il faut donc, avant tout, changer Técole, en lui substi- tuant Tassociation, qui sera la vaste école où tous les tra- vailleurs apprendront la vraie science de la vie ; et quand la tyrannie des fausses idées sera extirpée, il n*y aura plus de tyrans.

Travailleurs de Genève , voUs possédez la liberté poli- tique, mais vous n*avez pas encore tout ce qu'il faut de liberté pour établir le règne de la véritable égalité, qui n*est autre chose que la justice. Vous avez donc bien fait de nous convoquer chez vous, nous y discuterons en liberté les intérêts de notre liberté, et puisse le jour où nous la posséderons tout entière luire enfin pour tous sans exception !

CONGRÈS DE LAUSANNE.

Discussions soulevées à ùô Congrès au st^ôt dû rapport pré^ sente sur la troisième question du programme par le citoyen De Paepe, de Bruxelles (septième séance du Congrès).

Troisième question, * Les efforts tentés aujourd'hui par « les associations pour Témancipation du quatrième état c (classe ouvrière) ne peuvent-ils pas avoir pour résultat ce la création d'un cinquième état dont la situation serait « beaucoup plus misérable encore? La mutualité ou réei- « procité considérée comme base des rapports. — Equiva- « lence des fonctions. — Solidarité. — Sociétés ouvrières. »/

La commission propose les résolutions suivantes :


[DE L'INTERNATIONALE. 28S

ir Le Congrès pense que les efforts tentés aujourd*hui par les associations [ouvrières, si celles-ci se généralisent en eonservant leur forme actuelle, tendent à constituer un qua- trième état ayant au-dessous de lui un cinquième état plus misérable encore,

r Pour obvier à ce danger, le Congrès pense qu'il est né- cessaire que le prolétariat se convainque bien de cette idée, que la transformation sociale né pourra S*opérer d'une manière radicale et définitive que par des moyens agissant sur l'ensemble de la société et conformes à la réciprocité et à la justice.

Une vive discussion S*engage sur cette seconde résolu- tion. Pour expliquer ce qu4l entend par ces moyens agis- sant sur l'ensemble de la société et conformes k la réci^ procité et k la Justice, De Paepe remet sous les yeux du Congrès ce passage de son rapport :

« Noua ne pouvons pas trancher ici la question de savoir « quelles sont ces mesures d'ensemble qui nous paraissent « cependant si nécessaires ; mais nous croyons pouvoir in- « diquer, comme dignes d*ôtre mis à Tétude par nous, cer- « tains moyens de réforme générale proposés par divers « socialistes : la transformation de la banque nationale « (banque de France, banque de Belgique, banque d'An- « gleterre, etc.) en banque de crédit gratuit; Ventrée du sol u à la propriété collective de la société, Tabolition des hô- « ritages ab intestat à certains degrés de parenté ; l'impôt « sur les successions en ligne directe. • Le citoyen Tolain présente des observations au sujet de Ventrée du sol dans la propriété collective, » Il admet « qu'il y a des propriétés qui peuvent devenir collectives, a mais il en est d'autres qui^par leui* nature, doivent rester


284 LE LIVRE BLEU

ff individuelles. La question vaudrait la peine d*ôtre traitée « à fond : il trouve que le rapport s'exprime à ce sujet c d'une manière trop vague qui pourrait prêter à de fausses « interprétations, et il propose ou de retrancher du rap- c port la phrase citée ou de Texplicpier en la développant. > De Paepe, de Bruxelles, explique que l'entrée du sol à la propriété sociale n'a été indiquée dans le rapport cpie comme un des divers moyens d'ensemble proposés par certains socialistes et dignes d'être mis à l'étude, et nulle- ment comme un moyen préconisé par le Congrès. Il ne comprend pas, alors qu'on admet comme pouvant rester dans le rapport, à titre de sujet digne d'étude, la transfor- mation de la banque nationale en banque de crédit gratuit» bien que cette idée ne soit pas admise par toute l'assemblée, comment on demande la suppression de la simple indica- tion d'un autre moyen d'ensemble qui a autant de droits à être mentionné que le premier. Toutefois , puisqu'on est entré en discussion sur cette question de la propriété fon- cière, il croit devoir exprimer ici sa manière de voir dans cette matière : /appartiens comme les citoyens Tolain et Ghemalé, dit-il, au socialisme mutuelliste qui veut réaliser dans toutes les transactions des hommes le principe de réciprocité; mais je ne considère pas Vidée de Ventrée du sol à la propriété sociale comme ne pouvant pas s* accorder avec le mutuellisme, au contraire. En effet, que veut le mutaellisme? 11 veut que le produit du travail appartienne dans son intégralité au producteur, et que ce produit no s'échange dans la société que contre un produit équivalent, c'est-à-dire ayant coûté la même somme de travail et de dé- penses ; mais le sol n'est pas le produit du travail de per- sonne, la réciprocité de l'échange ne lui est pas applicable.


DE L'INTERNATIONALE. • 285

Pour que le producteur agricole soit traité sur le même pied que le travailleur industriel, il faut qu*il ne soit pro- priétaire que de ses produits, des produits qu'il tire du sol. Mais, dira-t-on, le travail du cultivateur ne consiste pas seulement à tirer du blé et autres fruits du sol, il améliore aussi le sol ; c'est vrai, mais pour cette seconde partie du travail du cultivateur, il suffit que celui-ci jouisse de la plus- value qu'il a donnée au sol, et il n'est pas juste que pour cela il ait la propriété du fonds qu'il n'a point créé. La pro- priété, c'est le droit abuser et à* abuser de sa chose, de la détruire si l'on veut; ce droit, qui se comprend lorsqu'il est exercé par un producteur sur son produit, est absurde lorsqu'on veut l'étendre à ce qui n'est pas produit du travail de personne, mais néanmoins indispensable à la société entière. Il y a plus : le sol est la. matière première de tous les produits, l'origine de toutes les richesses, car tous les capitaux proviennent des modifications successives que le travail fait subir au sol; accorder à quelques hommes la propriété du sol, c'est donc rendre F humanité entière tri- bulaire de ces quelques hommes : si ces hommes ne culti- vent pas eux-mêmes la terre, pourquoi auraient-ils droit sur le travail d' autrui? Si ces hommes cultivent eux- mêmes la terre, évidemment ce serait moins inique, mais il y a manque de garantie pour les autres hommes de se liguer pour affamer le reste de l'humanité et ramener tous les maux engendrés par la propriété actuelle. C'est parce que je suis mutuelliste que je veux , d'une part , pour le cultivateur des garanties qui lui assurent, vis-à- vis de la société, le produit intégral de son travail, d'autre part, des garanties pour la société vis-à-vis du cultiva- teur ; et c'est pourquoi le sol ne peut être la propriété que


286 LE LlVflE BLEU

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de la collectivité sociale, et te cultivateur ne peut en avoir que la simple possession, le droit d'user sans abuser. Le mutuellismen^est pas seulement la réciprocité de l'échange» c'est aussi la réciprocité des garanties. La propriété so- ciale du sol, c'est du communisme, dira-t-on. Je le veux bien, le mot de communisme ne me fait pas peur; de même qu'il ne peut y avoir de société absolument commu- niste, puisque même en Icariô on est au moins propriétaire individuel des objets que l'on consomme, de même il n*jr a pas dé société sans aucune propriété collective, ne fût-* ce que la propriété des parcs et des édifices publics. Le communisme est dono an élément de toute société, et il trouvera sa place dans Pavenir, Le tout est de voir à quoi il doit être appliqué : or, le cttoten Tolain oit qu'il

VGtJt QUâ tKS CANAUX, LES ROUTES, LES MINES, SOIENT PRO- PRtÉTé COLLEGTmfl D« LA SOCIÉTi; 4E NE FAIS QU'ÉTENORS SON IDÉE A TOUTE LA PROPAléTé FONCIÈRE.

Quant aux associations agricoles ou aux oultivAteurs in- dividuels, leur situation serait absolument la môme que celle des compagnies ouvrières faisant valoir les chemins de fer, les canaux ou les mines.

Coullery, de la Ghaux-de-Fonds, a la parole. — Chacun est libre, s'écria-t-il, d'exprimer ici toutes ses opinions, mais je ne crois pas cependant que ce soit le moment de discuter la théorie de la propriété. Les plus grands penseurs n'ont pas encore pu s'entendre à ce sujet. Occupons-nous de choses plus pratiques, des moyens de répandre les prin- cipes d'association et de coopération.

Muratf de Paris, déclare qu'il est d'accord avec De Paepô; il pense que la phrase en discussion peut être maintenue dans le rapport, en la modifiant seulement comme suit .*


DE L'INTERNATIONALE. 887

« ^e^tPée ou non du sol dans la propriété aoUectivf», » De cette façon chacun comprendri^ que nous n'affirmons pas un principe, que nous nous bornons â^ recommander Tétude d'une question.

Tolain^ de Paris, propose de retrancher du rapport la phrase qui est l'objet de la discussion,

Cette proposition est adoptée par 27 voix contre 11.

Dans la séance du 7 septembre, la question de l'entrée du sol à la propriété collective est de nouveau soulevée par De Paepe. H s'agit dç définir le rôle de l'État,

Le citoyen LQngmt définit J*État « la oçUçctivité dQS ci- ioyem. Il demanda que les canaux , chemins de fer, mines, soient construits, exploités^ ou administrés par de3i compa- gnies ouvrières chargées dç livrer leura servicea au prix de revient ^an^ pouvoir faire do bénéfices. } il faut qu'elles soient soumise^ au principe général de mutualité, et que ces seryiçie^ publics ne soient plus administras par TÉtat,

JUe ftitoyw De Ps^^pe ^ la parple. r^ I^a seule différence, s'écrie^t^jil, qui existe entre la théorie de Longuet et la mienne, c'est quç ï^onguot ao^çpte la coHectivitQ pour le çoua«^ol, les chemins dç f§r, l^s cau^ux, taudis qu§i moi je veux l'é- tendre çku wl \o\3X çintier.

Langviet, ^^ La propriété coUeQtive de» ch^ins de fer, mine^, etc., est uécespaire, t^ndisque celle du i^ol ue Test pas.

De Paepe. r^ Algri^ la diffé^^ence qui nous sépare cousigte en ce que je crois une des mesures aussi nécessaire que l'autre,

Cheinalét de Paris, revient sur la définition de l'État. L'État; dit'il, si Ton me permet une figure familière, c'est un mannequin destiné à tenir en respect les pitiés qui se sont engagées par contrat, ou plutôt» l'Stat c^es( le contrat


288 LE LIVRE BLEU

lui-même. Quant au droit de punir, Ghemalé est d'accord avec le rapport : l'Etat actuel ne représente généralement pas la collectivité des citoyens, et on ne doit pas lui recon- naître le droit de punir et surtout de punir de mort. Il n'y a droit de punir que là où un contrat librement consenti n'est pas exécuté : le critérium de la culpabilité est le con- trat. — Répondant à De Paepe, Ghemalé combat la propriété collective du sol et son exploitation unitaire.

De Paepe, de Bruxelles. — Ghemalé se trompe s'il croit qu'en parlant de l'entrée du sol à la propriété collective j'ai voulu parler de son exploitation unitaire : rien n'est plus loin de ma pensée. Voici ce que j'entends : si la société ' doit, comme dit le rapport, prendre des garanties contre ceux qui détiennent les moyens de circulation et les mines, à plus forte raison doit-elle en prendre contre ceux qui font valoir le sol, car à la rigueur on peut se passer de mi- nes et de chemins de fer, tandis que se passer du sol est impossible. — A l'égard du droit de punir, je pense comme Ghemalé. ha justice qui nous juge (Ten haut, sans dous con- naître, sans qu^ily ait contrat préalablement consenti, est mauvaise. On trouve déjà aujourd'hui des tendances vers une justice nouvelle, dans l'institution de l'arbitrage et des conseils de prud'hommes, parce que là le justiciable est jugé par ses pairs ; mais l'inégalité actuelle des conditions fait que, même de cette façon, il n'existe pas de garantie suffisante de justice.

Longuet, de Gaen. — Puisque la question de la propriété collective du sol revient incidentellement, je déclare que je suis, là comme ailleurs, partisan de la propriété indivi- duelle, d'abord par des raisons politiques, parce que je craindrais, si le sol était propriété nationale, une influence


DE L'INTERNATIONALE. 289

fâcheuse de TÉtat; ensuite parce que je crois la propriété individuelle plus favorable au développement de la per- sonnalité. Mais par propriété individuelle je n'entends pas la propriété telle qu'elle est définie actuellement, le droit d'user et d'abuser; j'accepte des restrictions à apporter à la propriété du sol; j'admets, par exemple, que le proprié- taire n'a pas le droit de laisser sa terre en friche. — On fait une distinction entre les divers instruments de travail, en disant : la machine est produite par l'ouvrier, donc elle lui appartient ; mais le sol n'est pas produit par le culti- vateur, donc il ne lui appartient pas. J« reconnais qu'en effet il n'y a que les modifications, les améliorations du sol qui appartiennent réellement au cultivateur, parce qu'elles sont le résultat de son travail, et que le sol lui-môme ne lui appartient pas, mais lui est donné par la société. Mais ce don que la société fait à l'agriculteur, la propriété de la terre qu'il cultive, celui-ci le payera à la société sous forme d'impôt foncier.

Coullery, de la Ghaux-de-Fends. — Je suis partisan de la propriété individuelle. Je pense du reste que des discus- sions théoriques comme celle qui s'engage en ce moment ne feront pas beaucoup avancer les choses et que les ques- tions se résoudront d'elles-mômes par le développement des institutions mutuelles. — Le sol est un instrument de travail ; il doit appartenir au travailleur au môme titre que tout autre outil. Si l'on veut faire du sol une propriété collective, pourquoi ne pas étendre la théorie à tous les instruments de travail ? Ce serait logique, mais ce serait absurde. L'individu doit être propriétaire de l'instrument de travail, quel qu'il soit; il n'y a que certains moyens de circulation, les mines, etc., dont la propriété doive être

17


m LE LIVRE BLEU

Collective. Celui qui demande rentrée du sol à la pt*oprlétô collective, demandé Tétat de choses qtii existe en Tui^quie, laquelle ne s'en trouve pas mleujt pour cela. Quant à la collectivité étendue à toute espèce de propriété, ce Serait le rabougrissement dfe l*individu, et j*espère bien être mort avant qu*on en vienne là.

Tolaiii, de Paris. — La restriction à la propriété foncière, dont a parlé Longuet, existe déjà : en effet, On fait payer l'impôt aux terrains en friche comme à ceux qui produi- sent, ce qui établit unô distinction etitre le sol lui-mèiiie, don de l'État au cultivateur, et en échange duquel il ré- clame une renié, et les modificatiôiis apportées à ce soi, lesquelles sont lô produit du travail du cultilrateur et pat» conséquent sa propriété. De Pàepè dit quô la société doit prendre des garanties contre ceux qui font valbir le sol; mais, avec le maintien de la propriété individuelle, les garanties demandées existeront également : une garantie pour la collectivité, par un contrat consenti entre elle et le propriétaire du sol qui assurera rechange mutuel des produits, l*échange au prix de revient ; et, pôiir l'individu, là garantie que l'instrument de travail, voUlût-il produire en dehors de la grande association, sera toujours a sa dis- position. La formulé de ma théorie, c'est : là terre pour Tagriculteur et le crédit pour l'ouvrier.

De Paepe, de Bruxelles. — Je réponds d'abord à GouUery, qui est un si grand ami de la liberté individuelle que Tidée de toute propriété commune lui fait horreur, que ce qu'il a dit ne va pas seulement à mon adresse, mais à celle de Totain, de Chémalé et de Longuet, qui demandent la pro- priété sociale des grands instruments de travail : routes, canauxy chemins de fer, mines, banques, etc.


DE L'INTERNATIONAL*:. 291

Mais je dirai à Coullery que moi aussi je suis ami de la liberté individuelle, et comme il n'y a pas de liberté sans r affranchissement de Testomac, pas dé liberté sans le pain, je demande une sauvegarde de ma liberté individuelle con- tre ceux qui détiendraient les sources du pain. Coullery dit que la propriété coUecti^îe du sol existe déjà en Turquie. Gela n*est pas; en Turquie, le sol appartient au sultan. Comprenez donc bien que je ne voudrais pas que le sol fût propriété sociale aujourd'hui, par exemple en France ou dans n'importe quel pays, avec sa constitution politique actuelle* j'aimerais encore mieux la propriété individuelle,* même sous sa forme présente : non, je ne puis admettre la propriété collective du sol que dans une société mii- tuelliste. Coullery a dit encore : Si Ton veut faire du sol, instrument de travail du cultivateur, une propriété collec- tjve, pourquoi n*exlge-t-on pas la même chose pour tous les instrumente de travail ? — Pourquoi ? C'est parce qu'a- vant la société 11 y a le droit de l'Individu, coinme vous l'avez très-bien dit; or, la plupart des outils et instruments de travail sont des produits du travail, et vous n'avez pas le droit, vous société, de mettre la main sur ce qui est mon produit (ou le produit d'un autre travailleur contre , lequel j'ai échangé le mien), car mon produit C'est mon tra- vail, et mon travail c'est moi-même. Mais il n'en est pas de môme du sol, qui n'est pas un produit. — A Longuet, je réponds ceci : Vous demandez la propriété foncière in- dividuelle comme garantie de la liberté de l'individu con- tre l'oppression de la collectivité ; mais alors c'est la pro- priété complète, la propriété romaine avec son droit d'user et d'abuser; sans cela la garantie est illusoire. Enstiltè, pour que cette garantie de la liberté politique ne soit pas


292 LE LIVRE BLEU

un privilège, il faut que tous les citoyens la possèdent, que tous aient leur part de propriété foncière; mais alors, ou nous serons tous cultivateurs (ce qui est absurde ), ou il y aura des parties de terre arable qui ne seront pas culti- vées (ce qui est un vol à rhumanité), ou il y aura des terres qui seront cultivées par ceux qui n'en sont pas proprié- taires (ce qui est la propriété actuelle avec le fermage). — Enfin, à Tolain et à ceux qui disent : a Les instruments de travail doivent être propriété individuelle, sauf les mi- nes, les canaux, les chemins de fer, etc. », je réponds en ajoutant simplement : t et le sol » ; je ne fais qu'élargir l'ex- ception. Tolain a donné cette formule de sa théorie : « Terre au paysan et crédit à Touvrier; » je dis, moi : « Crédit au paysan et crédit à l'ouvrier. »

Longuet, de Caen. — On peut objecter à ma théorie qu'il y aura inégalité entre l'ouvrier et l'agriculteur, puisque ce dernier se trouve propriétaire de son instrument de travail sans l'avoir produit. Mais cela n'est pas, et je dis au con-

  • traire qu'il y aura mutualité entre l'ouvrier et le détenteur

du sol, puisque le don gratuit du sol sera repris par l'impôt foncier. Le système que je défends assurera la liberté po- litique, en créant une classe nombreuse d'agriculteurs pro- priétaires du soi.

Chemalé, de Paris. — La garantie de la société contre le cultivateur demandée par De Paepe, c'est le contrat, c'est la multitude des échanges. L'agriculteur ne sera pas assez idiot pour laisser sa terre en friche, car il doit échanger ses produits contre des .produits, et il y a p^ur lui aussi des besoins de l'estomac. Au reste, sur cette «question, la pratique montrera quel sera le meilleur système.

Coullery, de la Ghaux-de-Fonds. — Le cas du sol laissé


DE L*INTERNATIONALE. i293

volontairement en friche par ses propriétaires ne se présen- tera jamais. Mais si cela même devait arriver, personne n'a le droit d'ordonner à un homme de cultiver son terrain s'il n'en a pas envie, pas plus qu'on n'a le droit de défendre à un homme de consommer au delà d'une certaine limite. Toute théorie semblable, je l'appelle tyrannie collective.

La discussion continue. Ecearius, de Londres ; Lesner, de Londres; 5'^a/32pa, de Milan; Stumpf, de Viesbaden et Mayence, Ladendorf, de Berlin, Becker, de Genève, se pro- noncent en faveur de l'entrée du sol à la propriété collective.

Il est décidé à l'unanimité que la question de la propriété sera mise à l'étude pour le prochain Congrès.

Rapport du comité fédéral romand au Congrès de Chaux-

de-Fonds, du ^ avril 1870.

Citoyens,

Nous venons, suivant les statuts, vous présenter le rap- port général de notre gestion, et déposer entre vos mains le mandat que vous nous aviez confié lors du congrès de Ge- nève de 1869.

Nous exposerons sincèrement tous les faits et les événe- ments qui se sdïit passés pendant les quinze mois que nous avons eu l'honneur de gérer les affaires de notre fédération ; le Congrès jugera si nous avons fait tout ce que nous devions faire, ou si nous avons manqué à notre devoir.

La première partie de notre rapport sera consacrée à l'administration, à l'organisation et à la propagande ; la deuxième partie traitera brièvement des grèves survenues dans la fédération.


294 LE LIVRE BLEU

Le iljaiivier 1869, votre comité a eu sk première séance pour se constituer ; il a dû immédiatement remplacer le ci- toyen Guilmaux, n'ayant pas accepté sa nomination. Con- formément aux statuts, il a été remplacé par le citoyen H. Perret, accepté par les sections. Au mois d'août, le ci- toyen F. Brosset, président du comité fédéral, a donné sa démission ; elle a vivement surpris votre comité : aucmi motif sérieux ne motivait une si brusque décision; néan- moins nous avons été obligés de Taccepter, les termes dans lesquelles elle était conçue nous en faisait un devoir. Il a été remplacé par le citoyen F* Hong, qui, a notre grand regret, a démissionné pour cause de départ ; le comité per- dait en lui un membre dévoué ; il a été remplacé par le citoyen F. Weyermann. Tous ces changements ont été ré- gulièrement annoncés aux sections par la voix du journal; nous en avons profité pour faire insérer toutes les circu- laires que le comité adressait aux sections.

La fédération romande comptait à sa formation trente et une sections dont : une au Locle, une à la Ghaux-de- Fondfi, une à Bienne, une à SonvilUers, deux à Lausanne, une à Nyon, une à Rolle et vingt-trois à Genève,

Successivement la fédération a vu le nombre des adhé- sions aller en augmentant dans beaucoup de localités. Votre comité a contribué par correspondance à fonder une section à Taninges (Haute-Savoie) ; des délégués de cette localité sont même venus à Genève pour s'entendre avec nous ; ces relations avec nous sont devenues, pendant un certain temps, assez rares ; nous savons qu'elle a eu beaucoup de peine à se développer, mais actuellement elle reprend un peu de vie> et nous pouvons espérer de la voir prospérer*

A Vevey, quelques hommes énergiques ont eu à cœur de


■DE L'INTERNATIONALE. ^^

rçlever l'ancienue section qui ét^lit dissout^, leur dévoue- ment a été récompensé ; actuellement la section piarcbe

bien, et c'est Tune d^s plus dévouées de la fédérfttiQ». Bientôt Vevey aura un groiype de plusieurs sectiQog par TÉ^dhésion de plusieurs sociétés corporatives de langue al- lemande. A Lausanne, le nombre des sections avait aug- menté considérablement ; plusieurs des ancienne^ sociétés ouvrières ont adhéré à la fédération, d'autres se gont for- juées dans l'industrie du bâtiment; votre comité, pî^r l'en- voi de deux de ses membres à un meeting, a contribué k l'adhésion de plusieurs sociétés. Lausanne comptait avant la grève deux sections ; depuis, le nombre a diminué, l'an-, cienne section s'est dissoute et une partie des membresi sont entrés dans la nouvelle section centrale ; depuis l^ grève, celle des maçons bardeurs est complètement tom- bée. Au Locle, grâce à la propagande active de la section centrale, deux sociétés sont entrées dans la fédération, A- la Ghaux-de-Fonds, deux nouvelles sections ont adhéré, et cette localité " contient cependant un grand nombre de sociétés ouvrières, de quoi former un groupe solide ; pour-^ quoi cette indifférence des ouvrier^?

Dans le vallon de Saint-Imier, la section du district de Gourtelary a fait des efforts dignes d'éloge pour' propager les principes de l'Association, la section a considérablement augmenté, et une nouvelle e. adhéré à notre groupe j sich^-» (jue localité avait travaillé avee autant d'énergie que celle du vallon, notre fédération compterait un plus grande nom^ bre de membres. L'ancienne section du Moutier-Grand- Val, qui avait différé son entrée, l'a vptée après le Congrès de * Pâle: actuellement, elle prospère et prend de l'extension.

À Neuchâtel» l'ancienne section était dissoute ; quelques


/■


296 LE LIVRE BLEU

hommes, animés des principes de notre Association, ont pris à tâche de la reconstituer ; leur dévouement a été ré- compensé ; la section marche bien, et elle a donné Timpul- dion dans cette vieille cité aristocratique à l'esprit d'asso- ciation et de solidarité ; trois sociétés ont adhéré, cela forme déjà un groupe respectable.

A Genève, le mouvement en faveur de l'Internationale n*a pas diminué. Quatre nouvelles sociétés corporatives ont adhéré au groupe; Tune d'elle, celle des tuiliers, a été en partie constituée par votre comité ; nous croyons qu'elle est appelée à propager dlins les campagnes nos principes. La section des dames est aussi entrée dans notre fédéra- tion ; nous nous faisons un devoir de dire qu'elle a montré, dans les crises que nous avons traversées, un grand dévoue- ment, et qu'elle était animée à un haut degré de la solida- rité fraternelle. Une section est complètement tombée, celle des bardeurs-manœuvres ; cela provient de la mauvaise administration de son comité ; sa négligence a ralenti le zèle de ses membres ; nous savons que Ton est en train de la reconstituer sur de bonnes bases.

Bienne reprend un peu de vie depuis le meeting, et la section augmente sensiblement. A Rolleet à Nyon, les sec- tions ont diminué fortement ; cependant, il y a des élé- ^ ments de quoi former des sections d'une certaine impor- tance. Nous ajouterons que deux sociétés ont été fondées a Genève,celle des polisseuses déboîtes de montres et celle des chaînistes et polisseuses de bijoux ; elles ont fondé une caisse de résistance; et nous sommes certains qu'elles adhéreront à la fédération romande. Nous avons lé plaisir de vous annoncer que Granges (canton de' Soleure) a formé une section que nous avons admise depuis peu de jours.


DE L'INTERNATIONALE. 297

La fédération romande compte actuellement cinquante- deux sections.

Goinme vous pouvez en juger, citoyens, notre fédération présente déjà un chiffre de sections d'une certaine impor- tance ; malgré les attaques et les calomnies répandues par la presse bourgeoise, elle-a pris un grand développement en peu de temps ; nous pouvons affirmer que maintenant il serait difficile de détruire notre faisceau; l'Association in- ternationale, nous pouvons le dire sans crainte, est solide-

« 

ment fondée dans le pays, le but qu'elle poursuit pénètre progressivement dans la masse des travailleurs.

Votre comité s'est vu dans la nécessité de refuser l'ad- mission de l'Alliance de la démocratie socialiste de Genève; déjà sa demande d'entrée dans le groupe de Genève a été refusée à deux reprises; nous avons craint d'abord, en l'acceptant, d'amener la désunion dans les sections de Ge- nève : nous ne voyons pas non plus le besoin urgent d'avoir deux sections mixtes dans une même localité, les sections corporatives se plaignent, non sans raison, que cela leur enlève des membres. Genève a une section centrale qui a fait par sa propagande adhérer toutes les sociétés ouvrières de la localité ; la création de l'Alliance devait, si elle pre- nait de l'extension, la tuer insensiblement ou, à un moment donné, il se serait formé deux groupes en lutte continuelle, et qui n'aurait fait que nuire à notre Association ; en con- sidération de son avenir, nous avons rejeté la demande de l'Alliance.

Également, ces jours derniers, nous aivons ajourné l'en- trée dans la fédération de la Propagande socialiste de Ghaux-de-Fonds; son règlement est plutôt celui d'une

commission de propagande que d'une section constituée.

17.


$ȏ LE LIVRE BLEU '

Nous avons basé notre refus spécialement sur Tarticle l***, qui ne tend à rien moins qu'à créer un deuxième comité fé- déral dans la fédération romande ; ce genre de sections ne peut qu'amener à former deux groupes avec des tendances différentes, chose qui ne pourrait que produire la désvinion dans notre Association, Nous ne nous étendrons pas lon- guement sur ce sujet, nous sommes prêts à justifier notre résolution si le Congrès l'exige*

C'est dans le milieu du mois de décembre que le conflit a éclaté dans le sein du conseil de rédaction. Nous serons très-brefs sur cette question, attendu qu'une circulaire, en- Yoyé^ à toutes les sections, vous a renseigné en ce qui concerne la conduite de votre comité ; nous avions différé de l'envoyer aux sections, pensant qu'il était plus raison- nable d'attendre le Congrès ; les démissionnaires ayant lancé une circulaire contenant une affirmation erronée à notre égard, nous avons dû la faire imprimer, pour faire connaître la vérité sur ce conflit.

Votre comité s'est trouvé dans de graves embarras, par cette brusque démission, qui pouvait arrêter la publication de notre organe ; il est heureux de pouvoir dire publique- ment qu'il a trouvé des hommes de bonne volonté pour continuer à travailler pour le journal jusqu'au Congrès ; nous nous réservons, pour ce qui nous concerne, à donner toutes les explications nécessaires si le Congrès le désire. Nous devons à regret vous dire que nous avons été dans l'impossibilité de terminer l'affaire des comptes rendus du Congrès de Lausanne j le Congrès de Genève, en chargeant le comité fédéral de liquider bette affaire, lui a donné une tâche difficile à remplir j l'écoulement de ees brochures ne peut se faire que dans un temps très-long, elles ont été U-


DE L'INTERNATIONALE. S99

vrées aus; sections trop tard. Actuellement ngus sommes &n présence d'un cas grave : le citoyen GoullerY poursuit le citoyen Guillaume pour la rentrée des fonds* Nous avons tenté à plusieux^s reprises d'arranger ce différend, nous avons échoué ; l'affaire est au tribunal : le citoyen Cqullery ne reconnaît juridiquement que le citoyen Guillaume comme lui devant. On nous avait proposé de faire des billets à échéance, nous ne pouvons le faire, et le citoyen Guillaume n'a pas accepté cette proposition, L'affaire en est là; com- ment la terminer à la satisfaction de tous? Le Gongrès devra se prononcer sur cette question, afin que le nouveau oomité fédéral puisse liquider définitivement sans froisser les in- térêts des parties intéressées.

Il ne nous reste à vous mentionner, pour terminer la pre- mière partie de notre rapport annuel] que ce que nous avons fait au point de vue de la propagande, Nous sommes obligés de vous avouer que nous ne pouvions rien faire ou presque rien : par correspondances nous avons obtenu quelques résultats; il est vrai que dans notre délégation à Lausanne nous avons réussi à amener Tadhésion d'un cer- tain nombre de sections, qu'à Genève il nous a été possible de faire de la propagande dans les sections, d'assister à beaucoup d'assemblées pour encourager les membres et aider les comités dans leur tâche, voilà ce qu'il noua a été permis de faire, rien de plus. L'article 44 de nos statuts est illusoire : nous n'avons pu le mettre à exécution qu'une seule fois, comme vous pourrez en juger par le rapport financier de votre comité. Nous avions le dévouement né^ oessaire pour faire de la propagande ; il ne nous a pas été donné de pratiquer notre devoir et de vous relater les rap- ports que nous avons eus avec les sections de la fédération.


300 LE LIVRE BLEU

Î^U8 avons a nous plaindre que souvent nos lettres sont restées longtemps sans réponse, même les plus impor- tantes ; quelquefois il fallait en écrire plusieurs pour avoir une réponse ; les sections du Locle, Gourtelary, Neufchâtel et Vevey ont été les plus régulières dans les correspon- dances. Nous engageons les comités à avoir des sociétaires correspondants et actifs, c'est d'une grande importance dans

« 

certain moment.

Notre rapport serait plus complet si les sections ou co- mités locaux nous avaient 'envoyé des rapports sur la marche de leurs groupes ou sections; nous devons à la vé- rité de dire qu'une seule section l'a fait régulièrement, ce sont les tailleurs d'habits de Genève; également pour le travail statistique, un grand nombre de sections n'ont pas même répondu à la première : il nous est impossible de présenter un travail complet, si nous ne sommes pas aidés par les comités.

Nous proposons, à titre de conseil, que chaque comité de section de la fédération soit obligé ou engagé à prendre un abonnement, afin qu'il soit toujours au courant des circu- laires ou avis adressés par le comité fédéral, car il n'est pas toujours possible d'écrire cinquante et quelques lettres à toutes les sections ; c'est une économie de temps et d'argent.

Notre fédération, pendant la période de quinze mois, eut à supporter un grand nombre de grèves ; quelques-unes ont pris des proportions immenses, et ont présenté à un moment donné une certaine gravité. Des demandes d'éléva- tion des salaires ou de diminution d'heures de travail, pré- sentées par les ouvriers de diverses sections, ont été obte- nues sans grève. Dans le récit de tous ces événements, nous ne pourrons ^vous donner tous les détails nécessaires.


DE L'INTERNATIONALE. 901

Quant au résultat» les sections intéressées ne nous ayant envoyé aucun rapport sur leurs grèves, nous le ferons aussi complètement que possible.

Au mois de mars 1869, presque simultanément, ont eu lieu les grèves des tailleurs de pierre et maçons et des typographes de Genève . Nous n'entrerons pas sur ces deux grèves dans de trop longs détails, les jouiiiaux et des bulle- tins ont renseigné les sections d'une manière complète.

La grève des tailleurs de pierre et maçons des bâtiments académiques eut pour cause la violation par MM. les entrepreneurs de la convention librement consentie entre les ouvriers et les patrons, delà convention du 8 avril 1868: lors de la grève des ouvriers en bâtiments, la journée d'été devait commencer le !•' mars; les trois entrepreneurs qui sont les plus importants de Genève et qui avaient soumis- sionné les travaux dans des conditions inabordables pour les autres entrepreneurs, tenaient à faire payer leurs sot- tises aux ouvriers; ils ont refusé de tenir les engagements pendant les tractations entre patrons et ouvriers. Ces messieurs ont renvoyé de leurs chantiers trois hommes faisant presque tous partie du comité de la section ; ils ont aussi envoyé une circulaire aux entrepreneurs de Lau- sanne, en les engageant à ne pas prendre d'ouvriers de Genève pendant la grève.

Devant la mauvaise foi des entrepreneurs et après avoir essayé tous les moyens de conciliation, les ouvriers ont levé les chantiers et déclaré la grève.

Votre comité, en présence de ces faits et reconnaissant les motifs justes et légitimes des tailleurs de pierre et maçons, a donné son appui et a pris la direction de la grève.


902 LE LIVRE BLEU

Celle des typographes a eu lieu par le refus deç patrons d'accepter un nouveau tarif présenté par les ouvriers, et qui avait été discuté par cinq commissions successives et cela pendant plusieurs années. Dès le début, un petit nombre de patrons ont accepté le nouveau tarif; il est certain qu'il aurait été accepté par tous, sans la défection d'un certain nombre d'ouvriers plus on moins intéressés. Votre comité, à la demande des typographes, a eu une entrevue avec les dissidents de la société; malgré tous nos efforts et l'es- prit qui nous animait, nous avons échoué complètement; toutes nos propositions ont été rejetées, une seule a été acceptée, mais rassemblée des typographes Ta rejetéa. Nous avons pu nous convaincre qu'il y avait parti pris chez les déserteurs, qu'ils étaient dirigés par une ceiiaine coterie hostile à notre Association, Les événements qui ont succédé à ces grèves nous le prouvèrent suffisamment; ce n'était plus la question de détruire une convention ou de refuser un nouveau tarif qui était en jeu, non, c'était une guerre acharnée à • TAssociation internationale; l'on voulait la détruire à Genève, A la suite d'une manifestation paciâque devant les bâtiments académiques, la police, sur l'ordre de bourgeois, a arrêté quatre ouvriers qui ont été maltraités par les agents dans îe poste, ^e même soir, une délégation de' membres de l'Internationale ont obtenu de les faire sortir de prison. Dès ce jour on a pu se convaincre de l'esprit et des intentions de cette excellente bourgeoi- sie ; les faits qui sont survenus après le prouvèrent clai- rement.

Puis vient cette fameuse assemblée populaire de la bour* geoisie, qui a eu l'audace de dire qu'ils étaient 4,000, quand jplus des deux tiers étaient des ouvriers ou des


d


l


DE L'INTERNATIONALE. 908

curieux. Cette ridicule assemblée a voté uue adresse non moius ridicule au Conseil d'Élat, où Von disait que Tlater- nationale ruinait l'industrie à Genève, puia cette éternelle istupidité, que tout se faisait par des ordres envoyés de Londres et Paris. A cette manifestation grotesque, les ouvriers, citûyen9 suisses, ont répondu par une assemblée imposante et calme ; ils ont adressé un manifeste éner«  gique au Conseil d'État, protestant contre les allégations mensongères de la bourgeoisie. Après ces faitst une quau* tité de faits sont survenus et ont augmenté l'irritation entre les deux partis; quelques ouvriers typographes ont été arrêtés, puis une condanmation de quelques jours de-^ prison a été prouoncée oontre quelques-unsi tout cela pour des coups de sifflet.

La guerre était déclarée, la bourgeoisie poussait h la lutte; elle était dirigée par un comité occulte qui pesait sur le Conseil d'État : on voulait forcer les ouvriers à faire une émeute, afm d'avoir l'intervention fédérale. L'hôtel de ville, pendant les manifestations ou assemblées des ou*- vriers, était gardé par la jeunesse dorée, les étudiants et autres bourgeois; des armes étaient déposées .dans les bureaux pour compléter ces mesures; le département de Justice et Police armait les agents de fusils, Il était évident que l'on voulait écraser à tout prix le mouvement ouvrier; la presse hostile répandait ces calomnies et semait la haine <

Les événements de la rue du Mont-Blanc sont venus oon- firmer ces faits. Les agents, le sabre et le pistolet en main, ont arrêté quelques ouvriers \ ils ont menacé la f ouïe» bru^ talisé les prisonniers d'une manière indigne. Votre comité a immédiatement délégué trois de ses membres pour les faire sortir de prison ; peine perdue. On jxe trouvait aucune


904 LE LIVRE BLEU

autorité, ou bien chacun se renvoyait la balle. Devant le poste de police où étaient détenus les prisonniers, on a menacé les délégués.

A la suite de ces tristes événements et de la conduite infâme de la police soudoyée, et obéissant aux ordres de la bourgeoisie, une grande assemblée populaire eut lieu ; l'irritation en ce moment était grande chez les ouvriers ; on était à la veille d'un conflit avec les bourgeois, mais leurs plans furent déçus par l'attitude calme et énergique des ouvriers et des comités. Une protestation fut envoyée au Conseil d'État, en demandant une enquête sur les derniers événements ; on a répondu par une fin de non-recevoir, et en disant que l'adresse était conçue dans des termes offen- sants pour les premiers magistrats du pays.

Enfin, les tailleurs de pierre et maçons, après une longue lutte où ils ont montré une grande énergie et du dévoue- ment, ont oÊtenu un succès complet. Une nouvelle conven- tion a été signée avec les entrepreneurs, plus précise que la précédente ; en outre le travail à l'heure a été accepté.

La grève des typographes dura plus longtemps. Beau- coup d'entre eux, plutôt que d'accepter les conditions des patrons, quittèrent le pays. Le groupe resté fidèle à la so- ciété a montré dans cette grève un dévouement sans bornes; ils ont été vigoureusement soutenus par les typographes de presque tous les pays : la grève a abouti à la création d'un atelier coopératif ; cette imprimerie marche fort bien.

Ces deux grèves ont prouvé à la bourgeoisie de Genève que les ouvriers des diverses industries étaient liés soli- dairement le^ uns aux autres, que la question de nationa- lité, mise en avant par eux, ne parviendrait jamais à les diviser.


DE L'INTERNATIONALE. 805

Nous saisissons cette occasion pour flétrir énergique- ment la conduite honteuse d'un organe de Genève, qui a répandu sur ces deux grèves des faits mensongers et d'in- dignes calomnies. ,

La grève des ouvriers en bâtiments de Lausanne, qui a éclaté vers la fin du mois de mai 1869, et sans que le comité fédéral en soit prévenu, a été une grève malheu- reuse dans les résultats. Dès le commencement de mai, les ouvriers tailleurs de pierre, maçons, bardeurs et manœu- vres, formés en deux sections, avaient élaboré un tarif qu'ils ont soumis aux patrons. A diverses reprises, les ouvriers ont demandé aux entrepreneurs des entrevues, pour discuter en commun ce tarif; ces démarches ont échoué : on faisait tout pour traîner les affaires en lon- gueur; enfin, une réunion eut lieu chez le préfet; ouvriers et patrons étaient représentés ; elle n'aboutit à rien. Les ouvriers demandaient seulement que le nouveau tarif n'entre en vigueur qu'à dater de 1870, mais que les entre- preneurs le signent ; ils ont refusé en disant : Continuez à travailler et nous le discuterons cet hiver. Le Conseil d'État refusa aux ouvriers d'afficjier une 'proclamation ; mais à la suite d'une délégation auprès de cette autorité, il l'a autorisée, en promettant de fai^'e tout son possible pour engager les entrepreneurs à accepter un arrange- ment.

Les ouvriers étaient irrités de ces lenteurs calculées, et croyant que, vu l'état de nombreux travaux entrepris, les patrons céderaient devant la cessation, décidèrent en as- semblée générale. de déclarer la grève; il y avait six se- maines que les patrons avaient reçu le nouveau tarif, et qu'ils renvoyaient de le discuter : l'on comptait lasser la


m LE LIVRE BLEU

patience des ouvriers. Le lendemain, les chantiers étaient gardés par la gendarmerie ; le Conseil d'État, sans doutç jaloux de la conduite des gouvernements de Bâle et Genève, et voulant les surpasser pour acquérir quelqjue gloire, fit afficher une proclamation ridicule dans les rues de Lau- sanne, et appela un bataillon, en cours de répétition à Payerne, pour maintenir Tordre. Le comité central de Lausanne répondit à Ja proclamation du Conseil d'Etat par une protestation énergi(ïue, I-*'ordre ne fut pastrqublé, les chantiers étaient déserts» et cela sans pression et ^aus y^g- lence aucune.

Ce valeureux bataillon, mécoutent de ne pouvoir se ser- vir dç ses armes contre les grévistes, le^ excitait par des provocations : peine perdue, les ouvriers n'ont pas donné 4ans.ce piège*

Les entrepreneurs, de leur côté, ont employé toutes sortes de moyens contre les ouvriers pour leur couper les vivres j on menaçait do chasser ceux qui n'étaient pas du pays, s'ils ne voulaient pas travailler. Un grand nombre a quitté Lausanne pour aller travailler ailleurs. Après quelques V semainea de lutte, les aecourg commençant à manquer, qualquas ouvriers découragés reprirent las travaux, et au bout de quelques jonrs, presque tous lea avaient re^ pris*

Quel a été le résultat de cette grève? il a été nul pour la mas^à, iauf quelques métiôirs qui o^t obtenu quelques avan- tages, compte les ouvriers sur métaux, et les menuisiers \ mais lee tailleurs de pierre, maçons, bardeura et manœu* yres, absolument rien. En outre, la désertioa s'est mis^ dans les rangs, les sections ont dimiuué de membres, et celle des bardeurs et ma^ouvres a cessé d'exieter; nos


DE L'INTERNATIONALE. 807

frères dç L^iusamiQ out été ru4«m«Qt éprouvée im» c«U9 lutte.

Les graveurs de la Ghaux-de-Fonds, du Locle et de Geaève ayant passé un concordat entre eux pour arriver 4 travailler le même nombre d'heures, c'est-^à-dire de fixer la journée de travail à 10 heures au lieu de 11, les graveurs de Genève travaillaient déjà à cette conditioni les graveur» des Montagnes adressèrent dana le mois de juillet une cir*< culaire à tous les patrons pour demander cette réduction ; les guillocheurs de deux looalitto se joignirent aux gra- veurs pour cette demande. Les patrons n'acceptèrent pas favorablement cette juste réclamation des ouvriers ; quel- ques-uns seulement signèrent; la plus grande partie ne voulait pas traiter avec les comités des sociétés, mais avec leurs ouvriers. Il était impossible aux ouvriers d'accepter de semblables conditions qui n'offraient aucune garantie pour l'avenir. Alors la grève fut décidée dans les deux localités ; elle fut soutenue par les ouvriers aveo énergie ; Pesprit de la solidarité les animait à un haut degré; les sections romandes ont appuyé leurs frères des Montagnes autant quelles pouvaient le faire. Après quelques semaines de lutte et diverses tentatives d'arrangement, les patrons voyant les ouvriers résolus à soutenir jusqu'au bout leur juste demande, acceptèrent la médiation de la Chambre in- dustrielle de Ghaux-de-Fonds; la grève fut terminée par Tacceptation des 10 heures de travail. Au Locle, les pa^ trons acceptèrent au9si la demande des ouvriers ; dans cette dernière localité, la grève a donné naissance à la création d'un atelier coopératif.

Dans cette grève, les ouvriers des Montagnes ont fait preuve d'énergie et de beaucoup de calme; ils ont moptré


308 LE LIVRE BLEU

leur dévouement à F Association ; depuis, ces sociétés ont vu le nombre de leurs membres aller en augmen- tant.

Cette grève fut le prélude d'une série de demandes d'aug- mentation de la part des ouvriers des diverses branches de rindustrie horlogère. Les crises Successives que cette in- dustrie a subies pendant nombre d'années avaient diminué considérablement la main-d'œuvre des ouvriers. C'est ainsi que les ouvriers monteurs de boîtes de Chaux-de-Fonds donnèrent le signal ; à Neuchâtel, les ouvriers des mêmes métiers furent obligés de recourir à la grève ; ils ont obtenu une sensible augmentation. Ceux du vallon de Saint-Imier luttèrent courageusement pour obtenir une augmentation ; nous ne pouvons dire quel en a été le résultat, n'ayant reçu aucun rapport à cet égard. Ceux de Genève ont obtenu une augmentation réelle, presque sans grève, car il n'y a eu qu'un seul atelier en grève pendant quelques jours.

Plus tard, les faiseurs de ressorts de Genève et Chaux- de-Fonds, ayant fait une demande à leurs patrons pour en revenir à l'ancien tarif, ont obtenu un* plein succès.

Les bijoutiers de. Genève ont demandé une diminution d'heures de travail; la demande a été acceptée sans grève.

Il ne nous reste à vous^mentionner qu'une seule grève, celle des couvreurs, de Genève; elle a commencé par la violation par un patron d'une convention signée par ce dernier. C'est dans le mois de novembre 1865. Après di- verses tentatives d'arrangement, les ouvriers voyant le mo- ment propice, ont formulé une augmentation- de salaire, malgré l'état d'épuisement des sections pour les soutenir. Ils ont obtenu, après quelques semaines de grève, une


DE L'INTERNATIONALE. 309

augmentation très-sérieuse; elle était nécessaire, car c'est Tun des métiers les plus malheureux.

Notre rapport est terminé ; il ne nous reste qu*à formuler nos impressions sur tous ces événements. Nous pensons quHl est temps d'organiser la résistance sur des bases so- lides, que nous ne devons plus marcher à Taventure comme nous Favons fait jusqu'à présent. Plus de grèves prématu- rées qui épuisent les ressources des sections, sans profit pour r Association; organisons la fédération des caisses de résistance, corporativement et solidairement unies les unes aux autres ; c'est la seule base pour arriver à réaliser notre émancipation économique. Tous nos efforts doivent être concentrés sur deux points : propagande et organisa- tion des caisses de résistance.

Au nom du comité fédéral romand, Le Président,

GUÉTAT.

Le secrétaire général, Henri Perret«  Genève, le l«r avril 1870.


Rapport de la commission genevoise sur la question de l'attitude de 1* Association internationale envers les gou- vernements, présenté, discuté et adopté par le Congrès romand,

La questij^n de l'attitude de l'Association internationale envers les gouvernements^ posée par la section de Cour- telary dans des termes vagues, ne précisant qu'insuf&sam-


810 LIS LIVRE BLEU

rtièni le fôiid û^ la pensée, t)eut élr« formalée M enviM^ de trois manières essentiellement diêtinctee» notamment :

1» L'Assoeiatien internationale doit-elle professer Tabs- te&tion complète de ses membres en politique^ en les ittTi- tafït à ne point intervenir, de quelque manièro que ce soit, dans les élections législatives» oxécutives et munioipales ? doit-elle les engager à rester eomplélemeat'lndiffi^eate on face de tous les actes politiques des gouvernements r^^eo- tifs de chaque pays ? ou bieti>

2« L'Internationale doit-elle tâcher de parvenir à un© or^ ganisation politique de tous ses membres, afin qu'ils iii- tervlennent activement comme membres et au nom de l' As- sociation dans toutes les élections, et qu'ilâ donnent à rinternationale des représentants dans toutes les sphères gouvernementales V ou bien encore,

3* L'Internatioftale, tout en poursuivant dans sa collecti- vité sa propre organisation à elle, doit-elle laisser le champ libre à tous ses membres d'intervenir individuellement; comme citoyen de tel ou tel pays, dans la politique ac- tuelle et locale, afin de collaborer .par tout et. en tout à Ta- vénement d*un nouvel ordre de choses ?

De l'analyse de ces trois propositions nous verrons quelle peut être la seule cooclusion raisonnable, et qui certaine- ment sera admise par l'opinion unanime de toutes las sec- tions romandes.

En connaissant le caractère particulier de la propagande de nos sections des Montagnes, on comprend facilement que la section de Courtelary pose sa question dans le sens de l'abstention. Les partisans de l'abstention *pensent pou- voir détourner l'attention des ouvriers des actes et tendan- ces de leur gouvernement» — actes toujours hostiles et


DE L*lNt'ERNATlONALE. 311

préjudiciables aux intérêts des travailleurs. Ils sbiit d'avis que les ouvriers n'ont à s*occuper que de leurs intérêts par- ticuliers — sans songer à se défendre et à protester d'au- cune façon coûtre Tagression toujours croissante et les torts graves qu'ont envers eux les gouvernements actuels. — Or, dans la pratique journalière, l'expression de ce dé- sir se traduirait de la sorte : Ouvriers, laissez les gou- vernements agir comme bon leur semble, consentez à être écrasés sans trêve ni merci d'impôts directs et indirects toujours croissants, à être privés de la liberté de presse et de réunions, à être emprisonnés, à voir l'intelligence de vos enfants s'abrutir dans une ignorance complète, — ne vous dérangez pas pour si peu, attendez que nous ayons d'un seul coup aboli à jamais tous les gouvernements exis- tants !

Nous remarquerons que ce désir équivaut parfaitement au désir de nos ennemis ; c'est celui de tous les autoritaires, de tous les censitaires qui ne demandent pas mieux que de faire à eux seuls — sans l'intervention du peuple — toute la besogne politique. Donc, en nous demandant l'a- bandon de toute intervention par rapport aux gouver- nements, ce n'est ni plus ni moins que l'annihilation de toute action politique qu'on nous propose. Ainsi, — selon les abstentionnistes, — l'œuvre sociale, sevrée de politique, devrait uniquement se poursuivre en dehors du mouvement politique, tandis que pour nous, ces deux facteurs de la vie collective et individuelle ne peuvent être séparés, tous deux devant servir de puissants leviers pour l'affranchissement total du prolétariats

Ce serait présumer que les ouvriers puissélit devenir des métaphysiciens faisant abstraction complète de leur


312 LE LIVRE BLEU

vie journalière, que de leur prêcher la non-intervention ou, — ce qui est identique, — Findifférence pour ce qui se fait journellement de par l'autorité des gouvernements. Bien au contraire, il serait à souhaiter que les ouvriers s'en préoccupent davantage, qu'ils sachent bien ce que font les gouvernements pour sauvegarder les intérêts des clas- ses privilégiées et les soutenir dans leur exploitation des travailleurs. Car en effet, les gouvernements actuels n'exis- tent encore que parce que les ouvriers ne comprennent malheureusement pas à fond l'immense tort de ces gou- vernements, de ces régimes politiques, et du moment que la masse des ouvriers serait à même de diriger ses affaires elle-même, les gouvernements devraient nécessairement disparaître.

Nous dirons plus, professer * Tabstention, c'est vouloir le désarmement, la suppression volontaire de nos ai*nles de guerre. Car comment appeler l'attention des ouvriers sur le régime politique, si ce n'est sur l'arène des élections et des candidatures ouvrières?

G* est là, sur cette arène, que les ouvriers verront leurs ennemis sous un aspect édifiant ; ils les verront employer toutes les intrigues, tous les mensonges, toutes les ca- lomnies, afin d'empêcher l'ouvrier de voir clair à travers les ténèbres du régime politique dont ils voudraient réser- ver la direction à eux seuls à titre d'apanage privilégié. Par conséquent, l'agitation politique est pour nous un grand moyen de lutte, un moyen de tactique pour tenir l'esprit des ouvriers constamment éveillé, vigilant en face de leurs ennemis.

Les objections suivantes des abstentionnistes exigent surtout des réfutations : i^ Les ouvriers ne peuvent rien


DE L'INTERNATIONALE. 313

faire dans les régions, gouvernementales; 2<> les ou^Tiers parvenus au gouvernement se corrompent à leur tour et se joignent à nos ennemis pour combattre le peuple; 3o l'agi- tation politique est fort dangereuse, parce que les ouvriers s'occuperaient ainsi uniquement de la politique, et âban- donneraient les questions sociales.

Mais si les ouvriers ne peuvent rien faire dans les règles, gouvernementales, les abstentionnistes devraient se hâter de se joindre à nous, et de pousser en avant les candida- tures ouvrières, parce qu'il est avéré, — et il serait puéril de le nier, — qu'un grand nombre d'ouvriers conserve en- core une foi aveugle dans la vertu des gouvernements ac- tuels et en attend tous les bienfaits. Or, quand un des nôtres, un ouvrier siégera dans les conseils législatifs et exécu- tifs, et qu'il ne parviendra à faire aucun bien au profit des masses travailleuses, il le dira à haute voix à ses manda- taires ouvriers, et alors cette voix portera une conviction intime dans la conscience des ouvriers; la mainte verra qu'elle ne doit absolument compter que sur elle-même et que le régime actuel n'est bon qu'à être supplanté par un nouveau régime conforme aux exigences sociales.

Quant à la seconde objection, — celle de la corruption qui pourrait atteindre l'ouvrier, — nous répondons en pre- mier lieu que ce n'est pas un grand mal : il y a des traîtres partout et en tout, et malheureusement il y en a même aux grands jours de la révolution. De plus, un traître perd né- cessairement la confiance de ses mandataires, il est puni par le mépris et le dédain de tous les hommes dévoués à la cause du peuple, et par là même il ne pourrait guère être dangereux pour nous. En second lieu, les abstentionnistes

se refusent à reconnaître et semblent ignorer la différence

18


944 LE LIVRE BLEU

entre une époque et une autre; quand il arrivait dans les temps passés qu'un homme issu des rangs du peuple se laissait coffompre, Il faut comprendre que cette corrup- tion pouvait bien être due à son isolement de tous ses frères ; il se trouvait entouré de toutes 1«8 grandes et pe- tites intrigues de la société privilégiée, qui R tout un sys- tème à elle, toute sa tactique à bascule si on veut s'expri- mer ainsi, tandis que le monde ouvrier était dispersé sur le sol du travail, sans être relié solidairement par aucune or- ganisation. La situation de l'ouvrier est toute différente en face de la grande Assoeiation internationale : n'importe où et dans quelle situation il se place à présent, il ressentira toujours les liens fraternels qui l'unissent à des millions de ses collègues ouvriers, tous solidaires pour un même but, animés de mêiaaes aspirations, toujours prêts à seconder leurs frères dans leurs efforts. C'est ici, dans cette associa* tion, daiië ces milliers de sections que l'ouvrier viendra toujours retremper son énergie et puiser des instructions salutaires pour la conduite qu'il devra tenir partout et en tout. Il est tempft de comprendre qu'il faut eesMr de vou- loir être les tuteurs des ouvriers; ne mettons plus nos oa» marades sa quarantaine, les préservant dei'air malsain et du eontaet aveo les hommes deé autres olasses ( ne craiHk> gnons plus pour nos camarades qui seraient élus aux conseils législatifls ou eitéoutifs, ayons foi dans la gran- deur de nos principes, et, soyons persuadés que la valeur même de ces principes et celle de Torganisation, orééê pour les faire triompher, suffiront et sauront bien attacher, — sans perfidie ni trahison — nos eamarades à nos intérêts communs. ^ Cette même réflexion doit être appliquée à Teblie^ioaqui


DE L'INTERNATIONALE. Si6

uous est faite Relativement au danger imaginaire que les ouvriers négligeraieat leurs aspirations socialistes pour les intérêts de la politique passagère* Cette objection trahit aussi une tendanoe autoritaire, — involontaire peut-être, -» en tous eaa inadmissible au sein de Tlnternationale. Car. voulons-nous, en effet, que les ouvriers restent pour tou«  jours des enfants qu'il faudrait guider, qui ne comprennent pas leurs intérêts essentiels, et qui, un beau jour, oublie- raient faoilement toutes leurs misères pour porter unique- ment leur attention sur une élection quelconque? Non, ci* toyens, Tlnternationale elle-même trouve sa raison d'être dans le réveil de la conscience ouvrière : le développement, la prospérité de Tlntemationale certifient que les ouvriers savent où ils vont, et pourquoi, au nom de quoi ils mar* chent. Laissons donc ces alarmes puériles, et songeons plutôt aux dangers bien pliis sérieux, que Tidée de Tab» stention, — si par hasard et par malheur elle parvenait à triompher parmi nous, enfanterait et amènerait inévitable* ment à sa suite.

En effet, citoyens, ce n'est que par le contact journalier avec les institutions politiques actuelles que les ouvriers parviendront à comprendre dans tous ses détails le méca- nisme de ces institutions, et notez bien qu'il faut les con- naître à fond, car pour abattre cet état de choses il faut4e oonnaître, et pour savoir par quoi il doit être remplacé, il faut ravoir étudié. Pour critiquer et réfuter les doctes Subtilités de la théologie, ses adversaires ont dû Tétudier, et la môme nécessité surgit pour l'abrogation des institu- tions inutiles dans d'autres sphères.

Et ne nous faisons point d'illusions ; la révolution so- oiale, qui doit être accompagnée de la révolution politique.


316 LE LIVRE BLEU

^ ne peut transfoimer toutes les formes des rapports sociaux et individuels en un seul jour.

Il faut donc qu'il y ait des hommes à nous qui sachent débrouiller toutes les contradictions entre le passé et Tave- nir, qui sachent comment faire éviter à la réorganisation sociale et politique les fautes funestes qui ont donné la mort à plus d'une révolution. Autrement, on se verrait de nouveau dans la situation de 48 : faudrait-il derechef s'adresser aux hommes des anciens régimes et confier à leurs mains impures Tœuvre de la liquidation politique et sociale , attendu que la reconstruction de Tédifice social doit néces- sairement être accompagnée de la liquidation des rap- ports actuels? Faudrait-il que les ouvriers abandonnent une fois de plus, sinon le tout, du moins une partie de cet ou- vrage, aux poëtes et rhéteurs, aux avocats et docteurs en science, afin que, commme leurs prédécesseurs, ils noient la victoire du peuple dans le sang du peuple? — Non, ci- toyens, la lutte nous coûte et nous coûtera trop de sacri- fices pour que nous consentions à abandonner une seule partie de notre œuvre aux hommes des anciens régimes; les ouvriers veulent tout faire par eux-mêmes, c'est pour- quoi ils doivent tout connaître par eux-mêmes, — les mérites de l'organisation future comme les vices de l'organisation actuelle.

Une autre raison toute pratique nous impose de même le devoir de combattre l'abstention politique des ouvriers. Nous devons compter avec les faits qui se produisent parmi les ouvriers de tous les pays ; nous serions encore une fois autoritaires et doctrinaires, si nous voulions imposer aux ouvriers quelque système élaboré par des savants dans leurs cabinets. Eh bien I voyez ce qui se passe en Angle-


DE L'INTERNATIONALE. 3l7

terre, en France, en Allemagne, en Amérique. Les ouvriers de tous ces pays prennent une vive part aux élections; partout ils posent des candidatures ouvrières, partout ils considèrent le vote électoral comme une occasion de mani- fester leur rupture avec les régimes privilégiés, et d'affirmer leur profession de foi ouvrière. Voudriez-vous aller contre ce mouvement que vous ne sauriez arrêter d'aucune façon? Ce que nous pouvons et devons faire, c'est de propager l'idée des candidatures ouvrières, c'est la séparation du

parti politique des ouvriers des autres partis politiques, qxâj eux, ne sont absolument que partis politiques et et encore d'une politique toute formaliste. Et si nous ne le faisions pas, sans pouvoir parvenir à éloigner nos cama- rades ouvriers de l'urne électorale, nous les jetterions seu- lement dans le camp des partis ennemis. Voyez ce qui se passe en Amérique : notre Union-sœur qui a adhéré à l'Internationale ; l'Union nationale du travail pose un pro- gramme pour former un parti politique ouvrier, et ce pro- gramme n'est point en contradiction avec les bases fonda- mentales de l'Union, et tout d'abord ce nouveau parti politique rompt toute solidarité avec les autres partis, con- naissant la différence des intérêts des castes, et se sentant la force de poursuivre son intérêt à elle seule.

Il y a peu de chose à ajouter à ce que nous venons de dire. Cependant, pour ne pas donner prise à de fausses in- terprétations, nous voulons affirmer catégoriquement notre point de vue sur l'attitude de l'Internationale envers les gouvernements, et nous nous résumons en quelques arti- cles.

1. Nous combattons l'abstention politique comme étant

funeste par ses conséquences pour notre œuvre commune.

18.


S48 LE LIVRE BLEU

2. Quand nous professons rinterveniion politiqpie «t \w candidatures ouvrières, il est bien eiitendu que nous ne croyons point que nous puissions arriver à notre émanGi* pation par la voie de la représentation ouvrière dans les conseils législatifs et exécutifs. Nous savons fort bien que les régimes actuels doivent nécessairement être supprimés : nous voulons seulement nous servir de cette représentation comme d'un moyen d'agitation qui ne doit pas être négligé par la tactique que nous avons à suivre dans notre lutte.

3. L'intervention dans la politique étant pour nous un moyen d'agitation, il est évident que notre grand but tend à la transformation intégrale des rapports sociaux, et que, pour nous, toute agitation politique, sans rapports directs aux questions sociales, serait nulle et stérile ; que, par con- séquent, toute agitation politique est subordonnée au mou- vement socialiste et ne lui sert que de moyen, ce qui^ du reste, est confirmé par les statuts généraux de notre Asso- ciation, avec lesquels nous ne devons pas être en contra- diction.

4. Ceci admis, il est bien entendu que Vlnteraationale doit poursuivre énergiquement son organisation à elle, qui n'eai que la forme préparatoire de l'avenir^ et qu© cette organisation doit embrasser toutes les manifestations de la vie ouvrière. C'est en ce sens que nous adhérons pleine- ment à l'idée de la Représentation du Travail^ affirmant en principe que dans l'organisation sociale d'un proche avenir, il ne peut et ne doit exister qu'une seule représentation di- rigeant ou statuant les intérêts généraux, et cette re- présentation est celle du travail.

5* Nous ne croyons pas, vu la situation de l'Interna- tionaloi qu'elle doive intervenir comme corporation dans la


r>


PE L'INTERNATIONALE. 819

politiq[ue actuelle, ce qui du reste est matériellement im- possible, attendu que, dans tous les pays, un grand nombre de membres de Flnternationale, étant étrangers, ne sont pas, d'après la loi, reconnus comme citoyens du pays où ils se trouvent. Mais nous . croyons cfp^ individuellement chaqU'C membre doit intervenir, autant que faire se peut, dans la politique en se conformant aux principes que nous venons d'exposer.


FIN


f


TABLE DES MATIÈRES


Pages. Préface i


PREMIÈRE PARTIE.

Congrès de Lausanne.

Rapport du conseil général de Londres 3

Rapport de la section belge 32

-^ de la section de Paris 33

— des reliears de Paris * 34

— de la section de Rouen 37

— de la section de Villefranche (Rhône) 42

— de la section de Neuville- sur-Saône 42

— de la section de Vienne (Isère) 45

— de la section de Marseille et Fuveau 46

— de la section de Bordeaux « . . 47

— Du comité central italien 48

— Des sections de Bologne et Bazzano 50

— du comité central allemand 51


— de la section de Bâle 53

— de la section de Moras (Suisse) 54


322 TABLE DES MATIÈRES.

Pages.

Rapport de la section de Nenchâtel. . . . ^ 54

— de VArbeiter Bildung$ Verein de Lausanne 55

— de la section de Vévey 55

— de Cologne et Solingen 56

— du Locle 56

— de Saint- Imier 57

— section de Bienne 59

•^ <1e l'Union typographique de Lausanne 60


DEUXIÈME PARTIE.

Congrès de Bruxellei.

Rapport du conseil général de Londres 65

— des sociétés italiennes 72

— de la section de Solingen 72

— des sections genevoises 73

— des associations ouvrières de la Catalogne. ........ 73

— de la section anversoise.. «..«.., 74

— de la section de Liège 75

— de la section de Verviers \ 81

•^ de la section de Bruges 83

— du cercle des campagnards de Patignies • • . ;^. 83

^ de la section de Charleroî. «.»«*«.. é ....•.-»«.«<«. • 84

Lettre des internationaux parisiens détenus à Saintâ-Pélitgie. 8S


TROISIÈME PARTIE.

Congrès de Bâle,

Rapport du conseil général de Londres. ..<«..<..« 89

— du conseil général belge «•. 108

— de la section de Marseille *é 116

Adresse des marins français de cette ville « < 118

Rapport de la corporation des ovalistes de Lyon.. 119

— de la société des marbriers de Paris. .*«.... 124


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TABLE DES MATIÈRES. 33â.

Payes

Rapport de la section de Paris 132

— de la section de Bâle , • 134

— du centre fédéral des sociétés ouvrières de Barseloue. 135

— des sections de Genève .- 141

— des sections des monteurs de boites, bijoutiers, gai-

niers, guillocheurs, graveurs etc., de Genève 143

— de la section du Locle 145

— du conseil fédéral des sections du bassin de Liège. . 147

— de la section du district de Gonrtelary 152

— de la fédération de la vallée de la Yesdre 156

— de la section de Naples 158

— des sociétés allemandes de la Suisse. 159

Exposé du mouvement socialiste en Allemagne 160

— en Autriche , 163

Situation de la section lyonnaise . . 161

-— des Trade's Unions anglaises ^ 162

Aperçu des lettres et correspondances lues au congrès de

— Bâle 164


APPENDICE.

Rapport sur la septième question soumise au congrès de Lau- sanne , 167

Compte rendu de la troisième séance du congrès de Bruxelles. 170

Discussion sur la question des grdVes 178

Rapport des sections genevoises 179

— de la section liégeoise 182

— de la section bruxelloise 190

Discours des orateurs 217

Rapport des sections genevoises sur la question de l'ensei-

ment 229

Résolutions de la commission sur la question de la propriété, 254 Discours du citoyen Bruhins, à l'ouverture du congrès de

Bàle i56

— du citoyen Tolain sur la question De la collectivité

de la propriété 260

Rapport présejilé sm* la question des droits d'héritage par la

fl«ction bruxelloise., ».*« ...••...» 266


324 TABLE DES MATIÈRES.

- Pages.

Dûcoan pranoDcés à ronyertnre da congrès de Genève 267

IMsoissions soulevées an congrès de Lausanne par la troi- sième question du programme 282

Rapport dn comité fédéral romand an congrès de laChaox-de-

Fonds du 4 avril 1870 193


Fin db la table.


Glicht. Imp. Paul Dupout et Cie. rue du Bac-d'Asnières, 12.




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