Libertad, Albert - À la conquête du bonheur

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Titre: À la conquête du bonheur


Auteur·e: Libertad Albert

Date: 1906

Sujet: bonheur

Source: Consulté le 21 décembre 2016 de fr.wikisource.org

Notes: Paru le 25 octobre 1906.


Albert Libertad

À la conquête du bonheur


Tous les hommes, en quelque coin de la terre où ils sont nés, sous quelque température, de quelque religion on les ait marqués à leur venue, tous les hommes courent après le bonheur, veulent par tous les pores conquérir le bonheur.

Pour ce faire, ils prennent des routes, des chemins bien différents, mais tous tendent vers le même but, vers le même point et souvent après avoir erré loin l’un de l’autre finissent-ils par se retrouver les mains et l’esprit tendus par les même désirs. A la conquête du bonheur.

C’est en vue d’elle que les pères et mères nous préparent, nous fortifient, dès le jeune âge. Que de moyens, que de méthodes, que de systèmes ! Et le bonheur s’enfuit loin des hommes, toujours insaisissable, toujours fugace. On croit le tenir et ce n’est qu’une ombre qu’on serre dans ses bras.

C’est à la conquête du bonheur qu’allait le missionnaire traversant les mers pour trouver le martyre afin de gagner plus sûrement une part de paradis, une part de bonheur. Les chemins sont contraires, mais la fille chaste, qui macère sa chair sur l’étroite couchette de la cellule, veut conquérir le bonheur pareillement à la fille lascive à la recherche constante d’étreintes érotiques, qui ne la satisfont jamais.

Le commerçant placide qui débite avec les même gestes et les même mots, toute sa vie, la même marchandise, et l’anarchiste rêveur qu’il regarde comme un fou, n’en vont pas moins à la conquête du bonheur, quoique sur un mode bien différent. Disons-le vite, ni les uns ni les autres ne l’atteignent, ou plutôt ni les uns ni les autres n’atteignent le bonheur sous la forme éthérée que les hommes se sont plu à lui donner.

Il reste sur nos épaules le poids des conceptions religieuses et mythiques des siècles premiers. Nous voyons le bonheur comme un état béat, de félicité complète, dans lequel nous voguerons sans aucun souci, sans aucun travail, sans aucun effort dans le sein Dieu, dans sa pure contemplation. Attendre le paradis, bâtir l’île d’utopie, ne sont-ce pas la même besogne ! Le vie c’est le lutte constante, c’est le travail, le mouvement perpétuel. La vie c’est le bonheur. Diminuer l’intensité de la vie, c’est diminuer l’intensité du bonheur…

C’est une fausse conception du bonheur qui empêche les hommes de pouvoir l’atteindre. Ils se plaisent à le placer où il ne se trouve pas. La déception, si cruelle soit-elle, ne les empêche pas de suivre à nouveau les mêmes errements, les mêmes sottises. Le bonheur est dans la satisfaction la plus complète de nos sens, dans l’utilisation la plus grande de nos organismes, le développement le plus intégral de notre individu. Nous le recherchons dans la béatitude céleste, dans le repos de la retraite, dans la douce quiétude de la fortune. Le bonheur que nous cherchons tant, nous le jouons tous les jours sur des mots. Nous le perdons au nom de l’honneur de la patrie, de l’honneur du nom, de l’honneur conjugal. Pour un mot, un geste, nous prenons un fusil, une épée ou un revolver et nous allons tendre nos poitrines vers un autre fusil, une autre épée, un autre revolver, pour la patrie, la réputation, la fidélité éternelle.

Nous cherchons le bonheur, et il suffit du rire d’une femme (ou d’un homme, selon les sexes) pour qu’il soit de longtemps chassé d’auprès de nous. Nous appuyons notre bonheur sur les sables les plus mouvants, sur les terres les plus friables, le long des océans, et nous crions quand il s’en va, emporté par le retour de la vague ou par la mobilité du sol. Nous bâtissons des châteaux de cartes que le moindre souffle peut détruire et nous disons ensuite : « Le bonheur n’est pas de cette terre. »

Non, le bonheur tel qu’on nous l’a montré, tel que des siècles de servitude de corps et d’esprit nous l’ont fait percevoir, n’existe pas. Mais il existe : c’est celui qui est fait de la plus large satisfaction de nos sens à tout heure de notre vie. Echafaudons la cité du bonheur, mais disons-nous bien qu’il n’est possible de le faire que la place nette de tous les errements, de tous les préjugés, de toues les autres cité spirituelles et morales qu’on a construites en son nom. Laissons à la porte toute notre éducation, toutes nos idée actuelles sur les choses. Abandonnons Dieu et son immensité, l’âme et son immortalité, la patrie et son honneur, la famille et sa réputation, l’amour et sa fidélité éternelle.

On nous a fait croire longtemps à un paradis après notre mort, les gouvernants veulent nous faire croire à un bonheur à notre vieillesse ou selon notre fortune, sachons le vouloir dès maintenant en quelque circonstance, en quelque position soyons-nous placés ! Le grand problème du bonheur ce n’est pas tant de déterminer la route qui y mène, c’est de pouvoir assurer de quel corps et de quel cerveau sain on pourra le suivre.