De Paepe, Cesar - Discours prononcé à Patignies (Namur) en 1863

Uit Anarchief
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--JJ (overleg) 15 dec 2019 17:50 (UTC)


zie ook:

- https://www.lesoir.be/art/cesar-de-paepe-et-l-actualite-de-son-message-un-centena_t-19901218-Z03EPZ.html

Een scan van het boek van de tentoonstelling en ander bronnenmateriaal is meer dan welkom!


- https://www.libertarian-labyrinth.org/anarchist-beginnings/cesar-de-paepe-anarchy-1891/


Publication date 1898

Publisher Imp. Vve Désiré Brismée

Collection americana

Digitizing sponsor Google

Book from the collections of University of Wisconsin - Madison

Language French

Book digitized by Google from the library of University of Wisconsin - Madison and uploaded to the Internet Archive by user tpb.


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i " JEUNE GARDE SOCIALISTE D'OUGRÉE


César DE PAEPE

EN ARDENNES


Discours prononcé à PATIGNIES (Namur) en 1863


PREMIÈRE * Édition:

I


PRIX : 15 CENTIMES les 100 exemplaires, 10 francs; fr. 10.50 franco


S'adresser pour la vente en gros :

Au local de la Jeune Garde Socialiste

chez la Veuve STASSAHT

rue Blçz du Moulin, à Ougrée


,L.-


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y Google


DISCOURS


DU


Citoyen César DE PAEPE

prononcé à PATI6NIES (Namur) en 1863


Edité par les soins de la Jeune Garde socialiste cPOugrée


PRIX : 15 CENTIMES


I » I


BRUXELLES Imprimerie Vvc Désiré Brismée, rue de la Prévôté, 7.


1898


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AVANT-PROPOS


Compagnons,

Ce quî,pourune bonnepart, noies adécidés àpublier cette brochure, c*est quHl notes est arrivé maintes fois de rencontrer une foule de compagnons qui, sans vouloir suspecter leur bonne foi et leur dévouement à la cause des opprimés, n'ont pas compris le mot socialisme dans toute retendue de sa signification. Ce mal, si c'en est un, n'est pa^ bien difficile à ficstifler, car en somme, est-il un genre de labeur qui, notre journée terminée, érelnté, brisé de fatigue, nous per- mette d'étudier les grandes questions sociales à résoudre.

Autant que possible nous avons voulu parer à cet inconvénient, en reproduisant Vexposé des doctrines -du regretté César DE PAEPE,

Le compte rendu de cette brillante conférence, qui

fut faite à Patignies en 1863, vous mettra en lumière,

- avec la clarté et la précision qui caractérisaient le

^grand penseur socialiste, les questions qui nous

intéressent le plus. Du reste, est-il besoin de vouloir ^ faire réloge de César De Paepe, dont la métnoire est

^i profondément aimée et respectée par tous les tra-

^ .pilleurs du monde.

\ Nous croyons donc faire œuvre utile en répandant ^la pensée du regretté défenseur des hwnbles, car

comme le disait le citoyen J, des Essarts : celui qui a

compris la conférence de Patignies, n'a plus besoin

que de quelques notions de pratique. Que chacun de vous s'inspire des idées qui sont

émises dans cette brochure et la révolution sociale

sera faite,

La Jeune Garde socialiste d'Ougrée.


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DISCOURS

DU

Oitoyexx Oéssia? JDIB I>-A.5EI=>E prononcé à PATIGNIES (Namur) en 1863


Travailleurs et Amis,

J'ai remarqué d'ici, dans rassemblée, un jeune homme (il doit être à peu près de mon âge) qui n'a cessé de rire, d'un rire provocateur, et de hausser les épaules avec dédain aux principaux passages de mon ami Henry. Je ne puis m'empècher de dire à ce jeune homme que le sarcasme et le mépris ne sont pas des arguments. S'il y a ici des catholiques...

M. SovET. — Il y en a.

M. Wasseige. — Et plus d'un î

Le Citoyen De Paepe. — Tant mieux ! mais je leur demande si c'étaient là les moyens de conversion qu'em- ployait le Christ, celui qu'ils appellent le divin maître? Non, son âme était douce et bienveillante, il attirait à lui par la persuasion et le raisonnement ; il prêchait la tolé- rance et la concorde; et eux, faux disciples de Jésus, leur rire insultant révèle l'intolérance et la'haine qui les animent.

Sans doute, plusieurs d'entre vous, citoyens,'nous posent en ce moment cette question en eux-mêmes : Qui êtes-vous et que venez- vous faire ici?

A cette question, que je lis dans plus;^d'un regard, je réponds : Que vous importe qui nous sommes, pourvu que nos paroles soient conformes^à la vérité.


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Nous ne sommes pas — comme on en a répandu le bruit dans ces environs — nous ne sommes pas des hommes venus dans le dessein d'attaquer le catholicisme pour vous prêcher le protestantisme, nous ne venons pas détruire les dogmes anciens pour leur substituer des dogmes nou- veaux, briser d'une main les vieilles chaînes rouillées dont le clergé catholique étreint les intelligences et vous apporter de l'autre, des fers nouvellement forgés; non, nous sommes, tout simplement comme vous, des ouvriers, des artisans ou des laboureurs, dans tous les cas des tra- vailleurs et des prolétaires. Nous avons des idées que nous croyons justes et de la réalisation desquelles nous attendons le bien-ôtre matériel, intellectuel et moral des hommes ; ces idées, nous les soumettrons à la discussion, nous ne pouvons ni ne voulons vous les imposer, car précisément la première de ces idées, c'est le libre examen, c'est-à- dire la libre recherche de la vérité, la libre discussion de toutes choses.

Il y quatre mois environ, il s'est tenu en Belgique une réunion qui avait quelque ressemblance avec celle-ci pour la forme et en ce qu'on y délibérait aussi sur des questions sociales, mais bien différente quant au fond; quant au but : une •réunioa composée non pas de travailleurs venant s'éclairer les uns les autres et discuter loyalement les principes philosophiques, politiques et économiques dont l'application doit leur procurer un sort meilleur, mais d'aristocrates et de prêtres accourus de toutes les contrées de l'Europe afin de se concerter sur les moyens les plus efficaces pour continuer à leurrer le peuple au nom de Dieu et de la religion. Ce jour-là — comme ces moribonds qui, étendus sur leur lit de douleur et sentant approcher leur fin, s'efforcent de retrouver leur vigueur perdue, — le catholicisme expirant a essayé de rassembler ses forces épuisées et de ressaisir un moment la vie qui lui échappe; c'est en vain, cet effort suprême lui porte le


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coup fatal; le moribond retombe, murmure quelques mots inarticulés et lâche enfin son dernier soupir !... Et le monde qui entend ce bruit et qui voit cette agitation, trompé par les apparences, prend pour le son de la voix humaine le râle de l'agonie et pour le mouvement de la vie les convulsions de la mort, car déjà il n'a plus devant lui qu'un cadavre. [Interruptions et protestations bruyantes des cléricaux) .

M. SovET. — C'est odieux! ce ne sont que blasphèmes contre la religion de nos pères !

M. Wasseige. — C'est une infamie!... [Le tumulte redouble).

Le Président. — Citoyens, je vous prie de laisser conti- nuer l'orateur ; quand il aura terminé vous aurez la parole.

Le tumulte continue encore qvslqvss instants^ mais peu à peu le silence se rétablit et le Citoyen De Paepe reprend la parole.

Oui, le catholicisme est mort ! La foi, cette âme de toute religion, la foi qui faisait émigrer nos pères vers la Palestine pour y conquérir le tombeau du Christ, la foi n'existe plus. La catholicité s'est-elle levée en masse pour aller défendre la papauté à Castelfldardo? Si le prêtre possède aujourd'hui encore quelque puissance, ce n'est pas que les masses croient en son dogme, mais c'est par son alliance, par son identification, dirai-je, avec le Pouvoir et le Capital. Donc le catholicisme sans la foi c'est un corps sans âme, c'est un cadavre. Peu m'importe que l'on crie au blasphème et à l'infamie ! je constate un fait, rien de plus ; et ce fait, les catholiques eux-mêmes ne peuvent le nier.

Chose étrange, citoyens : Dans ce congrès de Malines où étaient accourus tous ces gens qui veulent en plein xix"^** siècle le retour aux institutions féodales et mona-


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Cales du moyen âge, au milieu de ces champions du passé, un homme à qui certes on ne peut nier un brillant talent oratoire — pas plus qu'on ne peut ôter au tigre sa belle robe bigarrée, pas plus qu'on ne peut ôter au serpent son regard fascinant — M. le comte de Montalembert enfin — laisse tomber de ses lèvres ces paroles qui sont à la fois un éclatant hommage rendu à nos idées et un aveu d'impuis- sance de la part du catholicisme : « La théocratie et l'ancien régime sont morts pour jamais... La société nouvelle, la démocratie, pour l'appeler par son nom, existe; on peut même dire qu'elle existe seule ; tout ce qui n'est pas elle a peu de force et de vie.,. Elle ne changera ni de principe ni de nature tant que nous vivrons. Au contraire, elle ira toujours en se développant dans le sens de son principe. »

Cela nous rappelle ces criminels à qui l'on faisait lire eux-mêmes leur sentence, à haute voix, au pied de l'écha- faud. Ces paroles de Montalembert sont la condamnation de ce grand coupable qu'on appelle le catholicisme...

M. Wasseige. — C'est une infamie !

Le Citoyen De Paepe. — De ce complice séculaire de tous les brigands couronnés et de tous les voleurs cousus d'or, de ce vieux criminel qui s'est baigné jusqu'au cou dans le sang des peuples ! Ces paroles de Montalembert, c'est la sentence de mort de l'Eglise catholique prononcée par une bouche cathohque.

Oui, force a été aux champions du passé rassemblés à Malines d'entendre proclamer au milieu d'eux cette grande vérité : que les aspirations, que les tendances, que les pensées, que tous les mouvements du siècle sont vers la démocratie. Et comment en serait-il autrement? Chaque siècle en finissant lègue, au siècle qui le suit, une tâche à remplir. Ne sommes-nous pas les héritiers de 89 et de 93? Ce siècle n'a-t-il pas sucé à la mamelle de la République

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la haine de Toppression et du privilège, Tamour de la liberté et de Fégalité? La Révolution sociale du XIX"* siècle n'a- 1- elle pas pour mission d'achever Tœuvre de la Révolution française?

Cependant ne nous faisons pas illusion : la démocratie que veulent les Montalembert n'est pas la nôtre, n'est pas la démocratie v<^ritable, n'est pas la démocratie des travailleurs. Et d'ailleurs, la démocratie basée sur la reli- gion ne peut être qu'une mystiûcation, parce qu'ei^tre la démocratie et la religion il y a incompatibilité de nature. Celui qui veut appuyer la démocratie sur la religion, ressemble à un architecte qui voudrait construire un palais sur un terrain boueux et marécageux, ou sur un sable mouvant qui se dérobe sous les pieds, ou bien encore à un jardinier qui voudrait enter une branche vivace et fleurie sur un arbre sans sève, sur un bois mort, bon tout au plus à jeter au feu.

Mais pour que nous soyons à même de constater cette incompatibilité de la démocratie avec la religion, il nous faut examiner tout d'abord ce que c'est que la démocratie et ce qu'elle veut : nous verrons ensuite les doctrines de la religion, et nous les mettrons en face des principes démocratiques. Cette exposition me fournira l'occasion d'aborder successivement à peu près toutes les questions mises à l'ordre du jour de ce meeting : je m'efforcerai d'être aussi clair qu'il me sera possible, dussé-je entrer dans certaines explications superflues pour plusieurs d'entre vous et subir le reproche de traîner les choses en longueur. Jo demande donc aux uns leur attention, aux autres leur indulgence, à tous le silence et le respect de mes convictions.


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I. — Principes généraux

Le mot démocratie, vous le savez peut-être, vient du mot grec déinos qui signifie peuple, et de la terminaison kratia qui signifie gouvernement. La démocratie est donc le gouvernement du peuple, c'est-à-dire le gouver- nement de chacun et de tous. Et le vrai gouvernement de chacun et de tous c'est, selon moi, un état social dans lequel nul homme n'est gouverné par un autre homme et ou chacun se gouverne soi-même. Tirons quelques consé- quences de cette définition sur laquelle d'ailleurs je reviendrai tout à l'heure.

Le gouvernement de chacun, c'est l'affranchissement de VindivîdUy c'est la liberté, car si chacun se gouverne soi-même, chacun est libre; cela est tellement clair qu*^ cela ressemble à une définition de M. de la Palisse.

Le gouvernement de tous, c'est-à-dire que tous sans exception aucune possèdent ce même droit de se gouver- ner eux-mêmes, c'est donc I'égalité.

La liberté et Véçalité, voilà donc les deux principes fondamentaux de la démocratie, telle que je Tentends. Liberté, égalité, disaient nos pères les révolutionnaires de 93 et de 48; et ils ajoutaient : Fraternité! Eliminons momentanément ce dernier mot. La fraternité n'est pas un principe, c'est quelque chose qui part du cœur, c*est un sentiment. Elle sera peut-être le résultat d'un ordre social nouveau, elle ne peut en être la base.

L'état démocratique, basé sur la liberté et l'égalité, est-il conforme aux vœux de la nature, aux destinées de l'humanité? Oui, et a*est pour cela que la démocratie seule est légitime, c'est pour cela que son avènement doit venir fatalement, que son triomphe est inévitable.

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L'homme est créé pour la démocratie, comme le poisson pour nager dans Teau.

La nature ayant donné à tous les hommes les mêmes organes, les mêmes besoins, elle, a par ce fait même, dé- claré qu'elle leur donnait à tous les mêmes droits à l'usage de ses biens; donc tous les hommes sont égaux dans Tordre de la nature, tout homme vaut un autre homme.

Ainsi, la liberté et Tégalité sont deux attributs essentiels de rhomme comme l'étendue et la pesanteur sont deux propriétés essentielles des corps.

De là ces deux conséquences :

De ce que tout individu est maître absolu de sa personne il suit que la liberté pleine et entière de son consentement est une condition inséparable de tout contrat social, de tout engagement, de toute loi.

Et de ce que tout individu en vaut un autre, il suit que la balance de ce qui est reçu à ce qui est donné doit tou- jours être rigoureusement en équilibre.

L'égalité et la liberté, principes fondamentaux de la démocratie, vœux de la nature, attributs essentiels de l'homme, sont aussi les ba§es de toute véritable société entre les hommes, de tout ordre social vrai.

Liberté, égalité, démocratie, nature, homme, société, tous ces termes correspondent, se lient, s'expliquent les uns les autres.

L'homme est un être chargé de sa destinée, c'est-à-dire devant développer les facultés physiques et intellectuelles qu'il tient de la nature. Il ne peut développer pleinement toutes ses facultés, toutes les puissances de son corps et de son esprit, qu'avec l'aide de ses semblables; d'où il suit que l'homme est fait pour vivre en société et que l'état de société, quoi qu'en ait dit Jean -Jacques Rousseau, est vrai-

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ment Vétat de nature de rhommp, car Tétat social est une loi que la nature elle-même impose à l'homme; Thomme pourrait-il en dehors de la société, c'est-à-dire sans Taide de ses semblables, donner pleine satisfaction aux besoins de son corps et aux penchants de son âme ?

Le but de la société est donc : de donner un libre essor au développement des facultés humaines et de satisfaire les besoins physiques et intellectuels de chacun de ses membres.

Donc, trouver dans la société le développement complet de ses facultés et rentière satisfaction de ses besoins, tel est le droit de chacun, et ce droit ne peut avoir 4'autre hmite que le respect du droit d'autrui.

Donc, le respect du droit d'autrui, tel est le devoir de chacun.

Exercer son droit et accomplir son devoir c'est ce qui constitue la justice. La société doit donc être fondée sur la justice. La justice doit régir tout les rapports de l'homme avec ses semblables.

Et maintenant, citoyens, voyons si la société dans laquelle nous vivons est bien une société véritable, si elle atteint le but que se propose la société, ou si elle n'est pas plutôt un état antisocial % Réalise-t-elle la démocratie ? Respecte-t-elle la liberté et l'égalité ? Assure-t-elle à chacun le développement de ses facultés et la satisfaction de ses besoins ? Est-elle fondée sur les bases du droit et du devoir ? Est-elle conforme à la justice ? Examinons donc cette société tant vantée ; ne nous chante-t-on pas sur tous les tons qu'elle est le necplus ultra delà perfection, le meilleur des mondes possibles ? Jetons un coup d'œil sur les principales institutions, gouvernement, propriété, reli- gion, etc... Armés du scalpel de l'analyse, si dans nos investigations nous découvre os que le corps social est malade et gangrené, sondons hardiment ses plaies et retranchons impitoyablement les ulcères qui le dévorent.

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II. — Grouvernement

La démocratie, ai-je dit, c'est le gouvernement de cha- cmi et de tous, c'est-à-dire où la loi est à la fois l'expression de ridée individuelle et de l'idée collective. Elle est fondée sur ce principe : que nul n'est tenu d'obéir qu'à la loi qu'il a lui-même consentie.

Mais, selon qu'elle réalise plus ou moins ce principe, la démocratie peut exister à divers degrés. Passons en revue les diverses formes de gouvernement qu'a revêtue ou que doit revêtir l'humanité. Nous jugerons de leur valeur res- pective d'après le degré de démocratie qu'elles contiennent, c'est-à-dire selon qu'elles s'éloignent ou se rapprochent de notre formule : Nul n'est tenu d'obéir qu'à la loi qu'il a lui-même consentie. Cette formule sera comme le tnètre avec lequel nous mesurerons les gouvernements passés, présents et futurs. Malheur à ceux qui seront trouvés trop courts, car le jour viendra où le peuple les condamnera irrévocablement pour crimes de liberticide et de lèse-égaUté. El inventisunt minus habentes.

On peut classer ainsi les diverses formes de gouverne- ments, en suivant l'ordre historique et logique :

Monarchie absolue ;

Monarchie constitutionnelle et représentative.

RépubUque présidentielle et représentative (avec ou sans suffrage universel).

Gouvernement répubUcain par une assemblée sortie du suffrage universel. Législation directe. Anarchie. Remarquez qu'entre chacune de ces grandes divisions il

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peut y avoir plus d'une nuance intermédiaire. Je ne m'y arrêterai pas.

La monarchie absolue est le gouvernement d'un seul, d'un personnage unique portant le titre de roi ou d'empe- reur et dont le pouvoir n'est contrebalancé par aucun aut re. Les monarques absolus coLsidèrent la position qu'ils occu- pent conmie leur revenant de droit ; le pays tout entier avec tout ce qu'il renferme, hommes et choses, est leur domaine. Ils se transmettent les peuples de père en âls, comme ils font des chevaux de leurs écuries ou des chiens de leurs meutes ; ils ont la faculté de pressurer et mitKûUer à merci la nation, comme on rosse son chien, comme on fouette son cheval. Sous ce régime, il est évident que nul, hormis le monarque, ne peut dire qu'il a librement consenti à la loi.

La monarchie constitutionnelle estcelle où leroi, comme en Belgique, au lieu de gouverner d'après sa seule volonté, est assujetti à un code politique appelé charte ou consti- tution. Ce code ordinairement est l'œuvre, non pas du peuple ni des députés du peuple, mais des délégués de l'aristocratie, du clergé et de la bourgeoisie. En Belgique^ par exemple, sur une population de 4,600,000 habitants, il n'y a que 90,000 électeurs, le reste de la nation n'a pas le droit de choisir ses mandataires. Dans une monarchie constitutionnelle, d'après le fameux mot de M, Thiers, le roi règne et ne gouverne pas ; quant au gouvernement, c'est l'affaire d'une demi-douzaine de ministres, d'une assemblée aristocratique ou plutocratique appelée Cham- bre des Lords, ou Chambre des Pairs, ou Sénat, et d'une assemblée bourgeoise que l'on appelle Chambres des Communes, des Députés ou des Représentants.

Que les partisans de beau régime veuillent bien me réfuter ce dilemme : Si le roi règne sans gouverner, s'il ressemble à ce

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soliveau que Jupiter envoya aux grenouilles ,qui, elles aussi voulaient avoir un roi; je vous le demande à quoi boa co poi-là? Et pourquoi, par exemple, lui jeter tous les ans 3 millions, fruit de plus de 3 milliards de gouttes de notre sueur, à nous hommes des champs ou des ateliers? Il faut avouer que c'est là un luxe inutile et qui nous coûte un peu cher. Mais si au lieu de se borner à son rôle de soliveau, si tout en n'ayant pas l'air de gouverner, le roi gouverne réellement par l'appât de l'or, des dignités, des places lucratives, des titres, des décorations et des distinc- tions honorifiques, ceux qui dans l'esprit de la Constitution sont les seuls gouvernants; en un mot s'il emploie les moyens pécuniaires et autres, que le pays met à sa dispo- sition, àrépandre la corruption depuis le plushaut jusqu'au plus bas de l'échelle administrative et gouvernementale, alors quelle grande différence trouvez-vous entre ce régime et celui de la monarchie absolue? Le premier opprime par la ruse et la corruption comme le second par la force brutale. Oppression pour oppression, convenez donc que la monarchie absolue est un système moins tartufe et moins immoral que la royauté constitution- nelle! (Interruptions.)

M. Wassbigb. — Vous attaquez le roi Léopold, le roi le plus honnête, le plus libéral qui fût jamais.

Le Citoyen De Paepe. — J'ai attaqué la royauté et non le roi...

Le Citoyen Brisméb. — Personne ici n'a prononcé le nom de Léopold, il n'y a que ce monsieur là-bas (en dési- gnant M. Wasseige),.. Ce monsieur serait-il un agent provocateur?... (Les altercations continuent ainsi pendant quelques instants et ce n'est pas sans peine que le président parvient à faire régner le silence.)

• Le Citoyen De Paepe. — Je ne m'occupe pas de persour

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nalités^pas plus du roiLéopold que de Fempereur du Japon» je ne m'attaque qu'aux institutions et aux principes.

Voilà donc à quoi aboutit la monarchie constitutionnelle : 4,510,000 personnes, appartenant pour la plupart à la classe des prolétaires, gouvernés par 90,000 électeurs propriétaires et boutiquiers, lesquels sont eux-mêmes gouTernés par quelque chose comme 200 représentants, sénateurs et ministres, lesquels à leur tour sont (sans vouloir en convenir) gouvernés par un monarque irres- ponsable.

Certes, ce n'est pas sous un pareil régime que nul n'obéit qu'à la loi qu'il a lui-même consentie. Êi cependant, comme conception, quel progrès immense sur la monarchie absolue! quelle tendance vers la démocratie! Déjà le pouvoir est partagé, plusieurs y participent. Quel est le monarque constitutionnel qui oserait dire tout haut, comme Louis XIV : l'Etat, c'est moi !... Si de fait le peuple n'est rien, au moins est-il déclaré sur le papier que « tous les pouvoirs émanent de la nation )>. Ma foi! c'est déjà quelque chose, pas grand chose pourtant. Enfin, consta- tons toujours qu'il y a progrès dans l'idée.

Mais absolue ou constitutionnelle, la monarchie suppose ïhérédité. De là il suit que le pays peut tomber entre les mains du plus sot comme du plus méchant des hommes» du plus imbécile comme du plus rusé, entre les mains d'un Claude ou d'un Augustule comme entre celles d'un Tibère ou d'un Néron ; après Charlemagne vient Louis le Débon- naire, après Louis XI Charles VIII, après Charles-Quint Philippe II, après Louis XIV Louis XV et puis Louis XVI. Supposons un roi honnête homme : peut-il transmettre à son fils sa probité en même temps que la couronne? La sagesse et la vertu sont-elles donc héréditaires?... Voyez un peu l'absurdité : Qui de vous, cultivateurs ardennais, voudrait confier ses bestiaux au premier venu? C'est


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cependant ce que Ton fait, sous toutes les monarchies, de ce vil bétail qu'on appelle le peuple! Car enfin, lorsque Tancien roi vient à mourir, il faut bien que le pays accepte le nouveau roi tel qu'il est s©rti du ventre de sa mère.

Je pourrais faire valoir une foule d'autres motifs contre la monarchie absolue ou constitutionnelle : un roi a besoin d'un palais, d'une cour, d'un luxe royal, d'une nombreuse valetaille, etc. Ce grand train est imité de loin par les familles riches comme par tout ce qui s'approche du pouvoir, et ne peut manquer d'exercer sur les mœurs du peuple une influence pernicieuse. Puis, il faut bien aussi que le monarque ait une armée, il faut aussi qu'il puisse délivrer des titres de noblesse : une monarchie sans noblesse et sans armée, û! ce serait comme un printemps sans fleurs!

  • *

Après avoir vu ce que c'est que la monarchie sous ces deux formes principales, passons à l'examen des princi- pales formes du gouvernement républicain.

J'app«lle république présidentielle et représentative celle à la tête de laquelle se trouve d'une part une assem- blée formant le pouvoir législatif, de l'autre un président avec ses ministres formant le pouvoir exécutif. Entre ce réglne et le précédent quelles sont les différences capitales? Qu'au lieu d'un monarque héréditaire et irres- ponsable, à la tète de l'État se trouve un monarque élu pour un certain nombre d'années et responsable! Certes, l'abolition de l'hérédité et de l'irresponsabilité royale est un progrès réel; ce n'est pas moi, républicain, qui le mettrai en doute. Si en outre, l'assemblée et le président, au lieu d'être nommés par quelques électeurs privilégiés, par ceux qui payent une certaine contribution à l'État, sont élus pour tous les citoyens, c'est évidemment un pas de plus dans la voie de la démocratie. Eh bien, citoyens»


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l'état de choses que je viens de vous décrire est précisé- meut celui qui a existé en France, en 1848, après le gouvernement provisoire et la constituante.

Mais si ce régime a quelques avantages, il a plus encore de dangers. Qui ne voit que la position élevée de cet homme dont on fait le chef de TÉtat est un stimulant à Torgueil et à l'ambition, une source de privilège et d'inégalité? Qui ne voit que donner ainsi à un homme le droit de disposer de Tarmée, lui abandonner la nomination des fonctionnaires et de la magistrature, lui confier en un mot toutes les forces de la nation, c'est lui donner tous les moyens d'assouvir ses désirs ambitieux, c'est l'inviter en quelque sorte à violer ses serments et le pousser à l'usurpation? Qui ne voit encore que cette division des deux pouvoirs issus tous deux du suffrage des citoyens, doit tôt ou tard, mais inévitablement, amener des conflits mortels pour l'un ou pour l'autre, funestes à la liberté et à l'égalité.

L'expérience de ces derniers temps ne montre que trop où peut conduire pareil système gouvernemental : à la dictature où à l'empire, c'est-à-dire à la monarchie plus ou moins absolue. Pas n'est besoin, pour en acquérir la certitude, de fouiller dans les annales du passé, d'évoquer les fantômes des usurpateurs célèbres de l'antiquité; rappelons-nous seulement Napoléon P'et Salouque; et plus près de nous encore, n'oublions pas comment a été amené le coup d'État de 1852 et comment l'Empire a succédé en France à la République.

Cette forme de gouvernement républicain porte donc en elle-même les germes de sa destruction.

On en a conclu qu'à l'assemblée seule devait appartenir le droit de gouverner, qu'elle devait garder pour elle les deux pouvoirs législatif et exécutif. Pour cela, elle ferait exercer les diverses fonctions d'exécution par^ des com-

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missions prises dans son sein et révocables à tout moment. Sous ce régime plus de monarque héréditaire ou tempo- raire, plus de chef de la nation, rien qu'une assemblée de représentants de la nation. On le voit, nous avançons de plus en plus dans la voie républicaine et démocratique.

Mais c'est ici le moment d'examiner ce que vaut lô système représentatif en lui-même. Est-il Tidéal de la démocratie? Mesurons-le à notre mètre, appliquons-lui notre principe, et la réponse sera trouvée : La liberté et l'égalité, bases de la démocratie, exigent que nul ne puisse être soumis qu'à la loi qu'il a lui-même consentie. Que conclure de ce principe ? Que, comme il peut très bien arriver que le représentant soit infidèle à son mandat, c'est-à-dire vote sur les lois conformément à ses désirs personnels et contrairement aux vœux de ses mandataires, la loi doit émaner directement du peuple sans intermé- diaire de représentants.

Il ne suffit donc pas d'abolir monarchie et présidence et de remplacer le suffrage restreint par le suffrage universel, ce serait s'arrêter au milieu de la route en dépit de notre principe qui nous crie: en avant I... en avant vers la liberié et l'égalité complète, intégrale ! en avant vers la destruction du despotisme gouvernemental ! Il faut enfin transporter au peuple le droit de faire sa loi directement. C'est ce que l'on appelle : législation directe ou gouverne- ment du peuple par le peuple.

Mais supposons que les représentants, n'écoutent jamais leur raison individuelle ou leurs désirs personnels, votent en véritables machines conformément au mandat qu'ils ont reçu ; supposons de plus que tous les membres de la nation sans exception soieiit électeurs, que le suffrage universel existe dans toute sa plénitude ; supposons enfin que tous les électeurs prennent part au vote ; voyons si, même dans ces circonstances, la représentation est réelle; ' en d'autres termes, voyons si les prétendus représentants

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de la nation, au lieu de représenter la nation entière, ne représentent pas plutôt la majorité de la nation ou même, dans certain cas, la minorité seulement. Pour faire mieux comprendre ma pensée je prends deux exemples :

Premier exemple : La majorité est représentée, la minorité ne Test pas.

Je suppose une ville de 3,000 électeurs et que la règle soit qu'il faille un représentant sur 1,000 électeurs. Il y a deux partis dans cette ville, il y a 2,000 électeurs catho- liques et 1,000 électeurs libéraux. Comme il faut trois représentants, chacun des deux partis propose ses trois candidats; les trois candidats catholiques obtiendront chacun 2,000 voix, les trois candidats libéraux en obtien- dront 1,000. En conséquence les trois candidats catholiques seront nommés. Et Ton dira alors que cette ville est représentée! mensonge! les catholiques sont représentés, les libéraux ne le sont pas. Pour que la ville fût réellement représentée, il faudrait au moins qu'elle ait des repré- sentants catholiques en proportion des électeurs catho- liques, et des représentants libéraux en proportion des électeurs Ubéraux. Dans le cas que je suppose, il faudrait donc 2 représentants catholiques et 1 Ubéral.

Deuxième exemple : La minorité est représentée, la majorité ne Test pas.

Je suppose une ville de 15,000 électeurs ; il faut 15 repré- sentants, c'est à dire 1 représentant sur 1,000 (Je prends ces chiffres-là pour être le plus clair possible). Or, parmi ces 15,000 électeurs, il y a :

1,000 partisans de la législation. directe.

2,000 w du gouvernement par rassemblée.

3,000 « de la république présidentielle.

4,000 » de la monarchie constitutionnelle.

5,000 » de la monarchie absolue.

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Quels seront les candidats qui obtiendront le plus de voix (toujours en supposant que chacun de ces partis pro- pose 15 candidats ; s'il en est qui ne proposent pas de can- didats c'est qu'ils savent bien d'avance que leur opinion ne sera pas représentée, c'est que la lutte leur paraît super- flue) ? Ce seront évidemment les candidats de la monar- chie absolue qui obtiendront le plus de voix ; ils seront donc nommés, considérés comme représentant les 15,000 élec- teurs, et ils n'en représenteront en réalité que 5,000; 10,000 citoyens ne seront pas représentés.

Mais ici je prévois une objection : On me dira qu'il est d'usage que pour être élu il faille avoir la majorité absolue, c'est-à-dire au moins la moitié plus un des suffrages. Bon ! mais alors qu'adviendra-t-il ? Il faudra procéder à de nouvelles élections et puis? Si les partisans de la législation directe, ceux du gouvernement par l'assem- blée et ceux du pouvoir présidentiel, en un mot lc*s répu- blicains de toutes nuances, s'entendent, le résultat sera le même que tantôt, aucun de leurs candidats n'obtiendra la majorité absolue ; si, aussi indifférents à la monarchie constitutionnelle qu'à la monarchie absolue, les républi- cains s'abstiennent, alors les candidats de la monarchie absolue, représentant 5,000 citoyens, seront triomphants ; si, craignant de voir tomber le pouvoir entre les mains des partisans de l'absolutisme, les républicains votent pour la liste des monarchistes constitutionnels, la liste de ces derniers passera, mais ces monarchistes constitutionnels élus ne représenteront pas pour cela l'opinion des 1,000 partisans de la législation directe, ni celle des 2,000 par- tisans du gouvernement par l'assemblée, ni celle des 3,000 partisans de la république présidentielle, ils ne représenteront tout bonnement que leur parti.

De sorte que, dans ce dernier cas, au heu de représenter comme tout à l'heure une minorité de 5,000 citoyens,

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les éittt ne représenteront qu'une minorité de 4,000; au lieu de 10,000 citoyens non représentés, il y en aura 11»000

Pour qu'un pays fût réellement représenté, il faudrait que tous les partis, toutes les opinions, toutes les aspira- tiofiâ et tous les intérêts le fussent. Sans cela le système représentatif n'est qu'un mensonge. Mais ne voyez- vous pas que c'est la rédaction à l'absurde du système repré- sentatif ?I1 y a autant d'opinions, d'aspirations etd'intérèts. divers qu'il y a d'individus. Donc il faudrait qu'il y eût autant de représentants que d'individus, c'est-à-dire que tout le monde fût représentant ou plutôt qu'il n'y eût plus de représentants, que chacun votât directement sur la loi. Nous voilà de nouveau à la législation directe. Donc, de même que la monarchie et la république présidentielle, le système représentatif se démolit lui-même et porte dans son sein les germes de sa destruction ; ce qui le tue c'est son propre principe. Pour que le système représentatif existe, il faut qu'il n'existe pas. Cela peut sembler para- doxal, mais cela est vrai.

Mais on conçoit que la législation directe n'est guère possible au sein de grandes nationalités, qu'elle exige une extrême décentralisation, qu'il faut au moins que chaque commune soit rendue à son indépendance, à son autonomie, à sa vie propre enfin, quitte à fédère^'* ensuite les commu- nes entre elles. Décentralisation, indépendance commu- nale, fédéralisme, telles sont les conditions sine qua non du gouvernement direct du peuple par le peuple; la centralisation, l'unité, le nationalisme seraient sa mort, et partant la mort de la liberté; nous remonterions bientôt toute l'échelle que nous venons de descendre, il faudrait retourner au représentativistne, à la présidence, au constitutionnalisme, à l'absolutisme, finalement à la monarchie absolue universelle, idéal du pouvoir fort, unitaire et centralisateur.


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Et maintenant la législation directe satisfait-elle à notre principe? Sous ce régime, nul n'obéit-il qu'à la loi qu'il a lui-même consentie? Tout en reconnaissant qu'aucune autre forme de gouvernement n'arrive aussi près de la réalisation de ce principe, je n'hésite pas à répondre : Non. Avec la législation directe qui est-ce qui fait la loi? C'est la majorité. Et qui fait la majorité? C'est le nombre. La souveraineté du nombre c'est encore toujours sous une s^tre dénomination, la souveraineté de laforce. La justice, fl| raison, la scieoce, seules, devraient commander à HÎomme, et tout pouvoir se fonde sur la foi aveugle, la force brutale, le droit d'aînesse, l'hérédité, le cens électo- ral, ou le nombre ! Qu'y a-t-il dans toutes ces choses, foi ou force, hérédité ou nombre, de juste, de rationnel, de scientifique? Qu'est-ce que le nombre? Quelle valeur morale renferme- t-il pour avoir droit à notre respect? La vérité ne peut-elle pas se trouver du côté de la minorité, n'en avons-nous pas des preuves chaque jour?

D'ailleurs, la loi n'étant l'expression que de la majorité, la minorité est donc tenue d'obéir à la loi qu'elle n'a pas consentie : c'est contraire à notre principe.

La législation directe elle-même n'est donc pas encore le dernier mot de la démocratie, le gouvernement de chacun et de tous puisqu'elle n'est en définitive que le gouvernement de la majorité. Tandis que sous les autres systèmes que nous venons de passer en revue c'est le plus petit nombre qui gouverne le plus grand, ici c'est le plus grand nombre qui gouverne le plus petit.

Non, ce n'est pas là le vrai gouvernement de chacun et de tous I L'idéal de la démocratie ne peut être que l'an- archie; non pas l'anarchie daas le sens de désordre, de confusion, mais anarchie dans le sens qu'indique l'étymo- logie du mot (de a, privatif, et arcM, commandant, auto- rité, pouvoir, gouvernement.) L'an-archie, c'est donc

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Tabsence de tout gouvernement, de tout pouvoir. Oui, l'anarchie, voilà où doivent nous conduire en fin de compte les aspirations de Thomme vers une liberté toujours plus grande et vers une égalité toujours plus rigoureuse. Oui, l'anarchie, où nous devons aboutir un jour, entraînés par la puissance du principe démocratique, par la logique, par la fatalité de l'histoire.

L'humanité, partie de la monarchie absolue, forme primitive et la plus expressive du gouvernement, marche, en passant par la monarchie constitutionnelle, par le pouvoir présidentiel, par le gouvernement de l'assembléf^ par la législation directe, vers l'anarchie, forme défini tiVe et la plus élevée de la liberté. Telles sont les destinées de l'humanité, telles sont les tendances révolutionnaires qui lui sont inhérentes.

Qu'est-ce en effet que la révolution, si ce n'est l'amoin- drissement constant de l'autorité au profit de la liberté, la destruction progressive du pouvoir au profit de l'affran- chissement des individus? Et qu'est-ce que le constitution- nalisme, la présidence, le parlementarisme, le suffrage universel, sinon les étapes de la révolution, cette éternelle voyageuse? Et qu'est-ce enfin que la législation directe, si ce n'est un pont jeté entre le gouvemementalisme et l'an-archie, entre la vieille société gouvernementale et le nouveau monde industriel et économique?

C'est un fait historique incontestable, que la liberté grandit à mesure que la puissance gouvernementale s'amoindrit, et vice-ver sa, le pouvoir s'accroît en raison inverse de la hberté. Donc pour porter la liberté au plus haut degré (et c'est la tendance de la démocratie), il faut réduire le gouvernement à zéro.

Mais il n'en est pas moins vrai que l'humanité dans sa phase actuelle, vu le désordre moral et économique qui


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règne de toutes parts, a besoin encore d'être gouvernée ; le gouvernement et les lois sont encore pour elle des éléments d'ordre et de sécurité. L'anarchie ne pourra s'établir qu'après une réorganisation sociale qui aura supprimé la misère et aflTranchi le prolétariat par le crédit gratuit, la formation des associations ouvrières, la trans- formation de la propriété, en un mot en rétablissant l'équilibre entre les forces économiques. Alors, mais alors seulement, le gouvernement se dissoudra dans l'organisme industriel ; car, comme le dit Henri Saint-Simon, celui que Béranger appelle le prophète : « l'espèce humaine a été destinée à passer du régime gouvernemental ou militaire au régime administratif et industriel, après avoir fait suffisamment de progrès dans les sciences et l'industrie. >»

Et puisqu'il en est ainsi, puisque l'humanité ne peut se passer encore de gouvernement, quel est celui dont elle doit faire choix et qu'elle doit accepter en dernière analyse? Celui qui est le moins contraire au principe démocratique, à la législation directe, mais en ayant soin de donner à la minorité le plus de garanties possibles et de mettro au-dessus du droit de la majorité, comme absolument inviolables, les droits suivants dans toute leur plénitude, sans la moindre restriction ;

Droit pour chacun de proposer et d'amender la loi sans intermédiaire de représentants.

Liberté de conscience. Liberté d'enseignement. Liberté de la presse. Liberté d'association. Droit de réunion.

Avec l'usage de ces libertés, la minorité peut travailler à devenir majorité à son tour ; et si elle a la vérité de son

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côté, elle y parviendra tôt ou tard. Ces garanties, sans détruire le vice du système, l'atténuent cependant un tantinet.

Quant à la besogne administrative, elle se ferait dans chaque commune par des employés relevant immédia- tement du peuple, révocables en tout temps, qui ne seraient revêtus d'aucune autorité, mais seraient tout simplement les commis de la commune. Inutile d'ajouter qu'U serait de l'intérêt de chaque commune de simplifier !ç plus possible le travail d'administration.

Je résume :

Plus de monarchie absolue.

Plus de monarchie constitutionnelle.

Plus d'hérédité.

Plus de présidence.

Plus de représentation ni d'aliénation de pourvoirs.

Plus de centralisation ni politique ni administrative.

Nous voulons :

La législation directe du peuple par le peuple.

Les garanties pour la minorité.

La décentralisation politique et administrative.

L'indépendance communale.

La fédération des communes.

Mais le but ultérieur que poursuit la révolution c'est l'anéantissement de tout pouvoir, c'est — après une trans- formation de la société — l'élimination de la politique par l'économie sociale, de l'organisation gouvernementale par l'organisation industrielle, c'est l'anarchie.

Anarchie, rêve des amants de la liberté intégrale, idole des vrais révolutionnaires ! Longtemps les hommes t'ont calomniée et indignement outragée; dans leur aveu-


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glement, ils t'ont confondue ay^e le désordre et le chaos, tandis qu'au contraire le gouyanement, ton ennemi juré, n'est qu'un résultat du désordre social, du chaos écono- mique, comme tu seras toi le résultat de l'ordre, de l'harmonie, de l'équilibre^ de la justice. Mais déjà les prophètes t'ont entrevue sous le voile qui couvre l'avenir et t'ont proclamée l'idéal de la démocratie, l'espoir de la liberté, le but suprême de la révolution, la souveraine des temps futurs, la terre promise de l'humanité régénérée !.. C'est pour toi que succombèrent leshébertistes en 1793, ils ne songeaient pas que ton heure n'était pas venue ! Et dans ce siècle, que de penseurs ont eu le pressentiment de ta venue et sont descendus dans la tombe en te saluant comme les patriarches mourant saluaient le rédempteur ! Que ton règne arrive, Anarchie !


XXI, — Propriété


Ce que nous avons fait pour le gouvernement nous allons le faire pour la propriété : nous discuterons sa légi- timité, puis nous examinerons ses conséquences, les résul- tats qu'elle produite

Et d'abord, qu'est-ce que la propriété ?

Un des hommes politiques des plus honorables de la Belgique et qui fut en même temps un écrivain socialiste des plus distingués, le citoyen De Potter, dans son Caté- chisme social, répond ainsi à cette question : « C'est l'appropriation d'une chose par une personne à son usage. »

Malgré mon respect pour le citoyen De Potter, que nous avons connu* à Bruxelles, portant sous un front blanchi


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par le temps une intelligence jeune et vigoureuse qu'il avait consacrée durant toute sa vie à Tétude de la philo- sophie et de la science sociale, et dans un corps affaibli par ïkge une âme forte et un cœur généreux — malgré ma vénération pour cet homme de bien, je trouve la réponse que je viens de citer, complètement inexacte.

La propriété n'est pas seulement le droit d'approprier une chose à son usage, le droit d'user, mais aussi le droit A'abuser. Toutes des définitions légales de la propriété sont d'accord sur ce point. La constitution de 1793 définit ainsi la propriété : « Le droit de jouir etde disposera son gré de ses biens, de ses revenus, du fruit de son travail et de son industrie » (il aurait été bien plus juste encore de dire : du fruit du travail et de l'industrie des autres, nous le verrons tout à l'heure). L'article 544 du code civil dit : «La propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu'on n'en fasse pas un usage prohibé parlaloi. »> Et l'article 546 ajoute : « La propriété d'une chose, soit mobilière, soit immobilière, donne droit sur tout ce qu'elle produit, et sur ce qui s'y unit accessoirement, soit naturellement, soit artificiellement. » Quelle seigneurie que ce droit de propriété !

Certes, pour vivre, l'homme a ^besoin à'user des élé- ments fournis par la nature et des produits du travail, il a besoin de s'en servir ou de se les assimiler pour l'entretien de son existence. Mais faut-il conclure- de là, qu'il a le droit de se les approprier exclusivement, d'en abuser, de s'en servir pour exploiter et rançonner ses semblables, de les détruire sans utilité pour lui ni pour personne, d'en disposer enfin en maître absolu, puis encore de faire main basse sur ce qui s'y unit accessoirement? Non, il faut en induire tout simplement notre besoin de posséder, rien de plus.


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EQtre ridée de possession qui est la suite de ce besoin, et ridée de propriété par laquelle ua homme dit : « Cette chose est exclusivement à moi, elle est mon domaine, j'en use et j'en abuse ad libitum, je puis la donner, la vendre, la prêter, la louer, la laisser détériorer, l'anéantir, etc. »» entre ces deux idées il y a une énorme différence ; et la réponse de De Potter me semblerait plus juste si, au lieu de se rapporter à la propriété, elle se rapportait à la simple possession.

Pour moi, à cette question que nous nous sommes posée : « Qu'est ce que la propriété ? >», je n'hésite pas à répondre avec Proudhon : « La propriété c'est le voL »» J'ajoute même : « La propriété c'est l'assassinat. «Et je le prouverai :

Nous avons vu que la société doit avoir pour but d'assurer à l'homme, par le développement de ses facultés et la satisfaction de ses besoins le hbre exercice de ses droits.

Le premier des droits de l'homme, c'est assurément le droit de vivre, car sans l'exercice de ce droit l'exercice de tous les autres droits est impossible. La déclaration de 1793 résume ainsi les droits de l'homme : la Uberié, l'égalité, la sûreté et la... propriété. Mais il est évident que pour jouir de ces droits il faut vivre avant tout. Or donc, si je vous démontre que le droit de vivre est incompatible avec ce qu'on appelle le droit de propriété, que l'un détruit l'autre, que la propriété est mère du paupérisme et que le paupérisme est la mort des individus et de la société, ne faudra-t-il pas en conclure que c'est à tort que l'on a rangé la propriété parmi les droits de l'homme, il faut au contraire détruire ce droit de propriété.

Si le droit de vivre est le premier des droits de l'homme, le premier devoir de la société est de garantir à chacun de ses membres ce droit d'où découlent tous les autres.


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Ce droit de vivre, rhomme le possède par le fait même de sa naissance, de son existence.

La nature, en le mettant au monde, dit à l'homme : « Tu as le droit de vivre, de vivre de la double vie que comporte ton être, la vie matérielle et la vie intellectuelle; mais je t'ai fait dans de telles conditions que, pour vivre, tu as besoin de te nourrir, de te chauffer, de te vêtir, de te loger, voilà pour le corps ; tu as besoin aussi de la science, voilà pour l'esprit. »

De ce premier droit, le droit de vivre, dérive immédia- tement deux autres droits qui sont corrélatifs :

l"" Le droit au travail, car sans le travail nous ne pouvons fournir à notre corps le pain, le feu, le vêtement, le gite, sans lesquels il ne peut vivre ;

2® Le droit à l'étude et à l'instruction : car c'est par l'étude et l'instruction que s'acquiert la science, le pain intellectuel.

Ce droit de vivre, la société actuelle le garantit-elle à chacun de ses membres ?

Poser cette question c'est la résoudre. La société actuelle ne reconnsdt ni ne garantit à l'immense majorité de ses membres le droit à l'existence, ce premier de tous les droits ; car elle ne leur reconnaît ni ne garantit le droit au travail, au travail sans lequel l'homme ne peut vivre, parce qu'il ne peut vivre saos consommer, qu'il ne peut consommer sans avoir produit, et qu'il ne peut produire sans travailler.

Et pourquoi tous les hommes, dans la société actuelle, n'ont-ils pas le droit au travail? Pourquoi y a-t-il des hommes qui veulent travailler, et qui meurent de faim faute de quoi occuper leurs bras? Parce qu'on ne peut travailler sans instruments de travail, sans outils, sans machines, sans matière première, sans la terre surtout (cette matière première de toute production), en un mot


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sans capitaux, et que ces capitaux sont exclusivement aux mains de quelques-uns, d'un petit nombre d'individus qui s'en sont emparés tantôt par la force et la violence, tantôt par la ruse et la spéculation.

Remarquez bien, citoyens, que je ne dis pas que l'État doit fournir à chacun du travail, que le gouvernement doit se faire agriculteur, cordonnier, tailleur, menuisier, mécanicien, se faire en un mot l'entrepreneur de toutes les industries ; mais je dis que la société, quel que soit le moyen qu'elle adopte, doit être constituée de telle sorte que le droit au travail y soit garanti à chacun. Je ne dis pas même, avec Louis Blanc, qu'un gouvernement répu- cain et émané du suffrage universel doit établir des associations industrielles et agricoles, sauf, une fois établies, à les abandonner à leur propre mouvement.

Je ne dis pas môme, avec la plupart des socialistes et avec un célèbre économiste anglais (John Stuart Mill), que le gouvernement devrait faciliter, par des avances de fonds et cela dans des Umites raisonnables, l'établissement de communautés industrielles basées sur des principes socialistes. Non, quelle que soit l'estime que je professe pour ces novateurs, socialistes et économistes, je suis de ceux qui n'ont de confiance que dans l'initiative des travail- leurs saus protection du pouvoir. L'organisation sociale qui nous assurera à tous le droit de vivre en travaillant pour que nous n'ayons plus à mourir en combattant, peut et doit s'établir sans intervention d'aucun gouvernement puisqu'elle aura pour résultat l'hannihilation du gouver- nementalisme.

D'ailleurs, demander à un gouvernement quelconque des secours ou des avances pour organiser la société de manière à ce que le travail soit garanti à chacun, n'est-ce pas lui demander qu'il consacre à cette œuvre une partie du budget? Le budget se forme par l'impôt, et tout impôt


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en définitive est payé par les travailleurs et aggrave ainsi la misère de ceux-là même auxquels il s'agit de venir en aide; c'est tourner dans un cercle vicieux.

Voici simplement ce que je soutiens : L'homme a le droit de vivre, il ne peut vivre sans consommer, il ne peut consommer que des produits, il ne peut produire sans travailler, il ne peut travailler sans instruments de travail; donc, le droit de vivre, c'est le droit aux instruments nécessaires au travail. Or, les instruments du travail, cela veut dire l'outil, la machine, l'atelier, la matière première, le sol. Mais si chacun a droit à toutes ces choses, personne ne peut se les approprier à l'exclusion des autres, personne ne peut en faire sa. propriété, puisque la propriété est le droit non d'avoir l'usage d'une chose, mais d'en disposer en maître absolu. Donc le droit aux instruments de travail anéantit le prétendu droit de propriété, donc le droit à la vie est incompatible avec la propriété; la propriété, c'est l'assassinat. Que M. Wasseige, notaire et propriétaire, me démolisse ce sorite s'il le peut. (Rires et rumeurs.)

Un petit nombre d'individus s'étant appropriés exclusi- vement tous les instruments de travail, il est arrivé que le grand nombre, pour pouvoir se servir de ces instruments indispensables à la vie, s'est vu dans la nécessité de subir les conditions stipulées parles propriétaires.

Or, la première condition que stipule le propriétaire, c'est que le travailleur, pour l'usage qu'il fait de la chose appartenant au propriétaire, payera un droit qui permettra à ce dernier de vivre sans travailler ou, du moins, de consommer plus qu'il ne produit.

Ce que le propriétaire oisif consomme, qui le produit, si ce n'est le travailleur? Il faut donc que ce dernier produise plus qu'il ne consomme. Or, pour qu'un iadividu ne perde pas ses forces, il faut que celles-ci soient sans cesse réparées par la consommation, de ce qu'elles


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ont perdu par la production. Mais la production étant plus forte que la consommation (puisqu'il faut produire pour entretenir le propriétaire), le travailleur dépense plus de forces qu'il n'en gagne» il s'affaiblit, il s'exténue, il se tue. La propriété, c'est l'assassinat.

La propriété aboutit donc à un droit d'aubaine sur le travail. Cette aubaine prend différents noms : elle s'appelle fermage pour les terres, loyer pour les maisons et les bâtiments, rente pour les fonds placés à perpétuité, intérêt pour les prêts d'argent, gain, bénéfice, profit du patron et du boutiquier, lorsqu'elle se prélève par le prêt de l'outillage et des matières premières ou sur réchange des produits, é?^i?e'denrfe dans les compagnies commerciales ou industrielles.

Porter atteinte à ce droit d'aubaine, cela n'est pas possible, à moins de porter atteinte à la propriété. La propriété c'est le droit d'user et d'abuser de sa chose, jtis utendi et abutendi re sua, comme dit le droit romain. S'il peut l'accorder gratuitement, mais il peut aussi la vendre; encore une fois, l'en empêcher ce serait détruire la propriété.

Cette permission d'occuper momentanément sa chose, le propriétaire se la fait payer soit en espèces, soit en prélevant un dividende en nature sur le produit du travail, soit en s'adjugeant entièrement le produit du travail moyennant de payer au producteur un salaire qui toujours vaut moins que ce produit. Je le répète : le propriétaire consomme ce qu'il n'a point produit; et comme tout objet de consommation est un produit du travail, il s'ensuit que tout ce que le propriétaire oisif consomme est le fruit de cette aubaine; c'est un vol manifeste.

Or, j e le dis encore, comme ce droit d'aubaine est inhérent -à la propriété, qu'il est de l'essence même de la propriété,


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c'est saper dans ses bases le vieil édifice social. La propriété, sans ce droit prélevé sur le travail, n'est plus la propriété. Supprimez cette aubaine, il pourra y avoir usage d'une chose, occupation, possession, il n'y aura plus propriété. Un coq châtré n'est plus un coq, c'est un chapon.

De cette constitution de la propriété, de ce droit d'aubaine résulte pour les travailleurs un état d'infériorité, de dépendance et de servitude, contraire à toutes les idées de démocratie et de justice, anéantissant toute notion exacte du droit et du devoir, destructif de toute liberté et de toute égalité. '

Ordinairement, selon qu'elle se rapporte aux travailleurs de l'industrie ou à ceux de l'agriculture, cette condition dd dépendance porte différents noms : Pour les ouvriers, pour les travailleurs de l'industrie, c'est le salariat; pour les paysans, les travailleurs de l'agriculture, c'est le fermage. Il arrive même quelquefois que le fermier a lui-même sous sa dépendance des paysans, simples journaliers, alors le fermage est compliqué de salariat.

Jetons un coup d'œil sur la situation dans laquelle se trouvent l'industrie et l'agriculture, c'est-à-dire la pro- duction, sous l'influence de la propriété; nous verrons ensuite ce qu'est devenu, sous cette même influence, le commerce, c'est-à-dire l'échange et la circulation des produits ; cela même nous dévoilera les résultats de l'idée propriétaire au point de vue de la consommation.

a) Industrie

Nous venons de voir comment, par l'existence de la pro- priété, l'homme qui n'a pas en sa possession les instruments nécessaires au travail, est forcé de s'adresser à un pro- priétaire pour obtenir de lui la permission d'employer les instruments ; nous venons de voir comment le propriétaire


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peut donner gratuitement cette permission, mais comment aussi il peut la vendre ou ne l'accorder que sous certaines conditions. Or, comment la majorité des travailleurs de l'industrie (de la grande industrie surtout), payent-ils aux propriétaires la permission de se servir de l'outillage et des machines appartenant à ceux-ci, d'employer leurs matières premières, de travailler dans leurs ateliers ou dans leurs usines? En abandonnant intégralement aux propriétaires le produit créé par le travail, pour obtenir à leur tour de ces derniers, par un échange tout à fait inégal, une modique rémunération appelée le salaire.

Avec le salariat, fruit immédiat du régime propriétaire, la misère du pauvre va sans cesse en augmentant et la servitude de l'esclave industriel devient chaque jour plus lourde. En effet, avec ce système, toutes les forces écono- miques, toutes les ^puissances industrielles qui par leur nature devraient augmenter le nombre des produits, alléger de plus en plus les privations aussi bien que les fatigues du travailleur, accroître la consommation et augmenter pour chacun la somme des jouissances, qui devraient en un mot conduire l'humanité tout entière à la richesse et au bien-être, sont laissées sans direction, sans contre-poids, sans équilibre, livrées au hasard ou aux caprices des propriétaires, et — loin de créer l'abondance et la prospérité pour tous — amènent nécessairement, avec quelques avantages peu sensibles, des maux incalculables et des désastres de tout genre.

Peut-être ne serait-il pas inutile d'expliquer ici ce qu'il faut entendre par forces économiques et quelles sont les principales de ces forces.

On appelle forces économiques certains principes d'action qui sont, par leur essence, producteurs de réalités; certains modes de production ou certains procédés en indus- trie qui, par eux-mêmes et sans qu'on ait augmenté le

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nombre des producteurs, augmentent la quantité des pro- duits.

Les principales forces économiques sont : la division du travail, la collectivité, la concurrence, lesmachines, le crédit.

On appelle division du travail une certaine distri- bution de la main-d'œuvre, au moyen de laquelle chaque travailleur faisant toujours la même opération, le produit, au lieu de sortir entièrement de la même main, est créé par plusieurs ouvriers qui se sont bornés chacun à la confection d'une partie de ce produit.

On comprend aisément que le travailleur qui s'exerce à produire toujours un seul et même objet, sera infiniment plus habile que celui qui crée tantôt tel objet, tantôt tel autre, et que cette séparation des fonctions industrielles doit augmenter de beaucoup la production. Aussi tous les économistes, depuis Adam Smith, célèbrent-ils à l'envi la division du travail, à laquelle ils attribuent pour une bonne part l'immense développement de l'industrie moderne; mais ils ont trop oublié que, telle qu'elle est aujourd'hui appliquée, cette merveilleuse force, tout en rendant l'industrie plus productive, rend le travailleur plus misérable en même temps qu'elle le dégrade dans son intelligence et dans son corps, et cela en raison directe de la somme de richesse qu'elle procure aux oisifs. En effet:

Plus chaque ouvrier est capable de produire, plus la demande de travail faiblit;

Plus la demande de travail faiblit, plus le salaire diminue;

Plus le salaire diminue, plus la misère s'accroît.

En outre, la division du travail devenant de plus en plus parcellaire, tend aujourd'hui à atrophier complè- tement les facultés intellectuelles du travailleur et à arrê-


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ter son développement physique. « Un homme qui ne fait pendant toute sa vie qu'une même opération, dit J.-B. Say, parvient à coup sûr à l'exécuter plus promptement et mieux qu'un autre homme ; mais en même temps il devient moins capable de toute autre occupation soit physique, soit morale; ses autres facultés s'éteignent, et il en résulte une dégénération dans l'homme pris individuellement. C'est un triste témoignage à se rendre que de n'avoir jamais fait que la dix-huitième partie d'une épingle... En résultat, on peut dire que la séparation des travaux est un habile emploi des forces de l'homme, qu'elle accroît prodi- gieusement les produits de la société, mais qu'elle ôte quelque chose à la capacité de chaque homme pris indivi- duellement .» Précieux aveu d'un des plus grands écono- mistes de ce siècle.

Misère et dégénération physique et morale duproducteur, telles sont dans la société actuelle, les conséquences de la division du travail.

Passons à l'examen des résultats d'une autre force éco- nomique : la collectivité ou la force collective.

Il est constant qu'un certain nombre de travailleurs unis dans un but commun, par la simultanéité et l'harmonie de leurs efforts, parviendront à effectuer, dans un laps de temps donné, un travail que chaque travailleur ne serait jamais parvenu à exécuter d'une façon isolée dans un laps de temps composé du premier laps de temps multiplié par le nombre des travailleurs.

Exemples : La création d'un établissement industriel qui exigerait toute une année et le concours des travaux divers et des connaissances spéciales d'un millier d'ouvriers, serait impossible à un homme seul, même en supposant que notre homme fût un Mathusalem et qu'il mit un milliard d'années à monter son établissement. — Le défri- chement d'un bois qui se ferait en cent jours par une cen-


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taine de travailleurs combinant leurs eflTorts, ne pourrait

se faire par un ouvrier isolé qui consacrerait à cette

besogne 10,000 journées. — Une quinzaine d'hommes ont,

en quelques heures, hissé sur son piédestal la statue delà

colonne du Congrès, qu'un homme seul ne serait peut-être

jamais parvenu à placer et qu'à coup sûr il n'aurait pu

placer en quinze jours.

Eh bien ! cette force prodigieuse qui résulte de l'urion

et de la convergence des forces individuelles, au profit de

qui fonctionne-t-elle? Au profit du capitaliste. Celui-ci

paye aux travailleurs ainsi unis et convergents, qui

produisent par conséquent le double, le triple, le quadraple

et plus encore de ce qu'ils auraient produit en travaillant

isolément, il paye exactement le même nombre de jouraées

qu'il aurait payées à un travailleur isolé, occupé au même

ouvrage et qui n'aurait produit que la moitié, le tiers, le

quart et moins encore; car cent ouvriers agissant avec

ensemble, produisent dans un moment donné, non pas

comme cent, mais comme deux cents, comme cinq cents,

comme mille, etc. Le capitaliste paye la journée des

travailleurs, mais il fait main basse sur ce qui est le

produit propre de la collectivité ; c'est un vol, car la force

collective n'est rien sans le travail de l'ouvrier et n'est

quelque chose que par ce travail : vous auriez beau

grouper des hommes, si ces hommes restent inactifs,

la force collective ne se produira pas.

  • *

Allant à rencontre de sa destination, l'union des forces

industrielles, au lieu d'améliorer le sort des producteurs,

ne fait aujourd'hui qu'empirer leur pénible situation.

Conime la division du travail (avec laquelle elle a

d'ailleurs certaines affinités), elle fait qu'un certain

nombre de travailleurs peuvent effectuer un travail qui,

sans elle, exigerait un plus grand nombre de travailleurs ;

par conséquent elle réduit la main-d'œuvre, diminue la


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demande de travail, fait baisser le salaire, jiugmenle la misère.

La concurrence est une des forces économiques les plus énergiques et les plus puissantes; mais, corrompue sous l'influence pernicieuse de Tidée propriétaire, elle est devenue désastreuse et nuisible en raison directe de son énergie et de sa puissance. En elle-même, elle n'est autre chose que cette émulation entre les travailleurs que Fourrier attribue à la càbaliste et qui pousse chacun à faire mieux et plus que son voisin. Elle est indestructible, car elle a sa racine au cœur de l'homme; seulement, il faut que de désastreuse elle devienne bienfaisante, et pour cela elle ne demande qu'à être équilibrée. Alors, au lieu d'enfanter la ruine et le désordre, elle concourra à pro- duire la richesse et l'harmonie.

D'ailleurs^ pour qu'il y ait concurrence réelle, il faut qu'il y ait de part et d'autre des chances égales de réussir. La tortue peut-elle courir au plus vite avec le cerf, le moineau chanter au mieux avec le rossignol, l'autruche voler au plus haut arec l'aigle? Non n'est-ce pas? De même la concurrence entre l'homme ingambe et paralytique, entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, n'est pas la concurrence : c'est le sacrifice du paralytique, en faveur de l'ingambe, c'est l'écrasement du faible sous le bras du fort, c'est le meurtre du pauvre par le riche. Cette concurrence- là, c'est le massacre des travailleurs par les capitalistes, c'est une perpétuelle Saint-Barthélémy de prolétaires.

Lorsque 89 détruisit la maîtrise pour inaugurer le règne de la concurrence, il était dans l'idée des réformateurs de ce temps que la concurrence devait être à la portée de tous, qu'elle devait être de droit commun ; et il est arrivé tout au contraire qu'elle n'est qu'une chimère pour les trois quarts du genre humain qui, dépouillés de tout, sont


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à la merci des détenteurs du capital et se trouvent dans Timpossibilité complète de lutter contre ces derniers.

Mais la concurrence entre les capitalistes produit-elle au moins de beaux résultats? Ses résultats, les voici : Comme les capitalistes possèdent des forces inégales et des moyens inégaux pour engager la lutte et la soutenir, il arrive bientôt que le petit capitaliste se voit écrasé par le grand, réduit à la banqueroute ou obligé d'avoir recours à toutes sortes de stratagèmes pour se maintenir. Or, voici un des stratagèmes : pour attirer de nouveau la clientèle que le gros capitaliste lui a ravie, le petit industriel tâche de livrer à plus bas prix les produits de son usine; certes, le bas prix des produits n'est pas chose mauvaise en elle-même, mais remarquons bien comment ce résultat s'obtient : l'industriel ira-t-il pour cela diminuer ses bénéfices? S'il ne faut pas absolument, il s'en gardera bien; rançonnant à droite, pillant à gauche, comme larron en foire, il préférera voler le consommateur en falsifiant les produits et voler le producteur, l'ouvrier, en rognant les salaires. C'est toujours sur l'ouvrier que retombent toutes les iniquités sociales, c'est toujours lui le bouc émissaire chargé des péchés d'Israël.

Puis en même temps que s'établit cette concurrence destructive entre les patrons, le nombre des déshérités augmentant avec l'accroissement de la population, la concurrence s'engage aussi entre les ouvriers; elle les pousse à offrir leurs bras au rabais, à s'enlever mutuelle- ment le travail et à faire baisser les salaires.

Moins l'ouvrier gagne, moins aussi il consomme. Et moins l'ouvrier consomme, plus les commandes de travail diminuent, car si le peuple est seul le producteur de la richesse sociale, il est aussi, non pas le seul consommateur (tant s'en faut), mais un des plus grands consommateurs des produits; non pas que chaque individu de la classe

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populaire consomme beaucoup, loin de là, mais uniquement à cause de grand nombre d'individus dont cette classe se compose.

Ceci est clair. Cependant quelques exemples, ou plutôt quelques détails, nous en feront mieux encore comprendre l'exactitude :

Que le travail manque ou soit plus mal rétribué qu'il ne l'était auparavant, et l'ouvrier au lieu de manger du pain, se nourrira de pommes de terre. Qu'arrive-t-il alors? Que le boulanger aura moins d'ouvrage. Or, le boulanger, ayant moins d'ouvrage, portera ses habits un an de plus, et il en résultera que le tailleur aura moins de travail. Le bou- langer et le tailleur, ayant moins de travail, porteront un peu plus longtemps les vieux souliers et le cordonnier verra les commandes diminuer. Gagnant tous plus difficile- ment leur vie, le boulanger, le tailleur et le cordonnier devront bien se passer de remplacer par des meubles neufs, la table caduque, la vieille armoire et le vieux bois de lit qui composent leur mobilier, et le menuisier ou l'ébéniste aura moins de besogne. Le boulanger, le tailleur, le cor- donnier, le menuisier devront également se passer de faire l'acquisition de certains ustensiles de ménage, et le fer- blantier, le chaudronnier, le poêlier, le potier, le vannier, etc., seront pour ainsi dire sans ouvrage. Alors tous ces travailleurs, obligés de chômer, n'éprouvert)nt pas le besoin de faire réparer leurs outils, et le forgeron, le mécanicien, le tourneur en bois, etc., en souffriront. Et les ouvriers de ces industries que je viens de citer, manquant de travail, les ouvriers de ces industries qui fournissent à ceux-là les matières premières (comme le tanneur au cordonnier et le tisserand au tailleur) chômeront également. Et ce cercle fatal ira toujours s'élargissant.

Aussi la baisse des salaires s'étend d'un atelier à l'autre et d'une industrie à l'autre, et avec l'abaissement des salaires


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arrive bientôt le chômage partiel, puis le chômage absolu

Ne ToubUez pas :

Moins le peuple gagne, moins il consomme ;

Moins le peuple consomme, plus les commandes de travail diminuent ;

Plus les commandes diminuent, plus le travail fait défaut;

Plus le travail fait défaut, plus la concurrence s'établit entre les salariés ;

Plus la concurrence s'établit entre les salariés, plus les salaires baissent;

Plus les salaires baissent, moins le peuple gagne ;

Moins le peuple gagne, moins il consomme;

Moins le peuple consomme, etc., (comme plus haut).

Tel est le cercle de fer dans lequel le prolétaire est enfermé et serré comme dans un étau.

Plus le travailleur est misérable, plus il tend à devenir plus misérable encore. Abissus, abzssum, invocat.

Viennent alors les machines, nouvelle force économique, nouvelles souffrances pour le travailleur.

Une machine est inventée, un nouvel agent mécanique va être mis en fonction. Voyons, que va-t-il se passer? La machine remplaçant dans l'atelier les bras de l'homme, va expulser des milliers d'ouvriers, qui se trouveront sans travail et par conséquent sans salaire. Beaucoup d'écono- mistes objectent à cela, que la machine, en diminuant les frais de la main-d'œuvre, doit nécessairement aiaener le bon marché des produits, ce qui équivaut à une augmen- tation de salaire.

Mais je vous le demande, à quoi sert au malheureux que les produits se vendent meilleur marché s'il n'a pas de quoi les acheter ?

Et en effet, comment pourrait-il les acheter, puisqu'il

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n'a pour tout bien que ses bras et son salaire, et que ce bon marché des produits résulte précisément du chômage et de ses bras, et de la suppression de son salaire ? . . .

A son tour la machine, ajoutant encore aux résultats produits par la division du travail, par la force de collectivité et par la concurrence, n'est un bien que pour le capitaliste; pour le prolétaire elle est un véritable instrument de mort, puisqu'elle le supprime.

Que deviendrait l'Angleterre, s'écrie M. de Sismondi, si elle était gouvernée par un roi qui ferait à lui seul, au moyen d'une immense manivelle, toute la besogne de ses sujets mourants de faim, parce que sa mécanique puissante leur aurait ôté leur travail? Et M. Adolphe Blancqui répond que l'Angleterre serait un pays bien heureux de pouvoir se reposer de sa subsistance sur la sollicitude d'un prince capable d'exécuter à lui seul tant d'immenses travaux. Oui, il en serait ainsi si cette merveilleuse machine appartenait au peuple anglais d'une façon indivisible et fonctionnait pour le compte de tous, mais si elle est la propriété du roi, et si elle ne fonctionne qu'au profit de sa Sa Majesté? Alors, répliquent les économistes, le peuple anglais aura au moins l'avantage d'acheter à bon marché tous les produits. Mais, ô sublimes économistes, avec quoi les achètera- t-il?

Étrange anomalie ! Dans la société actuelle, la science elle-même, cette douce et bienfaisante éducatrice de l'humanité est funeste et dangereuse. Il est impossible au génie de découvrir un procédé industriel, un agent méca- nique, une machine, un instrument quelconque, sans que cette découverte jette sur lepavédes légions de prolétaires.

Ah ! je lésais bien, l'apparition d'une machine, l'invention d'un nouvel agent mécanique établit la marche toujours croissante de l'esprit humain ; oui, c'est là un indice certain de l'empire que l'homme doit exercer un jour sur la nature entière, dont il fera son humble servante.


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Mais Touvrier qui est plongé dans la plus hideuse misère parremploianormaldes agents mécaniques, peut-il admirer sincèrement les découvertes de la science et s'extasier devant les progrès de Tintelligence humaine? Il se moque d'une science qui ne fait qu'accroître ses douleurs, et d'un progrès qui lui enlève chaque jour un morceau de pain ! L'ouvrier peut- il bénir la machine, ce monstre qui menace de le dévorer?

Et comment s'étonner encore d'entendre le travailleur, désespéré et égaré par les apparences, crier : anathème à la machine! anathème aux découvertes du génie! ana- thème au progrès ! anathème à l'esprit humain I anathème à la science ! ... Alors que son cri devrait être : anathème à la propriété.

De toutes les forces économiques, la plus importante à mes yeux est le crédit, cette commandite du travail présent et futur par le travail passé, comme on l'a défini. Si cette force-là était organisée conformément à la justice, les résultats désastreux de la division du travail, de la force collective, de la concurrence et des machines seraient neutralisés. Mais il n'en est point ainsi.

Comme les autres forces économiques, le crédit n'est qu'un avantage pour le capitaliste. En fait de crédit, l'ouvrier ne connaît guère que le prêt sur gage du Mont- de- Piété. Cependant, le crédit n'a d'autre source que le travail, c'est donc le travailleur qui crédite la société entière. C'est à lui, dénué de tout, que le crédit est surtout nécessaire, et c'est précisément lui qui ne peut en obtenir. Moins on a besoin de crédit, mieux on l'obtient.

Le crédit, tel qu'il existe aujourd'hui, est un instrument entre les mains du capitaliste pour écorcher plus facilement le prolétaire.

Notre organisation industrielle est comme une vaste machine dont les forces économiques sont les moteurs et

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(ïui fait des pauvres proportionnellement à sa puissance et â sa productivité.

Et comme s'il n'avait pas suflai de l'organisation vicieuse de l'industrie pour tenir le travailleur sous le joug, la propriété a appelé la politique à son aide.

Les propriétaires d'usines, les industriels ont prévu que s'il arrivait que les salaires ne fussent plus au niveau du prix des objets de consommation, ils out prévu, dis-je, qu'alors les ouvriers pouvaient demander une augmen- tation de salaire et refuser simultanément leur travail si on ne leur accordait pas l'augmentation demandée. Ils ont compris que ce chômage forcé de leurs ateliers serait pour eux une chose bien ruineuse, et comme ils avaient en main le pouvoir politique, c'est-à-dire la faculté de faire des lois et de les faire exécuter, ils en ont fabriqué une contre les ouvriers qui se concerteraient pour quitter en masse l'atelier si on ne haussait pas le salaire. Cette loi, c'est la loi des coalitions. C'est le digne couronnement de l'édifice d'iniquités ^levé par les exploiteurs du peuple.

Il est vrai qu'ils ont fait aussi un article de loi pour punir les coalitions des patrons; mais ne nous y trompons pas, citoyens, cela n'est qu'hypocrisie et jésuitisme ! Cette loi n'atteint jamais les patrons qui peuvent se coaliser contre les ouvriers en toute liberté et qui le font journel- lement au vu et au su de tout le monde.

Il est vrai encore qu'à force de réclamations et de péti- tions les ouvriers sont parvenus il y a trois ans à obtenir la modification de la loi sur les coalitions. Nouvelle hypocrisie T

Ces modifications n'ont pas rendu la loi moins meurtrière pour les ouvriers; elles n'ont fait que de la rendre plus iésuitique encore. Témoin les condananations des ouvriers de Gand et du Borinage.


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Qu'est-il arrivé il y a un an ou deux, à Gand et au Bori- nage? Ma foi, ce qui tôt ou tard doit arriver partout, dans tous les centres industriels, aussi longtemps que l'industrie ne sera que Texploitation de Thomme par Thomme. Les ouvriers, voyant qu'ils ne peuvent nouer les deux bouts de l'année, réclament une augmentation de salaire. Les maîtres refusent- Les ouvriers, eux, refusent simultané- ment leur travail ; ils n'ont que leurs bras, mais leurs bras disent-ils sont à eux. — Délit de coalition! répond le code pénal.

Délit de coalition ! Quel crime affreux aux yeux de la caste propriétaire qui nous forge des lois et des chaînes.

Délit de coalition! quel cas pendable!

Quoi ! cette ignoble canaille des fabriques et des houillères osé se concerter afin d'obtenir une augmentation de son salaire devenu insufilsant pour vivre ! Allons, brave armée belge! allons garde bourgeoise! aux armes! Est-ce pour les laisser rouiller dans un honteux repos, que la patrie vous a donné des fusils rayés? Point de pitié pour cette vile multitude! traquez-la sans merci et, baïonnette en avant, poursuivez-la jusque dans ses bouges immondes !...

Ah! les va-nu-pieds, ils ont. voulu régler, avec leurs maîtres, les conditions de leur travail! quelle audace inouïe! Allons, policiers, saisissez-vous de ceux de ces scélérats qui vous tombent sous la main, garottez ces femmes et ces enfants ! gendarmes, sabre au clair ! Et vous, magistrats, préparez- vous à dicter la sentence qui con- damne au cachot tous ces gueux révoltés, et les croix et les décorations pleuvront sur vos poitrines...

Mais hâtez-vous, car le Peuple, ce grand justicier de l'avenir, s'apprête aussi à prononcer la sentence qui vous condamne au mépris de la postérité; et à votre tour vous serez traînés à la barre de la conscience humaine !

Délit de coalition!... Les ouvriers n'ont pas même le


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droit de se concerter pour vendre leurs bras le plus cher possible? Y a-t-il des droits pour nous, parias de la société civilisée? Sommes-nous des hommes, sommes-nous autre chose que des machines en chair et en os destinées à mettre en mouvement d'autres machines de fer ou d'acier? Cette société a pour nous des charges et des souffrances, mais à d'autres c«5 droits et cette prospérité dont on fait tant de bruit. Et comment en serait-il autrement? N'est-ce pas la bourgeoisie qui fabrique la loi, et cette moderne aristocratie peut-elle faire autre chose que des lois qui maintiennent sa domination? Tous nos codes sont-ils autre chose que la consécration de la propriété, c'est-à-dire l'usure de l'exploitation du travail par le capital.

Salariat, c'est-à-dire servitudes du travailleur, forces économiques allant à rencontre de leur destination et enfantant le mal au lieu de créer le bien, abrutissement de l'ouvrier par l'extrême division du travail, produits de la force collective accaparés parles capitalistes, concurrence subversive, machines cassant les bras aux prolétaires, crédit au riche et non au pauvre, baisse des salaires, chômage forcé, paupérisme croissant, coalitions ouvrières, entente tacite des maîtres, émeutes des afifamés, fusillades et répressions brutales, tel est le lugubre spectacle que BOUS offre aujourd'hui l'industrie — immense champ de bataille où les hommes se déchirent et se dévorent les uns les autres.

b) Agriculture

Ce que le salariat est aux travailleurs de l'industrie, le fermage ou la rente l'est aux travailleurs de l'agricul- ture. Les conséquences sont identiques : c'est la servitude et la misère pour le producteur, la richesse et l'indé- pendance pour l'oisif. Les résultats de la propriété sont partout les mêmes.


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Mais si la propriété, envisagée comme droit de dépouiller le travailleur sous prétexe de dédommagement pour avoir fourn i l'instrument de travail, est toujours funeste et odieuse, c'est surtout lorsqu'il s'agit de la propriété foncière que l'iniquité de ce prétendu droit saute aux yeux,

La plupart des économistes s'efiforcent de légitimer la propriété en essayant ue démontrer qu'elle a son origine dans le travail. Mais cotto thèse est difficile à soutenir quand il est question de la propriété du sol. La terre est- elle im produit du travail de l'homme? Qu'il se montre celui d'entre vous, propriétaires, qui oserait se vanter d'avoir créé la terre! Non, non, le sol n'est dû au travail d'aucun homme, il nous vient de la nature, tout comme l'eau, comme Tair ou comme la lumière du soleil.

Si le travail était vraiment l'origine de la propriété, alors la propriété ne pourrait exister que pour les chan- gements que le travail aurait apportés à lanature, l'homme ne pourrait acquérir de droit que sur la forme qu'il aurait donnée à la matière et non sur la matière elle-même. Mais, répondent les économistes et les jurisconsultes, la forme et la matière sont ici indivisibles ; par conséquent, si le droit de propriété porte sur les modifications apportées par le travail, elle doit porter aussi sur le fond, qui ne peut en être séparé. Ce raisonnement est on ne peut plus juste : mais nous répliquons, nous, en nous basant sur les principes mêmes du droit civil, qu'im changement quel- conque qui survient sur le fond et s'y joint par accession, ne donne pas droit à la propriété du fond, mais qu'au contraire la propriété du fond donne droit à l'accession. Or, le sol, de par la nature, appartient à tous; donc, tous ont droit sur les changements que subit le sol, sur ce qui s'y joint par accession. L'auteur du changement ne peut prétendre à autre chose qu'à la, possession de la matière modifiée par lui, sauf dédommagement envers la société ou partage égal des possessions, et sans que cette possesr


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sion puisse jamais lui conférer le droit &b propriété, c'est- à-dire le droit d'user ou S! abuser, par conséquent le droit de domaine absolu sur la matière, le droit de la détenir pour soi et les siens à perpétuité în seculum seculî, le droit d'aubaine sur un sol qu'on n'occupe pas ou qu'on ne cultive pas soi-même, etc.

Par conséquent, l'appropriation du sol constitue une usurpation des droits du genre humain tout entier, une spoliation envers les générations futures; nul ne peut ^emparer de ce qui est à tous ou, pour mieux dire, de ce qui n'est à personne^. .

Voyons quelles sont, pour le travailleur agricole et par suite pour la société entière, les conséquences de cette appropriation du sol. Parmi les travailleurs agricoles, il en est qui sont propriétaires du coin de terre qu'ils arrosent de leurs sueurs, d'autres ne sont que fermiers ou locataires, d'autres- encore ne sont que salariés. Quant à ces derniers, ce sont les esclaves des esclaves, leur position vis-à-vis du cultivateur-fermier ou proprié- taire est la même que celle des prolétaires de l'industrie vis-à-vis du patron, si ce n'est que leur condition est la plus voisine de la tZome^^toïé (autre vestige de l'antique esclavage) avec laquelle elle se confond dans certains cas. Je ne parlerai ici que des deux premières catégories en en commençant par la seconde.

Le cultivateur non-propriétaire se voit dans la nécessité de s-'adresser à un propriétaire pour avoir la partie de terre qu'il désire cultiver. Quand un propriétaire prête sa terre à un cultivateur, celui-ci s'engage à exploiter cette terre, à payer au propriétaire une certaine somme pendant tout le temps qu'il la cultive et à lui restituer intégra- lement la dite terre à l'expiration du temps convenu, sans que le propriétaire soit pour cela obligé de restituer jamais au cultivateur l'argent que celui-ci a versé entre

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ses mains. C'est comme si le paysan s'engageait à donner au propriétaire une part des produits que son travail va tirer du sol; l'autre part, s*il en reste une, est pour le paysan. ^

C'est ce contrat entre le propriétaire foncier et son locataire, contrat par lequel ce dernier est indignement volé, puisqu'il ne reçoit rien en échange de son argent, c'est ce contrat qu'on appelle fermage ; et l'argent que le propriétaire reçoit du locataire, en un mot, la somme extorquée, est ce qui constitue la rente de la terre.

Que la récolte soit bonne ou nlauvaise, le cultivateur doit payer le fermage. Quoi qu'il arrive, le propriétaire ne perd pas, les chances sont pour le cultivateur. Si celui-ci, à force de travail et d'mtelligence, parvient à améliorer la terre qu'il a en location, le propriétaire peut, à l'expi- ration du bail, augmenterle prix du loyer ; et il le fait, car c'est son intérêt, et l'intérêt égoïste est la seule loi qui gouverne aujourd'hui la société; chacun cherche son intérêt, dit le proverbe.

Le loyer de Ja terre augmentant le prix, le cultivateur, pour être à même de payer ce loyer, est obhgé d'augmenter le prix des produits de la terre. Or, tous les objets de xconsommation proviennent de la terre, soit directement comme les céréales et les fruits, soit indirectement comme la viande et les étoffes. En effet, la viande, par exemple, provient du bétail, lequel bétail se nourrit d'herbe, laquelle herbe provient du sol. Donc, quand le loyer de la terre augmente de prix, tous les objets de consommation doivent nécessairement renchérir.

Le prix des objets de consommation augmentant, que se passe-t-il alors? De même que dans ce cas l'ouvrier regarde comme légitime de demander udc augmentation de salaire, le propriétaire trouve qu'il est juste de hausser le prix du fermage de ses terres; voilà la ressemblance.

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Mais l'ouvrier, livré pieds et poings liés entre les mains du capitalisme, obtient rarement ce qu'il demande, tandis que le propriétaire impose l'augmentation du prix du loyer au fermier, qui est bien obligé de la subir, quitte à augmenter à son tour le prix des objets de consommation ; voilà la différence.

On le voit : plus le prix du loyer de la terre s'élève, plus les objets de consommation deviennent chers; et plus les objets de consommation deviennent chers, plus le prix du loyer de la terre tend à s'élever. En d'autres termes, la cherté du loyer de la terre amène la cherté des objets de consommation et la cherté des objets de consom- mation amène la cherté du loyer de la terre.

Voilà l'impasse dans laquelle l'appropriation du sol a poussé la société. Et ne croyez pas que cette tendance meurlrièï'e de la propriété territoriale n'ait été dénoncée que par les socialistes, les révolutionnaires; un des pères de l'économie politique bourgeoise en a reconnu le premier l'influence pernicieuse sur la condition des travailleurs en général : «« Tout ce qui tend à faire hausser la vente de la terre, dit Adam Smith, tend directement ou indirectement à rendre le grand propriétaire plus riche, à rendre le travailleur, le manufacturier, le consommateur et même le petit propriétaire moins riches ou plus pauvres. » Que conclure de cet aveu d'Adam Smith ? Que si aucune trans- formation ne s'opère dans la propriété, si la rente de la terre n'est abohe, l'humanité marche peu à peu vers un état de choses où elle ne se composera plus que de deux grandes castes séparées par un abîme infranchissable ; celle des maîtres, en petit nombre, et celle des esclaves, multi- tude affamée et déguenillée, tenant plus de la brute que de l'homme.

Il est donné aujourd'hui au propriétaire foncier, en mourant, de pouvoir garantir à ses héritiers que la rente


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de la terre qu'il leur lègue ira toujours s'accroissant, et que cette terre qui, aujourd'hui, répond par exemple à la valeur de 50,000 francs sera évaluée à plus du double dans cinquante ans. Je suppose qu'un pi^opriétaire ait transmis à ses descendants, il y a cent ans, une propriété territo- riale valant 100,000 francs.

Je suppose de plus que les dits descendants, vivant exclusivement du revenu de leur bien, aient laissé à leurs successeurs l'intégralité de leur héritage primitif. Eh bien, je vous demande à quelle valeur s'élèvera aujourd'hui ce domaioe, par suite des améliorations apportées parles cultivateurs et par suite de la concurrence que les culti- vateurs se font entre eux pour la location des terres? A rien moins qu'à 300,000 francs, et cela sans compter l'augmentation annuelle des revenus.

Les faits et les chiffres nous montrent, avec évidence, l'accroissement incessant de la rente de la terre. Les statistiques officielles de l'agriculture en Belgique, cons- tatent que de 1850 à 1856, le prix des fermages s'est élevé de 70 à 82 francs en moyenne par hectare, soit 17.14 p. c. en 5 ans, et 3.43 p. c. en un an, soit 171.40 p. c. en 50 ans, soit 342.80 p. c. en un siècle, soit 3,428 p. c. en 10 siècles. C'est énorme!

« Ainsi pour s'enrichir, comme dit Robert du Var dans sa msLgmûqneHisioire de la classe owî;r2ér^,le propriétaire foncier n'a besoin que du temps; le temps travaille pour lui ; mais qu'il en est autrement pour le malheuieux cul- tivateur. Oh ! pour celui-là, il a beau faire, l'intérêt du capital augmentant sans cesse, il lui est souvent impossible de répondre à toutes les exigences progressives du capital et trouver son pain. Que reste-t-il pour le cultivateur, toutes choses défalquées ? Rien ou presque rien. » En effet, bien qu'à la longue l'équilibre tende toujours à se rétablir entre le prix du fermage et celui des denrées, avant que


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ce résultat soit atteint, il y a nécessairement perte pour le cultivateur. Et puis, à peine cet équilibre est-il rétabli, qu'il en résulte que le propriétaire vient de nouveau Tinter- rompre en élevant le prix du fermage. Alors, le produit lui coûtant plus qu'il ne vaut, comment veut-on que le paysan puisse tirer de la terre de quoi subvenir à ses besoins? Il arrive souvent aux ouvriers des villes de maudire le paysan, à qui ils attribuent la cherté des fruits de la terre ; ce n'est pas au paysan qu'il faut s'en prendre, mais au propriétaire, ou plutôt à la propriété, car les honunes ne sont que ce que les institutions les font'.

Si l'intérêt du capital- terre va toujours en s'élevant, si la rente monte toujours proportionnellement à la puis- sance productive du travail et aux prix des objets de con- sommation, si le petit cultivateur-fermier est de plus en plus dans l'impossibilité de vivre da produit de son travail, si enfin le grand propriétaire foncier recueille seul les résultats de l'activité universelle, n'est-il pas certain que, dans un avenir plus ou moins éloigné, la société sera nécessairement amenée à abolir progressivement la propriété, ^n procédant par des mesures pacifiques et successives, ou à proclamer une loi d'expropriation géné- rale pour cause d'utilité publique? Impossible d'échapper à cette alternative.

Il faudra bien, tôt ou tard, que l'on choisisse, si toutefois une situation invincible n'enlève aux hommes la liberté du choix et ne les oblige de recourir à la dernière des deux mesures; et quelle opposition sérieuse voulez-vous que le propriétaire fasse à ces millions de prolétaires déshérités et spohés, si au lieu de procéder légalement à la revendi- cation de la terre, leur héritage à tous, il leur venait à l'idée de mettre leur force au service de leur droit?

Mais si la position du petit cultivateur-fermier est souvent précaire, celle du petit cnltiYSiieur-propriétaire

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est-elle brillante? Hélas! vous le savez, vous cultivateurs

ardennais, qui pour la plupart êtes propriétaires du

maigre coin de terre que vous arrosez de vos sueurs et

souvent de vos larmes. Il y a en Belgique quelques

familles opulentes, telles que celles du duc d'Arenberg,

du prince de Chimay, etc., qui réunies, ont à elles seules

plus de terres en propriété que tous les petits propriétaires

ensemble. Lorsque quelques familles se sont approprié

une si large part daus la terre, comment veut-on que la

part de cette masse de petits cultivateurs-propriétaires

ne soit*pas la plus mince possible? Ces petits cultivateurs,

qui sont propriétaires d'un petit lambeau du sol à peu près

comme le mendiant est propriétaire de ses haillons, sont

donc aussi des déshérités. Au banquet de la propriété, on

ne leur.a laissé que les miettes du festin.

  • *

La situation du cultivateur dans la société actuelle, qu'il soit locataire ou propriétaire du coin de terre qu'il cultive, peut donc se résumer en ce seul mot : Privation. Or, cet état de privation a des conséquences déplorables. Il empêche surtout l'agriculture d'atteindre à son apogée car n'oublions pas que la terre est loin de donner aujourd'hui les richesses dont elle pourrait nous doter dans une société mieux organisée. A ce propos, permetteiz-moi de vous résumer, d'après Colins dans son ouvrage intitulé : Qu'est-ce que la science sociale? les obstacles qui s'opposent au complet développement de l'agriculture.

Ces obstacles sont : 1° l'impossibilité actuelle d'appliquer utilement des capitaux suffisants aux améliorations agri- coles; 2* le défaut de généralisation des connaissances agricoles qui, par l'extension continuelle du paupérisme, se concentrent proportionnellement ; 3** le morcellement des exploitations rurales, qui souvent double les travaux et les dangers relatifs aux récoltes, met obstacle aux bons


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assolements, force à laisser subsister les haies, le parcours otla vaine pâture; 4° la grande culture appliquée aux localités privées de manufactures et la petite culture où les manufactures sont les plus considérables; 5° le pro- duit net, toujours préféré au produit brut, lorsque l'intérêt particulier n'est point essentiellement le même;6° l'absence d'un système général de défrichement, de dessèchement, d'irrigation et de canalisation; 7* l'absence de chemins vicinaux, rendant inutiles les meilleures Ugnes de commu- nications ; 8*» le déboisement des montagnes, si nuisible aux sources, aux pluies, aux abris, à la conservation des terres végétales.

Eh bien, toutes ces causes à leur tour ne sont que des efifets d'une cause unique et primordiale : l'appropriation individuelle du sol; la propriété.

c) Commerce

Nous avons vu comment, dans la société actuelle, s'excercent l'iadustrie et l'agriculture, c'est-à-dire la production; nous avons vu que, basées sur la pro- priété, c'est-à-aire sur le vol, elles aboutissent aujour- d'hui à la spoliation des travailleurs par les oisifs. Voyons comment on entend aujourd'hui le commerce, c'est-à-dii'e l'achat et la vente, ou la distribution des produits. Nous verrons que le commerce, lui aussi, c'est le vol. Vraiment, à examiner le régime social sous lequel nous vivons, on ne pourrait mieux le définir que par ces trois mots : organisation du vol. Cette société que les personnes comme il faut et les honnêtes gens de la bourgeoisie libérale, tout comme les saints et pieux personnages du parti clérical, défendent avec tant d'acharnem nt contre cespartageuœ socialistes, n'est qu'une société de cartou- ches et de mandrins, un véritable repaire de filous et de brigands.

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Le marchand n'est qu'un intermédiaire entre le produc- teur et le consommateur, c'est-à-dire qu'il ne produit absolument rien. Il achète au plus bas prix possible au producteur pour revendre ensuite aussi cher qu'il peut au consommateur. Par exemple : le producteur remet au marchand un produit qui vaut 100 avec 10 p. c. ou 20 p. c. de perte, et le marchand, sans avoir en rien amélioré le produit (au contraire, après l'avoir prol)ablement falsifié et sophistiqué) revend au consommateur 110, 120, et plus, ce produit qu'il a acheté 90 ou 80.

D'ordinaire, pour un même produit, il y a entre le pro- ducteur et le consommateur plus d'un parasite commer- cial. Il y a souvent le commissionnaire, le marchand en gros, en demi-gros, en détail, en sous-détail, etc. De sorte que le produit n'arrive au consommateur que surchargé des retenues et bénéfices de cette nuée d'intermédiaires entre les mains desquels il passe.

  • *

Un économiste français, M. Michel Chevalier, évalue à 35p. c. le bénéfice prélevé en France par les intermédiaires, et à 10 milliards la production annuelle de la France. O'est donc 3 milliards 500 millions qui se prélèvent chaque année sur la sueur des travailleurs par la seule propriété intermédiaire, sous forme de bénéfice sur l'achat et la vente. Ajoutez à cela tout ce que prélève annuellement la propriété industrielle et immobilière, sous forme d'intérêts du capital, de profits sur le travail, de retenues sur les salaires, de rentes, de loyer des maisons, de fermages de la terre, de redevances de toutes sortes ; ajoutez-y encore le paiement des impôts, et dites-moi ce qui peut rester de ces 10 milhards pour fournir la subsistance à une popu- lation de 17 millions d'ouvriers.

D'après les calculs de deux autres économistes, MM. Dewinck et Delamarre, dans la seule ville de Paris, il y a 200,000 personnes uniquement employées à vendre


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aux uns ce que produisent les autres. La population de Paris étant d'un million d'habitants, cela donne la pro- portion d'un intermédiaire sur 5 consommateurs.

La concurrence que se font entre eux ces parasites commerciaux, les pousse à falsifier et même à empoisonner les objets de consommation; ils usent, à cet effet, de pro- cédés vraiment ingénieux et chaque jour perfectionnés. Parmi les 600 et quelques substances alimentaires, médi- camenteuses et commerciales que le chimiste Chevalier, passe en revue dans un travail à son sujet, il indique pour quelques-unes jusqu'à dix, vingt, trente espèces d'altéra- tions et de sophistications différentes, en faisant du reste remarquer qu'il ne les connaît pas toutes et qu'il ne men- tionne que toutes celles qu'il connaît. Ainsi, il énumère jusqu'à 6 espèces de falsifications pour le sucre : 9 pour l'huile d'olive, 10 pour le beurre, 12 pour le sel, 13 pour le thé, 19 pour le lait, 20 pour le pain, 23 pour l'eau-de-vie, 24 pour la farine, 28 pour le chocolat, 30 pour le vin, 32 pour le café, etc., etc. En portant à 5 la moyenne de ces falsifications, moyenne sûrement inférieure à la réalité, on arrive à un cliiffre qui dépasse 3,000.

La falsification et la sophistication des denrées, l'acca- parement, l'agiotage, labanquoroute souvent frauduleuse, tels sont les compagnons inséparables de cette idole du jour qu'on appelle le commerce. Vous savez tous comment cette idole fatale qui trône sur le comptoir du boutiquier gagne peu à peu dans le cœur des masses et enfiltre dans les mœurs cet esprit de fraude et de spéculation et cette soif de^ gains illicites presque universelle aujourd'hui. Et dire que le commerce ainsi entendu,ce trafic honteux etdéloyal, a été appelé pompeusement la •< vie des nations w ! Comme si toute source de vie ne se trouvait dans le travail! Comme si le travailleur seul, et surtout le travailleur de l'agriculture n'était pas le véritable père nourricier du


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genre humain ! Comme si le commerce vrai et loyal, qui n'est autre chose que l'égal échange d'un produit contre un produit, pouvait exister sans la production, sans le travail!

Maintenant que nous connaissons les résultats de la propriété dans l'industrie, dans l'agriculture et dans le commerce, concluons :

Tandis que dans l'industrie, toutes les forces écono- miques tendent à faire baisser de plus en plus le salaire, le fermage de la terre, et le commerce parasite tendent, de leur côté, à hausser le jirix des objets de consommation.

Dès lors l'équilibre entre la puissance d'acquisition du salaire et le prix de vente des objets les plus nécessaires à la vie, est rompu. Lorsque cet équilibre, cette proportion égale entre la quotité du salaire et le prix des subsistances n'existe plus, lorsque le salaire d'un jour de travail équi- vaut par exemple à une somme a et que le prix des choses nécessaires à la vie est de a + 2? par jour, alors il y a nécessairement privation, souffrance, misère. Et, nous l'avons vu tout à l'heure, la misère est sans cesse une nouvelle cause de misère, elle dégénère en paupé- risme, et ce paupérisme tend à s'accroître de jour en jour. Voilà ce que nous dit le raisonnement ; voyons à présent ce que disent les faits, si ceux-ci ne s'accordent point avec les déductions que nous venons de faire, s'il y a contra- diction entre la logique des faits et la logique de notre entendement, c'est que nos raisonnements sont sophis- tiques, c'est que nos prémisses sont fausses ou que nos conclusions sont mal tirées, c'est que nos propositions ne sont pas mathématiquement démontrées ou que nos coro- laires sont inexacts.

Mais si les faits, au contraire, s'accordent avec nos raisonnements, c'est que ces derniers sont justes. Que ceux donc qui nous traitent de sophistes ou de rêveurs


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veuillent se rendre à l'évidence des faits et se laisser émouvoir par Téloquence des chiflTres :

D'après une statistique officielle, citée par M. Haeck dans son grand travail sur la question monétaire, la naiion belge se compose dé 929,000 familles formant une population de 4,600,000 habitants. Eh bien, de ces 920,000 familles, il s'en trouve tout au plus 90,000 qui vivent dans l'aisance, en r< gardant toutes comme aisées les 90,000 familles dont les chefs sont électeurs pour la Chambres des représentants. Et cependant parmi ces familles d'électeurs combien ne s'en trouve-t-il pas qui ont la plus grande peine du monde à nouer ensemble, sans dettes, les deux bouts de l'année? Déduisez ces 90,000 familles des 920,000 qui composent la nation et vous vous trouverez en face du chiflû'e énorme de 830,000 dont la condition sociale est au-dessous de celle des familles d'électeurs. Ces 830,000 familles se subdivisent en deux groupes : en un groupe de 400,000 familles qui se trouvent dans une situation médiocre, approchant de la gène et allant parfois jusju'à de dures privations ; et en un autre groupe de 430,000 familles vivant au jour le jour, dans une situation précaire, incertaine et marquée de périodes d'affreuse misère; de ces 430,000 familles pauvres, plus de 200,000 sont inscrites sur la hste des indigents. Les 90,000 familles qui vivent dans

l'aisance forment une population de 450,000 âmes Les 400,000 familles qui vivent dans un état soumis à la gène forment une

population de 2,000,000 «•

Les 430,000 familles vivant dans une situation précaire forment une popu- lation de 2,150,000 »

Total : '920,000 familles formant une population de 4,600,000 âmes.

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La situation sociale de la Belgique peut-être prise comme moyenne.de la situation sociale des divers pays de TEurope, car s*il est des contrées où la misère se fait moins ressentir, il en est aussi, comme Tlrlande et certains départements de la France, où la misère sévit avec plus de rigueur encore.

En prenant donc l'état économique de la Belgique pour celui de l'Europe entière, voici les chiffres que nous aurons pour les 267,000,000 d'Européens :

1/10, soit 26,700,000 habitants, composant 21 millions 360,000 familles, soumises à la gêne et aux privations ;

4/10, soit 106,800,000 habitants, composant 21 millions 360,000 familles soumises à la gêne et aux privations ;

5/10, ou la moitié, soit 133,500,000 habitants, composant 26,700,000 familles, vivant au jour le jour dans un état précaire et misérable.

Total : 267,000,000 d'habitants, composant 33 millions 400,000 familles de toutes conditions.

Revenons à la Belgique, puisque nous pouvons prendre sa situation économique comme type de la situation européenne. M.Ducpétiaux, inspecteur général des prisons et des établissements de bienfaisance, et (je prie monsieur Wasseige de le remarquer) Tuo des principaux organi- sateurs du Congrès de Malines a démontré, il y a quelques années, en prenant pour base les statistiques du gouver- nement, que le nombre des pauvres en Belgique s'était accru de 9 p. c. depuis 1830, même en tenant compte de l'augmentation de la population. La Belgique comptait :

En 1828 563,565 indigents officiels

» 1839 587,095

»» 1847 • 699,857 . « 

Aujourd'hui, elle en compte plus d'un million. Et notez bien qu'il ne s'agit ici que de personnes inscrites sur la


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liste des pauvres. Que de misères n'existe-t-il pas chez ceux qui ne sont pas compris dans ce nombre !

Veut-on voir maintenant quel est le bilan des recettes et des dépenses de la classe ouvrière en Belgique? Écoutons encore M. Ducpétiaux ; voici ce qu'il dit dans son ouvrage : Budgets économîqices des classes ouvrières en Belgique :

En moyenne une famille d'ouvriers se compose de quatre enfants, soit 6 personnes, y compris le père et la mère. Sur ces 6 personnes, 4 peuvent être employées utilement, en supposant qu'il n'y ait ni maladies, ni infirmités. Dans ces circonstances, voici quelles seront les ressources de la famille, en s'élevant au maximum des salaires : Le père 300 jours, à f r. 1 .56 par jour 468 f r.

^a mère » » »» 0.89 »» » 267 »

L'aîné des garçons »» »» •» 0.56 »• »» 168 » L'aînée des filles » » »» 0.55 » » 165 »»

^ Total 1,068 fr.

La dépense annuelle de la famille et son déficit s'élève- raient dans l'hypothèse où l'ouvrier aurait l'alimentation: Du marin de l'État à 1,828 francs, déficit 760 francs. Du soldat, à 1,475 « « 493 « 

Du prisonnier, à 1,1^2 >» » 44 »»

Dans ce ménage-type, nous avons réuni toutes les ressources possibles. Mais en attribuant à la mère de famille un salaire, nous enlevons au ménage sa direction. Qui soignera l'intérieur? Qui veillera aux jeunes enfants? Qui préparera les repas, fera les lavages, les raccom- modages?

Comment la grande majorité des travailleurs, qui n'achète les denrées, ni en gros, ni en demi-gros, comme font les prisons, réussit-elle à vivre ? C'est en recourant à des expédients dont l'ouvrier seul a le secret, en réduisant


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sa ration journalière, en mangeant moins do viande, ou même en la supprimant tout à fait, de même que le beurre et les assaisonnements : en entassant sa famille dans ime ou deux chambres où les garçons et les filles couchent à côté les uns des autres, souvent sur 1© même grabat; en économisant sur l'habillement, le blanchissage, les soins de propreté, en renonçant aux distractions du diman- che, etc. Une fois parvenus à cette extrême limite, la moindre élévation dans le prix des denrées, un chômage, une maladie, augmente la détresse des travailleurs; les dettes s'accumulent, le crédit s'épuise, les vêtements, les meubles les plus indispensables sont engagés au mont-de- piété, et enfin la famille sollicite son inscription sur la liste des indigents.

Ce que le raisonnement nous avait démontré concernant la misère et la progression avec laquelle elle s'accroît, et concernant le manque d'équilibre entre le salaire, et le prix de consommation, se trouve donc parfaitement justifié parles chifîres que nous fournissent les statistiques

ofiîcielles.

Oui, travailleurs, c'est nous qui nourrissons, logeons, chaufibns, habillons, meublons la société ; et c'est parmi nous que l'on rencontre tant d'hommes qui n'ont ni pain, ni gîte, ni vêtement, ni feu, ni éclairage, ni meubles, et comme si ce n'était pas assez de tous ces sacrifices, il nous faut encore livrer aux oisifs notre corps et notre propre sang. Ne leur faut-il pas nos fils pour en faire de la chair à canon et nos filles pour en faire de la chair à vérole? [Clameurs et interrupûzonsy cris de « c'est incon- venant», etc.)

Ne sont-ce pas des fils du peuple, ces jeunes gens que l'on enlève violemment à leur famille, pour en faire les défenseurs de la patrie, de l'indépendance, de la liberté et


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de la propriété? ceux qui n'ont ni patrie, ni indépendante, ni liberté, ni propriété !

Ne sont-ce pas des filles du peuple, ces malheureuseis qui, afin d'avoir de quoi se nourrir ou se vêtir, vendent pour un peu d'or leur jeunesse et leur beauté ? Ne sont-ce pas nos filles ou nos sœurs, ces femmes que la pauvreté pousse à la prostitution et qui procurent au fils du bour- geois les jouissances de l'amour physique?... [Interrup- tions.)

M. Wasseigb. — Cela n'existe pas ici. Nous protestons contre vos allégations odieuses !

Un autre Monsieur. — C'est à Bruxelles que règne la prostitution, elle est inconnue chez les Ardennais !

Le Citoyen Godefroy, de Patignies. -— Cela n'est pas! La prostitution existe ici comme ailleurs, mais elle se cache un peu plus, voilà tout. M. Wasseige le sait bien, allez 1... Et dans nos villes, à Dinant, à Neuf château, etc., ne semontre-t-elle pas ouvertement?

Un autre Ardennais. — Et nos campagnardes qui s'en vont en ville comme servante, n'y deviennent-elles jamais des prostituées?...

M. Wasseige. — Non, non, la prostitution n'existe pas dans les Ardennes!... [Nouvelles clameurs,)

Le Citoyen Steens. — Notre ami De Paepe, en parlant de la prostitution, ne fait pas allusion à ce qui se passe ou ne se passe pas ici; mais il suffit que la prostitution existe quelque part et quelle provienne de la misère, pour qu'il en parle dans sa critique de l'organisation sociale.

Le Citoyen De Paepe. — C'est évident! La misère enfante la prostitution, et si les Ardennes font exception à cette règle, tant mieux ! Mais les filles des ouvriers des villes ne sont-elles pas aussi des filles du peyple, et quand


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la faim les pousse à se vendre n'en sont-elles pas moins vos sœurs? (Nouvelles inter^ncptions et protestations.) Oui, vos sœurs! Ahl les méprise qui voudra, ces pauvres madeleines! quant à moi je les plains, et n'oserais les blâmer. •

Pauvres femmes perdues! Pauvres sœurs! La société qui vous a plongées dans la misère, et de la misère dans rignominie, la société qui trouve que votre existence est nécessaire « pour défendre la pudeur des femmes honnêtes contre la brutalité des hommes », cette même société vous bafoue et vous conspue, tandis qu'elle honore et qu'elle choie ceux dont l'exploitation vous a appauvries et dont Por ensuite vous a perverties !

Pauvres sœurs! Combien je compatis à vos peines intérieures ! car, j'en suis sûr, même au milieu des rires «t des chansons, votre âme saigne en secret, et les tortures qu'endurent vos cœurs ne sont pas moins douloureuses que la syphilis, qui finit toujours par dévorer vos chairs! ... Mais si le monde vous méprise, ô victimes delà misère et de la séduction, c'est à nous, prolétaires qui, comme vous, sommes les souffre-douleurs et les réprouvés <le l'ordre social, c'est à nous à vous réhabihter ! ...

Paupérisme croissant ! Tel est donc le résultat de toute organisation sociale basée sur la propriété.

Paupérisme croissant ! Telle est la conclusion à laquelle nous arrivons après toutes nos recherches sur l'économie actuelle de la société.

Paupérisme croissant! Telle est aussi la parole fatidique que nous fait entendre chaque chiffre dé nos statistiques officielles.

Paupérisme croissant ! Tel est le Thècel-Mané- Phares, qu'un doigt invisible semble graver sur chaque pierre de rédifice social.


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Et le paupérisme no vient pas seul. Semblable à ces dieux infernaux du paganisme qui traînaient, attachés à leur char, toute une suite d'êtres monstrueux et horribles, il traîne derrière lui tout un hideux cortège de maux et de calamités. J'ai parlé de la prostitution, mais la misère amène tous les vices et tous les crimes, la mendicité, la corruption, l'abrutissement, Tavortement, l'abandon des enfants, l'infanticide, le suicide, 1® meurtre, les maladies, rétlolement, la diminution de la taille, en un mot la dégé- nération de l'espèce humaine. N'avez- vous jamais vu de ces tableaux représentant un damné qui, les yeux fermés et les bras étendus, s'enfonce, s'enfonça toujours davan- tage dans le gouffre du mal? Eh bien, c'est limage de la société, qui s'affaisse de misère en misère, va de mal en pire et tombe d'abîme en abîme.

De sorte que la société, si elle n'est arrêtée par uce puis- sance qui la constitue sur des bases nouvelles, marche vers une dissolution lente, mais certaine. Tel est le dilemme inévitable qui se pose devant la société : se transformer ou se dissoudre ; c'est-à-dire, pour l'organisation sociale actuelle, la mort ou la mort.

IV. — Religion

Nous avons examiné la société actuelle dans ses diffé- rentes manifestations politiques et économiques, et nous avons condamné, en elle, et le gouvernement, pivot de son organisation politique, et la propriété, base de son orga- nisation écoLomique. Ces deux institutions fondamen- tales enfantent nécessairement l'oppression et la misère, par conséquent anéantissent la liberté et l'égalité, sont destructrices du droit et du devoir, incompatibles avec la justice; par conséquent encore, antinaturelles et anti- sociales, contraires aux destinées de l'homme individuel comme à celles de l'être collectif, l'humanité. Il est


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cependant une institution à laquelle nous n'avons encore touché qu'en passant : c'est la religion. Nous verrons que la religion, pas plus que le pouvoir et la propriété, n'a de base solide.

Nous condamnons la religion (la religion, entendez-vous, quelle qu'elle soit, tout culte extérieur ou intérieur rendu à un être suprême, et non pas seulement i^lle ou telle religion particulière); nous la condamnons, non pas à cause des immoralités et des crimes de ses ministres, non pas à cause du mal qu'elle a causé à l'humanité, non pas parce qu'elle fut de tout temps un instrument entre les mains de tous ceux qui oppriment le peuple de par le pouvoir ou de par la propriété ; mais parce que ses dogmes sont en désaccord avec les axiomes les plus simples de la raison, comme avec les découvertes de la science positive, de la science basée sur l'observation ; en un mot, parce qu'elle est contraire à la vérité, qu'elle aussi n'est qu'une des faces de la justice.

Je n'ai pas l'intention de peser dans là balance de la raison tous les dogmes qui composent le fond de magasin de toutes les boutiques religieuses, ce serait un peu long. Je me contenterai de vous prouver à la hâte, par le raison- nement et par les données de la science, l'inanité du dogme fondamental de toute religion : l'existence de Dieu. Quand on sape un édifice par la base il faut bien qu'il s'écroule.

Nous ne pouvons connaître l'existence d'un être que par la connaissance des qualités qui le constituent de même que nous ne pouvons connaître l'existence d'un corps que par ses propriétés, l'étendue, l'impénétrabilité, la divisi- bilité, la pesanteur, etc. Pour être assuré de l'existence de Dieu, il faut donc que l'on sache quels sont ses qualités, ses propriétés, ses attributs. On me répond que les attri- buts de Dieu sont connus, qu'on les a même divisés en onétaphysîques et moraux; que les attributs métaphy- siques de Dieu sont : d'être immuable, d'être infini, d'être


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créateur ; et que ses attributs moraux sont : Tinflaie bonté, rinfinie justice, l'infinie sagesse, la toute-puissance, attri- buts que Ton peut résumer en un seul : l'infinie perfection* Mais ces attributs : tant métaphysiques que moraux, s'excluent les uns des autres. Exemples :

Si Dieu est créateur, s'il a tiré la matière du néant, il y a donc eu un temps où la matière n'existait pas, un temps où Dieu n'était pas encore créateur ; par le fait même de la création. Dieu a acquis un attribut qu'il n'avait pas d'abord, il a donc changé, il ne peut donc pas être immuable.

Si Dieu est le créateur de la matière, celle-ci n'est pas Dieu : il est donc autre chose qui n'est pas Dieu, qui est distinct de Dieu, qui existe à côté de Dieu et par conséquent le limite; or, tout ce qui est lûnité esx fini;; Dieu ne peut donc être infini.

Si Dieu est infinhuent bon, il ne peut être infiniment juste, car la justice stricte et rigoureuse est inconciliable avec la bonté, c'est-à-dire avec la clémence, le pardon des offenses, etc.; ou bien, s'il est infiniment juste il ne peut être infiniment bon.

^ïT>\e\xç^%Xtout-j[mîssant, Une peut être ni infiniment bon, ni infiniment juste, ni infiniment sage. En effet, la toute puissance consiste à pouvoir faire absolument tout ce qui est faisable; or, le mal est chose faisable; donc si Dieu est tout-puissant, il peut faire le mal, ce qui est incon- ciliable avec l'idée de l'infinie bonté, de l'infinie justice et de l'infinie sagesse.

Mais admettons pour un moment ces attributs de la divinité. Si Dieu est infiniment bon et juste, il ne peut vouloir que le bien et la justice, et s'il est infiniment puis- sant, il peut faire ea sorte que son vouloir s'accomplisse pleinement. Or, le mal existe sur la terre, le mal physique et le mal moral; c'est là une vérité de fait. C'est donc que


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Dieu n'est pas infiniment bon et juste, ou bien qu'il n'est pas tout-puissant. S'il n'est pas infiniment juste et bon, il n'est plus Dieu, c'est-à-dire l'être infiniment parfait ; ou bien s'il n'est pas tout-puissant, encore une fois il n'est plus Dieu.

Si l'on enlève à Dieu l'un de ses attributs : l'infinie justice, la toute-puissance, etc., il cesse d'être l'être infi- niment parfait, c'ost-à-dire qu'il cesse d'être Dieu; et cependant ces attributs sont contradictoires, et par con- séquent ils ne peuvent exister en même temps chez le même être. D'où je conclus que Dieu n'existe pas, puisque son existence n'est possible qu'à la condition qu'elle soit impossible.

D'ailleurs les sciences naturelles nous enseignent que la matière, sous l'influence de certaines forces, telles que le calorique, l'électricité, le magnétisme, etc., se transforme perpétuellement, sans qu'il soit possible d'en détruire la moindre parcelle ou de voir s'y ajouter la moindre parcelle nouvelle. La balance à la main, le chimiste peut suivre cette transformation, peser les corps avant et après leur métamorphose et toujours il trouve, après la combinaison de certains corps avec d'autres corps, le total des poids de chacun des corps qui se sont combinés. Il est impossible de créer de rien le moindre atome, comme il est impossible de réduire le moindre atome au néant : voilà ce que nous dit la science positive, la science étayée sur l'empirisme, la science basée sur l'expérience.

La mort à tous les degrés de l'échelle des êtres, n'est autre chose qu'une décomposition chimique et une nouvelle combinaison des molécules constitutives des corps; la mort c'est la transformation ; quant au néant, aux yeux du cosmologiste, comme aux yeux du physiologiste et du chimiste, c'est un non-sens.


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V


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Si le néant est impossible, la matière est donc incréée et indestructible, elle est éternelle. Mais si la matière est éternelle, elle existe donc par elle-même, elle est donc indépendante de Dieu, elle se gouverne par ses lois propres, et alors, comme dit le jésuite Feller, un grain de sable suffit pour faire échouer la toute-puissance de Dieu. Dieu ne peut exister que comme être infini, infini dans sa volonté et dans sa puissance ; or, la matière est indépen- dante de Dieu; donc Dieu n'est pas infiniment puissant, donc il n'est pas infini, donc il n'existe pas.

Frappé des contradictions inhérentes à l'idée de Dieu, Luther, le père du protestantisme, s'est écrié uq jour « Dieu n'est qu'une table rase, sur laquelle on ne trouve, rien de plus que ce qu'on y a mis soi-même ! »

Pourquoi donc nous incliner encore devant des idoles, œuvres de nos mains, ou devant des dieux, fruits de notre imagination? Pourquoi nous prosterner devant des divi- nités que nous créons à notre image? Homme, tu cherches en vain dans l'immensité un être qui te surpasse par l'intelligence et la volonté; arme-toi du télescope pour mieux sonder l'espace, et tu ne découvriras dans les cieux que les astres accomplissant fatalement leur révolution autour de leur soleil, en vertu des lois immuables qui régissent la matière.

Pour trouver quelque chose de divin, regarde ce qui se passe autour de toi, contemple les merveilles du travail et les miracles de la science, et cette divinité que tu cherches en vain au dessus de toi et par delà des mondes, tu la trouveras, comme Senèque, dans ton propre sein; adore- la dans ton semblable, respecte-la dans toi-même, car Dieu c'est toi!...

M. Wasseige. — Mais c'est horrible ce que vous dites! c'est excôcrable 1

M. SovET. — C'est de l'athéisme doublé de panthéisme ! [Grand tumulte, on crie au Uasphème et à l'impiété)^


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Le Citoyen De Paepe. — Messieurs, ne laites pas semblant de ne pas me comprendre. Ce que je dis, c'est bien de l'athéisme pur, et non pas du panthéisme. Quand je dis que la divinité c'est l'homme, je veux dire tout simplement que Dieu c'est l'homme idéalisé. Les uns donnent à la divinité une tête, des bras, des jambes, un corps enfin semblable à celui de l'homme ; qu'est-ce que cela, s'il vous plaît, sî ce n'est de l'anthropomorphisme? Et si d'autres, en disant que Dieu n'a pas de corps, qu'il est un pur esprit, se contentent de lui donner les qualités morales de l'homme, n'est-ce pas encore de l'antropo- morphisme? En adorant la divinité c'est toujours lui-même que i'homme adore.

M. Jacques Piot (le Samson). — Nous voulons vivre et

mourrir dans la foi de nos pères... Laissez-noustranquilles,

nous n'avons pas besoin de vos sermons... Nous voulons

conserver notre Dieu et notre foi, etc. [Nouveau tumulte

dans rassemblée \ le président s'efforce en vain

d'obtenir le silence et surtout de faire taire leSamsan^

ce deomier continue ses vociférations ; quelques voix

CiHent : A la porte ! à la porte l'ivrogne! et le terrible

Samson, empoigné par deux paysans, est porté hors

de la salle comme un tout petit garçon,)

« 

  • *

Le Citoyen De Paepe. — Citoyens, permettez-moi de conclure; je vais tâcher d'être plus bref que je ne l'ai été jusqu'ici. Il est temps d'ailleurs que je laisse la parole à d'autres.

La croyance en un être suprême est donc contraire à la raison et à la science. La religion, qui n*est autre chose que le culte de la divinité ou l'hommage rendu à la divinité (l'étymologie, qui n'est pas religare, mais relligio, vieux mot latin qui signifie courbette ou génuflexion, l'indique suffisamment), la religion, dis-je, de même que le gouver-


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nement et la propriété, est une de ces grandes aberrations de l'esprit qui ont nécessairement marqué l'enfance de l'humanité, mais qui, chez les peuples à l'âge mur, doivent disparaître devant les lumières de la science et la conception de l'idée de justice. Vouloir, avec Montalem- bert, concilier la religion, c'est-à-dire l'absurde, avec la démocratie, c'est-à-dire avec la réalisation du vrai et du juste dans l'ordre social, c'est tout bonnement vouloir prendre la lune avec les dents. On ne marie pas ce qui s'exclut.

Encore un mot sur la religion :

L'idée métaphysique de la divinité peut être inofifensive aussi longtemps qu'elle ne reste qu'à l'état de notioa philo- ^sophique dans les livres des théosophes; mais lorsque cette idée entre dans la pratique sociale, elle tend nécessairement à se réaliser physiquement, à s'eotourer de symboles et de signes extérieurs, à se faire des prêtres et enfin à aboutir à la plus dégradante superstition. Toutes les théologies et toutes les mythologies, tous les cultes et toutes les églises n'ont pas d'autre origine. Lisez les évangiles et les actes des apôtres : le chrisiianisŒie primitif était- il autre chose qu'un monothéisme sans prêtres ni sacrificateurs, sans temples ni rites, sans cérémonies, sans dogmes mêmes?

Parcourez ensuite l'histoire ecclésiastique, et vous verrez comment de conséquences en conséquences, cette religion si simple aboutit, graduellement et lentement, il est vrai, mais aussi fatalement, au culte des images, des amulettes et du saint scapulaire, en un mot à X abêtisse- ment comme aurait dit Pascal. (Murmures.)

Toute religion, quelque pure qu'elle soit à l'origine, doit, si elle a la chance de durer, se constituer en une église ayant à sa tête une caste parasite, ambitieuse et avide de richesses autant qu'oisive et improductive : lu caste sacerdotale. De toutes les religions existantes en Europe,


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le catholicisme romain est à mes yeux la plus vraie et la plus parfaite, parce qu'elle est la plus logique; c'est un hommage qu'il faut lui rendre. (Marques d'approbation. )

V. — Conclusions g^énérales

Pour que le travailleur jouisse enfin des fruits de son labeur, il faut que tous les parasites soient supprimés et rentrent dans les rangs des producteurs ; depuis le roi jusqu'au prêtre, depuis le grand propriétaire jusqu'au plus humble boutiquier. Aiûsi le veut la justice. Sans cette supposition, point d'égal échange, point de réciprocité dans les services, point d'équilibre entre la production et la consommation, point de bien-être dans le travail, point d'égalité entre les personnes, point de liberté réelle, point de véritable démocratie! Parasitisu^e gouvernemental, parasitisme propriétariste, parasitisme religieux, assez longtemps vous vous êtes engraissés de la sueur du peuple, assez longtemps vous avez bu ses larmes et son sang. Place au travail productif ! c'est lui et lui seul, qui va désormais régir la société. Comme dans la république des abeilles, on ne veut pas de frelons dans la république du peuple ! Rappelons-nous le mot de Rousseau : « Riche ou pauvre, puissant ou faible, touthomnàe oisif est un fripon. »> (Bravos.)

Mais comment en arriver à tarir toutes les sources du parasitisme? Redoutable problème qu'il me faut pourtant aborder avant de finir, car il ne suffit pas d'avoir indiqué le mal, il faut aussi trouver le remède. Permettez-moi de donner à la hâte les solutions que je crois pratiques, sans discuter à fond leur valeur et surtout sans entrer dans des détails qui me mèneraient trop loin.

Pour ce qui est de la religion, la question n'est pas difficile dans les pays où existe la liberté de conscience. Là, pour détruire le parasitisme religieux, il n'y a qu'à se

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passer de la religion, et pour amener les hommes à se passer de la religion il faut éclairer les intelligences et vulgariser les enseignements de la science. En Belgique, nos sociétés de rationalistes, Les Affranchis, Les Soli- daires, Les Libres Penseurs, sont en train de déchris- tianiser le peuple, et elles accomplissent à merveille cette rude besogne dont plus d'un démocrate embourbé dans la religiosité ne comprend pas la grandeur, mais dont l'avenir leur saura gré. Il est vrai qu'il reste le budget des cultes, mais ce n'est pas ce budget qui fournit au clergé de si immenses richesses; et d'ailleurs ce budget ne peut tarder longtemps d'être supprimé là où il existe encore : on comprend généralement, des catholiques eux-mêmes en conviennent, qu'il est inique d'obliger le libre penseur ou même l'indifierent à pourvoir à l'entretien de cultes et de prêtres dont il n'a nul besoin; qu'il n'y a d'impôt juste que celui qui rend en services aux citoyens ce qu'il a coûté, et que l'impôt pour les cultes ne rend aucun service aîi contribuable libre penseur.

Pour la destruction de l'autorité gouvernementale et du parasitisme bureaucratique et budgétivore, c'est une autre affaire. Partout, qu'il soit absolu ou constitutionnel, monarchique ou oligarchique, partout le gouvernement s'appuie plus ou moins sur la force des baïonnettes; à la force on ne peut opposer que la force, contre le canon il n'y a que la barricade. Il faudra bien subir le gouver- nement, jusqu'à ce que nous en soyons débarrassés par une de ces commotions qui de temps à autre soulèvent les peuples et qu'on appelle révolutions violentes. Ici se présente une question : Les gouvernements actuels renversés, passerons- nous successivement par les diverses phases de la république présidentielle, du gouvernement par l'assemblée et du gouvernement direct? On ne peut le prévoir ; mais il est plus que probable que le coup d'Etat de 1852 aura éclairé les peuples sur les dangers de la


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présidence. Espérons même que Ton ne s'arrêtera pas au gouvernement par l'assemblée, gouvernement de centra- lisation, et que Ton adoptera immédiatement le gouver- nement direct, préparatoire à l'anarchie. En attendant, voici, me semble-t-il, la conduite à suivre vis-à-vis du pouvoir par tous les hommes de l'avenir : Il faut s'efforcer d'ôter à l'Etat le plus possible de ses attributions, réveiller l'esprit communal et l'esprit d'association, user de l'ini- tiative individuelle, refuser les subsides et les décorations de gouvernement, se passer de lui, et puis le laisser croupir dans son isolement. Cette politique vis-à-vis du pouvoir se résume en un mot : l'abstention.

Quant à la solution du problème de la propriété, elle se présente aujourd'hui sous des aspects multiples. Pour plus de facilité, distinguons entre la propriété immobilière et la propriété mobilière.

Dans la question de la propriété foncière de quoi s'agit- 11? D'abolir la rente de la terre, le fermage. Pour arriver graduellement à ce résultat voici une solution assez géné- ralement admise par les socialistes : les communes trai- teraient de gré à gré avec les propriétaires du sol pour le rachat des rentes et le remboursement des propriétés. La commune pourvoirait à l'installation des cultivateurs et à la délimitation des possessions en ayant soin de compenser l'étendue' superficiaire avec la quahté du fond et d'établir une proportion entre la redevance due à la commune et le produit. La redevance, payée ci-devant au propriétaire se payerait à la commune pour mettre celle- ci à même de continuer le rachat de la terre ; mais à mesure que la propriété territoriale mdividuelle irait en diminuant, cette redevance diminuerait proportionnel- lement, jusqu'à ce que toutes deux arrivent à zéro ; du jour où ce but est atteint, plus de propriétaires ni de fermiers, plus de vente de la terre, partant plus de propriété territoriale; il n'y a plus que des simples


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possesseurs du sol, vivant de leur travail et ne prélevant aucun tribut sur le travail d'autrui.

Colins et De Potter, pour effectuer le transfert de la terre à la commune, avaient un autre plan. Voici les mesures dont ils proposaient Fadoption :

Entrée à la propriété collective de toute succession aô intestat sans héritiers directs ;

Établissement d'un impôt de... p. c. sur toutes les successions par testament;

Inaliénabilité du sol une fois entré dans la communauté.

D'autres vont bien plus loin : ils demandent qu'à la Bftort du propriétaire actuel tous ses biens fonds retournent à la commune, moyennant indemnisation envers les héritiers directs seulement.

Quoi qu'il en soit, n'oublions pas que le transfert du sol à la commune, ne doit être que le moyen et non le but. Il s'agit d'abolir toute redevance payée par le cultivateur pour l'occupation de la terre, et non pas de remplacer le fermage payé au propriétaire par une vente perpétuelle payée à la commune, ce qui ne ferait que simplifier le problème sans pourtant le résoudre.

Ici quelques observations ne me semblent pas mal placées. Notons d'abord que tout ce que je viens de dire concernant la propriété du sol peut s'appliquer à la pro- priété des maisons, des bâtiments, en général de tous les immeubles.

Notons aussi que dans cette lente transformation que nous supposons ici, la phase (transitoire en économie sociale) du rachat des rentes par la commune, correspond assez naturellement à la phase (transitoire en politique) du gouvernementdirectavecladécentralisationetl'autonomie communale ; tandis que la phase définitive de l'abolition de


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toute rente de la terre et de toute propriété, a pour pendant, dans le domain© politique, la phase définitive de Tabolition intégrale de tout gouvernement, la phase de pleine anarchie.

Enfin, j'ajoute que si Ton tarde trop longtemps à com- mencer cette transformation de la propriété immobilière, il arrivera des circonstances où Ton sera forcé de procéder avec violence, et sans liquidation préalable, à cette expro- priation que Ton aura pas voulu opérer graduellement et pacifiquement en tenant compte des droits acquis. Ceci n'est pas une vaine menace : ce n'est que la constatation d'un fait qui rentre dans la catégorie des événements non seulement probables, mais nécessaires.

Abordons la question de la propriété mobilière, A son tour elle se présente sous plusieurs aspects : contentons- nous ici de distinguer la "^vo^viéiéindusMelle et la pro- priété intermédiaire. Tune correspondant à l'exploitation industrielle, l'autre à l'exploitation commerciale.

Pour la propriété industrielle, de quoi s'agit-il? Il s'agit dé faire en sorte que le travailleur, le producteur, ne soit plus obligé de payer, sous forme d'intérêts, de loyer des outils, de profit du patron sur le travail, etc., un tribut aux propriétaires des instruments de travail ; qu'il ne soit plus astreint à partager le produit de son travail avec le capitaliste ou à livrer entièrement ce produit au capitaliste en échange d'un salaire représentant une valeur moindre que la valeur du produit. (La valeur réelle d'un produit se détermine par la somme des frais que la production a coûtés.) Comment cela est-il réalisable? Par le crédit gratuit et mutuel. Comment e3t-il réalisable? Par la création d'une banque du peuple, dont les producteurs en général seraient à la tois les capitalistes et les clients; comme dans cette banque populaire l'intérêt, au lieu d'être empoché par des parasites, appartiendrait au public même


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qui en serait le client, il est facile de prévoir que peu à peu cet intérêt descendrait de 5 ou 4 p. c. à 3 p. c, à 2 1/2 p. c, à 2 p. c, à 1 1/2 p. c, à 1 p. c, à 1/2 p. c, à 1/4 p. c, en un mot au taux le plus bas, c'est-à-dire au chiffre rigou- reusement nécessaire pour couvrir les frais d'admi- nistration ; ce qui n'est pas du tout contraire à la gratuité du crédit, vu que cela se constitue pas un intérêt à propre- ment parler, c'est la rémunération d'un travail, c'est conforme au principe de la réciprocité des services.

Mais à part l'organisation, certainement très compliquée de la banque du peuple, il est une application partielle et spéciale du crédit mutuel qui peut être immédiatement miseen pratique : c'estl'association des producteurs pour la production en commun, sans capitalistes et sans patrons, où les travailleurs sont à eux-mêmes leurs capitalistes et leurs msdtres.

Pour la propriété intermédiaire, de quoi s'agit-il ? Il s'agit de faire en sorte que le travailleur, considéré cette fois comme consommateur, ne soit plus obligé de payer, sous forme de bénéfices et de gai as du commerce, un tribut aux intermédiaires commerciaux; il s'agit de suppri- mer Taubaine prélevée sur le consommateur par les agents parasites du négoce, d'aboLr ce qu'on a si bien appelé l'impôt mercantile.

Comment cela est-il possible? En mettant le consom- mateur en rapport direct avec le producteur. Or, en attendant que les diverses associations industrielles s'entendent pour l'échange de leurs produits respectifs, un mode actuellement applicable de cette mise en rapport direct du consommateur avec le producteur, c'est l'asso- ciation des consommateurs pour l'achat en gros des objets de consommation, sans intermédiaires de commerçants, où les consommateurs sont à eux-mêmes leurs commerçants.

Enfin une troisième forme d'association, plus parfaite, est celle que pourraient former les travailleurs de toutes

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professions, considérés à la fois comme producteurs et consommateurs échangeant réciproquement et sans inter- médiaires le fruit de leur travail sur la base de l'équiva- lence des produits, c'est-à-dire en s'appuyant sur le principe de justice, prinpipe fondamental de la nouvelle économie sociale: que deux produits différents doivent être échangés selon leur valeur respective, c'est-à-dire selon les frais que chaque produit a coûtés, savoir :

1*» Frais de matière première et d'outillage ;

2*» Frais de la consommation du producteur. Cette dernière forme d'association, en se généralisant, fournirait évidemment une solution complète de la question de la propriété mobilière.

Qu'on ne dise pas que l'association est impossible. Elle existe en Allemagne, en Suisse, en France, en Angleterre, d'une manière plus ou moins imparfaite, il est vrai, mais enfin elle existe. Elle existe pour le crédit mutuel, pour l'achat des objets de consommation sans intermédiaires, pour la boulangerie et la préparation des aliments, pour l'achat des matières premières, pour l'usage commun ou alternatif des moteurs mécaniques, des machines et de tous les grands instruments de travail, pour la production, puis pour l'échange véridique, direct et réciproque des produits ; elle revêt cent formes diverses. En Angleterre, il y a plus de 400 sociétés coopératives de tous genres; en Allemagne, il y en a plus de 1,000. L'association impossible! Mais les économistes qui comme Wolowski, Passy et tant d'autres, se montraient en 48 les adversaires achar- nés des associations ouvrières, en sont réduits à se rétracter devant la brutalité de cet argument qu'on appelle le fait accompli. Tous aujourd'hui, bien qu'ils continuent à se poser en défenseurs de la propriété, ils conseillent et prônent l'association entre les producteurs ; ne compren- nent-ils pas qu'établir l'association entre les producteurs, c'est supprimer le parasitisme industriel et commercial


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c'est dégrever le travail des intérêts et des bénéfices prélevés par les capitalistes, c'est annihiler le droit d'aubaine du propriétaire sur les produits du travail, c'est porter atteinte à la propriété, c'est préparer le nivellement des conditions, c'est miner V ordre social?... Economistes, vous ne vous en doutez guère, mais vous êtes de terribles révolutionnaires et d'impitoyables niveleurs.

Et qu'on ne s'imagine pas que l'association n'est utile et possible que pour l'industrie et le commerce. L'agriculture aussi la réclame. On a parlé longuement de la répugnance invincible du paysan pour l'association ; à ce propos, plus d'un socialiste (Proudhon entre autres), ont fait chorus avec les adeptes de la vieille économie politique. Je ne nie pas cette répugnance, mais est-elle invincible? est-elle innée dans l'âme du paysan? n'est-elle pas plutôt l'effet de l'igno- rance et de l'esprit de routine? Allez, du jour où le paysan comprendra qu'il y va de son intérêt, il s'associera tout aussi bien que les prolétaires de l'industrie. Pourquoi, afin de débuter par les choses les plus simples, les petits culti- vateurs ne pourraient-ils pas s'associer pour la garde des bestiaux, pour n'avoir qu'un seul grand troupeau sous la conduite d'un pasteur capable, au salaire duquel chacun contribuerait en proportion des bêtes qu'il donnerait à à garder, au lieu d'employer une cinquantaine ou une centaine de gardiens isolés? Cette idée n'est pas neuve, ellese pratique depuis un temps inamémorial dans plusieurs départements de la France.

Ne pourraient-ils s'associer ensuite pour l'achat et l'entretien de forts attelages de bœufs ou de chevaux, de charrues à la vapeur et de toutes espèces d'instruments aratoires perfectionnés dont ils se serviraient tour à tour? Et ainsi, peu à peu, l'association agricole ne pourrait-elle pas s'élever aux différentes parties de la culture?

Allons plus loin. Pourquoi l'agriculture, dans l'avenir, ne pourrait-elle se marier à l'industrie? Pourquoi ces


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deux grandes branches de la production resteraient-elles isolées? Pourquoi les associations de travailleurs agricoles ne pourraient-elles pas en même temps devenir des associations industrielles et vice-versa, pourquoi les associations industrielles ne pourraient-elles pas prendre part aux travaux agricoles? En temps de pluie ou de gelée, les travailleurs laisseraient la campagne pour se réfugier dans les ateliers. Si, au contraire, le travail agricole demandait subitement une multitude de bras (comme cela a lieu lorsque à rapproche de Torage, les blés ou les foins demandent à être rentrés au plus vite dans la grange), les travailleurs quitteraient la navette et le rabot pour voler aux champs et sauver la récolte. En un mot, en temps de chômage industriel, l'association entière se vouerait aux travaux agricoles; en temps de chômage agricole, elle vaquerait aux travaux industriels ; en temps ordinaire, le travail agricole et le travail industriel seraient partagés alternativement par tous les associés.

Par cette alternance entre l'industrie et l'agriculture, entre l'atelier et la campagne, il serait enfin donné une certaine satisfaction à ce besoin de variété inné chez l'homme, à cette passiou du changement qu'on appelle au phalanstère la papillonne, parce que par elle, l'homme est poussé à changer de temps en temps d'occupation, comme le papillon à voltiger de fleur en fleur.

Et en même temps, l'émulation qui s'établirait entre les travailleurs satisferait à cette passion de mieux faire que le voisin, passion qu'on a baptisée du nom de cciba- to^e ; tandis que l'entraînement mutuel que produit natu- rellement un grand nombre d'hommes réunis, donnerait naissance à cette ardeur au travail, à ce saint enthou- siasme que les phalanstériens appellent la composite.

Ainsi se trouverait réalisé, du moins dans une certaine mesure, le travail par V attrait y le rêve de Charles Four- rier, encore un de ces fous sublimes que chanta Béranger.


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De ces diflféreDtes solutions partielles du problème social, du problème de la propriété la plus immédiatement réali- sable dans la pratique, c'est sans contredit Tassociation dans le double domaine de la production et de la consom- mation.

Les ouvriers l'ont bien compris ; c'est par là qu'ils com- mencent la réorganisation sociale. Si la suppression de tout droit d'aubaine du capital sur le travail, depuis le bénéflce du patron jusqu'à la vente de la terre, est le couronnement de la réforme économique, convenons que l'association des producteurs entre eux est le premier pas fait dans cette voie nouvelle ; un premier pas, rien de plus, mais aussi rien de moins. L'association, telle est l'arme au moyen de laquelle le prolétaire fait aujourd'hui la première brèche dans la vieille forteressedu propriétarisme. L'asso- ciation, c'est comme le fil d'Ariane qui, au milieu du labyrinthe de la société actuelle, doit ramener le prolétaire, nouveau Thésée, à la lumière d'une société meilleure. Ne laisse point échapper, à Thésée, ce fil libérateur que ta main a saisi et qui va t'empècher de devenir la proie du paupérisme, de ce minotaure, qui se nourrit du sang et de la chair des enfants du peuple ! ...

Donc, prolétaires, il y a trois choses à détruire : Dieu, le pouvoir et la propriété ; il y a une chose à établir : la justice. Comme les premiers apôtres du christianisme, simples pêcheurs de la Judée, parcouraient les nations en criant au peuple : « Voici l'évangile, voici la bonne nouvelle de votre délivrance du triple joug de Satan, du monde et de la chair I charité, fraternité! » nous aussi, simples ouvriers des champs ou des ateliers, nous crions à ceux qui travaillent et qui souffrent : ««Voici l'évangile nouveau, voici la bonne nouvelle de votre délivrance du triple joug de la religion, du gouvernement et du capital ! liberté, égalité! »> Ils apportaient la loi d'amour; nous préférons la loi de justice. Entre l'amour et la justice, il n'y


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a rien de commun. Ils avaient reçu leur loi d'en haut, ils la tenaient de Dieu, disaient-ils; nous avons trouvé la nôtre dans la conscience même de Thomme.

L'évangile du christianisme a partout bien remué le monde. Mais qu'a-t-il fait en définitive pour améliorer la condition sociale du peuple? On nous dit qu'il a aboli l'esclavage! comme si les serfs du moyen âge et nos' modernes prolétaires étaient autre chose que des esclaves ! comme s'il n'y avait pas une profonde vérité dans ce refrain d'une chanson populaire : « La pauvreté c'est Vesclavage! »

L'évangile chrétien disait aux hommes: «Vous êtes tous frères, car vous êtes tous fils du même père. Aimez-vous les uns les autres ». Il disait encore : « Il est aussi impossible à un riche d'entrer dans le royaume des cieux qu'à un câble (la Vulgate dit camelics, un chameau!) de passer par le trou d'une aiguille. Et en même temps, il est venu légitimer le pouvoir des rois et les usurpations des riches et des puissants de la terre, prêcher la soumission à César et la résignation dans la pauvreté, bénir le dieu-gouver- nement et le dieu-capital. N'est-ce pas toujours au nom du Christ, que des prêtres de toutes sectes, et tous les hommes de superstition et d'obscurantisme bêtifient encore aujourd'hui des millions d'hommes? Non, l'évangile du christianisme n'est point le salut! {Interruptions, désap- probations.)

Oh! Je sais bien que la plupart des socialistes de 48, regardaient le socialisme et le christianisme évangélique comme deux choses identiques, qu'à leurs yeux l'idée socialiste n'était que la fille de l'idée chrétienne, et la science sociale un corollaire du Nouveau-Testament. Heu- reusement, ce socialisme mystique, religieux ou fraterni- taire de Lamennais, de Bûchez, de Pierre Leroux, perd du terrain parmi les travailleurs pour faire place au socialisme positif, scientifique et égaUtaire de Proudhon.


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Je sais bion aussi que des catholiques, prétendus démo- crates ou soi-disant socialistes, soutiennent encore aujourd'hui le parfait accord qui, selon eux, existe entre ridée évangélique et Fidée démocratique, entre le chris- tianisme et le socialisme.

C'est bien peu connaître Tesprit du christianisme et l'esprit du socialisme moderne.

Qu'enseigne le christianisme ? Il enseigne le renoncement aux biens de la terre en vue des biens du ciel; il fait pré- dominer Fincertain sur le certain, Tespérance sur le fait; il enseigne qu'il faut sacrifier la matière à l'esprit, châtier la chair et imposer silence à la voix des passions les plus naturelles et les plus légitimes.

Et qu'enseigne le socialisme? Il enseigne l'usage des biens de la terre, et leur répartition équitable, juste, égale pour tous; il fait prédominer le certain sur l'incertain, le palpa- ble et le réel sur le fitif et l'imaginaire ; il ne sacrifie pas la matière à l'esprit, ni l'esprit à la matière ; il veut pour tout homme, le développement complet des facultés morales et intellectuelles comme la satisfaction pleine et entière des besoins matériels.

Qu'est- ce qui poussa les premiers chrétiens vers la com- munauté? Le désir de réaliser le vœu de Jésus : la pau- vreté volontaire. Les richtis se dépouillaient de leurs biens, moins pour en faire jouir les autres, que pour se débar- rasser d'un fardeau qui pouvait devenir un obstacle au salut éternel.

Et qu'est-ce qui pousse aujourd'hui les travailleurs vers la mutuaUté, l'association et la réciprocité? Le désir d'arriver à l'aisance et au bien-être en réunissant leurs forces pour supprimer le parasitisme, éviter le double emploi et la déperdition des produits, créer la somme la plus considérable de richesses, répartir équitablement ces richesses entre tous les producteurs, accroître enfin la consommation et la somme des jouissances.


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On nous objecte que la communauté chrétienne réalisait l'égalité dos personnes et des conditions, ce but que pour- suit aujourd'hui le socialisme. Nous répondons : non, la communauté chrétienne n'a Jamais réalisé l'égalité des personnes car cette communauté était hiérarchique : où il y a hiérarchie, il y a des supérieurs et des inférieurs, il n'y a plus d'égaux.

Pour ce qui est des conditions, la seule égalité que pou- vait réaliser la communauté chrétienne, c'est l'égalité dans la misère : et nous voulons, nous socialistes, l'égalité dans la richesse.

Enfin, pour tout dire, le christianisme a pris naissance en haine des richesses et des biens terrestres. Quoi qu'en pensent beaucoup de socialistes et beaucoup de chrétiens, il n'y aucun lien de parenté entre l'idée chrétienne et l'idée socialiste, entre la fraternité évangélique et la justice éga- litaire, entre la charité et la réciprocité des services, entre la communauté religieuse et l'association industrielle, entre la prière et le travail, entre la théologie et la science de l'économie sociale, entre l'église et la révolution.

Prêtres astucieux, vous nous donnez votre doctrine comme devant conduire l'humanité vers le bonheur; et toutes les souffrances sont nôtres, tandis que vous vous engraissez saintement dans l'intérieur de vos cloîtres et de vos presbytères comme ce rat ermite dont parle La Fontaine. Vous nous bercez par la promesse trompeuse d'une béatitude éternelle dans un autre monde que nous n'avons jamais connu et que vous ne connaissez pas vous- mêmes; et en attendant nous souffrons l'enfer dans celui-ci. Assez de mensonges et de jongleries! Un tiens vaut mieux que deux tu V auras. Ce que nous voulons, noiis, c'est le paradis sur terre !...


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